Eloge de la lenteur

Le vent, une bise glacée, a soufflé en tempête ce week-end sur les bords de l’Oise, où je me reposais d’une semaine plutôt chargée. J’ai revisité une partie de ma discothèque, en quête d’artistes, d’interprètes… apaisants. Deux légendes du XXème siècle, si opposées par leurs origines et leur carrière, aux parcours contemporains, Otto Klemperer (1885-1973) et John Barbirolli (1899-1970), se sont imposées à mes oreilles.

Warner a copieusement réédité le legs imposant du vieux chef allemand réalisé en une vingtaine d’années pour EMI à Londres, avec le Philharmonia. On sait que c’est un homme diminué par plusieurs accidents, affaibli par la maladie, qui a gravé cette somme, et du coup la critique s’est souvent contentée de qualifier Klemperer de marmoréen, impressionnant, grandiose, mais insensible au vent de modernité, de recherche d’authenticité qui soufflait déjà fort sur Bach, Haendel, Haydn ou Mozart du fait de plus jeunes collègues, comme Marriner, Colin Davis, et bientôt Leonhardt, Harnoncourt. La comparaison entre les versions Klemperer (1964) et Davis (1966) du Messie de Haendel est sans pitié pour le grand aîné !

Oui, Klemperer est souvent hiératique, parfois complètement à côté du sujet (concertos brandebourgeois de Bach), ou comme statique (dans un Cosi fan tutte privé de substance dramatique). Et puis, souvent, il vous prend à la gorge, vous impose sa lenteur qui n’est pas absence de mouvement, creuse la partition jusqu’à la sève (les symphonies de Beethoven, Schumann, Brahms, même une étonnante symphonie de Franck !). Parfois c’est la surprise, foudroyante

La 25ème symphonie de Mozart, la plus agitée, la plus Sturm und Drang, de toute la discographie !

C’est le même Klemperer qui, dans Beethoven, vide Fidelio de tout élan et insuffle, au contraire, à la Missa solemnis une énergie, un rayonnement spirituel inégalés :

Et puis, en dehors de tous autres critères, existe-t-il plus haute vision de la Passion selon St Matthieu de Bach ?

Dietrich Fischer-Dieskau nous avait confié, lorsque France-Musique était allé célébrer son 70ème anniversaire dans les studios de la RIAS à Berlin, que l’enregistrement de cette Passion avait été un chemin de croix pour tous les interprètes, Klemperer n’étant pas dans ses meilleurs jours à cause de sa santé. C’est Wilhelm Pitz, le chef de choeur attitré de Bayreuth, qui officiait alors à la tête des choeurs anglais, et c’est à lui qu’en réalité se fièrent solistes, choristes et même musiciens pour faire tenir le tout ensemble…Il n’empêche, c’est bien le Bach de Klemperer.

John Barbirolli, c’est autre chose. C’est une manière d’aborder les grandes arches symphoniques (Brahms, Mahler) comme des fleuves au cours changeant, tour à tour tempétueux ou languide. Donc d’assumer des tempos alentis, contrastés, là où la plupart de ses confrères pressent le pas, confondant souvent vitesse et vivacité, mouvement et animation. Le Sibelius du chef italo-britannique est sans doute celui qui évoque au plus près les immensités de la Carélie, forêts et lacs à perpétuité.

 

Warner vient de republier les symphonies et les ouvertures de Brahms que Sir John avait gravées à Vienne au milieu des années 60, et que j’avais réussi à acheter au fil des ans en disques séparés dans d’improbables collections économiques éphémères. Une expérience singulière, un Brahms qui surprend, mais comme c’est celui – la 4ème symphonie – avec lequel j’ai appris cette musique, je suis en terrain familier.

 

La nostalgie a une patrie : Vienne, un héraut : Barbirolli.

