Un mauvais feuilleton

img_9477

À longueur d’émissions (très rares) de musique classique à la télévision (encore récemment Fauteuils d’orchestre d’Anne Sinclair), les animateurs passent leur temps à s’excuser d’oser diffuser de la musique classique à une heure de grande écoute, et à balancer toujours les mêmes poncifs sur « l’élitisme » de cette musique, la distance entre artistes et publics, bref de vieilles lunes qui n’ont plus cours depuis longtemps…

On pouvait légitimement se réjouir qu’une série, un feuilleton, ambitionne d’évoquer l’univers, les « coulisses », la vie d’un orchestre classique, une micro-société qui, comme tous les groupes, toutes les entreprises, est un reflet de la société, d’une époque, etc.  Sans lire les critiques, j’ai donc regardé, en différé, le premier épisode de Philharmoniaj’ai abandonné au bout d’une demie heure, j’ai de nouveau essayé ce soir – les épisodes 3 et 4 – je n’ai pas persévéré.

Comme j’ai découvert ce soir ce texte de Vincent Agrech sur Diapasonmag.fr, je m’autorise à le reproduire, puisqu’il exprime exactement ce que je pense :

« Pour une fois que la musique classique a les honneurs d’une série télévisée, on guettait avec gourmandise l’équivalent français de Mozart in the jungle, le légendaire feuilleton américain où Gustavo Dudamel, Lang Lang, Joshua Bell ou Nico Muhly se bousculaient pour faire une apparition. Las ! C’est peu dire qu’on en est loin avec le brouet des deux premiers épisodes de Philharmonia, diffusés mercredi dernier. Dans l’espoir de mets mieux choisis ce 30 janvier, et puisque la mode est à nouveau aux cahiers de doléance, Diapason a listé les principales critiques exprimées par la rédaction, mais aussi par le milieu musical.

1 – C’est macho et réac !

Claire Gibault le dit parfaitement dans les colonnes de Télérama. « Nous n’avions pas besoin d’une série qui insinue qu’être une femme chef d’orchestre, c’est être malade, guettée par la démence et autoritaire. » En effet l’héroïne, dont la nomination est imposée à l’orchestre par le ministère de la Culture (plutôt discret, dans la vraie vie, quand il s’agit de soutenir les candidates lors des jurys) semble tenir de sa mère une grave maladie mentale qui l’a probablement déterminée à choisir cette carrière bien moins féminine que la danse ou la couture. Heureusement, elle témoigne d’une conception de son métier renversante de nouveauté. A côté, Toscanini et Karajan étaient des adeptes de la démocratie participative. Et pour le répertoire, notre maestra 4.0 a même inventé le fil à couper le beurre : pour ramener les jeunes dans les salles de concert, si on ajoutait un peu de variétoche à ces vieilles barbes de Beethoven et de Brahms ? En effet, on se demande pourquoi personne n’y avait jamais pensé.

2 – C’est parfaitement invraisemblable.

Une série n’est pas un documentaire, et il faut parfois sacrifier la réalité sur l’autel du drame. Entendu, mais les grands auteurs de fiction sont toujours ceux qui parviennent à tirer le second d’une observation fine de la première. En matière de grand n’importe quoi, le premier épisode de Philharmonia tient hélas du collector. Afin de marquer sa désapprobation à l’arrivée de la patronne, l’orchestre lui joue, pour sa première répétition, la BO de Mission Impossible. Heureusement, la virago a du répondant : et zou, voilà qu’elle t’éjecte le premier violon pour le remplacer par une jeunette du fond des rangs, à qui elle va imposer une relation abusive. Cinquante ans de luttes syndicales et de conventionnements d’orchestres nationaux pour en arriver là… Quant aux dialogues en répétitions, on croirait que Guillaume Musso et Eric-Emmanuel Schmitt ont convolé en justes noces pour les écrire. « Je voudrais que vous sentiez toute la puissance de cette œuvre » ; « Je sais que tu peux libérer cette rage au fond de toi »… même Stanislas Lefort n’avait pas osé dans La Grande vadrouille.

3 – C’est mal foutu, mal joué, mal filmé.

Quand Mozart in the jungle faisait une sortie de route, ce qui arrivait aussi, il nous restait au moins les stars (acteurs et musiciens) et le glamour hollywoodien. Ici, on campe au département fiction de France Tévé, huitième étage, au fond du couloir. Le temps de formation en direction d’orchestre de Marie-Sophie Ferdane (qui joue le rôle principal) semble avoir été bref, relève encore Claire Gibault. Un point positif toutefois : les gestes de plusieurs comédiens, mélangés aux musiciens méritants de l’Orchestre National d’Ile-de-France, s’avèrent plutôt convaincants. Davantage, en tout cas, que leurs prestations d’acteurs, guère soutenues il est vrai par ces dialogues mémorables, ni par une réalisation qui sait, elle, ce que minimum syndical veut dire. On a gardé le meilleur pour la fin : les séquences de concerts à la Philharmonie de Paris, si mal cadrées qu’on voit les rangs vides autour des deux-cents figurants que la production s’est autorisée. C’est sûr, ça donnera aux novices envie de se ruer dans les auditoriums. »

(Vincent Agrech, Diapason, 30 janvier 2019)

La musique n’avait vraiment pas besoin de ça ! Je ne sais pas ce qu’en pensent les musiciens professionnels, membres de nos orchestres. Acceptent-ils d’être ainsi caricaturés, ridiculisés ? Même dans le cadre d’une fiction.

Je me rappelle le très beau travail qu’avait fait Laurent Stine, lorsque l’Orchestre philharmonique royal de Liège avait célébré son 50ème anniversaire en 2010-2011. Le jeune réalisateur belge avait eu toute liberté de filmer l’orchestre, ses musiciens, la vraie vie d’une collectivité musicienne, avec un regard sensible. Cela a donné l’un des plus beaux documentaires qu’il m’ait été donné de voir sur un orchestre. Je sais que très nombreux ont été ceux qui ont découvert les véritables coulisses de l’exploit, la vraie vie d’artiste, la musique comme elle se construit, se conçoit, se propage. La formidable aventure d’un orchestre. Bref le contraire absolu de la caricature de Philharmonia

L’orgue spectacle

Comme par une loi des séries morbide, les disparitions se sont enchaînées ce week-end : après Michel Legrand (Tristesse), l’écrivain Eric Holder (Mademoiselle Chambon), le journaliste et animateur Henry Chapieret l’organiste, compositeur, improvisateur Jean Guillou.

