Les sans-grade (XII) : Walter Susskind

C’est l’un de ces noms qu’on voit sur pas mal de pochettes de disques, surtout comme « accompagnant » de solistes célèbres – Elisabeth Schwarzkopf, Ginette Neveu, Yehudi Menuhin, Shura Cherkassky, Christian Ferras, etc. C’est un patronyme qui ne dit pas grand chose de ses origines, surtout qu’il a passé l’essentiel de sa carrière aux Etats-Unis. Et c’est pourtant un très bon chef, demeuré trop discret : Walter Susskind (1913-1980)

Jan Walter Süsskind – comme on l’orthographie alors – naît dans l’une des nombreuses familles allemandes installées à Prague, le 1er mai 1913. Dans sa ville natale il apprend le piano avec Karl Hoffmeister, la composition avec Josef Suk (1874-1935), le gendre de Dvořák, et Alois Hába (1893-1973), et la direction d’orchestre avec George Szell, en poste alors à l’opéra allemand de Prague (qui sera dissout en 1938). Süsskind fuit la menace nazie et s’installe à Londres pendant la Seconde guerre mondiale. Il devient citoyen britannique en 1946. Une petite dizaine d’années comme chef au Royaume-Uni et en Australie, puis à partir de 1955 un tropisme américain qui le retiendra jusqu’à sa mort en 1980 : la direction de l’Orchestre symphonique de Toronto de 1956 à 1965, puis celui de Saint-Louis (Missouri) de 1968 à 1975, et enfin deux brèves années 1978 et 1979 à Cincinnati avant que la maladie ne le rattrape.

De son apprentissage auprès de Szell, Susskind (le ü a disparu avec l’anglicisation de sa nationalité et de son nom) a conservé la parfaite rigueur d’une lecture au laser des partitions qu’il agence comme personne, une apparente simplicité d’approche qui restitue en réalité l’authenticité des Dvořák, Smetana, Bartok, Prokofiev, Chostakovitch, et même Les planètes de Holst, qui constituent l’essentiel d’une assez maigre discographie d’orchestre. En revanche, son nom reste associé à d’impérissables gravures où il est mieux qu’un accompagnateur, un partenaire à égalité d’inspiration et de concentration.

Ginette Neveu, mais aussi Yehudi Menuhin et le jeune Christian Ferras (éblouissants concerto de Bruch et Symphonie espagnole de Lalo)

C’est Walter Susskind qui offre à Shura Cherkassky sa seconde gravure en stéréo du 2ème concerto pour piano de Tchaikovski

Sur ce même précieux double album, deux versions très classiques, épurées de tout contexte « soviétique » des symphonies 1 et 9 de Chostakovitch, une approche qui « universalise » le compositeur russe.

Enregistrés magnifiquement à St Louis, multi-rééditée, les trois grands concertos de Dvorak trouvent ici leurs versions de référence, et avec quels solistes ! Zara Nelsova, Ruggero Ricci et Rudolf Firkusny.

Il faut un peu chercher pour trouver par exemple cette admirable version du 3ème concerto de Rachmaninov par Leonard Pennario

En cherchant encore un peu plus, on tombe sur un Mozart inattendu… sous les doigts de Glenn Gould.

Rassembler la discographie orchestrale de Susskind n’est pas la chose la plus aisée qui soit. Pourtant on trouve en CD quelques superbes témoignages de l’art du chef d’origine tchèque. Sur les plateformes numériques, l’offre est un peu plus large, quoique encore très disparate.

Toujours dans la série consacrée par le label américain Vox à l’orchestre symphonique de Cincinnati, un double album qui fait entendre une version atypique du Chant de la Terre de Mahler, sans surcharge émotionnelle, avec deux chanteurs américains Richard Cassilly et Lili Chookasian. Belle sélection du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn (et une Inachevée un peu palotte sous la direction d’une star de la baguette prématurément emportée par un cancer à 47 ans, Thomas Schippers)

Couplage étonnant, mais autant dans Holst que Smetana, la quintessence d’un art tout de clarté, de creusement des partitions, le contraire de l’esbroufe et de l’épate. Et quelles prises de son ! quel orchestre !

Eloquence a publié, il y a quelques mois, un double album un peu hétéroclite, où domine la figure d’un autre chef un peu oublié du XXème siècle, Hans Schmit-Isserstedt, mais où se trouve l’un des rares exemples de Susskind dans le répertoire viennois classique, en l’occurrence la 4ème symphonie de Schubert. Une lecture toute d’équilibre et de lumière qui ne prend pas au pied de la lettre le sous-titre – Tragique – de l’oeuvre d’un jeune homme de 19 ans.

Walter Susskind n’a pas oublié de servir les musiciens du pays qui l’a accueilli durant vingt-cinq ans, même si c’est à Londres qu’il a enregistré Copland et les Spirituals de Morton Gould, qui servirent jadis de générique à l’une des plus célèbres émissions de la télévision française, les Dossiers de l’écran !

La découverte de la musique (XIV) : Saint-Saëns

On va beaucoup parler de Camille Saint-Saëns cette année, et ce n’est que justice ! Le compositeur français, né en 1835, est mort il y a cent ans, le 16 décembre 1921.

Le magazine Classica de décembre/janvier lui consacrait sa une et un important dossier, très documenté

Le prochain Festival Radio France Occitanie Montpellier lui consacrera tout un ensemble de concerts. On sait déjà qu’il y aura de bonnes surprises discographiques (dans le droit fil de la « résurrection » il y a quatre ans du Timbre d’argent).

Saint-Saëns, je l’ai découvert de deux manières, d’abord au bac, l’épreuve « musique ». Parmi les oeuvres imposées figurait Le rouet d‘Omphale, l’un des poèmes symphoniques de Saint-Saëns. Je me souviens l’avoir analysé de long en large (pour rien, puisque je n’ai pas été interrogé là-dessus), et encore plus, de ne l’avoir jamais entendu en concert. Il est vrai que, dans les cinquante dernières années, il n’était pas de bon ton de programmer un compositeur si souvent présenté comme académique – dans la pire acception du terme – conservateur, voire réactionnaire.

Les versions discographiques ne se bousculent pas non plus. Le beau disque de Charles Dutoit est l’un des rares qui soient consacrés aux poèmes symphoniques de Saint-Saëns.

L’autre découverte, moins originale, à peu près à la même époque est celle du Deuxième concerto pour piano, mais dans une version bien particulière, liée à ma passion adolescente pour Artur Rubinstein (lire Un amour de jeunesse). Je ne sais plus à quelle occasion (une Tribune des critiques de disques sur France Musique ?) j’ai entendu pour la première fois ce qui allait rester ma version de référence, le premier des deux enregistrements stéréo d’Artur Rubinstein du 2ème concerto, en 1958, sous la direction d’Alfred Wallenstein.

Tout l’esprit de Saint-Saëns, de ce deuxième concerto qui selon George Bernard Shaw, « commence comme Bach et finit comme Offenbach » et particulièrement dans le deuxième thème de ce mouvement. Rubinstein y est inimitable.