Ave Cesar(s)

Rapide retour sur Les Victoires de la Musique classique ce mercredi. Je ne voulais pas relancer le débat (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/02/23/victoires/), c’est raté ! Mais au-delà de la contestation – légitime, quoique parfois injuste – du palmarès, de la présentation, de l’organisation de la soirée, du « spectacle », de la prise de son, etc., une vraie question a surgi, qui mérite mieux que des invectives ou des propos de comptoir : la musique classique à la télévision, mission impossible ? On y reviendra, parce qu’il y a beaucoup à inventer, plus qu’à reproduire la nostalgie d’émissions comme Le Grand échiquier.

On peut susciter l’émotion autour de la musique classique, avec parfois un simple reportage, comme celui-ci qui m’a doublement ému : parce que c’est un beau projet, et parce qu’il a été initié par mon cher orchestre liégeois (http://rtc.be/reportages/societe/1470091-el-sistema-de-jeunes-musiciens-encadres-par-loprl). Ecoutez bien ce que dit la petite Dina, apprentie violoniste : « Si vous aimez quelque chose, rien n’est difficile ».

Mais l’actualité ce sont les Césars décernés hier soir au Châtelet. Comme pour Les Victoires de la musique, on peut indéfiniment critiquer le principe, la forme, le fond, etc.

On peut aussi se réjouir, d’abord de la vitalité du cinéma français ou francophone, de la qualité de nos réalisateurs, acteurs, scénaristes, comme l’a rappelé, dans un français presque parfait, l’invité d’honneur de la soirée, Michael Douglas (dont la ressemblance avec le vieux Karajan ne m’a jamais semblé aussi forte !)

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Je n’ai pas vu tous les films primés, loin de là, mais le palmarès de ces 41èmes Césars m’a donné envie de les voir : http://www.telerama.fr/cinema/cesar-2016-fatima-meilleur-film-vincent-lindon-catherine-frot,138891.php.

J’ai l’impression que celles et ceux qui ont été distingués le méritaient. L’émotion (ah oui la fameuse émotion !) des récipiendaires n’était pas feinte, et c’est pour cela qu’on aime Vincent Lindon, Catherine Frot (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/09/17/malentendus/), ou celle que j’appelle Madame Borgen, Sidse Babett Knudsen, et tous les autres…

Mais ce type de soirée, longue, trop longue, n’échappe pas toujours à l’ennui et à la convention. Est-ce pour cela qu’on avait demandé à Florence Foresti (qu’on aime bien par ailleurs) d’en faire des tonnes, avec des saynètes pré-enregistrées qui tombaient comme des cheveux sur la soupe ? Des extraits un peu plus longs des films primés n’auraient pas dépareillé la soirée…

Victoires (suite)

De bons amis m’ont reproché l’enthousiasme aveugle dont j’aurais fait preuve dans mon billet d’hier (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/02/23/victoires/). Comme si j’avais perdu tout esprit critique… c’est mal me connaître.

Renaud Machart n’y va pas de main morte dans Le Monde (http://www.lemonde.fr/televisions-radio/article/2016/02/25/aux-victoires-de-la-musique-classique-la-jeune-soprano-qui-ne-voulait-remercier-personne_4871164_1655027.html#xtor=AL-32280515). Il n’a pas tort…

J’ai été triste pour mon cher Menahem Pressler. J’ai eu soudain le sentiment, après l’avoir entendu dans une miraculeuse mazurka de Chopin, que personne ne savait pourquoi il était là. Une Victoire d’Honneur ? mais alors qu’on lui consacre plus qu’une mini-interview bâclée, mal traduite, et manifestement ignorante de la carrière et du rôle de cet artiste dans la vie musicale du XXème siècle. C’était autre chose avec la cérémonie allemande, comparable à nos Victoires, la soirée Echo-Klassik à Berlin le 18 octobre dernier.

On essaiera de faire mieux à Montpellier le 16 juillet prochain…

Heureux d’avoir entendu le poète du piano, Adam Laloum, jouer le mouvement lent du 23ème concerto de Mozart. Comme jadis avec Kempff, la pure beauté naît de l’extrême simplicité.

