Pour célébrer les 75 ans de la pianiste argentine – en 2016 – les hommages discographiques n’avaient pas manqué, ni en qualité, ni en quantité : DeutscheGrammophon, Warner avaient publié d’imposants coffrets (voir la discographie complète sur bestofclassic).
Manquait à l’édifice à la gloire de Martha Argerich, ce qui constitue peut-être l’essentiel, l’essence de son art, la collection des « live » enregistrés durant les 15 ans (2002-2016) qu’a duré le Martha Argerich Progetto à Lugano, en Suisse italienne.
En réalité, ce coffret n’est pas une nouveauté, puisqu’il compile ceux qui paraissaient chaque année, reflétant les éditions successives de ces rassemblements « Martha & Friends »
Il compile, mais il élimine les enregistrements dans lesquels Martha Argerich n’apparaissait pas directement, et qui constituent pourtant des témoignages précieux des débuts de bien des jeunes artistes (les frères Capuçon par exemple), souvent dans des répertoires peu fréquentés.
Mais ces 22 CD n’en sont pas moins précieux, parce qu’ils montrent la pianiste à son acmé, non seulement dans les oeuvres qu’elle parcourt depuis ses débuts, mais aussi dans des répertoires moins familiers. Il y a une « patte » Argerich reconnaissable entre toutes, et lorsqu’elle est entourée de jeunes collègues, on ne se pas demande pas qui est le plus ardent, le plus juvénile du groupe !
J’écoute rarement la radio en milieu d’après-midi, sauf lorsque j’ai un trajet à faire en voiture. Ce qui m’est arrivé récemment. J’ai pris en cours de route Affaires sensibles,l’émission de Fabrice Drouelle sur France Inter,consacrée ce jour-là à Georges Pâques, l’espion français du KGB. L’invité, Pierre Assouline, racontait sa fascination pour ce personnage, Georges Pâques(1914-1993) au coeur de l’une des plus retentissantes affaires d’espionnage du XXème siècle.
Je dus faire plusieurs librairies avant de trouver Une question d’orgueil.
« Qu’est-ce qui pousse un homme à trahir son pays ? Ou, plus précisément : qu’est-ce qui pousse, en pleine guerre froide, un haut fonctionnaire français, doté de responsabilités à la Défense et à l’OTAN, à transmettre des documents secrets au KGB pendant près de vingt ans ? Ni l’argent ni l’idéologie. Quoi alors ? Obsédé par ce cas unique dans les annales de l’espionnage, l’auteur décide de tout faire pour retrouver cet antihéros de l’Histoire et tenter de déchiffrer ses mobiles. Une longue traque va s’ensuivre, où il reviendra à deux femmes de lui livrer les clés de ce monde opaque. » (Présentation de l’éditeur)
Inutile de dire que Pierre Assouline nous tient en haleine et que ce livre a tous les ingrédients d’un roman… d’espionnage ! Passionnant.
Comme à mon habitude – de lire plusieurs bouquins en parallèle – je suis aussi plongé dans un ouvrage qui vient de paraître. L’auteur était jusqu’à l’an dernier le patron des espions français, Bernard Bajoleta été, en effet, le tout puissant directeur général de la Sécurité extérieure (DGSE) de 2013 à 2017, après une carrière diplomatique exceptionnelle qui l’a mené au coeur de tous les poudriers de la planète (Damas, Sarajevo, Bagdad, Kaboul, Alger…). Il a inspiré les scénaristes de la fameuse série Le Bureau des légendes.
Bernard Bajolet entraine le lecteur dans les points chauds du globe où son parcours de diplomate l’a conduit : Syrie, Jordanie, Bosnie, Irak, Algérie, Afghanistan… Il le fait assister à ses rencontres avec des personnages souvent fascinants, parfois sulfureux, lui fait entrevoir les coulisses des négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens, l’introduit dans le bureau de quatre présidents français : Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande. Voyage dans l’espace, voyage dans le temps : Bernard Bajolet ne livre pas seulement des souvenirs sur sa période diplomatique -de 1975 à 2013-. Il les relie à l’Histoire plus ancienne –notamment lorsqu’elle donne des clés d’explication- et les rapproche des développements récents de l’actualité, qui trouvent en partie leur origine dans les évènements dont il a été le témoin. Il explique comment l’intervention des Etats-Unis en Irak en 2003 et leur gestion de l’après-guerre ont favorisé l’avènement de Daech. Par le biais de la petite histoire qu’il a vécue, -semée d’anecdotes souvent pittoresques, il fait entrer le lecteur dans la grande Histoire, et pose la question du rôle de la France et de l’Europe dans un monde dérégulé (Présentation de l’éditeur)
Autant le dire d’emblée, ceux qui s’attendent à un récit enjolivé et linéaire des exploits d’un diplomate chevronné ne seront certes pas déçus, mais ce livre est beaucoup plus que des mémoires ordinaires. J’en ai plus appris sur l’histoire du Moyen Orient depuis soixante ans… et depuis Jésus et Mahomet, sur l’essence, la nature et la dérive des religions, en quelques chapitres saisissants d’intelligence, de concision, de connaissance intime des peuples moyen-orientaux et de leur histoire, qu’en plusieurs gros pavés de « spécialistes » auto-proclamés. Les chapitres consacrés à la Syrie sont parmi les plus éclairants, les plus intelligibles, qu’il m’ait été donné de lire. Mais tout le reste est à l’avenant. Je ne connaissais pas Bernard Bajolet, sinon son titre et sa fonction. Son livre me donne le regret de ne pas l’avoir croisé plus tôt.