Depuis lors, j’ai entendu souvent cette oeuvre en concert, mortellement ennuyeuse (oui certains pianistes et non des moindres y parviennent !) ou follement débridée.

Comme cette prestation de Fazil Say, qui aurait normalement dû déboucher sur un disque… qui ne s’est pas fait.

Mais sans aller chercher dans les versions historiques, on peut se féliciter des complètes réussites de Bertrand Chamayou et Jean-Philippe Collard, qui confirment que Saint-Saëns, joué avec le panache, l’imagination et la virtuosité qui sont les leurs, n’a rien d’un vieillard ennuyeux.

La belle carrière de Claude

L’annonce de la mort de Claude Carrière m’a touché. Tant de souvenirs liés à sa longue présence sur France Musique. Le souvenir d’une personnalité singulière et chaleureuse.

L’oeil qui frise, la bienveillance d’un visage rarement triste, on ne pouvait qu’aimer Claude. Jamais du temps où je fus son directeur – de France Musique – , Claude Carrière n’est venu revendiquer quoi que ce soit. Pourtant de remaniement en réaménagement de grille – les « contraintes budgétaires » déjà comme prétexte ! – son incontournable Jazz Club du vendredi soir fut plusieurs fois menacé non pas de disparaître mais d’horaires réduits, de « directs » supprimés. Il faut savoir, se rappeler qu’un directeur d’antenne à Radio France n’est pas complètement libre de ses décisions. En l’occurrence, Claude venait plaider tranquillement mais fermement sa cause, que je partageais. Et le Jazz Club survécut, avec Claude et son complice Jean Delmas, aux velléités des « budgétaires » de la maison de la Radio.

Le dernier souvenir que j’ai de lui est récent : il y a quelques mois, je le voyais quasiment à chaque concert de Radio France, concert classique de l’Orchestre National ou de l’Orchestre philharmonique de Radio France. Il m’avait confié sa gourmandise de musique classique, après un si long compagnonnage avec le jazz, une gourmandise informée.

Me revient à ce sujet un autre souvenir, que je cite souvent quand je parle de ma « période France Musique » : j’avais souvent remarqué, déjà à la Radio Suisse romande, qu’en dehors des journalistes, les producteurs de radio qui « font » de l’antenne ne bénéficiaient d’aucune formation spécifique. Certains n’en avaient pas besoin, ils étaient comme naturellement doués pour l’exercice (la réalité c’est qu’ils travaillaient beaucoup ce « naturel »), mais d’autres le souhaitaient, y compris parmi les plus chevronnés. C’est ainsi que j’organisai durant une journée, et sur une base volontaire, une session qui réunit une dizaine de producteurs de France Musique désireux de confronter leurs expériences et de progresser encore. Claude Carrière qui n’en avait vraiment pas besoin, était du lot. Lorsque parmi les exercices proposés, je mis les présents dans une situation d’urgence – la nécessité d’annoncer un concert classique sans aucune préparation préalable – celui qui s’en tira avec tous les honneurs – et les félicitations de ses camarades spécialisés dans le classique – ce fut Claude. Tout simplement parce qu’en homme de direct, habitué aux aléas d’un club de jazz, il dit les choses sans fioritures, sans commentaires pseudo-musicologiques, et avec les seules informations dont avait besoin l’auditeur : les oeuvres au programme, les compositeurs, les interprètes.

Grâce à Renaud Machart, à qui j’emprunte ces photos postées sur Twitter, je me remémore aussi une sacrée aventure menée à l’automne 1998. Renaud et Claude m’avaient proposé un projet fou, de ceux qui seraient inimaginables aujourd’hui : une semaine en direct de New York ! Avec de vrais artistes, classiques et jazz, qui acceptaient de jouer le matin… pour être, décalage horaire oblige, en direct à 18 h sur France Musique.

Si je me rappelle bien, nous avions eu l’aide de l’Alliance française de New York, nous nous retrouvions dans un restaurant français, à partager les jeux de mots laids, et les blagues pourries dont Claude était un fabuleux pourvoyeur (Renaud Machart-Cuterie n’était pas en reste !).

Mais, comme il y a prescription, je veux raconter ici un souvenir cuisant, qu’à l’époque je n’avais raconté à personne (sauf à Claude, Renaud et l’administratrice de France Musique). Nous avions obtenu l’accord des artistes new-yorkais de se produire en direct, à la seule condition de ne pas passer par les circuits très réglementés des cachets, syndicats d’artistes etc… Tous avaient accepté un « dédommagement » forfaitaire de frais, mais le total était tout de même conséquent. Hors de question de procéder par virement international ! J’étais donc parti de Paris, et du bureau de l’administratrice de France Musique, avec une enveloppe bourrée de billets de banque (je me demande rétrospectivement ce qui serait arrivé si les douanes française ou américaine m’avaient interrogé sur ce « transfert »). Arrivé le dimanche – précédant la semaine de directs – dans l’après-midi à Manhattan, je m’en fus d’abord courir au magasin Tower Records près de Washington square, puis boire un verre dans un café. Mes « biftons » soigneusement planqués dans une poche intérieure de ma veste. Le café en question était quasi-désert, je m’installai à une table, posai ma veste sur une chaise à côté de la mienne, et entamai la discussion avec deux amis que je venais de retrouver.

Au moment de régler l’addition, plus de portefeuille, plus d’argent, plus de cartes bancaires ! Je n’avais pas pris garde à ce consommateur qui était venu se placer à la table à côté de la nôtre… La police new-yorkaise me dira que c’était le « truc » le plus utilisé par les voleurs. J’avais heureusement le ticket de caisse de Tower Records qui comportait le numéro de la carte bancaire avec laquelle j’avais réglé mes achats. Sinon plus rien ! et donc plus d’argent pour régler les artistes. Je ne raconte pas les complications à mon retour à Paris…

Salut Claude ! On sait que tu es en bonne compagnie là où tu les a rejoints…

Le Chopin de Rafael

Commandé il y a quelques semaines, j’ai enfin reçu ce double CD, si attendu.

Ce n’est ni le premier, ni le dernier billet que je consacre au pianiste andalou Rafael Orozco (1946-1996) : lire Un grand d’Espagne.

Voilà bien l’un des plus grands musiciens du siècle passé, un pianiste qui, depuis ma première rencontre avec lui (les concertos de Rachmaninov), n’a cessé de me surprendre, de m’émouvoir, de susciter une admiration toujours renouvelée, quelque soit le répertoire dans lequel je l’écoute.