Et puis heureux évidemment pour les amis justement distingués, Philippe Hersant, qui trace depuis des années, à l’écart des modes et des dogmes, un chemin d’une riche originalité, Bertrand Chamayou, qu’on eût aimé entendre plus longuement que dans ce bref extrait du 1er concerto de Liszt, et, last but non least, Karine Deshayes, rayonnante dans la pleine maturité de ses moyens vocaux et artistiques. Eux aussi, Bertrand et Karine, seront de la fête à Montpellier l’été prochain (tout comme l’Orchestre national du Capitole de Toulouse et Tugan Sokhiev).

 

Victoires

On va tenter de ne pas relancer un débat aussi vieux que ce type de cérémonies : pour ou contre les Victoires de la musique classique – qui ont lieu ce mercredi soir à Toulouse ?

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Juste un point d’histoire, donc un rappel : lorsque France Musique, dont j’avais alors la charge, avait été sollicitée pour diffuser la soirée simultanément avec France 3, il y a une vingtaine d’années, j’avais répondu oui sans hésiter, même si, dans cette grande maison qu’est Radio France, une telle décision devait être avalisée, approuvée par toute une hiérarchie. Je me rappelle les hauts-le-coeur, les mines abattues, de producteurs de la chaîne, mais aussi d’autres collaborateurs, France Musique ne pouvait décemment pas s’abaisser à participer à une opération qui ne visait qu’à soutenir le commerce et l’industrie du disque…Et dont les modalités de vote et de sélection des « nommés » étaient discutables.

Ce sont les mêmes d’ailleurs qui, à la même époque, ne comprenaient pas que je veuille envoyer France Musique (et plus tard d’autres chaînes de Radio France) couvrir un phénomène qui me semblait appelé à se développer considérablement : la Folle Journée de Nantes…

Bref, je n’ai jamais regretté d’avoir poussé la chaîne musicale du service public à s’associer avec le seul prime time de l’année dévolu à la musique classique. Et je regarderai l’émission ce mercredi soir.

Le Figaro d’aujourd’hui consacrait un beau papier à ces jeunes artistes, pour qui une distinction comme Les Victoires de la musique classique a changé la donne. (http://www.lefigaro.fr/musique/2016/02/22/03006-20160222ARTFIG00212-classiques-les-nouveaux-chemins-de-la-reconnaissance.php).

Et tous ceux qui ont été récompensés ces dernières années l’ont mérité, et pour beaucoup, ont réussi à commencer une carrière (quel mot détestable s’agissant d’art) honorable. L’avantage de la jeune génération, c’est qu’elle n’a aucune illusion sur le monde culturel et musical d’aujourd’hui – même si bien des agents sont loin d’avoir évolué dans le même sens ! – et qu’elle connaît les codes, utilise, à bon escient, les modes de communication les plus adaptés à une large diffusion de leur art.

Oui Youtube, les réseaux sociaux, ont révolutionné l’accès à la culture et l’organisation du monde musical. Plus de faux-semblant possible, plus d’entre soi, de pratiques réservées au seul petit milieu professionnel. Instantanément, tel concurrent ou lauréat d’un prestigieux concours peut se faire connaître du monde entier, tel ensemble peut acquérir la notoriété – dès lors que le talent est là – sans passer par la case disque ou tournée de lancement. D’ailleurs, l’enregistrement d’un disque, les engagements, suivent, accompagnent, et ne précèdent plus que rarement le début de carrière.

On ne fait aucun pronostic sur les lauréats de ces Victoires 2016. Parce qu’on connaît tous ces musiciens, qu’on a parfois eu la chance de les repérer, de les soutenir, de les engager au tout début de leur carrière, qu’on aime leur parcours, leur attitude à l’égard des compositeurs et du public.

Beaucoup sont passés à Montpellier dans le cadre du Festival de Radio France et Montpellier Languedoc Roussillon ou seront présents dans l’édition 2016 (comme Florian Noack ci-dessus)*.

