Groupe de Six

Voilà des semaines que je n’ai rien dit ici de mes lectures. Six livres achetés ou reçus ces dernières semaines, cadeaux ou non. Sur la musique et la politique, deux de mes passions avouées.

Cocteau l’insupportable

Ce n’est pas le premier ouvrage sur ce que, par facilité, on a appelé Le Groupe des Six, mais c’est assurément le plus savoureux.

Sur cette toile de Jacques-Émile Blanche de1923, seuls cinq des Six sont représentés ; Louis Durey n’est pas représenté. De gauche à droite : Germaine TailleferreDarius MilhaudArthur HoneggerJean WienerMarcelle MeyerFrancis PoulencGeorges Auric (assis) et Jean Cocteau.

Le Groupe des Six ? Voilà les musiciens qui ont occupé le devant de la scène artistique parisienne dans l’immédiat après-Première Guerre mondiale. Parrainés par Erik Satie et soutenus par Jean Cocteau, à la fois leur imprésario et leur éminence grise, les Six furent les porte-drapeaux de l’Esprit Nouveau qui soufflait alors sur Paris. Voix intermittentes du néoclassicisme hexagonal pour les uns, simples farceurs embobinant dans leurs canulars un public crédule et une critique complaisante pour les autres, ils ont marqué comme peu cette période d’effervescence, où tout semblait possible. Les Six, donc : Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc et Germaine Tailleferre

C’est ainsi qu’Actes Sud présente le dernier opus de Pierre Brévignon.

Il faut lire l’excellent papier que Yann Beuvard consacre à l’ouvrage sur Forumopera : Le Groupe des Six, météorite de la musique française. Il faut évidemment surtout lire le style inimitable de Pierre Brévignon, naguère co-auteur avec Olivier Philipponnat d’un Dictionnaire superflu de la musique classique qu’on avait adoré !

Brévignon règle son compte à un personnage que je ne suis jamais parvenu à lire, ni donc à apprécier, l’ineffable Jean Cocteau. J’ai l’âge d’avoir connu des gens qui ont connu, approché – parfois de très près – celui qui s’est toujours piqué d’être l’ami des grands de ce monde, voire leur inspirateur ou leur impresario. Ainsi Le Groupe des Six serait une invention de Cocteau… une de plus ! Invention, dans toutes les acceptions du terme ! :

« De son propre aveu, Cocteau s’est toujours rêvé Paganini du violon d’Ingres. Parmi ses nombreux dons, le plus remarquable était d’imprimer sa marque dans tous les domaines où il s’aventurait, unifiés sous le même label de « poésie » (de roman, de théâtre, de journalisme, graphique, critique, cinématographique)… Son sens de la publicité et sa prolixité lui valaient autant d’admirateurs que d’adversaires, la frontière entre les deux étant souvent fluctuante comme purent l’expérimenter un Gide, un Picasso, un Stravinsky ou un Mauriac/…../ Ce désir de se trouver au coeur du mouvement et de la vie des arts constitue l’impetus coctaldien par excellence. Cocteau se défendra souvent de courir après l’avant-garde…. Si quelque chose de neuf doit voir le jour sur la scène artistique, il faut qu’il ait un rôle à y jouer. Quitte à s’y inviter par effraction. »

S’agissant de la seule femme membre du Groupe des Six, on doit à la vérité philologique de préciser que Germaine Tailleferre est née Marcelle Taillefesse!