L’intérêt est nettement moindre, et la déception avérée, avec une nouveauté au titre fracassant :
La journaliste, comme l’écrit un lecteur de cet ouvrage, » semble faire de ce livre son journal intime et paraît par moments très satisfaite d’elle-même. La narration estparfois un peu pénible, Un peu d’humilité serait la bienvenue, de même qu’un récit plus axé sur son sujet. Certaines questions auraient eu le mérite d’être plus creusées. Pour résumer, la journaliste semble avoir pris du plaisir à découvrir ce monde, et à le montrer aux autres fièrement, mais passe à côté de nombreuses questions intéressantes et accessibles. (Source Amazon)
Non, la Scala de Milan ne s’est pas mise à concurrencer la Comédie-Française. Il se trouve que j’ai enchaîné samedi dernier deux spectacles, deux temps forts, qui se donnaient à quelques dizaines de mètres l’un de l’autre.
D’abord le week-end inaugural d’un nouveau lieu de création à Paris, un ancien café-concert fondé en 1874, devenu un cinéma, spécialisé dans le porno à partir de 1970, au 13 boulevard de Strasbourg, en face des théâtres Comoedia et Antoine : La Scala
Formidable pari de Mélanie et Frédéric Biessy (lire leur interview dans Le Monde : Les amoureux de La Scala), un lieu d’emblée sympathique, un environnement sonore exceptionnellement réussi, signé Philippe Manoury. Et même si ce n’est pas l’essentiel, un bar et un petit restaurant très agréables – félicitations à la jeune équipe et au chef, ex-patron du restaurant strasbourgeois Zimmer, père de Mélanie Biessy, pour une belle carte de beaux produits frais, légumes et fruits, à prix très modéré, et un service parfait, rapide et souriant !.
Tout le week-end était intitulé Aux Armes, Contemporains, sept concerts destinés à tester les capacités et qualités de cette salle de 550 places, à mesurer l’accueil que les publics lui réserveraient. J’avais choisi l’un d’eux, samedi après-midi, qui semblait un résumé, un « best-of » des esthétiques musicales développées depuis vingt ans : Aperghis, Boulez, Romitelli, Harvey, Mantovani, etc.
Quatre chanteuses de l’ensemble Les Cris de Paris dans une démonstration un peu longuette de l’éventail des possibles pour un quatuor vocal prêt à toutes les expériences.
Le clarinettiste Jérôme Comte, membre de l’Ensemble InterContemporain, époustouflant dans Bug, une pièce de jeunesse de Bruno Mantovani
Gaspard Dehaene donnait Une page d’éphéméride, une des toutes dernières oeuvres de Pierre Boulez.
C’est à l’excellent Rodolphe Bruneau-Boulmier(bien connu des auditeurs de France Musique) qu’a été confiée la programmation musicale contemporaine du nouveau lieu, et c’est lui qui présentait les concerts de ce week-end- d’ouverture.
Longue vie à ce nouveau lieu, qui n’a pas d’équivalent dans Paris, moins intimidant que la Philharmonie, l’IRCAM ou les studios de Radio France, idéalement situé au coeur de Paris, et qui surtout propose un très beau mélange de théâtre, danse, cirque, musique, poésie.
J’ai ensuite fait faux bond à La Scala pour me rendre au théâtre de la Porte Saint-Martin où se donne une nouvelle production du Tartuffede Molière. L’an dernier, le duo Michel Bouquet – Michel Fau tenait la vedette, je n’avais pas assisté à ce spectacle et les échos que j’en avais eus étaient pour le moins contrastés, comme devait l’être d’ailleurs le jeu des deux acteurs, aussi dissemblables que possible.
La nouvelle mise en scène est due à Peter Stein, l’un des maîtres du théâtre allemand, et la distribution est nettement plus classique que la précédente. Une pièce qu’on connaît par coeur, dont on attend les répliques culte, le risque d’être déçu par des interprètes qui jouent les vedettes. Ou, au contraire, ce qui arriva, la chance d’être conquis par une troupe qui restitue avec gourmandise un texte qui n’a rien perdu de sa force, autant tous les citer : Pierre Arditi, Jacques Weber, Isabelle Gelinas, Manon Combes, Catherine Ferran, Bernard Gabay, Félicien Juttner, Jean-Baptiste Malartre, Marion Malenfant, Loïc Mobihan, Luc Tremblais.
Des photos échangées sur Facebook, et voici que remontent les souvenirs d’un personnage que j’ai un peu, trop peu, connu à la fin de sa vie, grâce à l’ami François Hudry (Disques en Lice) : le chef d’orchestre d’origine hongroise Georges Sebastian (1903-1989)
(de gauche à droite François Hudry, Georges Sebastian, Jean-Charles Hoffelé, JPR)
(Photos prises lors d’une soirée à laquelle ne participait pas la grincheuse épouse !)