En 2015, j’écrivais : il n’aura jamais la carrière discographique que son talent et sa personnalité hors normes auraient dû lui ouvrir. On en est réduit à rechercher ici et là, sur les sites de téléchargement, des Mozart, des Chopin enregistrés pour la bEMI, Albeniz et Falla gravés pour Valois/Auvidis (qui les ressort au compte-gouttes). Un conseil : dès que vous trouvez un enregistrement d’Orozco, achetez-le, écoutez et réécoutez-le/…./Qui nous restituera un jour le legs discographique de ce grand d’Espagne, trop tôt disparu ?« 

Chopin ressuscité

Depuis 2015, la situation n’a guère évolué. C’est dire si ce double CD édité par Warner est plus que bienvenu. Jean-Charles Hoffelé y explique d’ailleurs les raisons d’une discographie erratique. D’abord EMI Londres, après le fulgurant succès d’un pianiste de 19 ans au prestigieux Concours de Leeds, puis, cornaqué par Alexis Weissenberg et son impresario, l’incontournable Michel Glotz, la branche française d’EMI, avant que Philips ne lui offre quelques très belles sessions (dont ne subsistent, disponibles, que les concertos de Rachmaninov avec Edo de Waart). Puis Valois/Auvidis. Et depuis sa mort prématurée en 1996, des suites d’une maladie qui a emporté tant de ses contemporains, les labels successifs de Rafael Orozco l’ont oublié, nous privant d’un héritage discographique où absolument rien n’est secondaire ou négligeable. Alors je repose la question : Warner (pour EMI) et Decca (pour les disques Philips) ne pourraient-ils enfin nous restituer les trésors qui dorment dans leurs placards ?

J’avais déjà réussi à trouver les Etudes de Chopin en CD il y a quelques années, au sommet de ma discothèque (avec l’opus 25 de Geza Anda), captées sous l’égide de Michel Glotz, salle Wagram à Paris en 1970 et 1971.

Je découvre aujourd’hui les Préludes, enregistrés au lendemain de Leeds, en décembre 1967, à Londres (l’opus 45 et l’opus posthume le seront à Paris en 1971).

D’autres diraient mieux que moi les caractéristiques de l’art pianistique de Rafael Orozco. Dans ces Préludes de Chopin, il n’emporte pas tout sur son passage comme une Martha Argerich, il ne creuse pas chaque sillon comme un Claudio Arrau, il ne surligne pas le romantisme de ce « journal de Majorque » comme tant de ses confrères. Il fait ce qu’il a toujours fait, une technique superlative au service exclusif du texte, la densité d’une sonorité jamais forcée, d’où sourdent immanquablement tendresse et émotion retenue.

C’est bien pourquoi on réclame que les autres Chopin de Rafael le magicien nous soient restitués

Je signale – parce que je l’ai trouvé récemment sur un site espagnol – un « live » du second concerto de Brahms, indispensable comme tout ce qu’on peut trouver de Rafael Orozco :

Les raretés du confinement (IX) : Mazeppa, l’été des festivals, Chick Corea, Kleiber, Britten et Bedford

#Confinement

Sur le confinement de la culture, cette phrase alambiquée de la ministre de la Culture française, Roselyne Bachelot : « L’hypothèse d’un été sans festival est exclue » (France 5, C à vous, 10 février).

Je n’ai pas attendu la déclaration ministérielle pour écrire ceci sur le site du Festival Radio France Occitanie Montpellier :

Sous le signe de la fête

Voici des mois que la culture est confinée, qu’une part essentielle de nous-mêmes est privée d’une liberté, d’une nourriture, indispensables. Pourtant nous avons besoin de musique, d’art, de beauté, nous avons besoin de retrouver la réalité vivante du concert, du spectacle. C’est tout le sens de l’édition 2021 du Festival qui aura lieu du 10 au 30 juillet, à Montpellier et dans toute l’Occitanie.

Chaque concert sera une fête ! Une fête pour ces milliers d’artistes, de travailleurs du spectacle, privés depuis trop longtemps de la liberté d’exercer leur métier, une fête pour tous les publics, une fête de la musique et de la culture partagées.

Les nouvelles stars

Ils s’appellent Jakub Józef Orliński, Benjamin Grosvenor, Alexandre Kantorow, Yoav Levanon, Filippo Gorini, Thibaut Garcia ou Adriana Gonzalez, ce sont les nouvelles étoiles de la musique, pour beaucoup des découvertes du Festival. Ils sont nombreux au Festival 2021 !

La famille du Festival

Eux aussi ont furieusement envie de faire la fête cet été : les chefs Hervé Niquet, Santtu-Matias Rouvali, Cristian Măcelaru, François Xavier Roth, Michael Schønwandt, Domingo Garcia Hindoyan, mais aussi Sonya Yoncheva, Renaud Capuçon, Michel Dalberto, Bertrand Chamayou, ou encore Félicien Brut, Thom Enhco, Magic Malik, le quatuor Ellipsos. Liste non exhaustive !

La grande famille du Festival s’est donnée rendez-vous en juillet à Montpellier.

De la Terre aux étoiles

Le Festival 2021 c’est aussi la promesse d’aventures exceptionnelles, de journées entières de musiques de fête venues du monde entier. Comme le cycle des Leçons de Ténèbres dans sept des plus hauts lieux de patrimoine de l’Occitanie. Comme les spectaculaires Pléiades de Xenakis, confiées aux percussionnistes de l’Orchestre national de France, une musique de plein air qui tutoie les étoiles. Comme ces temps forts au Mémorial du Camp de Rivesaltes, au nouveau musée #NarboVia de la Narbonne antique, à l’Abbaye de Valmagne (Festival de Thau) au festival des Lumières de Sorèze, au nouveau Conservatoire de Montpellier… Nous sommes prêts à faire la fête avec vous l’été prochain, plus résolus que jamais à retrouver la musique et les musiciens en liberté. (Jean-Pierre Rousseau Directeur)

6 février : Mazeppa

La vie et le destin d’Іван Степанович Мазепа/ Ivan Mazepa (1639-1706) devenu héros de la nation ukrainienne a inspiré les poètes romantiques, Lord Byron, Victor Hugo (dans Les Orientales), Pouchkine (Poltava), les peintres, Delacroix, Géricault, Vernet, et bien sûr les compositeurs, Tchaikovski avec son opéra Mazeppa, et Liszt d’abord avec la 4ème de ses Etudes d’exécution transcendante, puis avec son poème symphonique éponyme, datant de 1851, créé à Weimar sous la direction du compositeur le 16 avril 1854. Liszt a retenu trois éléments de la légende de Mazeppa :la course folle sur le dos du cheval, la chute qui semble annoncer la mort, le réveil et le triomphe. Mazeppa est l’un des poèmes symphoniques les plus flamboyants de Liszt. Peu de chefs ont, à mon goût, restitué la dimension épique, le caractère tourmenté, de cette musique puissamment romantique. Herbert von Karajan en a gravé, en 1959, à Berlin, une version qui reste une référence insurpassée.

7 février : Shura Cherkassky encore

Retour à ce grand musicien très singulier, Shura Cherkassky (1909-1995), à qui j’avais consacré mon « post » dans cette rubrique le 4 février, et qui a suscité nombre de commentaires et de souvenirs. Un répertoire absolument incroyable, je crois sans équivalent parmi ses contemporains et des interprètes de cette envergure.

La preuve, ces Trois pièces chinoises du quasi-contemporain de Cherkassky, élève comme lui de Josef Hofmann, le pianiste virtuose et compositeur américain Abram Chasins (1903-1987). Ici la troisième de ces pièces « Rush Hour in Hong Kong » que Shura Cherkassky adorait jouer dans la série de « bis » (jusqu’à six) qu’il offrait inévitablement à la fin de chaque récital.