Seul résultat collectif de la cogitation du Groupe des Six, ces Mariés de la Tour Eiffel :

Les secrets de Chopin

Le directeur artistique du Festival de Nohant, écrivain, philosophe et critique Jean-Yves Clément n’en est pas à son coup d’essai sur Chopin. Depuis cet essai paru au printemps, il a même récidivé avec ce Voyage de Majorque qui se présente comme un « faux journal » de Chopin et de son séjour dans l’île espagnole (voir Chez George et Frédéric)

L’auteur nous invite à réentendre Chopin hors des clichés répandus, à partir de sa musique seule, encore insuffisamment comprise dans sa singularité et ses audaces. Il brosse un portrait inédit de l’âme divisée du compositeur:  » Chez Chopin, seule la musique répond à la musique. Son oeuvre, à proprement parler, ne figure rien. Ni l’amour, ni la nature, ni l’humanité. Seul le vase clos et infini de la musique.  » 
Indépendante de sa vie même, l’oeuvre de Chopin se dérobe, par sa nature, aux circonstances qui la voient naître. Elle s’affirme ainsi comme l’expression la plus affirmée de la solitude absolue du créateur. 
Elle révèle la dualité de son être comme de son expression – de son génie même : français et polonais, classique et romantique, révolutionnaire et conservateur, sociable et renfermé, mondain 
et secret… Toute sa vie, le musicien restera un exilé du monde. 
Chaque chapitre du livre s’appuie sur les oeuvres les plus importantes de Chopin, liées aux périodes essentielles de son existence, de la Pologne à Nohant, en passant par Majorque et Paris, comme autant de cheminements significatifs de son évolution.
(Présentation de l’éditeur)

Lire Le piano d’Ivan Moravec

Une amitié particulière

C’est à une discussion sur Facebook à propos du pianiste Youri Egorov (La nostalgie des météores) que je dois d’avoir découvert (et acheté par correspondance) un ouvrage atypique, curieux mélange de journal intime, autobiographie, manifeste politique. Qui constitue surtout un passionnant témoignage sur la vie musicale du temps de l’ex-URSS. Celui du pianiste Andrei Gavrilov, né en 1955 à Moscou.

« Scènes de la vie d’un artiste » c’est bien de cela qu’il s’agit, sans ordre apparent. On peut prendre un chapitre au hasard, puis un autre, sans risquer de perdre le fil d’un récit qui n’en a pas. Quelque chose me dit que c’est l’auteur lui-même qui a écrit cette « présentation de l’éditeur » (précisons d’emblée que la traduction française est souvent approximative)

En 1974, à l’âge de 18 ans il remporte le cinquième Concours Tchaïkovski. La même année il fait ses débuts sur la scène internationale par un triomphe au fameux Festival de Salzbourg où il remplace Sviatoslav Richter malade. Depuis lors, il a connu une impressionnante carrière internationale et s’est produit avec les plus grands orchestres du monde. Persécuté par le KGB depuis 1979, Andrei Gavrilov échappe à quatre tentatives d’assassinat. En 1984 il parvient à fuir l’URSS, il s’établit d’abord en Angleterre, puis en Allemagne, et définitivement en Suisse en 2001. Nous publions dans ce livre les souvenirs des incroyables événements qui se sont produits au cours de sa vie entre 1973 et 1985. L’artiste partage avec nous ses analyses philosophiques sur les principaux problèmes du monde moderne qui ne se limitent pas au totalitarisme et à la décadence de notre culture. C’est un regard perçant de l’homme à travers la musique. On y trouve également de nombreuses anecdotes sur les grandes célébrités internationales, comme Malkovich, Richter, Rostropovitch et beaucoup d’autres. Gavrilov se penche sur son passé et nous livre avec bonheur et amertume un regard inédit sur la fin de l’Union sovietique, à travers un récit où la caricature la plus grotesque se mêle étroitement à la tragédie et aux épreuves que traverse un jeune homme sincère et un artiste de génie. Ce livre hors norme et bouleveversant est un témoignage historique de première importance.« 

Ce qui retient d’abord l’attention c’est l’amitié qui a lié le jeune pianiste de 23 ans à son glorieux aîné de quarante ans, Sviatoslav Richter, Fira dans l’intimité. A en juger par la violence de certains commentaires de la discussion sur Facebook (cf. supra), on ne touche pas impunément à une statue comme Richter.