Première rencontre au domicile de François, un dîner je crois, le vieux chef était arrivé au bras de son épouse, sans doute plus jeune que lui, mais tellement fardée, apprêtée, embijoutée, coiffée d’un chapeau à plumes, qu’il était difficile de lui donner un âge. Elle s’appelait Noëlle, une ancienne comédienne ou chanteuse (de cabaret ?), une sorte de mélange entre Suzy Delairet la productrice de France Musique que je décrivais ici. Manifestement elle entendait que toute l’attention des invités se portât sur elle et des bouts de récits qui semblaient n’avoir ni queue ni tête, alors qu’évidemment nous avions mille questions à poser au musicien, qui avait été l’assistant de Bruno Walter, avait connu Puccini, Richard Strauss…, dirigé tant d’opéras et connu tant d’illustres interprètes, comme la Callas. Au milieu du repas, furieuse de constater qu’on s’intéressait plus aux récits hauts en couleur de son mari, elle se leva brusquement, prétextant un malaise, et demanda qu’on lui appelle une voiture pour la raccompagner chez elle. Nul ne songea à la retenir… Inutile de dire que le reste de la soirée, qui se prolongea fort tard, fut d’un coup beaucoup plus détendu et chaleureux…
J’étais d’autant plus impressionné de me trouver face à Georges Sebastian que c’est par lui et sa version légendaire gravée avec le Gewandhaus de Leipzig, que j’avais découvert La Nuit transfigurée de Schoenberg… et l’adagio de la 10ème symphonie de Mahler (un 33 tours EMI/Electrola). Je le lui dis timidement, essayant de trouver les mots pour décrire les très fortes impressions que m’avait faites ce disque. Incandescente, c’est ainsi que je qualifiai sa Nuit transfigurée, à quoi il me répondit en riant que l’adjectif était particulièrement bien trouvé, s’agissant d’un enregistrement qui avait été fait de nuit – ce qui arrivait très souvent, en Allemagne de l’Est, lorsqu’on voulait éviter les bruits parasites de la journée – par une température glaciale ! Tous les musiciens étaient gantés de mitaines ou de moufles, qu’ils ôtaient dès que les micros s’allumaient ! Pour éviter que la séance ne se prolonge, ils manifestaient une concentration totale, et toujours selon Georges Sebastian, cette version est le résultat d’à peine deux prises !
Ce couplage Mahler/Schoenberg a été récemment réédité par le label Praga
La discographie disponible de Georges Sebastian ne reflète que très partiellement la carrière de chef lyrique et symphonique qui fut la sienne. Sur les sites de téléchargement, on peut trouver, plus ou moins bien restitués, des enregistrements qu’un éditeur serait bien avisé de regrouper en un coffret hommage.
Il y a une dizaine d’années, une collection éphémère d’Universal France nous a rendu deux CD – maigre moisson – qui attestent de l’art très Mitteleuropa de Georges Sébastian
Mais pour le grand public, si tant est qu’il l’ait jamais remarqué, le nom de Georges Sebastian est à jamais associé au légendaire concert des débuts parisiens de Maria Callasen 1958.
Chez Audite, un double CD nous présente Sebastian accompagnateur – le mot est faible ! – de la grande Kirsten Flagstad.
Attendons d’autres rééditions, notamment plusieurs disques réalisés avec l’Orchestre Colonne, comme une Symphonie de Dukas et plusieurs Franck, et avec l’orchestre du Südwestfunk de Baden Baden…
« Je sais aussi d’expérience…. qu’on ne sert pas les musiciens, a fortiori quand on les aime, par l’hypocrisie ou le silence, on n’est pas obligé pour autant de les blesser inutilement. Le musicien, l’artiste sait mieux que quiconque si son récital, son concert, a été réussi ou… moins réussi. Il n’a que faire des compliments de complaisance ».
Voilà ce que j’écrivais dans un article – Le difficile art de la critique– qui m’avait valu beaucoup de commentaires, et qui me revient maintenant.
Si ce blog était véritablement mon journal intime, je n’hésiterais pas une seconde à lui confier sans détour les sentiments que m’ont inspirés certains concerts auxquels j’ai assisté. Mais, si j’ai choisi de le laisser en accès libre, donc public, je restreins de moi-même mon expression.
Il a suffi d’un adjectif – « déçu » – posté sur Facebook à l’issue d’un récent concert pour que je sois sommé de m’expliquer et qu’un débat s’ouvre avec d’autres musiciens, des collègues du pianiste auquel je faisais référence. Il en ressortait que je ne pouvais pas être déçu, que ce n’était pas possible, vu que l’artiste en question est considéré comme un immense talent en devenir et qu’il est impérial dans le répertoire où précisément j’ai eu l’impression de le voir sombrer. En résumé, si je disais ce que je pense, je risquais de compromettre une brillante carrière – et ce serait de ma faute ! -.
De toutes les façons, je ne peux définitivement pas être, publiquement, juge et critique. Je garderai donc les raisons de ma déception pour moi…
D’un autre concert – les 40 ans de l’Orchestre de chambre de Paris, mercredi au Théâtre des Champs-Elysées – je ne dirai guère plus. Il y avait du bon, de l’excellent et du moins bon.