J’évoquais il y a peu l’excellent « guide » des organistes co-écrit par Vincent Warnier et Renaud Machart (Les bons tuyaux)

41ts1c2qorl

C’est Renaud Machart qui avait « traité » le musicien, titulaire de l’orgue de Saint-Eustache à Paris de 1963 à 2015 (!).

img_1125(Saint-Eustache à Paris, le 22 janvier 2019)

C’est encore Renaud Machart qui signe, ce soir, dans Le Monde,, le portrait contrasté d’un organiste atypique, d’un musicien qui ne laissait personne indifférent. Extraits :

« Après Marie-Claire Alain (1926-2013), André Isoir (1935-2016) et Michel Chapuis (1930-2017), c’est le dernier grand organiste français de renommée internationale issu de cette formidable génération qui disparaît. Jean Guillou, titulaire de la tribune de l’église Saint-Eustache, à Paris, de 1963 à 2015, est mort à Paris samedi 26 janvier, le même jour que Michel Legrand. Il avait 88 ans…

Comme Legrand, qui travailla avec des artistes aux pedigrees divers, Guillou aura sans cesse voulu faire sortir l’orgue de l’église, travaillant avec le mime Marceau, s’intéressant aux chants des baleines, au théâtre nô, à la musique d’Extrême-Orient, à l’orgue de Barbarie, pour lequel il avait une tendre affection. La télévision devait lui consacrer de nombreux reportages et portraits où il témoignait de ces dilections…

...Guillou fut un improvisateur de génie, constituant des mondes sonores aux couleurs et miroitements qui pouvaient donner souvent l’impression d’une fresque sonore dépeignant l’Apocalypse, des abîmes de lave, des mondes surnaturels….

Peu sensible au jeu « historiquement informé « qui intéressa vite ses contemporains…, Jean Guillou n’était pas non plus affidé aux traditions de l’école d’orgue symphonique ou néo-classique. Il développera un style personnel, clair, incisif, détaillé, parfois surprenant dans ses choix de registration, mais d’une personnalité et d’une intelligibilité telles qu’il finissait par convaincre par sa logique propre, y compris dans d’étonnantes transcriptions dont il était l’auteur. »

Jean Guillou avait beaucoup enregistré pour Philips (un coffret avait été réédité il y a quelques années) puis pour d’autres labels.

Brilliant Classics avait édité un triple album, à très petit prix, toujours disponible, qui propose un panorama plutôt réussi de l’art du musicien disparu :

51fulzvp9vl

Un premier CD enregistré sur les orgues de Saint-Eustache : Bach, Mozart, Widor, Liszt et Guillou lui-même, un deuxième capté sur l’orgue de Notre-Dame des Neiges de l’Alpe d’Huez à la conception duquel il avait directement participé, toute une série de transcriptions plus spectaculaires les unes que les autres, un troisième enfin avec des versions tout aussi enthousiasmantes des tubes de l’orgue avec orchestre, la 3ème symphonie de Saint-Saëns et la symphonie concertante de Jongen.

51blg46vokl

 

Tristesse

51ovsqxpqcl

Michel Legrand (24 février 1932-26 janvier 2019)

Il y a trois ans déjà j’écrivais ceci : La mort et la tristesse et en mai dernier : Immortels

Pourquoi pleurer la mort d’un musicien, d’un artiste, d’un créateur ? Pour ses proches, la douleur, la peine, la tristesse sont compréhensibles, mais pour nous autres qui ne les avons connus que de loin ou par le seul truchement d’un média, quel sens notre affliction a-t-elle, surtout si elle s’affiche d’abondance sur les réseaux sociaux ? Comme s’il fallait participer à l’émotion collective obligée…

….En quoi une mort doit-elle nécessairement être triste (ah la formule convenue : « apprend avec tristesse la disparition de… ») ? en quoi et pourquoi devrait-elle nous attrister, nous affecter ?

La perte d’un proche, la mort d’un père, d’une mère, d’un enfant,  d’un être aimé, la tragique réalité de sa disparition de notre existence, de l’obligation qui nous est faite de continuer à vivre sans lui, en son absence, c’est une tristesse infinie, beaucoup plus, une douleur, un chagrin inépuisables. Que vos amis, vos relations, ceux qui vous sont connectés sur les réseaux sociaux, partagent votre peine, vous réconfortent, vous soutiennent, peut sinon atténuer votre douleur, du moins alléger le poids de cette mort. J’aime ce mot  de condoléances qui en rejoint un autre, tout aussi fort, la compassion.

Mais lorsqu’il s’agit de la disparition d’une célébrité de la politique, de la littérature, de la chanson, de la musique, de la scène, il n’y a pas de séparation, d’absence. Notre vie ne s’en trouve pas bouleversée…

Mardi dernier, lorsque j’ai appris l’accident de la route qui avait ôté la vie à un jeune (31 ans) et talentueux photographe de mes amis, j’ai été bouleversé, j’ai éprouvé une infinie tristesse, j’ai partagé la douleur de ses amis, de sa famille. Nous restent les souvenirs des beaux jours et ses photos.

Quand ce matin j’ai appris la mort de Michel Legrandje ne me suis pas cru obligé d’écrire des RIP sur les réseaux sociaux ou d’exprimer mon émotion ou ma tristesse. Ni de reprendre les « nécros » que les médias ont dégainées dès la nouvelle connue.

Sa disparition ne change rien à la célébrité, ni à l’universalité du talent de Michel Legrand. Que les hommages qui lui sont rendus permettent de redécouvrir les aspects moins connus de sa carrière et de sa création, on s’en réjouit.

Michel Legrand est mort, sa musique demeure, vive, vivante.

 

Black Notes

Passage chez mes disquaires habituels en début de semaine. Maigre moisson, mais de grande qualité. On reparlera bien vite de deux grandes dames du piano, honorées l’une et l’autre par de bien beaux coffrets, Yvonne Loriod et Anne Queffélec.