On ne saurait trop conseiller le double CD publié par First Hand contenant « the complete HMV stereo recordings » de Cherkassky.

8 février : la disparition de Stefano Mazzonis, Mozart

J’ai appris hier tard dans la soirée la disparition soudaine de Stefano Mazzonis di Pralafera, qui dirigeait l’Opéra royal de Wallonie, à Liège, depuis 2007. On le savait malade, mais sa mort brutale a surpris ses amis, dont j’étais.

Nous savions, lui et moi, quelle était notre responsabilité de conduire les deux magnifiques vaisseaux amiraux de la flotte culturelle de Liège, lui l’Opéra, son choeur, son orchestre, moi l’Orchestre philharmonique royal de Liège, chacun dans deux magnifiques écrins – un luxe inouï pour une ville comme Liège – le « Théâtre royal » pour lui, la Salle Philharmonique pour moi. Il nous est arrivé d’être concurrents, parce que nous visions l’excellence, la conquête de nouveaux publics, il m’est arrivé de ne pas partager certaines des options artistiques de Stefano, mais l’amitié n’a jamais faibli ni failli. Je me rappelle encore cette grande entreprise menée de concert, cette soirée au Théâtre des Champs-Elysées le 31 octobre 2012, où ensemble nous étions allés promouvoir les couleurs de Liège (lire Giscard et la princesse). Je me rappelle aussi ma dernière venue à Liège, il y a plus d’un an, avant la crise sanitaire. Une belle soirée d’opéra, dans la loge royale, avec Stefano et Alexise. Un moment de bonheur. Pensées affectueuses pour celles et ceux qu’il laisse dans la tristesse.

Ce 8 février je publiais cet article : Mauvais traitements, la Quarantième rugissante. Parmi les multiples versions de la 40ème symphonie de Mozart que j’y comparais, j’avais oublié celle, miraculeuse d’élan et d’équilibre, de George Szell

9 février : Raymond, Bernstein et l’Orchestre National

Le 21 novembre 1981, Leonard Bernstein dirigeait l’Orchestre National de France au théâtre des Champs-Elysées. Un programme tout français, avec la 3ème symphonie de Roussel et la Symphonie de Franck (lire Un été Bernstein). Et l’ouverture de « Raymond » d’Ambroise Thomas ! Je me rappelle avoir vu ce concert à la télévision et un Leonard Bernstein déchaîné qui sautait sur son podium.

Cette version a été éditée en CD dans le cadre du coffret anniversaire des 80 ans de l’ONF et figure sur un copieux DVD/Blu-Ray.

Ici c’est l’enregistrement réalisé à New York en 1966.

10 février : Muti et l’ONF

Dans le prolongement de mon billet d’hier (Leonard Bernstein et l’Orchestre National de France) une autre pépite du très beau coffret d’inédits publié en 2015 à l’occasion des 80 ans de l’ONF (voir les détails L’Orchestre national de France : 80 ans)

Le 15 janvier 2004, au Théâtre des Champs-Elysées Riccardo Muti dirige l’ouverture de l’opéra Lodoiska de Cherubini, à la tête de l’ Orchestre national de France

11 février : Carlos Kleiber et Richter

Une double rareté dans le répertoire de ces deux géants : le concerto pour piano de Dvorak sous les doigts de Sviatoslav Richter et la direction ô combien passionnée de Carlos Kleiber (1930-2004) – voir la discographie du grand chef : Carlos Kleiber

12 février : Hommage à Chick Corea

Quand le jazzman jouait Mozart avec Friedrich Gulda et Nikolaus Harnoncourt, un enregistrement rare et jubilatoire du concerto pour 2 pianos de Mozart (1989)

14 février : Hans Richter-Haaser

Le pianiste Hans Richter-Haaser (1912-1980) est un magnifique artiste, un interprète d’élection de Beethoven et Brahms, il a eu une carrière tardive et plutôt brève, mais sa discographie est exceptionnelle : L’autre Richter.

En 1957, il participe au seul enregistrement que Karl Böhm ait fait de la Fantaisie chorale de Beethoven, avec d’illustres partenaires – Teresa Stich-Randall, Hilde Rössel-Majdan, Erich Majkut, Paul Schöffler – et l’Orchestre symphonique de Vienne :

15 février : le Suisse oublié

Aujourd’hui une absolue rareté :un grand compositeur suisse – Othmar Schoeck (1886-1957) – complètement méconnu en dehors de son pays natal, son concerto pour violoncelle d’un lyrisme sans âge, des interprètes magnifiques : le violoncelliste Antoine Lederlin, jadis musicien de l’ Orchestre Philharmonique de Radio France, aujourd’hui membre du Belcea Quartet, l’ Orchestre national d’Auvergne dirigé par Armin Jordan (1932-2006)

16 février : deux décès

Hier soir on apprenait le décès, à 93 ans, des suites du Covid, de la cantatrice Andréa Guiot, dont j’avais raconté quelques souvenirs le 9 décembre dernier (voir Les raretés du confinement V)

Et aujourd’hui celui du chef d’orchestre britannique qui n’a jamais eu une grande notoriété sur le continent Steuart Bedford (1939-2021). Steuart Bedford a voué une grande part de sa vie et de sa carrière de chef à servir un compositeur qui l’avait pris sous son aile Benjamin Britten (1913-1976)

C’est Steuart Bedford qui dirige en 1973 la création du dernier opéra de Britten Death in Venice / Mort à Venise. C’est lui qui reprend en 1974 – jusqu’en 1998 ! – la direction du Festival d’Aldeburgh (sur l’impossible prononciation de cette charmante bourgade du Suffolk relire mon article : Comment prononcer les noms étrangers ?) fondé par Britten en 1948.

J’ai un souvenir à la fois émouvant et cocasse de Steuart Bedford. Je l’avais invité au début des années 90 à diriger un concert de l’Orchestre de la Suisse romande, qui devait se dérouler dans le cadre de la Fondation Pierre Gianadda à Martigny (dans le Valais). Pour aller de Genève à Martigny, et y conduire le chef, j’avais pris une voiture de la Radio suisse romande et choisi d’emprunter l’itinéraire sud du lac Léman (une route que je connaissais par coeur puisque je l’empruntais chaque jour pour faire le trajet Thonon-Genève). Moi qui passais la frontière franco-suisse sans jamais être arrêté par la douane, lorsque j’étais dans ma voiture personnelle, je fus stoppé au moment d’entrer en Haute-Savoie par des douaniers qui firent semblant de ne pas me reconnaître, qui m’interrogèrent sur le but de mon voyage, demandèrent les papiers de mon hôte… et – cerise sur le gâteau – l’autorisation de circuler en France pour un véhicule de la Radio suisse romande !! A l’époque, pas de téléphone portable, pas de possibilité de prouver qu’une répétition générale et un concert nous attendaient. Je jouai le tout pour le tout, en exigeant l’accès à un téléphone, pour prévenir qu’empêchés par la douane française, le chef et l’orchestre devaient annuler le concert… Le chef de poste finit par comprendre la totale absurdité de la situation… et nous laissa filer.