Sans doute était-il osé, risqué même, de faire se succéder deux cycles de mélodies pour ténor, avec deux chanteurs différents, en première partie – comme l’a noté Bachtrack, mais comme je suis un inconditionnel des cycles de Britten, en particulier ses Illuminations sur des poèmes de Rimbaud, j’ai été comblé d’y entendre Mark Padmore. Certes je préfère de loin la version pour soprano – qui est l’originale, puisque écrite pour la chanteuse suisse, Sophie Wyss – que j’ai eu l’immense chance de pouvoir programmer, il y a presque trente ans, avec Felicity Lott, Armin Jordan et l’Orchestre de la Suisse romande.
Avec un chanteur de la qualité de Mark Padmore, et la présence au sein de l’OCP depuis quelques mois, d’un fabuleux jeune corniste, Nicolas Ramez, je me demande si la sublime Sérénade pour ténor, cor et orchestre du même Britten n’eût pas été en meilleure situation… Un prochain concert ?
Dans mon courrier ce matin, un tout nouveau disque et un gentil mot de Jean-Marc Luisada, l’un des musiciens les plus singuliers de la planète piano.
J’aime beaucoup Jean-Marc Luisada, sa passion encyclopédique pour le cinéma, je n’aime pas tout ce qu’il fait au piano, précisément parce qu’il prend certains partis, qui peuvent me dérouter dans certains répertoires, mais jamais il ne m’ennuie ou m’indiffère.
Avec ce nouveau CD Schumann, il récidive, remet sur l’ouvrage ces deux chefs-d’oeuvre qui ont échappé à plus d’un – Humoresque en particulier – Je vais évidemment au plus tôt le confronter avec ce premier jet, presque trentenaire, livré aux micros d’un personnage ô combien original, François Dominique Jouis, et son label Harmonic Records, qui furent quelque temps installés à Thonon-les-Bains où j’eus plus d’une occasion de croiser leur destinée compliquée.
Mardi soir au Théâtre de Paris, l’affiche était alléchante.
Une pièce à succès d’Edouard Bourdet, Fric Frac, le film éponyme (1939) de Maurice Lehmann gravé dans toutes les mémoires de cinéphiles.
Il faut un certain culot et un courage certain à Michel Fau le metteur en scène, et au quatuor de rôles principaux constitué par … Michel Fau, JulieDepardieu, Régis Laspalès et Emeline Bayart, pour relever le défi de ne pas décevoir un public de 2018, auquel le thème même – le Paris popu des années 30 – et les caractères de cette pièce ne sont plus du tout familiers. Les dimanches à la campagne, les loulous de Ménilmuche, les petites femmes de Pigalle, l’argot parigot, difficile de réitérer l’exploit d’Arletty, Fernandel, Michel Simon et Hélène Robert, pour ne citer que les principaux rôles…
Résultat mitigé : Michel Fau fait du Michel Fau – on ne déteste pas ! – et Laspalès finalement ne convainc qu’en retrouvant ses réflexes du duo qu’il formait avec Philippe Chevallier. En revanche, Julie Depardieu se sort plutôt bien d’un rôle casse-gueule, on finit par croire à son personnage sans qu’elle cherche à singer son illustre modèle, et la révélation de la soirée est l’impayable Emeline Bayart qui semble emprunter les délires et la vis comica d’une Valérie Lemercier à ses débuts, et que je n’avais encore jamais vue ni sur scène ni au cinéma (où elle incarnait la récente Bécassinede Denis Podalydès.
D’Edouard Bourdet, je ne connaissais jusque là qu’une autre pièce, Le Sexe Faible, jadis vue à la télévision dans la célèbre série Au théâtre ce soir, avec une distribution éblouissante, d’où ma mémoire avait retenu l’extravagante Comtesse jouée par une Denise Gence hallucinante et Antoine, le maître d’hôtel/confident incarné à la perfection par l’immense Jacques Charon, et cette réplique de Gence à Charon prononcée avec un inimitable accent moldo-valaque : Morne soirée Antoine!
Revenant du théâtre mardi soir, j’ai retrouvé sur Youtube une autre version de la pièce, enregistrée à la Comédie Française en 1962, avec tous les grands noms du théâtre français de l’époque, Denise Gence bien sûr, Charon, Hirsch, Descrières, tant et tant d’autres, et le beau et fringant Jean Piat.
Jean Piat, dont on allait apprendre la disparition quelques heures plus tard. Et à propos duquel tous les médias ont fait assaut de platitudes pour saluer une carrière exceptionnellement longue et variée. Il paraît que « les Français » n’ont retenu de lui que sa participation aux Rois maudits, une série (et une oeuvre littéraire) à laquelle je n’ai jamais accroché. Moi je me rappelle un autre Jean Piat – en dehors de celui que j’ai souvent vu sur scène – son incarnation inoubliable de Lagardèredans le feuilleton en six épisodes de Marcel Jullian, diffusé fin 1967.
Le 13 septembre dernier avait lieu, à Londres, la cérémonie des Gramophone Classical Music Awards 2018, sans doute les récompenses les plus attendues dans le milieu de la musique classique, une quinzaine, cette année, qui ont honoré plusieurs artistes et labels français (voir le palmarès ici :Gramophone Awards 2018).