J’ai failli ne pas repérer une boîte (blanche) au titre intrigant :

71vh4i9denl._sl1200_

71yosgnof5l._sl1207_

À une époque – la nôtre ! – qui se veut si « politiquement », donc lexicalement, correcte, proposer un titre aussi explicite que Compositeurs noirs relève de l’inconscience (!). On attend un coffret dédié aux compositeurs homosexuels, ou juifs, ou musulmans… (on l’a déjà fait pour des compositeurs francs-maçons).

Trève d’ironie facile, le projet lancé par CBS aux Etats-Unis, dans l’Amérique de Nixon, peu après l’assassinat de Martin Luther King, sous l’égide du chef d’orchestre noir Paul Freeman (1936-2015) était aussi utile que séduisant. Ce sont les neuf 33 tours de cette série d’enregistrements constituée de 1974 à 1978 qui sont réédités dans ce boîtier (complétés par un disque d’arrangements symphoniques de Spirituals) et qui illustrent les grands figures musicales noires du continent nord-américain. Plusieurs noms m’étaient déjà bien connus (le chevalier de Saint-George, William Grant Still, Samuel Coleridge-Taylor, George Walker…) mais je découvre les autres (Ulysses Simpson Kay, Roque Cordero, José Mauricio Nunes Garcia, José White, David Baker, Fela Sowande, Olly Woodrow Wilson, Thomas Jefferson Anderson, Talib Rasul Hakim, Hale Smith, Adolphus Hailstork…) Deux siècles de musique que cette entreprise remet en lumière. Merci à SONY d’avoir édité (pour la première fois en CD) ce précieux legs (disponible de surcroît à tout petit prix)

Diversité d’esthétiques, d’influences, d’inspirations, dans des interprétations de premier plan. On n’atteint pas toujours le chef-d’oeuvre, mais tout mérite écoute et intérêt.

Le plus familier, si l’on peut dire, à nos oreilles est Joseph Bologne, chevalier de Saint-Georgené près de Basse Terre en Guadeloupe en 1745, mort à Paris en 1799 (remarquable notice Wikipedia à lire ici)

71wxjs3bv9l._ss500_

Faye Robinson chante, dans un français plutôt approximatif, cette scène tirée de l’opéra-comique Ernestine créé en juillet 1777 à la Comédie Italienne à Paris, qui fera un « bide » complet !

José White (!), de son nom complet José Silvestre White Lafittedevrait lui aussi être familier à nos oreilles françaises. Né à Cuba en 1836, il est mort le 15 mars 1918… à Paris

josé_white_1856

Violoniste comme Saint-George, c’est au Conservatoire de Paris qu’il a étudié avec le soutien bienveillant de Rossini. Il dirigera le conservatoire impérial de Rio de Janeiro de 1877 à 1889 avant de revenir finir ses jours dans la capitale française. Le moins qu’on puisse dire est que la France l’a complètement oublié (le centenaire de sa mort il y a moins d’un an est passé sous les radars !) Et pourtant son unique concerto pour violon vaut d’être écouté, surtout sous l’archet vibrant du grand Aaron Rosand.

71kp24ea4xl._ss500_

Avec Ulysses Simpson Kayon change de siècle et on reste au pays. Né dans l’Arizona en 1917, le compositeur meurt en 1995 dans le New Jersey. Sa rencontre en 1941 avec Paul Hindemith, réfugié aux Etats-Unis, semble déterminer ses orientations stylistiques.

71a9jmsoe8l._ss500_

William Grant Still (1895-1978) fait, quant à lui, figure de pionnier (il est le premier chef noir à diriger le Hollywood Bowl en 1936), d’emblème de cette musique de « sang mêlé ». Son Afro-american Symphonypuise son inspiration dans le blues…

Et quand je disais que Neeme Järvi avait exploré les plus larges répertoires au disque… en voici la preuve :

519cibspdcl

Wiener Blut

Je n’ai pas bien saisi la raison d’une édition/réédition, dont j’ai tout lieu de me réjouir mais qui ne s’appuie sur aucun anniversaire ou fait marquant. Decca consacre un beau coffret de 50 CD et 2 DVD à Willi Boskovsky (1909-1991). natif de Vienne, Konzertmeister (premier violon) de l’orchestre philharmonique de Vienne de 1936 à 1979, connu dans le monde entier pour avoir dirigé les concerts de Nouvel an de 1955 à 1979.

81e8hc+0r-l._sl1500_

Si une bonne moitié du coffret est logiquement consacrée à la musique de la dynastie Strauss et consorts, on y reviendra, nombre d’enregistrements de musique de chambre (avec les ensembles que Boskovsky conduisait de son violon, le Wiener Oktett, le Wiener Philharmonisches Quartett, ou le Wiener Mozart Ensemble) sont édités pour la première fois en CD.

Tous les détails du coffret à voir ici : bestofclassic : Boskovsky ou l’esprit viennois

Une certaine critique française n’a jamais porté ce chef dans son coeur, comme si le fait d’être né, d’avoir grandi et appris, puis joué toute sa vie à Vienne, était un handicap plus qu’un atout pour incarner l’esprit de la capitale autrichienne. Je me souviens d’avoir lu, encore tout récemment, lors d’une discussion dont Facebook a le secret, à propos du dernier – mauvais – concert du Nouvel an, les mêmes propos sur un chef « routinier », laissant les Philharmoniker se « vautrer » (sic) dans la vulgarité.

Il suffit d’écouter, de comparer Boskovsky à ses successeurs, et même à plusieurs de ses illustres contemporains, pour constater que la tenue, le chic, le charme – oui cette Gemütlichkeit si typiquement viennoise – l’allant, l’allure, sont l’apanage d’une direction qui chante comme nulle autre dans son arbre généalogique.

Pris au hasard, ce concert du 1er janvier 1974 : Routine, vulgarité dans la valse Freuet Euch des Lebens ? Lourdeur, rubato intempestif dans le Beau Danube qui conclut ? Au contraire, un modèle de précision rythmique alliée à une souplesse de phrasé et de respiration qui ne sont qu’aux Viennois. Comme dans les Mozart, Beethoven ou Schubert,  ce quelque chose qui paraît si naturel, allant de soi, à rebours des baguettes si nombreuses ces dernières années au pupitre des concerts de l’An, qui surinterprètent, soulignent, et finalement plombent la légèreté d’une musique que Brahms et Wagner admiraient (parce qu’ils n’en comprenaient pas les secrets ?).