Une mention particulière pour un très beau disque, auquel j’ai pu contribuer, celui d’un merveilleux altiste, Adrien La Marca (le grand frère Christian-Pierre, au violoncelle, n’est pas mal non plus !). Un programme qui lui tenait à coeur, enregistré finalement à la Salle philharmonique de Liège…(L’album « English Delight », hommage à l’alto et aux compositeurs anglais est un voyage sur quatre siècles, de Dowland, Purcell, Vaughan Williams, Bridge, Clarke, Britten à Jonathan Harvey Chacune de ces pièces est liée à un moment spécial du parcours artistique et musical d’Adrien La Marca)

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  • Le détail de l’édition 2016 (11-26 juillet) du Festival de Radio France Montpellier et de la Région Languedoc Roussillon Midi Pyrénées (vivement un nouveau nom pour cette grande région !) sera dévoilé le 4 mars prochain.

 

Ave Cesar

Les séances de cinéma se font rares, faute de disponibilité. Depuis qu’on a trouvé un complexe associatif, une sorte de cinéma à l’ancienne, salles de belles proportions, bibliothèque et fauteuils pour attendre l’ouverture du guichet, et programmation intelligente, on est fidèle à Utopia – tout un programme ! -.

On attendait beaucoup, trop sans doute, du dernier film de Joel et Ethan Coen, Ave Cesar.

Je rejoins assez ce qu’en écrit L’Obs (http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1485158-ave-cesar-avec-george-clooney-les-freres-coen-signent-une-adorable-coquille-vide.html.)

Certes on a joué de malchance dans ce charmant cinéma des bords de l’Oise, le film a été interrompu plusieurs fois, et ce qui paraissait long l’a été encore plus. On a pu à loisir faire des prises d’écran.

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On n’a pas passé un mauvais moment, loin de là, mais tout le talent – qui est grand – des frères Coen tourne à vide, les séquences, on pourrait presque dire les sketches, sont souvent réussies, mais un scénario trop lâche ne fait pas une histoire qui se tient. Restent les performances individuelles d’acteurs qui en font des tonnes à contre-emploi : vulgarité crasse de Scarlett Johannson, beaufitude assumée de George Clooney – à qui la jupette de centurion romain sied à merveille ! – et tous les autres à l’avenant.

Up and down

Un résumé de l’actualité de la semaine ? Faite de hauts et de bas, en effet.

On avait apprécié le beau spectacle proposé par le Théâtre des Champs-Elysées (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/02/17/ceci-nest-pas-un-opera/), on était très curieux de découvrir ce que pouvait donner, installé place des Nations à Genève, l’ancien théâtre éphémère de la Comédie-Française jadis installé dans les jardins du Palais Royal à Paris. Avec un Alcina de Haendel prometteur sur le papier.

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La critique a plutôt aimé (http://abonnes.lemonde.fr/musiques/article/2016/02/19/opera-alcina-dotee-de-nouveaux-charmes_4868196_1654986.html). Seul bémol – et de taille – de ma part, je n’aime pas la vulgarité gratuite de la mise en scène et le surlignage permanent des intentions et des gestes.

Autre sujet qui, malheureusement, reste d’actualité : le nom d’un orchestre (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/02/09/une-forme-olympique/). Réjouissante séquence hier dans Le Petit Journal de Canal +

http://www.canalplus.fr/c-emissions/c-le-petit-journal/pid6515-le-petit-journal.html?vid=1364380

C’est le nom d’Umberto Eco qui fait l’actualité mortuaire ce matin. Le personnage est sans doute immense, et on attend la déferlante des hommages. Je serais bien incapable d’y ajouter le mien. Je n’ai pas lu Eco (mais n’ayant pas été ministre de la Culture je ne risque pas l’opprobre) ni même vu le film Le Nom de la rose. J’ai tort sans doute.

Un toujours bien vivant, lui, à bientôt 80 ans, le chef suisse Charles Dutoit à qui son éditeur historique Decca rend un hommage justifié, en même temps qu’il célèbre une aventure artistique exceptionnelle de 25 ans entre lui et l’orchestre symphonique de Montréal. Par bien des aspects, Dutoit est l’héritier du grand Ernest Ansermet (1883-1969). Il a rarement suscité l’enthousiasme de la critique européenne, sous des dehors de dandy élégant, le chef n’est pas dépourvu de caractère. Et quand on écoute ses enregistrements à l’aveugle – c’est arrivé plusieurs fois dans des émissions de critique de disques – il n’est pas rare que, dans la musique française en particulier, que ses disques obtiennent le haut du classement.