« En 1978 Richter et moi avons eu un véritable coup de foudre. Ce ne fut pas une année ordinaire, mais la lune de miel de notre amitié. Se fréquenter était pour nous fascinant et captivant. Lorsqu’on se voyait, nous sautions tous les deux de joie comme des singes (sic) ».

Parmi mille anecdotes et aventures racontées ici, on relève un projet étonnant, qui a débouché sur une série d’enregistrements (en partie réalisés à la Grange de Meslay si je ne me trompe) : une intégrale des Suites pour clavier de Haendel au piano, partagée entre Richter et Gavrilov.

De Gaulle intime

Sur De Gaulle on a tout dit, tout écrit, mais pas forcément tout montré. Le cinquantenaire de sa mort (lire Le chêne abattu) a donné lieu à d’opportunes publications, comme cet ouvrage de Raphaëlle Bacqué, qui permet d’accéder à quantité de manuscrits, brouillons, notes écrites ou annotées par celui qui fut président de la République de 1959 à 1969. J’ai toujours été fasciné par le contraste entre la taille imposante du personnage (1m96) et son écriture très penchée.

L’homme qui lit

L’ancien Premier ministre d’Emmanuel Macron, remercié en juin dernier, m’a toujours paru sympathique, avec ce quelque chose de décalé dans l’allure, dans l’expression, une sorte de distinction assez british. Et dans la gestion des débuts de la crise du Covid, un sang-froid, une maîtrise, qui contrastaient heureusement avec les emballements – pour user d’un euphémisme – d’autres responsables publics. Pour autant je n’avais rien lu de lui ni sur lui. Ce n’est que récemment que j’ai découvert ce livre, paru en juillet 2017 : un essai politique de plus ? Réponse de l’auteur :

«  Lorsque je regarde ma bibliothèque, je vois ce que j’ai appris et une bonne partie de ce que j’aime. Ces livres m’ont construit. Des romans, des essais, des manuels, des bandes dessinées, le tout mélangé, muri ou oublié, redécouvert et discuté. Une bibliothèque est comme le « lieu de mémoire » de notre existence. Elle nous chuchote d’anciennes joies, murmure nos lacunes et trahit des promesses de lecture.
Les livres relient les hommes. Derrière ce qui ressemble à une formule, il y a une réalité, particulièrement évidente dans mon histoire familiale, dans ma vie. Dans ma relation avec mon père mais aussi dans le parcours de mon grand-père, dans la vie de ceux qui m’entourent et qui comptent pour moi.
  »

On a la certitude en le lisant que nul n’a tenu la plume à sa place. L’homme sait lire; et écrire. Bien écrire.

Le lion de Belfort

Dans un tout autre genre, mais d’une plume tout aussi alerte, quoique plus traditionnelle, les Mémoires de Jean-Pierre Chevènement se dégustent à petites lampées mais avec gourmandise. L’ancien ministre de Mitterrand a un art du récit, de la mise en scène des événements auxquels il participe ou qu’il engendre, doublé d’un talent d’écrivain, qui ont peu d’équivalents dans le monde politique actuel.

L’avantage d’un tel ouvrage, c’est qu’à 80 ans, le fondateur du CERES n’a plus rien à prouver, plus personne à convaincre ou à flatter, encore moins à combattre. Sans s’interdire quelques belles formules, quelques bons mots, les portraits que JPC dresse de ses contemporains, de ceux avec qui il a travaillé, qu’il a côtoyés ou combattus, la relation qu’il fait de son action et de celle des gouvernements et assemblées auxquels il a participé, ne sont suspects d’aucune exagération, d’aucune omission. Le pavé fourmille de détails, mais aucun n’est négligeable.

Un peu de nostalgie étreint le lecteur quand il referme l’ouvrage. Qui, aujourd’hui, dans le monde politique français en activité, a l’envergure, la densité, la culture, d’un Chevènement ?

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