 

Le legs Strauss de Boskovsky avait souvent été réédité, mais comme je le remarquais dans un article récent (Valses de Strauss : les indispensables), il y manquait toujours les versions chantées notamment du Beau Danube bleu données lors du concert de l’An 1975.

Le nouveau coffret Decca reprend heureusement l’intégralité de ces enregistrements, dans de somptueuses prises de son.

On remarque aussi dans ce coffret de vraies raretés comme l’Octuor du compositeur belge Marcel Poot (1901-1988) une oeuvre de 1948. Au milieu de Mozart, Beethoven, Schubert ou Dvorak,

Je ne l’ai pas lu dans le livret, mais à réécouter des versions que je connais par coeur, j’ai l’impression que les bandes d’origine ont bénéficié d’une belle « remastérisation ».

Dans la même veine, on aurait tort de se priver des enregistrements, là encore parfaitement idiomatiques, des deux opérettes majeures de Johann Strauss, La Chauve-souris et le Baron tzigane, qu’a laissés Willi Boskovsky… et avec quelles distributions !

51dkwlymi1l

71i2-+ky1xl._sl1200_

Pour être à peu près complet sur l’art de Boskovsky, il faut signaler le coffret paru en 2018 chez Warner (voir Le roi de la valse) Abondance de viennoiseries…

71inj6mgrjl._sl1200_

Neeme le Russe

C’était un programme immanquable, de ceux qui font honneur à ceux qui les décident comme à ceux qui les interprètent. Deux symphonies russes, pas inconnues certes, mais peu fréquentes au concert, et encore moins assemblées : la Première symphonie de Rachmaninov et la Sixième symphonie de Chostakovitch. 

Et c’était le concert annuel de Neeme Järvi à la tête de l’Orchestre National de France, à l’Auditorium de la maison de la radio, hier soir.

img_1084

L’homme accuse la fatigue de l’âge, mais le chef fait remonter à ma mémoire les prodigieux souvenirs que j’ai déjà racontés ici (Dans la famille Järvi le père). Les critiques pourront ergoter, quelques baisses de tension, quelques imprécisions dans l’orchestre, mais ce sont broutilles en regard du souffle, de l’inspiration, du sens du récit qui caractérisent l’art du grand chef estonien.

Et quel son ce diable d’homme obtient du National, alors qu’on sait que les répétitions ont été chiches ! quelle rondeur, quelle chaleur, quelle virtuosité des cordes, quel équilibre entre les pupitres ! A la fin du concert, ce sentiment si bienfaisant d’avoir partagé un moment exceptionnel de musique (concert à réécouter sur Francemusique.fr)

img_1089

Je me réjouis d’accueillir Neeme Järvi et son orchestre national d’Estonie en juillet prochain au Festival Radio France.

Neeme Järvi, ce sont des souvenirs liés à l’Orchestre de la Suisse romande, comme je l’ai raconté.

Les deux oeuvres au programme d’hier soir sont aussi liées à la formation genevoise (qui célèbre son centenaire), à deux souvenirs personnels.

J’ai raconté ici (Wiener Walterdans quelles circonstances j’avais demandé au chef viennois Walter Weller (1939-2015) de diriger la 1ère symphonie de Rachmaninov à la tête de l’Orchestre de la Suisse romande, vingt ans après l’avoir enregistrée pour Decca. Un enregistrement méconnu, qui reste pour moi une référence :

51sbkzsmynl

Etrangement, Neeme Jârvi qui est à la tête d’une discographie considérable, exceptionnelle (lire L’aventure d’une vie)  n’a jamais (ou pas encore !) enregistré cette 1ère symphonie.

Quant à la 6ème symphonie de Chostakovitch, c’est encore avec l’OSR que j’ai pu la programmer et l’entendre pour la première fois en concert ! Je me rappelle encore cette séance du comité de programmation de l’orchestre, présidé par Armin Jordan, lors duquel j’avais suggéré un programme qui me semblait original et cohérent, avec Les Fresques de Piero della Francesca de Martinu, les Chants et danses de la mort de Moussorgski (interprétés par Paata Burchuladze), et cette 6ème de Chostakovitch. Plusieurs membres dudit comité de se récrier, pas assez « grand public », deux oeuvres du XXème siècle ô horreur, même avec un soliste vedette ! Armin Jordan, qui devait diriger ce programme, trancha : « Je ne connais pas ni le Martinu, ni le Chostakovitch, mais si Jean-Pierre le propose, je suis son idée et je dirigerai ce programme ».  Point final ! Et le jour venu, devant un Victoria Hall comble (preuve que le public est toujours plus intelligent que les programmateurs frileux !), Armin Jordan dirigea l’un de ses plus beaux concerts !

Nombreuses belles versions de cette « petite » symphonie de 1939, coincée entre la célèbre 5ème et la monumentale 7ème, première « symphonie de guerre » de Chostakovitch.

Une rareté, malheureusement pas rééditée, mais qu’on peut encore trouver avec un peu de chance, un « live » de Kondrachine (Le Russe oublié) avec le Concertgebouw

81hr+xcikll._sl1396_

Evidemment l’intégrale de Kondrachine reste la référence :

41j4f29uz9l

Et dans ce DVD Leonard Bernstein capté en concert avec l’Orchestre philharmonique de Vienne, fait un parallèle lumineux entre cette 6ème de Chostakovitch et la 6ème de Tchaikovski. Il voit dans Chostakovitch un miroir inversé de la « Pathétique » : la dernière symphonie de Tchaikovski s’achève sur un long adagio lamentoso, la 6ème symphonie de Chostakovitch s’ouvre sur un poignant largo, se poursuit par un allegro sarcastique et se termine dans une atmosphère de fête foraine par un presto irrésistible

519-mousnml

 

 

 

 

Brexit musical ?