Je pense qu’il détient le record absolu, sinon du nombre de disques, en tous cas de la variété des répertoires et des compositeurs enregistrés, pour trois labels qui l’ont suivi dans son insatiable appétit de découverte.
« Je me demande parfois si Neeme Järvi n’est pas plus intéressé par le studio d’enregistrement que par la salle de concert. Par curiosité, j’ai passé une heure à lister les compositeurs dont Järvi a enregistré la musique, un total de 111 ! Le décompte est extraordinaire, plus de 400 CD (Karajan ne doit pas être loin en nombre de disques, Svetlanov non plus en nombre de compositeurs russes et soviétiques) mais personne n’a jamais embrassé un répertoire aussi vaste.
Neeme Järvi est apparu sur la scène musicale à peu près en même temps que le CD. Avec BIS et Chandos, il trouvait des maisons de disques qui étaient prêtes à sortir des sentiers battus. Plutôt que d’imiter les Karajan et Solti dans le coeur du répertoire symphonique, ils ont choisi d’explorer des répertoires peu, voire pas du tout abordés par les majors. Ce furent donc les symphonies de Sibelius et de Prokofiev plutôt que Beethoven et Brahms, Stenhammar plutôt que Schumann. Et avec Järvi, ils avaient un chef d’orchestre qui s’épanouissait dans le studio d’enregistrement. Son modus operandi consistait à dire à ses musiciens, alors qu’ils affrontaient une musique inconnue, «Regardez-moi. Suivez-moi – et ils l’ont fait, jouant souvent mieux qu’ils ne le pensaient. Comme l’indique le fils de Neeme, Paavo, «ses musiciens lui font confiance parce qu’il est un chef d’orchestre fiable, jamais ennuyeux. S’il a besoin changer quelque chose dans la minute, il peut le faire plus rapidement que quiconque, car il a la technique. Une autre chose est que je ne connais pas un seul musicien qui veut simplement faire le travail aussi efficacement que possible. Ils veulent faire de la musique et se sentir au milieu d’un processus créatif.
Revenons à 1985 et à son enregistrement avec l’Orchestre National Écossais de la Sixième Symphonie de Prokofiev pour Chandos, et vous êtes confronté à la plus grande perfection musicale (emblématique des valeurs de production de Chandos). Les cordes ont de l’intensité et de la puissance, mais elles ont aussi une souplesse qui donne l’impression d’être sculptée dans l’instant par le chef d’orchestre. Comme Robert Layton l’a écrit lors de la distinction de l’Orchestral Award en 1985, «un orchestre de second rang jouant avec un engagement total peut souvent être plus passionnant qu’un pilote de luxe à bord d’une phalange en roue libre». Neeme Järvi deviendrait un acteur clé de ce Brave New World, défendant le rare et l’inconnu et livrant toujours d’excellentes performances (un jeune chef d’orchestre m’a récemment demandé s’il était vrai que Neeme Järvi pouvait ouvrir une partition et, plus ou moins à première vue, en donner une bonne lecture. Je pense que la réponse est «oui»!).
Que ce soit en Écosse, en Suède, aux Pays-Bas, en Suisse, aux États-Unis ou dans son pays natal, l’Estonie – tous des pays dans lesquels il a été directeur musical – Järvi a continué à explorer et à défendre les plus vastes répertoires.. Sa série de BIS consacrée aux 10 symphonies d’Eduard Tubin, a été une formidable découverte pour beaucoup d’entre nous, une des premières sources de l’extraordinaire richesse musicale de l’Estonie
À 81 ans, Neeme Järvi reste une source d’inspiration. Les orchestres adorent travailler avec lui car il fait ressortir le meilleur de chaque joueur. Les jeunes musiciens l’aiment parce qu’il connaît parfaitement son métier; ce n’est pas pour rien qu’il a appris son métier à Leningrad, observant et absorbant le talent de chefs d’orchestre comme Sanderling et Mravinski. Pour ses deux fils chefs d’orchestre, Paavo et Kristjan, il est le père dont tout musicien en herbe doit rêver » (James Jolly, in Gramophone)
Chandos chez qui Järvi a constitué l’essentiel de sa considérable discographie publie un coffret de 25 CD, qui certes témoigne de l’incroyable variété des répertoires abordés par le chef estonien, mais ne donne qu’une image très partielle d’un corpus discographique unique au monde…
J’aime ces soirs de rentrée, le premier concert d’une saison. Comme hier soir à la Maison de la Radio à Paris, autour de l’Orchestre National de France (à réécouter sur France Musique)
Un an après ses débuts comme directeur musical de la phalange, deux mois après une mémorable soirée Gershwin au Festival Radio France, c’est évidemment Emmanuel Krivine(voir La fête de l’orchestre) qui officiait. Avec un soliste attendu – Bertrand Chamayou avait déjà joué le 5ème concerto de Saint-Saëns en juillet 2016 au Festival Radio France –
Mais un programme intéressant, des musiciens de haut vol, ne font pas, à eux seuls, une rentrée réussie. Il y faut cette effervescence particulière qui caractérisait nos rentrées à l’école, au lycée ou à l’université, le plaisir de retrouver des visages amis dans le public ou parmi les personnalités invitées, mais aussi d’en découvrir de nouveaux, d’observer habitués ou novices, d’assister à des rencontres insolites. Bref, tout sauf un truc mondain, où il faut se montrer…
Et la soirée d’hier ne manquait d’aucun de ces ingrédients.