Ce long intermède et la route que nous fîmes ce jour-là me permirent de faire parler Steuart Bedford de Benjamin Britten, de son travail de chef, de ses passions musicales. Humour, calme, flegme, immense culture, il incarnait le parfait musicien britannique.

Eléments d’une discographie :

L’autre Richter du piano

Cela fait longtemps que j’aurais dû évoquer cet illustre pianiste, par exemple l’année dernière dans la série Beethoven 250.

Hans Richter-Haaser est l’archétype du pianiste allemand, abreuvé aux sources les plus classiques, Beethoven, Brahms, Schumann. Il naît en 1912 à Dresde et meurt en 1980 à Brunswick. Sa carrière est relativement brève et tardive – la Seconde guerre mondiale l’interrompt de longues années. Il ne fait ses débuts à New York qu’en 1959 – il a 47 ans ! – et à Salzbourg en 1963.

Sur les traces de Brahms

En 1947 Hans Richter-Haaser s’installe à Detmold, une ravissante cité de l’actuel Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, jadis chef-lieu du comté de Lippe. Où 90 ans plus tôt, Brahms a occupé, de 1857 à 1859, le poste de professeur de musique et de directeur de la société de chant de la Cour du prince Leopold III de Lippe. Une ville visitée lors de mon premier séjour en Allemagne (lire La découverte de la musique : France-Allemagne).

Dans le château de Detmold est conservé cet étrange piano ovale qui fut celui de Brahms.

Brahms qui, pendant son séjour à Detmold, entreprend son 1er concerto pour piano, compose ses deux sérénades pour orchestre, des Lieder, dont Unter Blüten des Mai’s spielt’ich mit ihrer Hand. Ce lied évoque une rencontre, celle d’Agathe von Siebold. Un été, il s’adonnera à sa nouvelle passion avec tant de fougue que Clara Schumann sera vexée qu’il ait rencontré une autre femme aussi vite. Son deuxième sextuor à cordes opus 36 fait, dans la première phrase, allusion à Agathe von Siebold : il contient en effet la suite de notes : la-sol-la-si-mi (en allemand : A-G-A-H-E). Peu après leurs fiançailles, Brahms change d’avis : il se sent incapable d’avoir une liaison. Il restera célibataire le restant de ses jours…

Beethoven d’abord

Richter-Haaser se fait repérer, heureusement, par quelques grands chefs et directeurs artistiques. Ce qui nous vaut une discographie certes restreinte mais d’une exceptionnelle qualité, pour la majeure partie consacrée à Beethoven.

Première salve Beethoven chez Philips : en novembre 1955 il enregistre aux Pays-Bas les sonates 8, 14 et 23, en mars 1956 les 21 et 28, en mai 1958 la 24, et en juin 1957 à Vienne il se joint à un prestigieux plateau – Teresa Stich-Randall, Hilde Rössl-Majdan, Anton Dermota, Paul Schöffler – pour la seule version enregistrée par Karl Böhm de la Fantaisie chorale de Beethoven

Walter Legge, le célèbre producteur d’EMI, l’attire dans son écurie et, de 1959 à 1964, va lui faire enregistrer, dans les mythiques studios d’Abbey Road, les concertos 3, 4, 5 de Beethoven (avec le Philharmonia dirigé par Giulini et Kertesz), treize sonates et les variations Diabelli.

Un coffret très précieux, un indispensable de toute discothèque.

Karajan, Sanderling, Moralt

Hans Richter-Haaser laisse au disque deux magnifiques concertos de Brahms : le second avec Karajan, magnifiquement capté en stéréo à Berlin, en 1957.

Le premier concerto (celui que Brahms entama à Detmold !) est capté « live » à Copenhague avec Kurt Sanderling :

Les collectionneurs connaissent quelques rares autres disques du pianiste allemand :

Les concertos de Grieg et de Schumann, gravés pour Philips, en 1958 à Vienne : ce n’est pas faire injure à Richter-Haaser que de noter que son Grieg est bien sérieux, et que l’accompagnement de Rudolf Moralt – dont c’était le dernier enregistrement ! – est bien plan plan !

Des sonates de Schubert

Deux concertos de Mozart avec Istvan Kertesz, reparus en CD en 1991 (pour le bicentenaire de la mort du compositeur) mais devenus introuvables

Et puis à nouveau Beethoven captés en concert en 1971 et 1978 à Leipzig avec le grand chef est-allemand Herbert Kegel.

Amadeus Corea

Chick Corea est mort hier, des suites d’un « cancer rare » selon les médias, à quelques semaines de son 80ème anniversaire.

C’est curieusement par et dans Mozart que j’ai découvert le jazzman. Il fallait être Harnoncourt pour réunir en 1989 deux personnages, deux personnalités aussi contrastées que Friedrich Gulda et Chick Corea pour enregistrer le concerto pour deux pianos de Mozart. Oserai-je dire, sans attenter à la réputation du pianiste autrichien, que les incursions de Gulda dans le jazz – même s’il pouvait être un improvisateur génial en concert – ne m’ont pas toujours convaincu ? Tandis que Chick Corea m’a toujours semblé être chez lui dans Mozart.

Autre témoignage très émouvant de la pratique mozartienne de Chick Corea, cette vidéo d’un concert partagé avec un autre géant du jazz… et du classique, Keith Jarrett, qui a dû renoncer à jouer, en raison d’une paralysie consécutive à deux AVC.

Il y a un autre disque que je chéris comme un trésor, Mozart encore cette fois avec Chick Corea et Bobby McFerrin. Une vision si libre et joyeuse, conforme à l’esprit d’un Wolfgang qui ne se privait pas d’improviser au clavier. « Cette pratique abandonnée depuis longtemps est l’un des éléments du style mozartien que le chef d’orchestre Bobby et le pianiste Chick Corea explorent dans The Mozart Sessions, qui comprend des enregistrements des Concertos pour piano n ° 20 de Mozart en ré mineur, K.466 et n ° 23 en la. Major, K.488, joué avec le Saint Paul Chamber Orchestra. Les sessions Mozart sont sorties en octobre 1996. Non seulement Corea joue ses propres cadences dans les concertos, mais lui et Bobby associent leurs improvisations individuelles pour conduire l’auditeur directement dans chacun des concertos. Ce qui rend ces improvisations si inhabituelles est le fait que Bobby et Chick, un pianiste de jazz, apportent leurs propres styles créatifs distinctifs à la musique de Mozart. L’improvisation était considérée comme un talent essentiel pour un pianiste de concert à la fin du 18e siècle. Mozart et Beethoven ont ébloui le public par leur talent d’improvisation » (Chick Corea : The Mozart Sessions)

Mauvais traitements (III) : Quarantième rugissante

Dernière minute : J’ai appris hier tard dans la soirée la disparition soudaine de Stefano Mazzonis di Pralafera, qui dirigeait l’Opéra royal de Wallonie, à Liège, depuis 2007. On le savait malade, mais sa mort brutale a surpris ses amis, dont j’étais.