Une précision liminaire : mon article d’hier (Le revers des giletsm’a été reproché parce qu’il n’aurait pas sa place dans un blog « consacré à la musique classique » (sic). Le sous-titre de mon blog indique pourtant : La Musique, la Vie, les Idées en liberté. Je n’ai pas l’intention de renoncer à cette liberté…

Autre précision : oui j’ai apprécié – ça faisait un bien fou après ces dernières folles semaines ! – ce vrai, ce long débat, inédit dans l’histoire de la Vème République, entre le président de la République et les 600 élus rassemblés pendant presque 7 heures d’affilée à Grand Bourgtheroulde dans l’Eure. La franchise des questions, des interpellations, la franchise des réponses. Qui peut désormais prétendre que ce « Grand débat » ne va servir à rien, que les jeux sont faits d’avance ?

Et comme en écho de cette ouverture du Grand Débat, France 2 avait programmé hier soir l’excellent documentaire de Patrice DuhamelLa Vème République : au coeur du pouvoirA voir ou à revoir absolument !

Pendant ce temps-là, la Chambre des Communes rejetait à une écrasante majorité le compromis sur le Brexit âprement négocié avec l’Union européenne par Teresa May !

Laissons les Britanniques se dépêtrer d’une situation qu’ils ont eux-mêmes créée…

Le Brexit, brutal ou négocié, va-t-il changer quelque chose dans la vie musicale ? Rien probablement, ni en bien ni en mal.

Musicalement, le Royaume-Uni est bien une île, à bien des égards et depuis des siècles, singulière par rapport au Continent : j’ai souvent évoqué ici la méconnaissance, l’ignorance que subissent compositeurs (Ralph l’oublié), interprètes (Plans B) à quelques rares exceptions près…Si l’on demandait à brûle pourpoint, à la sortie d’un concert de la Philharmonie de Paris ou du Festival de Radio France, à des spectateurs de citer ne serait-ce qu’une dizaine d’oeuvres de compositeurs britanniques, je ne suis pas sûr qu’ils y parviendraient !

A l’inverse, les Britanniques ont toujours été de grands amateurs et promoteurs de la musique française. Le moins qu’on puisse dire est que la réciproque n’est pas vraie !

Tenez, puisqu’on va commémorer le sesquicentenaire* de la mort de Berliozquel a été le premier chef à réaliser une quasi-intégrale de l’oeuvre du natif de La Côte Saint André ?

Colin Davis (1927-2013), qui s’y est repris à deux fois.

818i7sh3otl._sl1500_

Dans quelques jours, paraît un coffret regroupant les enregistrements réalisés par John Eliot Gardinerencore un infatigable amoureux de la musique française (qu’il a particulièrement bien servie et illustrée pendant son mandat de directeur musical de l’Opéra de Lyon de 1983 à 1988.

71jg9z6wwml._sl1200_

Ce n’est pas d’hier que les chefs d’outre-Manche révèrent les Français. Y a-t-il meilleur chef « français » que Sir Thomas ? Est-ce un hasard si la version de Beecham de Carmen reste indétrônée ?

91jvx3hxiol._sl1500_

Quel bonheur, toujours renouvelé, d’écouter Lalo, Franck, Fauré, Berlioz, Bizet sous sa baguette !

71mrbsn+ofl._sl1417_

51em384bacl

Et même le fantasque John Barbirolli s’est livré, certes parcimonieusement, dans Ravel et Debussy, et c’est à écouter absolument.

51b1v3f1ezl

*sesquicentenaire = 150ème anniversaire

Le revers des gilets

J’ai tenté l’humour (Petit dictionnaire incorrect de mots actuelspuis essayé de comprendre (Le grand désamour).

16828279

Hier – enfin – nous était livrée par L’Obs l’analyse réalisée par un chercheur de la Fondation Jean Jaurès sur le vrai visage de ces leaders les plus suivis des Gilets jaunes. Edifiant ! A lire jusqu’au bout…

Tous les « gilets jaunes » sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres

« On a vu et on continue de voir sur tous les plateaux Jacline Mouraud,dont la vidéo Facebook aux 6 millions de vues a contribué à populariser le mouvement. La disponibilité face aux médias de la quinquagénaire a permis de donner un visage à celui-ci. Les chaînes d’information continuent de solliciter ses commentaires et réactions avant et après chaque défilé. En réalité, elle ne représente plus qu’elle-même. Les messages qui mentionnent son nom sur les groupes des « gilets jaunes » visent désormais à l’insulter, à dénoncer ses ambitions personnelles, à s’insurger contre sa volonté de calmer les esprits après les violences observées dans les défilés et à critiquer sa mise en avant dans les médias, à présent considérée comme la preuve que ces derniers cherchent à diviser et à circonscrire le mouvement.

Sa parole semble ne plus avoir aucune valeur en interne, et il ne faut donc plus lui en accorder en externe. Il en va de même pour l’ensemble des initiateurs de son collectif « Gilets jaunes libres », qui affiche certes l’ambition de présenter une liste aux élections européennes mais qui ne rassemble que 2.444 personnes sur sa page Facebook : un chiffre qui devrait inciter les programmateurs de débats télévisés à reconsidérer le poids réel de la parole de Jacline Mouraud ou de celle de Benjamin Cauchy, autre « Gilet jaune libre » plébiscité par les médias.

Même s’ils disent en refuser l’étiquette et s’ils sont manifestement aidés dans leur tâche par une petite équipe de modérateurs et de conseillers, il est évident qu’il y a désormais deux chefs des « gilets jaunes » : Eric Drouet et Maxime Nicolle, alias Fly Rider. Ils enchaînent les médias, administrent les pages Facebook les plus populaires et les plus actives, animent les vidéos Facebook Live les plus suivies, parfois par des centaines de milliers de personnes. Ils donnent les mots d’ordre et nomment les porte-parole autorisés à s’exprimer au nom du mouvement. Chaque semaine, les messages des membres se multiplient à leur intention depuis toute la France pour savoir s’ils donnent la consigne d’aller manifester le samedi suivant, où, quand, comment, avec quel slogan. Ils font la tournée des ronds-points pour remobiliser les troupes et ce sont eux qui, chaque samedi, se chargent de lire face aux caméras des lettres ouvertes au gouvernement.