Certes, la ministre de la Culture – présente l’an dernier (comme le montre cette photo prise en septembre 2017)- manquait, de même que Mathieu Gallet, l’ex-PDG de Radio France, remplacé, comme on le sait, par Sibyle Veil, qui s’est acquittée parfaitement de l’exercice ingrat du mot d’accueil au public et aux auditeurs.
(Le 11 juillet dernier, Sibyle Veil, en sa qualité de co-présidente du Festival Radio France, assistait au concert d’ouverture du Festival 2018).
Au moment d’entrer dans la salle, j’apercevais une silhouette qui me semblait familière, même si une barbe fournie me faisait hésiter.
A l’entracte je n’eus plus de doute, c’était bien Daniele Gatti, le prédécesseur d’Emmanuel Krivine à la direction de l’Orchestre National, que je n’avais plus revu depuis son concert d’adieu en 2016 (lire Bravo Maestro), qui se trouve pris dans le tourbillon d’une « affaire » qui l’a privé, sans procès, sans explication, de son poste à la tête du Concertgebouw d’Amsterdam.
Face à moi, un homme visiblement éprouvé, mais aussi touché par les témoignages qui n’ont pas manqué de la part de ses anciens musiciens et de ses amis parisiens, à qui j’ai répété ce que j’avais écrit et dit, et qui lui avait été transmis (lire Stupéfaction). On aimerait que les accusateurs, les procureurs auto-proclamés sur les réseaux sociaux et dans les médias se trouvent confrontés à ceux qu’ils clouent au pilori… et mesurent les conséquences (in)humaines de leurs dénonciations (cf. le suicide de l’époux d’Anne-Sofie von Otter). Chaleureuse embrassade avec Daniele Gatti, qu’on souhaite ardemment revoir très vite à Paris…
Une autre figure que je ne m’attendais pas à croiser à ce concert, l’ancienne ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, aujourd’hui retirée de la politique active, auteur d’un roman à clés très remarqué en cette rentrée littéraire, Les Idéaux :
Une femme, un homme, une histoire d’amour et d’engagement.
Tout les oppose, leurs idées, leurs milieux, et pourtant ils sont unis par une conception semblable de la démocratie.
Au cœur de l’Assemblée, ces deux orgueilleux se retrouvent face aux mensonges, à la mainmise des intérêts privés, et au mépris des Princes à l’égard de ceux qu’ils sont censés représenter.
Leurs vies et leurs destins se croisent et se décroisent au fil des soubresauts du pays.
Lorsque le pouvoir devient l’ennemi de la politique, que peut l’amour ? (Présentation de l’éditeur).
Nous nous reverrons à Montpellier en octobre pour la 40ème édition de Cinémed, ce beau festival de cinéma tourné vers la Méditerranée, qu’Aurélie Filippetti préside depuis deux ans.
Moins inattendue, la présence du toujours fringant Ivan Levai, dont l’épouse, Catherine, travaille à Radio France. Avec Ivan, c’est inévitablement – et pour mon plus grand bonheur – un livre ouvert de souvenirs, d’anecdotes, de témoignages de première main. Et je le crois, une amitié réciproque. À trois mètres de la présidente de Radio France – mariée à l’un de ses petits-fils – la conversation roula presque naturellement sur Simone Veil(lire La vie de Simone) et son mari Antoine, entrés au Panthéon le 1er juillet dernier, un couple étonnant dont le journaliste a été l’un des plus proches.
Confidences très émouvantes sur les dernières années de Simone Veil…
La veille, mercredi après-midi, une autre circonstance m’avait conduit au 22ème étage de la tour de la Maison de la Radio, d’où l’on a l’une des plus belles vues sur Paris. Une sorte de pré-rentrée. La remise des insignes de chevalier des Arts et Lettres à François-Xavier Szymczak, aujourd’hui l’une des voix emblématiques de France Musique. François-Xavier tenait à ma présence à cette réunion plutôt intime, il se rappelait qu’un jour de 1996 – il avait 22 ans – je lui avais fait confiance pour travailler sur la chaîne (lire L’aventure France Musique) et – ce que j’avais oublié – j’avais organisé ses interventions à l’antenne pour qu’elles soient compatibles avec ses obligations militaires ! .
Je raconterai sûrement, en dévidant le fil de mes souvenirs (L’aventure France Musique : l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes), quand et comment François-Xavier Szymczak et ceux qui l’entouraient mercredi, Lionel Esparza, Laurent Valéro, Arnaud Merlin, et d’autres comme Anne-Charlotte Rémond, Anne Montaron, Bruno Letort, j’en oublie, ont rejoint l’équipe de France Musique.
Les surprises n’allaient pas manquer pour le nouveau débarqué dans la Maison ronde. Comme ce constat, tôt fait, que la grille de France Musiquesemblait avoir été concédée par appartements à des producteurs qui se considéraient propriétaires de leur « case » et seuls responsables du format et du contenu de leurs émissions. Une grille de programmes éparpillée façon puzzle, pour reprendre la réplique fameuse de Bernard Blier dans Les Tontons flingueurs. Et à l’intérieur de la grille, des plages de diffusions de concerts programmées de manière tout à fait autonome, comme un Etat dans l’Etat !
