Après la sidération, les manifestations de solidarité – foules impressionnantes au coeur même des villes russes – l’organisation de la résistance du peuple ukrainien, on peut aussi essayer de mieux comprendre l’histoire millénaire de l’Ukraine, sa culture. Pour contredire la désinformation de Poutine.
Au IXème siècle Kiev est prise aux Khazars par le varègue Oleg le Sage, fondateur d’un « État des rameurs » ou Rodslagen, en proto-slave Rous’. Le territoire de la Rous’ couvrait le nord de l’actuelle Ukraine ainsi que la Biélorussie et l’Ouest de la Russie. De Rous’ viennent la dénomination des « Russes », mais aussi celle des « Ruthènes » ou « Russins » désignant les Ukrainiens occidentaux. Le nom d’ »Ukraine », qui signifie « pays frontalier » en russe, est venu avec l’expansion de la Moscovie, bien plus tard.
Au xie siècle, la Rus’ de Kiev est géographiquement le plus vaste État d’Europe. En 988, sous le règne de Volodymyr le Grand, un missionnaire grec, Cyrille, convertit l’aristocratie kiévienne (surtout varègue) et la majorité de la population au christianisme. Sous le règne de Iaroslav le Sage, le prestige de l’État kiévien atteint son apogée : il s’étend de la Baltique à la mer Noire et du confluent de l’Oka avec la Volga jusqu’aux Carpates septentrionales. Iaroslav est un grand bâtisseur, c’est lui qui fait construire la célèbre cathédrale Sainte-Sophie à Kiev, et un grand législateur. Le droit, l’éducation, l’architecture et l’art kiévien connaissent un apogée sous son règne.

La succession au trône de Kiev n’est pas héréditaire en ligne directe : le pouvoir va au membre le plus âgé de la famille princière. Le territoire est divisé en apanages dévolus par le prince aux familles de boyards, hiérarchisés selon leur étendue, et qui vont au membre le plus âgé de chaque dynastie. Le décès de cet aîné entraîne de nombreux conflits et, à terme, favorise la fragmentation de l’État. Kiev est saccagée par le prince de Vladimir (1169). Les convoitises extérieures en profitent : Kiev est pillée par les Coumans, puis par les Tatars et Mongols en 1240.
L’ami Kirill
Le chef d’orchestre Kirill Karabits, actuel directeur musical de l’orchestre de Bournemouth, est né à Kiev en 1976. C’est un ami, auquel je pense plus intensément ces derniers jours.

Lire ce qu’il déclarait hier à un quotidien anglais : BSO Kirill Karabits on Russian invasion of Ukraine.
Les publics de l’Orchestre philharmonique royal de Liège et du Festival Radio France ont eu plusieurs fois la chance d’applaudir Kirill Karabits : Belles rencontres à Liège. Le 24 juillet 2018, Kirill Karabits dirigeait un orchestre de jeunes musiciens venus de l’Est de l’Europe avec le violoniste Nemanja Radulovic.
On est particulièrement ému de découvrir cette vidéo d’un concert donné le 31 décembre 2020 à Kiev pour célébrer le 275ème anniversaire de la naissance du compositeur Maxime Berezovski (1745-1777)
La paix triomphera de la guerre
La Troisième symphonie de Boris Liatochinski (1895-1968), le grand compositeur ukrainien contemporain de Chostakovitch, dirigée ici par Kirill Karabits à la tête de l’orchestre symphonique de Bournemouth vient tragiquement rappeler, par son titre et par les circonstances de sa création, que l’histoire peut se répéter…
Cette symphonie est créée le 23 octobre 1951 par l’orchestre philharmonique de Kiev sous la direction de Nathan Rakhline, lors du plenum de l’Union des compositeurs d’Ukraine (pour rappel l’Ukraine fait partie de l’Union soviétique jusqu’en 1991 !). Le public de cette première ovationne la symphonie, mais les représentants de l’Union des compositeurs de l’URSS condamnent l’oeuvre, en particulier son finale intitulé La paix triomphe de la guerre comme « anti-peuple » et en qualifient les éléments de « déchets formalistes qui doivent être brûlés ». Le thème de ce finale, en effet, au lieu d’être victorieux, est tragique, lugubre même. Le compositeur est accusé d’agir « non pas comme un partisan soviétique de la paix, mais comme un pacifiste bourgeois ». Liatochinski est donc contraint de réécrire ce finale, la nouvelle version sera créée par Mravinski à Leningrad en 1955, et sera la seule à être jouée jusqu’à la dissolution de l’URSS.

Un mot sur la prononciation de la capitale martyre Kiev. Pour une fois la transcription anglaise est plus proche de la réalité que la française : Ky-iv. Il faut, en effet, accentuer et allonger la première syllabe Ki. Ce faisant la seconde – ev ne sonne pas comme êffe, mais plutôt comme if.