Nous savions, lui et moi, quelle était notre responsabilité de conduire les deux magnifiques vaisseaux amiraux de la flotte culturelle de Liège, lui l’Opéra, son choeur, son orchestre, moi l’Orchestre philharmonique royal de Liège, chacun dans deux magnifiques écrins – un luxe inouï pour une ville comme Liège – le « Théâtre royal » pour lui, la Salle Philharmonique pour moi. Il nous est arrivé d’être concurrents, parce que nous visions l’excellence, la conquête de nouveaux publics, il m’est arrivé de ne pas partager certaines des options artistiques de Stefano, mais l’amitié n’a jamais faibli ni failli. Je me rappelle encore cette grande entreprise menée de concert, cette soirée au Théâtre des Champs-Elysées le 31 octobre 2012, où ensemble nous étions allés promouvoir les couleurs de Liège (lire Giscard et la princesse). Je me rappelle aussi ma dernière venue à Liège, il y a plus d’un an, avant la crise sanitaire. Une belle soirée d’opéra, dans la loge royale, avec Stefano et Alexise. Un moment de bonheur. Pensées affectueuses pour celles et ceux qu’il laisse dans la tristesse.

La difficile Quarantième

J’ai découvert la 40ème symphonie de Mozart dans les années 70, au moment où le dénommé Waldo de Los Rios vendait des milliers de disques en « arrangeant » à la sauce pop de grands classiques.

Je trouvais ça nul, et à mes copains de lycée qui avaient l’air d’apprécier, je montrai un jour la « pub » (une des premières que j’aie vues dans l’univers du classique) de Philips, qui faisait la promotion d’un disque bon marché des symphonies 40 et 41 dirigées par Karl Böhm : « La 40ème préférez l’original »

Pour de longues années, ce serait ma version de référence, la seule de ma modeste discothèque.

Puis, devenu lecteur de Diapason, je suivrais la réalisation de l’intégrale des « grandes » symphonies par Josef Krips à la tête du même Concertgebouw que Böhm, mais le prix trop élevé du coffret de 33 tours me dissuaderait de l’acheter.

Ce n’est que lors d’un Disques en Lice, la défunte émission de critique de disques de la Radio Suisse romande (voir Une naissance ) que je tombai de haut en découvrant la version amorphe, étrangement lente et sans élan, du chef viennois tant admiré dans Mozart. La maladie qui devait l’emporter en 1974 était-elle responsable de ce parti pris ?

Le « live » du même Krips à la tête de l’Orchestre national de France, en 1965 au Théâtre des Champs-Elysées, révèle tout de même une conception plus alerte, même si pas vraiment « molto allegro« , de cette symphonie.

Au début des années 60, les jeunes chefs d’alors suivaient les indications de Mozart, sans « romantiser » une symphonie qui n’en a nul besoin.

Dans les années 70, un Karajan plus soucieux d’élégance, de fluidité… et de virtuosité, allait livrer des versions sans aspérités, proscrivant drame et ruptures.

Leonard Bernstein, tant à New York en 1964, qu’à Vienne dix ans plus tard, n’arrive pas à trouver son chemin : un legato hors de propos, une articulation saccadée. Quelque chose qui ne fonctionne pas..

La lenteur, la pesanteur, n’ont rien à faire avec l’âge du chef ou l’époque.

Je découvre, pour ce billet, cet enregistrement de 1949 de Wilhelm Furtwängler et des Berliner Philharmoniker. Vraiment rien de compassé, d’empesé ! Quel élan, quelle éloquence !

A l’inverse, un Carlo Maria Giulini qu’on a tant admiré dans ses légendaires Don Giovanni ou Noces de Figaro, enregistre à Berlin dans les années 90, les trois dernières symphonies de Mozart dans des tempi crépusculaires, qu’on a peine à écouter jusqu’au bout…

Les raretés du confinement (VIII): Le non-reconfinement, Norman, Cherkassky, Schoenberg, Tous masqués !

Remarque liminaire sur le traitement médiatique de la crise sanitaire : tous les médias avaient annoncé un troisième confinement imminent, inévitable. Le titre du Journal du Dimanche du 24 janvier ne laissait aucun doute, et tous les spécialistes qui défilaient sur les plateaux de télévision faisaient carburer l’idée.

Et puis, voici qu’au terme d’un nouveau « conseil de défense » réuni le 29 janvier en fin d’après-midi, le Premier ministre annonçait qu’il n’y aurait pas de troisième confinement dans l’immédiat (option confirmée par le même hier soir) ! Oui, on s’apercevait tout d’un coup que le président de la République, son gouvernement faisaient de la politique, et décidaient de ne pas se laisser dicter leur choix par la rumeur médiatique et l’enflure des égos médicaux. Et ces pauvres médias, dépités, de parler de « volte-face », de « prise de risque » maximale de la part de l’exécutif. Preuve à nouveau que le pire n’est pas toujours sûr !

23 janvier : Jessye Norman et Chausson

J’ai découvert le Poème de l’amour et de la mer de Chausson, et quelques mélodies (dont la Chanson perpétuelle) du même Chausson, avec le disque Erato, demeuré pour moi insurpassé, de Jessye Norman (lire Les chemins de l’amour) où la grande soprano américaine, disparue il y a six mois, était accompagnée par Armin Jordan et l’ Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo et par Michel Dalberto

24 janvier : Berman et Schubert

Il y a une semaine je commençais, sur mon blog, une série sur les « ratages » de certains grands interprètes (voir Mauvais traitements ) Entre-temps j’ai retrouvé une version étonnante, magnifique, un « live » du 11 mai 1980 à Moscou, du grand pianiste russe Lazar Berman (1930-2005) qui joue la dernière sonate (D 960) de Schubert. Une version disponible dans le coffret Lazar Berman de Brilliant Classics (Historic Russian Archives)

25 janvier : Klemperer, Karajan, Bach cherchez l’erreur !

Quand, au début des années 80, Reinhard Goebel et son ensemble Musica antiqua Köln publièrent chez Archiv Produktion leur enregistrement des Concertos brandebourgeois de Bach, ce fut la révolution. Jamais on n’avait entendus ce célèbre corpus aussi vif, décrassé, articulé (comme en témoigne le menuet du 1er concerto brandebourgeois).Au même moment, Karajan continuait à s’engluer dans une mélasse totalement incompréhensible. Le musée des horreurs c’est dans cet article :Mauvais traitements

26 janvier : quand ça plane pour Karajan

J’ai bien égratigné hier Herbert von Karajan (1908-1989) qui s’y est pris à deux fois pour bien rater les Concertos brandebourgeois de Bach.. Mais il y a tant de répertoires, tant de disques, où il est insurpassable. Personne n’a réussi comme lui ces miniatures orchestrales, ces intermezzi, entractes d’opéras, l’un de mes tout premiers disques (lire : Initiation/).Le chant du cor anglais, la beauté presque irréelle de l’orchestre, dans ce bref intermezzo de l’opéra de Francesco Cilea, Adriana Lecouvreur, sont tout simplement magnifiques :

27 janvier : Mozart à la folie

Pour célébrer le 265ème anniversaire de la naissance de Mozart… et prolonger la discussion entamée avant-hier sur les tempi parfois surprenants d’Herbert von Karajan, une version qui m’a toujours bluffé des trois divertimenti « salzbourgeois » (les Köchel 136, 137, 138) enregistrée en 1966 dans l’église de St Moritz (en Suisse) avec un effectif conséquent de cordes.