Bref je me posais la question de l’utilité de ma fonction si je n’avais droit au chapitre sur à peu près rien de la chaîne dont j’étais censé diriger les programmes !
Je demandai donc à mon secrétariat de m’organiser, sans tarder, des rendez-vous avec tous les producteurs (ils étaient alors plus de cinquante !), d’abord pour faire la connaissance de ceux que je n’avais jamais rencontrés, ensuite pour échanger sur leurs émissions… En commençant par les figures historiques de la chaîne, celles et ceux qui m’avaient enchanté, parfois énervé, lorsque je les écoutais adolescent.
François Serrette(1927-1999) était alors le producteur d’une émission qu’on lui avait imposée – « Domaine privé », une quotidienne de fin d’après-midi, considérée, par les producteurs, comme une opération de relations publiques pour le directeur de la Musique, Claude Samuel, qui, en effet, y conviait amis, relations, personnalités « bien placées », une « case » horaire qui échappait donc àux producteurs attitrés, ô sacrilège ! –
(Au centre de la photo, François Serrette, on reconnaît de gauche à droite Gérard Courchelle, alors la grande voix du journal de 8 h sur France Inter et mélomane averti, Claude Samuel, Janine Reiss, Pierre Vaneck, Michel Larigauderie, un personnage que je n’identifie plus* et un vieil homme délicieux*, dont le nom ne me revient plus, qui était alors le conseiller artistique de l’Orchestre de Paris)
Je fus très ému de voir arriver un petit homme, à la face joviale, qui se demandait pourquoi je voulais le voir (j’ai découvert plus tard qu’en général quand un producteur était invité dans le bureau du « patron » c’était pour se faire virer !). Je lui rappelai que, vingt ans plus tôt, au printemps 1973, il avait fait le déplacement au Conservatoire de Poitiers pour enregistrer deux émissions (lire Les jeunes Français sont musiciens)et que, deux ou trois ans après, j’étais venu dans les studios de France Musique pour une émission dont les auditeurs faisaient le programme – mes débuts en radio ! – et dont il était le producteur ! Il n’en avait évidemment aucun souvenir, même s’il prétendit le contraire. François vécut, ces années-là, plusieurs drames personnels, que je l’aidai, tant bien que mal, à surmonter. Il disparut, prématurément usé par les épreuves traversées, en 1999, quelques mois après que j’eus quitté la direction de la chaîne. Je raconterai une autre fois quelques rendez-vous savoureux, étonnants ou émouvants, que nous eûmes, François et moi, avec des personnalités que nous souhaitions inviter dans « Domaine privé », notamment une belle brochette d’hommes politiques…
(Jean de Gaulle, petit-fils du général de Gaulle, à l’époque député de Paris, ici aux côtés du réalisateur de l’émission, le cher Michel Larigaudrie)
Puis vint le tour de Myriam Soumagnac (1931-2012), grand personnage de la chaîne, réduite au silence par la volonté de Claude Samuel – il voulait renouveler les voix et les intervenants sur la chaîne – on en reparlera ! – qui espérait trouver une oreille compréhensive, le petit nouveau, qui lui redonnerait le micro. L’arrivée d’une star – un peu fanée – de cinéma n’aurait pas produit plus grand effet, lorsqu’elle fit son entrée dans mon modeste bureau. Chevelure d’un noir de jais flamboyante, masque qui me faisait irrésistiblement penser à Néfertiti (c’est ainsi que je l’appellerais désormais avec ma proche équipe), enveloppée de pelisses et foulards de grand prix, parée de bijoux ruisselants et précédée d’effluves capiteux, Myriam Soumagnac entreprit de me rappeler ses nombreux titres de gloire académiques, ses émissions inoubliables sur France Musique (et même peut-être avant la naissance de la chaîne) et de me convaincre de réparer l’outrage commis à son égard par un Claude Samuel, qu’elle tenait en piètre estime. Le fait est que la situation était incommode pour quelqu’un – elle n’était pas la seule dans son cas – qu’on avait privé d’antenne, mais conservé comme producteur/trice d’émissions. En l’occurrence, je crois me rappeler que Myriam Soumagnac « produisait » une ou deux émissions de musique de chambre, histoire de lui assurer quelques revenus bien modestes. Situation humiliante… que j’essaierais plus tard de résoudre avec la complicité de la directrice du personnel – on ne disait pas encore DRH – de Radio France.