S’ils préfèrent se définir comme de simples « messagers des revendications du peuple », ils présentent en réalité tous les attributs des leaders 2.0 : débarrassés d’intermédiaires, non élus, jamais officiellement intronisés, mais légitimés par l’audience engendrée par leurs vidéos. A cet égard, leurs appels répétés à ne pas désigner de chefs sonnent de plus en plus comme une volonté d’empêcher un nom qui ne serait pas le leur d’émerger.

D’où Eric Drouet et Maxime Nicolle parlent-ils ? Alors que se profile l' »acte 9″ des « gilets jaunes » [cette analyse a été réalisée avant la mobilisation du 12 janvier, NDLR], il est symptomatique que personne ne soit encore en mesure de répondre à cette question avec certitude. A ce jour, aucune enquête journalistique poussée n’a été publiée sur le passé militant et l’univers idéologique de ces deux individus. Dans la précipitation du direct, plateaux télé et stations radio ont ainsi tendu leurs micros à des invités dont ils ne savaient rien. Ce faisant, ils ont exposé la fragilité de tout un système médiatique qui, dépassé par les réseaux sociaux, a collectivement renoncé à jouer son rôle de filtre journalistique et montré la facilité et la rapidité avec laquelle un petit groupe de parfaits inconnus pouvait désormais s’imposer à l’agenda politique national.

Pour en savoir plus sur les deux leaders, il faut donc là encore se rabattre sur leur activité sur Facebook. Premier constat : ils ont effacé leurs publications antérieures au début de la mobilisation. Si l’on ne peut en tirer de conclusion définitive sur leur appartenance idéologique, on remarquera simplement que ce sont rarement les militants de la gauche républicaine qui sont gênés par leurs prises de position passées. Certains journalistes ont eu le temps de passer en revue quelques-unes de ces publications avant qu’elles ne soient effacées.

Eric Drouet, un « factieux en puissance »

Pour ce qui concerne Eric Drouet, ces journalistes ont pu y découvrir un anti-macronisme virulent et des vidéos anti-migrants. Dans ses vidéos Facebook Live, Drouet fait toujours attention à ne pas livrer le fond de sa pensée, se contentant de relayer des messages et de parler de la stratégie du mouvement. Le calme et la sérénité qu’il dégage sont trompeurs : il le dit d’une façon très douce, presque anodine, mais son but affiché est de renverser un gouvernement élu.

Il s’est ainsi mis plusieurs fois à la faute. Le 3 décembre, en relayant l’intox du pacte de Marrakech sur les migrations. Puis le 5 décembre, en déclarant sur BFMTV « si on arrive devant l’Elysée, on rentre dedans ». Le 24 décembre, il s’attire des critiques en partageant un article qui s’en prend aux « racailles » et à « l’immigration de masse », publié à l’origine sur le site de Vincent Lapierre, un journaliste gravitant entre les sphères antisémites d’Alain Soral et de Dieudonné. Ces dérapages-là ont tous été repris et abondamment commentés. Il a tenté de revenir sur certains de ces commentaires, plaidant l’incompréhension ou l’ignorance.

Un autre dérapage d’Eric Drouet, pourtant révélateur, est cependant passé inaperçu. Le 26 novembre, le chauffeur routier organise depuis la cabine de son camion un Facebook Live dans lequel les membres de « La France en colère !!! » qui le souhaitent peuvent intervenir en vidéo pour poser des questions ou débattre de propositions. Sa retransmission dure depuis déjà deux heures quand il prend l’appel d’un certain Stéphane Colin, qu’il ne tentera jamais d’interrompre ni de contredire. […]

Voici quelques morceaux choisis, des propos tenus par ce Stéphane Colin :

  • « Il faut qu’on se retrouve à 2 millions devant France Télévisions et qu’on attaque nos ‘merdias' »
  • « C’est pas Macron notre ennemi, Macron n’est qu’un pleutre, un pion, c’est nos banques qu’il faut attaquer »
  • « C’est ce qu’on appelle la mafia Khazar, ce sont les sionistes. Ce ne sont pas des juifs ni des sémites, ce sont la mafia Khazar, les sionistes qui sont en train de nous entre-tuer »
  • « Dans le darknet, il est prouvé que nos maîtres avaient prévu ce que vous êtes en train de faire maintenant. Ils savaient qu’au mois de novembre il y aurait une révolution populiste pour faire une guerre civile »
  • « Le plus marrant dans les ‘gilets jaunes’ : il n’y a pas de mecs des cités. Il n’y a pas de Blacks. J’ai pas vu toute cette fratrie qui vend de la drogue ‘h24’ qui ont été assimilés par cette matrice sociétale. Ils n’en ont rien à foutre »
  • « Comment même on peut parler d’un homme politique !? C’est un tique un homme politique, il ne sert à rien ! Il sert simplement à servir la cause de la mafia Khazar, les sionistes ! C’est eux qui tiennent le monde moderne depuis 500 ans »
  • « C’est pas comme ça qu’il faut agir, c’est attaquer nos ‘merdias’. Ça j’en démords pas. Dans chaque région de France si vous avez un bureau, une antenne d’Antenne 2, de France 2, de TF1, de BFM, il faut les attaquer. Prendre leur matériel. J’ai pas dit de les frapper, hein ! Tu leur mets des menottes comme nous traitent les CRS. Tu les mets dans une pièce, menottes, et tu leur dis ‘ferme ta gueule’ ! »
  • « On aurait pas dû aller voter, on aurait dû brûler nos bureaux de votes »
  • « On parle ‘h24’ de réchauffement climatique alors qu’on va vers un vrai refroidissement de notre planète »

Hormis quand son intervenant lui explique que les blocages ne servent à rien, jamais Eric Drouet ne tentera de l’arrêter, d’opposer une contradiction ou même de se désolidariser pendant le quart d’heure que dure sa tirade. Pour le reste, il abonde : « ouais, je sais, je sais » ; « il y a un mec qui l’avait expliqué sur cette émission, c’est les banques qui plaçaient qui elles voulaient au final ».