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35 CD généreusement remplis qui méritent beaucoup mieux qu’un coup d’oreille distrait. Et de nombreuses pépites dans la musique française.

http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2016/02/20/dutoit-80-8571057.html#more

Ceci n’est pas un opéra

MITHRIDATE -
MITHRIDATE – De Wolfgang Amadeus MOZART – Livret de Vittorio Amedeo CIGNA SANTI – Direction musicale : Emmanuelle HAIM – Dramaturgie : Frederique PLAIN – Mise en scene : Clement HERVIEU LEGER – Decors : Eric RUF – Costumes : Caroline DE VIVAISE – Lumieres : Bertrand COUDERC – Avec : Michael SPYRES (Mithridate) – Patricia PETIBON (Aspasie) – Myrto PAPATANASIU (Xiphares) – Christophe DUMAUX (Pharnace) – Cyrille DUBOIS (Marzio) – Jael AZZARETTI (Arbate) – Le : 02 02 2016 – Au Theatre des Champs Elysees – Photo : Vincent PONTET

Le problème de ce Mithridate, d’un adolescent surdoué de 14 ans, c’est que ce n’est pas un opéra, mais une suite, une compilation presque, d’airs de bravoure, de fureur ou de douleur, plus exigeants et virtuoses les uns que les autres. Tout Mozart y est déjà certes. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Mitridate,_re_di_Ponto)

La mise en scène de Clément Hervieu-Léger essaie – et y réussit plutôt bien ! – de pallier l’ennui qui ne manquerait pas de s’installer à une juxtaposition d’airs et de personnages convenus. Mais c’est évidemment la distribution, et la direction musicale, qui rendent cette production du Théâtre des Champs-Elysées, à tous égards exceptionnelle. Michel Franck a réuni l’équipe idéale. Michael Spyres (Mithridate) a peu de rivaux comme ténor mozartien – ligne de chant, chaleur et souplesse de la voix – Patricia Petibon donne corps  et voix supérieurement maîtrisée à Aspasie, Myrtò Papatanasiu campe un formidable Xipharès, Jaël Azzaretti et Cyrille Dubois confirment tous les espoirs qu’on a mis en eux. Mais si je devais en distinguer deux parmi cette excellente équipe, ce serait Sabine Devieilhe – peut-on imaginer aujourd’hui plus idéale voix mozartienne, fruitée, dorée, charnelle, aux aigus stratosphériques dans l’air d’Ismene du 1er acte ? – et, honte à moi qui ne l’avais encore jamais entendu, le contre-ténor Christophe Dumaux (Farnace) qui m’a réconcilié -définitivement ? – avec ce type de voix.

Emmanuelle Haim et son Concert d’Astrée (quel cor solo !) sont tout à leur affaire, respirent large, ne confondent pas virtuosité et précipitation.

Un Mithridate qui fera date…

 

Poésie de l’amour et de la mer

Il y a des oeuvres qui vous accompagnent, jalonnent votre existence, sans raison précise, sauf une peut-être : une résonance intime (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/11/26/lamour-et-la-mort/)

Samedi soir, au théâtre des Champs-Elysées, c’était une occasion nouvelle d’entendre le Poème de l’amour et de la mer de Chausson (https://fr.wikipedia.org/wiki/Poème_de_l%27amour_et_de_la_mer). La soliste annoncée, Anna Caterina Antonacci, étant aphone, il a fallu en très peu de temps trouver une « remplaçante » à la hauteur d’une partition exigeante, la merveilleuse Gaëlle Arquez qui avait assuré les concerts des 4,5 et 7 février et avait depuis elle aussi succombé à la grippe, a accepté de sauver ce concert. Et de quelle manière ! Voix longue, pulpeuse, épousant chaque inflexion de la poésie parfois désuète de Bouchor et des courbes sensuelles de la musique de Chausson.