Dans la série des personnages qui avaient bercé mon adolescence, notamment dans La tribune des critiques de disques, canal historique, version Panigel/Goléa/Bourgeois, Jacques Bourgeois(1912-1996) officiait encore sur France Musique avec un statut très spécial que nul n’avait songé ou osé remettre en cause. Compte-tenu de sa réputation d’expert et de connaisseur en matière lyrique, il avait, par-delà les changements de direction, toujours su se maintenir comme producteur de concerts et/ou d’émissions ayant trait à l’opéra. Lorsque je suis arrivé à France Musique, Jacques Bourgeois était déjà octogénaire, même s’il tentait de masquer son âge véritable par un usage intensif du maquillage et des postiches censées le faire paraître vingt ou trente ans de moins. Le contraste à l’antenne entre cette voix, entre mille reconnaissable, mais irrémédiablement vieillie, et le contenu de l’émission qu’il produisait, un portrait hebdomadaire d’un jeune chanteur, confinait au ridicule. Mais personne n’osait le lui dire ! Ce fut à moi qu’échut le triste devoir de lui signifier que les meilleures choses ayant une fin, il nous faudrait nous priver de sa collaboration à l’issue de la saison 93/94. On imagine ce que pouvait représenter pour un jeune directeur de France Musique, qui s’était nourri des débats passionnés de La tribune, l’obligation de signifier à ce personnage qu’on n’avait plus besoin de ses services. Même si tout fut fait – j’y veillai personnellement – pour que cette « sortie » se fasse dignement et en reconnaissance des éminents services rendus, je ne peux m’empêcher de penser – aujourd’hui encore – que la maladie qui affecta Bourgeois et l’emporta en 1996 ne fut pas étrangère à cette fin de collaboration…
Pour lire un portrait sensible de Jacques Bourgeois voir Jacques Bourgeois.
Et bien sûr cette extraordinaire caricature de Peter Ustinov, et son imitation prodigieuse de Jacques Bourgeois en particulier :
Suite au prochain épisode…
* Depuis la publication de cet article, plusieurs lecteurs – que je remercie – ont rafraîchi ma mémoire défaillante : le personnage que je n’identifiais plus, à droite de Michel Larigaudrie est l’écrivain Frédéric Vitoux, membre de l’Académie française depuis 2001, et le « vieil homme délicieux », qui allait mourir peu après, en janvier 1998, est Peter Diamand, tour à tour secrétaire du pianiste Arthur Schnabel, dont il épousera l’une des protégées Maria Curcio, immense pédagogue, directeur du Festival d’Edimbourg, ami et conseiller de nombreux artistes comme Daniel Barenboim.
Après Charles Munch, Fritz Reiner, Pierre Monteux, qui avaient fait l’objet de copieuses rééditions, sans parler de Leonard Bernstein, c’est – enfin ! – au tour d’un autre grand chef qui a fait les heures de gloire de CBS devenu Sony, George Szell(1897-1970) de bénéficier d’une réédition à sa mesure.
Il y a quelques années, La Boite à musique à Bruxelles avait proposé un coffret remarquable, édité en Corée, comportant tous les enregistrements symphoniques de Szell, y compris des concerts « live » au Japon.
Le coffret proposé par Sony, reprend tous les enregistrements réalisés pour Columbia, les premiers en mono, et les concertos où Szell accompagne Isaac Stern, Zino Francescatti, Robert Casadesus, Rudolf Serkin, Leon Fleisher ou Gary Graffman. Dans les pochettes originales, ce qui nous vaut souvent des minutages très chiches. Beau livre, belle iconographie.
Et – comment dire ? – à l’arrivée comme une sorte de déception. Le remastering est très inégalement apprécié, parfois il assèche une acoustique déjà très rêche, parfois il redonne, au contraire, un peu d’air à des prises qu’on trouvait étriquées, mais sans éliminer un bruit de fond gênant, comme dans les concertos de Mozart avec Casadesus. Mais surtout, la légendaire rigueur de George Szell confine souvent à la raideur, dans Haydn ou Mozart – L’oreille, la mienne, s’est habituée, au fil des ans, à tellement plus de souplesse, d’inventivité, de rebond – merci Nikolaus Harnoncourt ! – que, pour ne prendre qu’un exemple, la Posthorn Serenadede Mozart m’est devenue inécoutable sous la baguette si sévère du patron de Cleveland.
Je ne vais cependant pas me priver de réécouter les Beethoven, Brahms, Schumann, tout un répertoire romantique où précisément la baguette de Szell contrastait avec ses voisins Munch, Bernstein et même Reiner.
C’est un peu l’exact contraire du chef d’origine hongroise qui a disparu le 6 septembre dernier, l’Italien Claudio Scimone, la fantaisie faite musique !
Sous la pression de toute une jeune génération de violonistes et chefs italiens, les Biondi, Alessandrini et autres, on a un peu oublié le rôle pionnier de Scimone dans l’interprétation de Vivaldi, et, dans le domaine lyrique, de Rossini. Avec ses Solisti Veneti, il avait poursuivi le travail de redécouverte vivaldienne d’Ephrikian ou des Musici, mais surtout ouvert de nouvelles perpectives à l’interprétation du Prete Rosso. Je me rappelle, il y a dix ou quinze ans, sur Musiq3, avoir entendu Scimone pester contre des interprètes de Vivaldi qui voulaient, à toute force, se rendre originaux, en adoptant des tempi infernaux, en hachant le discours au point de le défigurer, Scimone rappelant une évidence : tout ce que Vivaldi écrivait pour un ensemble instrumental devait pouvoir être chanté par la voix humaine.
C’est vrai qu’en réécoutant la somme assez prodigieuse qu’Erato avait captée, on est parfois surpris par le legato, une articulation qui fait passer la ligne de chant avant les contrastes rythmiques, et on continue d’admirer, même si d’autres visions, d’autres éclairages plus récents ont enrichi notre connaissance de ces répertoires.
On reviendra plus longuement sur la carrière et la discographie de Claudio Scimone. Hommage !