Dans le finale du K.136 on a l’impression que Karajan, avec ce tempo d’enfer, s’enivre de la virtuosité collective de « son » orchestre (comme il le fera en 1975 avec le finale de la 35ème symphonie). Peut-être pas très orthodoxe, mais jouissif !

28 janvier : sacré Verdi

Mozart est né un 27 janvier (1756), Verdi est mort un 27 janvier (1901). Voir La découverte de la musique Moins connues que son Requiem, les quatre pièces sacrées (Pezzi sacri) de Verdi sont quatre petits chefs-d’oeuvre. Ici dans version qui me les a fait découvrir, Zubin Mehta dirige les choeurs et l’orchestre philharmonique de Los Angeles

29 janvier : Papillon de nuit

L’une des valses les moins connues, l’une de celles que je préfère, de Johann Strauss, Le papillon de nuit / Nachtfalter . (lire Capitale de la nostalgie), ici dans la transcription au piano et l’interprétation admirables du grand Jorge Bolet, en récital à Carnegie Hall en 1974 :

30 janvier : Les voix de Chostakovitch

Un beau disque, dont j’ai eu le plaisir de faire la critique pour Forumopera.com, la part la moins connue, mais pas la moins intéressante, de l’oeuvre de Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : mélodies, satires, romance, qui couvrent toute sa période créatrice. Une jeune interprète, Margarita Gritskova, à la hauteur de ses illustres devancières : La romance de Chosta

31 janvier : le dernier concerto

Je ne connais pas de plus belle, de plus parfaite introduction orchestrale du 27ème concerto pour piano K. 595 de Mozart : George Szell dirige Vienna Philharmonic / Wiener Philharmoniker en 1964, Clifford Curzon est au piano. Ma version n°1 !

1er février : Pot pourri

Le 1er janvier 2006, Mariss Jansons dirigeait son premier concert de Nouvel an à Vienne. Dans le programme un quadrille – une sorte de pot-pourri – le second quadrille des artistes op.201 (Johann Strauss en avait composé un premier), Künstler Quadrille. Mariss Jansons dirige évidemment les Vienna Philharmonic / Wiener Philharmoniker.Saurez-vous reconnaître les oeuvres cités par Johann Strauss ? Pas aussi facile qu’on le croit…

2 février : La brigade de fer

Au moment où s’ouvre le festival de musique contemporaine – Présences – à Radio France (lire Présence de Dusapin) j’ai envie de diffuser cette pièce de celui qui a incarné au début du XXème siècle « la » musique moderne, Arnold Schoenberg (1874-1951), le dodécaphonisme, la musique sérielle. Die eiserne Brigade / La brigade de fer est une pochade, une composition de circonstance pour célébrer « un an de camaraderie » sous les drapeaux de la Première guerre mondiale. Il y faut tout l’humour d’aussi merveilleux musiciens que les solistes de l’ Orchestre national de France :

3 février : Tous masqués !

En 1953, Walter Legge confiait au chef suisse, d’origine roumaine, Otto Ackermann, une fabuleuse série d’enregistrements d’opérettes de Johann Strauss (Wiener Blut déjà évoquée : les raretés du confinement/) avec un cast de rêve dominé par Elisabeth Schwarzkopf et Nicolai Gedda. Dans l’opérette Une nuit à Venise, le refrain « Alle maskiert » (Tous masqués) me semble être d’une singulière actualité !

4 février : Cherkassky, Tchaikovski, Svetlanov

Cela fait longtemps que j’ai une double passion, pour le 2ème concerto pour piano de Tchaikovski (lire Le deuxième concerto), et pour l’un de ses interprètes favoris (deux versions au disque), le grand Shura Cherkassky (1909-1995), un pianiste qui semble appartenir à une espèce disparue.Ici une version captée au Japon en 1990 avec un autre géant, le chef Evgueni Svetlanov (1928-2002)

5 février : le chanteur polonais

Moi aussi j’ai eu la tentation de ne le considérer que comme un produit marketing, et puis j’ai écouté ses disques, je suis allé l’entendre en concert (Suffit-il d’être sexy ?). Je me suis rendu à l’évidence : Jakub Józef Orliński est un authentique musicien, il a une voix qui me touche (ce qui n’est pas forcément le cas pour tous ses collègues contre-ténors), il est extraordinairement sympathique et pas dupe de son statut de star montante.

Présence de Dusapin

Ce mardi s’ouvre à Paris, à la Maison de la Radio… et de la Musique, la 31ème édition du Festival Présences. Sans public mais devant les micros de France Musique.

Hommage à Claude Samuel

Le festival de musique contemporaine de Radio France rend hommage à son fondateur Claude Samuel (1931-2020) et ce n’est que justice. Je me rappelle avec émotion l’inauguration de l’édition 2015 de Présences que j’avais présidée comme directeur de la Musique de Radio France. J’avais tenu à y associer Claude Samuel, que j’avais laissé raconter, avec sa passion habituelle, les circonstances parfois compliquées de l’accouchement de ce festival. Sur son blog, Claude Samuel évoquera – en rajeunissant de dix ans le festival ! – ses impressions mitigées de la soirée inaugurale (Le festival Présences) avec un coup de patte comme il en avait le secret : « …quant aux événements, ils se déroulent dorénavant dans le nouvel Auditorium, notamment le concert d’ouverture auquel j’ai eu le plaisir d’assister en compagnie d’un public trop clairsemé et en l’absence de tout représentant officiel de la Ville de Paris… Pour  ceux qui se posent la question, j’ajouterai que la Ministre de la Culture n’était pas là non plus. Les beaux discours (l’innovation, la jeunesse, etc.) s’arrêtent aux portes de nos espaces musicaux… »

Ce 6 février 2015, le violoncelliste Gautier Capuçon créait le concerto que lui avait dédié le compositeur franco-argentin Esteban Benzecry.

(De gauche à droite Gautier Capuçon, Esteban Benzecry, JPR)

L’aventure Dusapin

C’est dans le cadre du festival Présences 1994 que j’ai entendu pour la première fois une oeuvre d’orchestre de Pascal Dusapin. Son deuxième « solo », Extenso, l’Orchestre national de France était dirigé par Charles Dutoit. Très forte impression. J’ignorais alors que, moins de dix ans plus tard, Pascal Dusapin deviendrait un compagnon d’aventure autant professionnelle qu’amicale.