Alors que son invité enchaîne une dernière envolée sur « la mafia sioniste » et l’attaque nécessaire contre « les merdias », Eric Drouet va plus loin que la complicité passive qu’il affichait jusqu’ici en offrant sa plateforme et sa visibilité à de tels propos. Constatant l’enthousiasme des commentaires en direct des internautes, il va l’encourager à se mettre en relation avec ses nouveaux fans :

« Il y a des gens qui veulent ton nom, il y a des gens qui veulent te parler. Il y en a beaucoup qui sont d’accord […], je leur dis comment tu t’appelles, ils veulent tous te parler. »

Ces propos-là n’ont pas été prononcés sur un plateau de télévision, dans le stress du direct, la chaleur de l’éclairage et la pression de journalistes avides d’extorquer une déclaration polémique à un novice politique peu habitué des médias. Ils ont été tenus au calme, dans un contexte où Eric Drouet était en maîtrise totale : il ne s’agit pas d’un dérapage. Ils sont a minima révélateurs d’une impressionnante absence de culture citoyenne et politique pour qui prétend représenter « le peuple ». Pris au pied de la lettre, ils révèlent le visage d’un factieux en puissance.

Après le message de « fascination » envoyé par Jean-Luc Mélenchon et son arrestation volontaire mise en scène devant l’Elysée avec la complicité des équipes de Russia Today France et de Brut, les seuls « médias libres » de France selon lui, une polémique s’est déclenchée autour de la couleur du vote d’Eric Drouet en 2017. Sur la base d’une confidence faite hors-micro, BFMTV croit savoir qu’il aurait voté pour Jean-Luc Mélenchon. Le vote étant secret et son historique Facebook ayant été effacé, il est impossible de vérifier cette déclaration avec certitude. A chacun de décider si un vote (non revendiqué) en dit plus sur l’orientation politique d’Eric Drouet que l’accumulation de ses actes et de ses propos publics.

Maxime Nicolle, des codes complotistes

La même ambiguïté sur ses inclinaisons idéologiques est entretenue, avec moins de talent, par Maxime Nicolle. Le jeune Breton se présente lui aussi comme apolitique, simple messager d’un mouvement citoyen. Malgré sa notoriété naissante et sa position officielle visant à nier toute proximité extrémiste, Maxime Nicolle a pourtant régulièrement adopté les codes complotistes que l’on retrouve habituellement dans les cercles militants gravitant autour des sites d’Alain Soral et des vidéos de Dieudonné.

Il diffuse plusieurs fake news sur le pacte de Marrakech sur les migrations, il prétend détenir des documents secrets capables de « faire tomber le gouvernement » et de « déclencher une troisième guerre mondiale », il interprète l’attentat de Strasbourg le 11 décembre comme une manipulation du pouvoir pour faire peur aux Français, il dénonce la dette française comme « une invention de Rothschild » destinée à empêcher la redistribution des richesses, il revendique dès la première semaine de novembre vouloir en réalité « la destitution du gouvernement et une transition pour que le peuple retrouve la gestion du pays ». […]

Maxime Nicolle a également profité d’un Facebook Live pour dénoncer un prétendu réseau de riches pédophiles protégés par l’Etat et les médias :

« Les riches multimilliardaires qui ne sont pas condamnés pour pédophilie, leurs petits réseaux où ils achètent des enfants sur le darknet […], c’est jugé vite fait, on en parle pas aux médias parce qu’ils payent à mort. Il y a des riches condamnés pour de la pédocriminalité, tout ça en on parle pas.

[…] Et le trafic d’humains, le trafic d’organes, le trafic d’enfants, tout ça c’est des trucs qui existent, c’est pas des trucs qu’il y a dans les films. Et qui fait ça ? Qui fait ça ? Bah, c’est les gouvernements qui font ça, tranquillement, ou du moins qui laissent passer, on s’en bat les couilles.

Regarde, on est en train de vouloir faire des lois pour ficher les manifestants, contrôler plus les réseaux sociaux, par contre le darknet en France il n’y a pas de souci. On peut acheter un rein, acheter un gosse… »Ce bref aperçu des propos de Maxime Nicolle devrait suffire à se faire une idée assez précise de son positionnement idéologique. On pourrait objecter que, peu porté sur la théorie politique, il pourrait ne pas avoir conscience de la très forte connotation partisane de ses propos. Maxime Nicolle ferait-il de l’extrême droite sans le savoir ? Comme pour Eric Drouet, nous avons procédé à un examen attentif de son compte Facebook. S’il en a effacé les publications avant que les journalistes ne s’y intéressent, des outils existent pour permettre de faire apparaître certains des « likes » et des commentaires qu’il a pu laisser par le passé sur des pages Facebook ouvertes au public. Qu’y trouve-t-on ?

  • Le 7 décembre 2015, il like une série de photos de Marine Le Pen participant à une soirée électorale à Hénin-Beaumont à l’issue du premier tour des élections régionales de 2015.
  • Le même soir, il commente la vidéo du discours de Marine Le Pen, arrivée largement en tête de ce premier tour, d’un satisfait « Et hop ça avance ^^ ».
  • Entre les deux tours de la présidentielle 2017, il like une vidéo postée par le compte de Marine Le Pen dans laquelle Nicolas Dupont-Aignan annonce son ralliement à la candidate du Front national.
  • Avant la présidentielle de 2017, il like une vidéo de Marine Le Pen présentant ses « 10 mesures immédiates » qu’elle « mettra en œuvre dès son élection ».
  • Au lendemain du Brexit, il like une vidéo de Marine le Pen s’exprimant au nom du groupe Europe des Nations au Parlement européen à l’occasion de la séance plénière extraordinaire consécutive au vote britannique pour la sortie de l’Union européenne.
  • En 2017, serviable, il commente une vidéo de Marine Le Pen du 17 mai 2016 pour signaler que le son ne fonctionne pas.
  • Le 5 décembre 2016, il like une publication de Marine Le Pen se réjouissant de la victoire du camp du chef de l’extrême droite italienne Matteo Salvini à l’occasion d’un référendum organisé par le Premier ministre d’alors, Matteo Renzi.
  • Plus proche de nous, le 5 mars 2018, il like une publication de Marine Le Pen saluant « le réveil des peuples » symbolisé par l’arrivée en tête aux élections législatives italiennes de la coalition emmenée par le chef de l’extrême droite, Matteo Salvini.
  • Dernière trace disponible avant son accession à la renommée, il like le 31 octobre 2018 une publication de Marine Le Pen félicitant le gouvernement d’extrême droite autrichien pour sa décision de se retirer du pacte de l’ONU sur les migrations.
  • Lorsqu’il s’éloigne des pages d’extrême droite, Maxime Nicolle like une vidéo de BFMTV montrant une déclaration de Jean-Luc Mélenchon refusant de condamner la violence des salariés d’Air France lors de l’affaire de la chemise arrachée.
  • Lorsqu’il s’éloigne de la politique, Maxime Nicolle commente un article de « TéléStar » évoquant le boycott d’une cérémonie officielle par la sœur d’une victime de l’attentat du Bataclan en demandant de façon énigmatique : « La vraie question, c’est pourquoi n’ont-ils rien fait… ! » Il enchaîne en 2017 avec un like sur une vidéo titrée « (Attentat de Nice) Grosses contradictions entre la version officielle et la réalité ! »
  • Lorsqu’il s’éloigne de la France, Maxime Nicolle like une vidéo de Vladimir Poutine menaçant et humiliant l’un de ses ministres au cours d’une réunion publique.