Mais, on l’aura compris, les héros de la soirée c’étaient les musiciens de l’Orchestre des Champs-Elysées et Louis Langrée (http://www.orchestredeschampselysees.com/fr/concert/louis-langrée-dirige-debussy).

Je n’avais pu malheureusement assister à aucune des représentations du Pelléas données à l’Opéra Comique, en février 2014, par le même équipage.

Je m’étais rattrapé avec le concert – un programme typique de l’ancien directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Liège ! – avec déjà Chausson et son unique et bien trop rare Symphonie (http://www.diapasonmag.fr/actualites/critiques/concert-debussy-faure-et-chausson-de-louis-langree-avec-l-orchestre-des-champs-elysees)

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(Petit message en passant à Universal : à quand une réédition d’un enregistrement paru en 2005 qui est cité dans tous les guides comme une référence pour les deux symphonies, et pour Franck placé en tête par La tribune des critiques de disques de France Musique le 25 janvier 2009 – http://www.lalibre.be/regions/liege/l-opl-et-louis-langree-la-reference-51b8a5f3e4b0de6db9b56547).

Samedi soir, c’était donc une fête de la musique française, et de sonorités « authentiques » qui, contrairement aux craintes du chef, passaient parfaitement la rampe de l’acoustique réputée sèche de la salle de l’avenue Montaigne.

Je connais depuis longtemps l’art si caractéristique de Louis Langrée dans cette musique : clarté, précision, élan, volupté des lignes. Dans l’Hymne à la justice de Magnard, on attend la puissance du grand orchestre romantique, voire wagnérien; ce qu’on n’avait pas en masse, on l’a eu dans la vérité des timbres et l’équilibre entre fougue et poésie. D’une intensité incroyable.

Mêmes remarques pour le Poème de l’amour et de la mer de Chausson, où orchestre et voix doivent partager flux et reflux, force et sensualité.

On était évidemment très curieux du résultat sonore de La Mer de Debussy. Louis Langrée connaît l’oeuvre dans tous ses recoins – il l’a plus d’une fois démontré pendant son mandat liégeois – mais la beauté, l’acuité des sonorités de tous les pupitres, si sollicités, de l’orchestre des Champs-Elysées, nous révélaient comme jamais les alliages sonores, les mélismes sensuels d’une  partition qu’on croyait savoir par coeur. Le chef ose des tempos qui semblent une évidence : il presse le pas dans le 2ème mouvement (Le jeu des vagues) au point d’évoquer la houle tourmentée de la Valse de Ravel, il ménage au contraire d’incessants contrastes rythmiques dans le Dialogue du vent et de la mer. En bis, un Prélude à l’après-midi d’un faune autrement plus libre et souple qu’en février 2014, fruit de ce nouveau compagnonnage chef/musiciens. On espère qu’il sera renouvelé !

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On a lu dans le programme que le concert de samedi sera diffusé sur France Musique le 2 avril prochain à 14 h.

L’amour

Puisque c’est une figure obligée, avant de relater demain le magnifique concert auquel j’ai assisté hier, avec, entre autres, le Poème de l’amour et de la mer de Chausson, une réédition de mon billet de l’an passé pour la Saint-Valentin :

Quelques nuances de rouge

À la veille de la Saint-Valentin, quelques idées pour échapper à la morosité ambiante et à ces tristes nuances de gris qu’on veut nous faire croire érotiques.

La langue russe désigne d’un même mot la beauté et la couleur rouge : красный = rouge, красота = beauté. Les couleurs de l’amour…

Comme cet air de l’opéra Louise de Charpentier, que je ne suis pas loin de considérer comme le plus érotique de la littérature lyrique : « Depuis le jour … » C’est d’ailleurs dans une somptueuse robe de velours rouge que Renée Fleming nous révèle l’extrême sensualité de cette musique :

Depuis le jour où je me suis donnée, 
toute fleurie semble ma destinée…
Je crois rêver sous un ciel de féerie,
l’âme encore grisée de ton premier baiser.
Quelle belle vie!
Mon rêve n’était pas un rève! 
Ah, je suis heureuse!
L’amour étend sur moi ses ailes!
Au jardin de mon coeur chante 
une joie nouvelle!
Tout vibre, tout se réjouit de mon triomphe!
Autour de moi tout est sourire, lumière et fête,
et je tremble délicieusement 
au souvenir charmant
du premier jour d’amour.
Quelle belle vie! 
Ah, je suis heureuse, trop heureuse,
et je tremble délicieusement
au souvenir charmant 
du premier jour d’amour.