(Pascal Dusapin, le 22 juin 2015, tout surpris sur la scène des Bouffes du Nord à Paris)

« Mais la soirée d’hier, il ne l’avait pas prévue : ses amis compositeurs, artistes, musiciens, son éditeur, la SACEM, s’étaient donné le mot en grand secret. Ce 22 juin, nous devions tous nous retrouver au théâtre des Bouffes du Nord et faire la surprise à Pascal.

C’est peu dire qu’il fut submergé par l’émotion, après avoir vu défiler compagnons et amis de longue date : Geoffrey Carey, Karen Vourc’h, Paul Meyer, Diego Tosi, François Girard, Christophe Manien, Vanessa Wagner, Juliette Hurel, Olivier Cadiot, FrançoisKubler, Armand Angster, Alain Planès, Nicolas Hodges, Georg Nigl, et last but non least, Lambert Wilson et la nouvelle Madame Dusapin à la ville, Florence Darel, dans un extrait de Fin de partie de Becket, et surtout le formidable Anssi Karttunen offrant sur son violoncelle 60 notes pour Pascal Dusapin, une « suite » commandée à une dizaine de compositeurs, dont la plupart étaient présents (Eric Tanguy, Alexandre Desplat, Kaja Saariaho, George Benjamin, Philippe Schoeller, Magnus Lindberg, Michael Jarrell, etc.).

Ce fut comme on aime, très peu officiel, surtout pas mondain, simplement amical. »

Les Solos de Liège

L’arrivée en 2006 de Pascal Rophé à la direction musicale de l’Orchestre philharmonique royal de Liège va accélérer et renforcer considérablement le lien avec Pascal Dusapin, jusqu’à aboutir à une aventure hors normes. En 2007, le compositeur assiste au Festival Présences – ce qui n’était pas dans ses habitudes de l’époque ! – parce que la phalange belge y joue son cinquième Solo d’orchestre, Exeo (créé en 2002).

« L’Orchestre Philharmonique de Liège qui avait ce soir le vent en poupe terminait la soirée avec l’œuvre de Pascal Dusapin, Exeo, « cinquième solo pour orchestre d’un cycle qui en comportera sept » : Une œuvre incandescente et visionnaire – elle est dédiée à son maître Xenakis – dans laquelle Dusapin, avec la pleine maîtrise de son écriture, traite la matière orchestrale par larges pans de couleurs vives à la Rothko dont l’intensité concentre la charge émotive. La force énergétique qui fuse de chaque pupitre instrumental engendre une dimension cosmique qui rappelle l’univers de son dernier opéra, Faustus, the last night et mesure l’envergure du propos.

Tenant les rênes de son orchestre avec une énergie et un enthousiasme communicatifs, Pascal Rophé, maître d’œuvre de la soirée, terminait le concert en apothéose, confirmant les qualités de l’orchestre de Liège et l’exigence de son travail dans un répertoire qui constitue son domaine d’élection ». (Michèle Tosi, Resmusica.com)

Enthousiasmé par l’interprétation et surtout l’engagement de l’orchestre et de son chef, il décide d’abord de dédier le septième « solo » en cours d’écriture – Uncut – à l’OPRL et à son chef. Et de fil en aiguille, de venues à Liège en rencontres à Paris, se fait jour l’idée complètement folle d’abord de donner en concert l’intégrale des sept solos pour orchestre, puis de l’enregistrer au disque.

(Après la création, à Liège et à Bruxelles, d’Uncut, septième et dernier « solo » pour orchestre, en février 2009)

Dans mon billet du 23 juin 2015 (à propos des 60 ans de Pascal Dusapin), je poursuivais :

« Voyant Michel Orier, aujourd’hui directeur général de la Création artistique au Ministère de la Culture, à l’époque directeur de la Maison de la Culture MC2 Grenoble, et Laurent Bayle, patron de la Philharmonie, alors directeur de la Cité de la Musique de Paris, je ne pouvais manquer de me rappeler le pari fou qu’ils avaient fait l’un et l’autre de proposer en concert l’intégrale des 7 Solos d’orchestrede Pascal Dusapin avec l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège et Pascal Rophé. C’était les 27 et 28 mars 2009 quelques semaines avant la sortie d’un double CD dont le compositeur avait été le directeur artistique aussi attentif qu’exigeant. »

Le 27 mars 2009 c’était à la Philharmonie de Paris, dans le cadre d’un imposant cycle consacré à Dusapin: le prédécesseur de Pascal Rophé, Louis Langrée, comme son successeur, François-Xavier Roth, étaient venus assister à l’événement : Domaine privé Pascal Dusapin (programme détaillé consultable ici)

Et le 28 mars c’était à la Maison de la Culture de Grenoble, un pari risqué mais réussi pour celui qui en était alors le très dynamique patron : Michel Orier est aujourd’hui, et depuis 2016, le directeur de la Musique et de la Création de Radio France. Quelque chose me dit qu’il n’est pas étranger au choix de l’invité de référence de Présences 2021 !

Tant de souvenirs

D’autres souvenirs évidemment remontent à la mémoire. Comme ce concert au festival Musica de Strasbourg, le 27 septembre 2008, où Extenso figurait dans un copieux programme. Souvenir doublement ému et douloureux : ce soir-là Pascal Rophé et l’OPRL créaient Vertigo, un concerto pour 2 pianos et orchestre, d’un jeune compositeur strasbourgeois, fabuleusement doué, Christophe Bertrand. Son suicide, à 29 ans, le 17 septembre 2010, nous laisserait anéantis.

En janvier 2015, le 27 exactement à la Philharmonie de Paris, création de Aufgang, un concerto pour violon dédié à et joué par Renaud Capuçon : ‘Lundi c’était la première française du Concerto pour violon de Pascal Dusapin… à la Philharmonie. Qui nierait au compositeur – bientôt sexagénaire sous son allure juvénile – une place singulière dans le paysage musical mondial ? Dusapin n’est pas consensuel, ni conforme, il met même quelque volupté à se distinguer des courants dominants. Et nul parmi les milliers d’auditeurs qui ont réservé une longue ovation à l’interprète (Renaud Capuçon) et au compositeur, et qui n’appartiennent pas, loin s’en faut, au public initié à la musique contemporaine, n’a douté une seconde d’avoir assisté ce soir-là à l’éclosion d’un chef-d’oeuvre.

Toujours en 2015, le 31 mars, à Bruxelles, la création de l’opéra Penthesilea. Le choc de la noirceur, de la gravité, de l’âpreté (lire la critique de Benoît Fauchet dans Diapason).

Le 26 janvier 2016, on se retrouverait à la Philharmonie de Paris pour l’hommage à une figure qu’on n’associe pas spontanément à Pascal Dusapin, Pierre Boulez, disparu trois semaines plus tôt

Et, parce que Pascal Dusapin vient souvent au concert, comme ici à la Seine musicale, en septembre 2017 pour le concert de l’Orchestre symphonique de Cincinnati dirigé par Louis Langrée.

(de gauche à droite Paul Meyer, Pascal Dusapin, Florence Darel, Jean Pierre Rousseau)

Rappelez-vous enfin, c’était le 11 novembre 2020, l’entrée au Panthéon de Maurice Genevoix, et ces quelques pages sublimes In Nomine lucis.