Eric Drouet et Maxime Nicolle ne resteront peut-être pas les leaders incontestés des « gilets jaunes ». Cependant, tant qu’ils le seront, on pourra affirmer que le mouvement est de facto piloté par des sympathisants d’extrême droite.

Il serait impossible de tous les citer ici, mais il existe d’autres leaders du mouvement en province parmi les administrateurs des groupes Facebook locaux. Tous se présentent également comme des citoyens apolitiques, ce qui ne veut pas dire sans coloration idéologique. En fouillant dans leurs comptes Facebook, on trouve également, pas chez tous mais chez beaucoup d’entre eux, du contenu anti-Macron et anti-migrants, des propos racistes, une proximité avec des groupuscules d’ultra-droite, des appels à prendre les armes après le Bataclan, des commentaires homophobes sur la Gay Pride, des photos de Jeanne d’Arc, des likes sur les pages de Dieudonné.

Rien de tout cela n’est neutre politiquement, mais rien de tout cela ne pose problème aux « gilets jaunes ». La seule faute impardonnable qui vaut défiance et soupçons est d’avoir exercé des responsabilités syndicales et d’avoir été candidat sur la liste d’un parti politique, quel qu’il soit, FN/RN compris. »

L'Obs

Fondation Jean-Jaurès

 

Omaggio a Claudio

Le 20 janvier, cinq ans se seront écoulés depuis la mort de Claudio Abbado (1933-2014). Pour son 80ème anniversaire, les rééditions discographiques avaient abondé (voir Claudio Abbado 80)

Il y a quelques mois Deutsche Grammophon complétait le dispositif avec un gros coffret – qui recoupe partiellement des rééditions précédentes – comprenant l’intégrale des enregistrements réalisés par Abbado avec l’orchestre philharmonique de Berlin, dont il fut le directeur musical de 1989 à 2002 :

71lur1getol._sl1200_

(Détails du coffret à voir ici : bestofclassic)

La nouveauté c’est un autre coffret de 25 DVD (à petit prix) très intelligemment composé.

71d19sf1jsl._sl1500_

61rzmiocfjl._sl1500_

Un panorama plutôt complet de l’activité du chef avec Berlin bien sûr, mais aussi avec les formations qui lui ont été chères les dernières années, l’orchestre du festival de Lucerne et l’orchestre Mozart. Liste complète à voir ici : bestofclassic

Une aubaine à saisir, un bel hommage de plus à Claudio Abbado.

Révolutions (2)

J’ai le mois de décembre révolutionnaire !

Amusant de relire cet article du 17 décembre 2016 : RévolutionsIl y est question de Macron, Mélenchon, Fillon et de quelques Russes.

En décembre 2017, j’avais fait un tour à Chemnitzcette cité industrielle de l’ex-RDA, appelée Karl Marx Stadt de 1953 à 1990, où ont eu lieu, l’été dernier, de violentes manifestations de néo-nazis

img_3835(La fameuse sculpture monumentale de Lev Kerbel décidée en 1953… finalement érigée en 1971 !)

Et il y a quelques jours, à Berlin retrouvailles inattendues avec Karl Marx et son camarade Friedrich Engels

img_0831Une petite place tout près de l’Alexanderplatzla plupart des touristes s’arrêtant à peine, et parmi ceux qui prenaient des photos, deux noms qui ne disaient rien à personne !

Peu avant de partir à Berlin, j’avais repéré et acheté chez mon libraire favori un petit bouquin au titre intrigant :

51eemdpzypl

Alain Badiou n’est pas ma tasse de thé, et ce qu’on appelle « la présentation de l’éditeur » ferait plutôt office de repoussoir :

Un voyage en Transsibérien ? Non, une méditation personnelle sur les deux révolutions du XXe siècle, les deux grandes victoires qui démontrèrent que l’impossible peut parfois survenir. Des « Thèses d’avril » de Lénine (1917) à la « Décision en 16 points » du Parti communiste chinois (1966), Badiou montre combien était intelligente et généreuse la pensée qui sous-tendait l’action révolutionnaire. Si pour finir ces deux révolutions ont échoué, victimes de la coalition disparate des cadres du parti, de l’armée comme toujours conservatrice et de l’esprit petit-bourgeois, leur histoire est pleine d’enseignements pour tous ceux qui croient en l’avenir du communisme.

La « générosité » de la pensée léniniste ou maoïste ? L’avenir – forcément radieux – du communisme ? On se pince… et puis on lit ! Et on redécouvre, en effet, des faits, des situations, des prises de position, qui ont été décisifs dans la « bascule » révolutionnaire des événements de 1917 en Russie et de la « révolution culturelle » chinoise de 1966.

J’ai toujours pensé que pour combattre une idéologie, un sectarisme, il fallait en connaître les ressorts et les origines. Et donc lire les penseurs, philosophes, sociologues qui les promeuvent et les défendent. En l’occurrence, la stature intellectuelle et le talent de plume d’Alain Badiou confortent son propos, s’ils n’excusent en rien ses errements, ses complicités avec les pires régimes qui soient.