Dans un autre registre, je craque toujours à l’écoute de ce duo :

Les duos amoureux sont légion à l’opéra, j’ai une tendresse particulière pour celui de Madame Butterfly, avec une si belle économie de moyens, Puccini exalte toutes les douleurs de cet amour impossible (ici dans le beau film réalisé par Frédéric Mitterrand)

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Et puis il y a et il y aura toujours des millions d’amoureux pour croire que rien ni personne n’arrête l’amour :

L’amour est aussi, et souvent, une nostalgie. Nostalgie des amis disparus, des jours enfuis, comme ici cet extrait d’un Grand Echiquier de Jacques Chancel, où Jessye Norman donne une sophistication inattendue à une valse écrite pour Yvonne Printemps dans la pièce de Jean Anouilh Léocadia : Les chemins de l’amour

Dans le répertoire symphonique, j’ai toujours associé – pourquoi ? – les trois premières symphonies de Schubert à l’idée du sentiment amoureux, la légèreté, l’allégresse de l’amoureux. C’est particulièrement vrai dans les finales, où la joie est sans nuage, l’espoir sans limite.

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Dernier clin d’oeil à nos plus belles années :

Remaniement, amour et cruauté

Il n’y a que les mauvais esprits qui pourraient oser un parallèle entre l’actualité politique de ce jeudi et le spectacle que j’ai vu hier soir à Montpellier, le dernier opéra de Puccini, Turandot.

La constitution ou le remaniement d’un gouvernement est, de toutes les époques, et sous tous les Présidents de la Vème République, une tragi-comédie humaine. J’en ai connu de ces hommes et de ces femmes qui ont attendu en vain près de leur téléphone (du temps où le portable n’existait pas encore), de ceux aussi qui ont appris leur nomination…ou leur déchéance par la radio ou la télévision. Bref, l’exercice est souvent cruel.

Quant à la nouvelle ministre de la Culture, Audrey Azoulay, elle a bien d’autres dossiers à traiter, mais je sais qu’elle est attentive aux artistes et à leurs difficultés. On veut espérer qu’elle aidera à la solution d’un problème qui n’aurait jamais dû en être un : l’interdiction faite à Julien Chauvin de redonner à son ensemble la totalité du nom du Concert de la Loge Olympique  (https://www.facebook.com/jeanpierre.rousseau/posts/10153432224667602)

De cruauté mais aussi d’amour il fut question, et de fort belle façon, hier soir à l’Opéra Berlioz de Montpellier.

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(Photo Marc Ginot)

Je pourrais reprendre à mon compte le papier de Michèle Fisaine dans Le Midi libre (http://www.midilibre.fr/2016/02/09/l-amour-est-vainqueur-quand-turandot-triomphe,1283477.php)

Turandot est peut-être, avec La Bohème, l’opéra de Puccini que j’ai vu le plus souvent. Spectaculaire, exigeant de très gros calibres dans les rôles principaux, Turandot, Calaf, et même Liu. Et surtout fabuleusement écrit pour l’orchestre et les choeurs. Je n’ai jamais compris l’opprobre dans lequel certains directeurs d’opéra tiennent Puccini – Gérard Mortier n’a jamais programmé un Puccini à l’opéra de Paris ! -. Le raffinement de l’écriture, les trouvailles et les audaces harmoniques de Puccini ont heureusement fasciné nombre de jeunes compositeurs du XXème siècle.

Pour la splendeur de l’ensemble, j’ai toujours eu une tendresse pour la version de Karajan, même si aucune des chanteuses n’aurait été crédible (audible ?) sur scène.

 

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Second choix, mais avec des voix au bon format :

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