Pablo de Pamplona

Il y a 25 ans, j’avais fait une brève escale dans la capitale de la Navarre, Pampelune, dont j’avais gardé un souvenir très particulier consigné dans mon blog : le Russe de l’orchestre

J’ai découvert en ce jour de l’Ascension – qui n’est pas férié dans la pourtant très catholique Espagne ! – une jolie ville moins spectaculaire que d’autres cités ibériques mais fière de son passé.. comme en témoignent les remparts et les fortifications largement dus à un disciple de Vauban, Verboom.

Plaza del Castillo

La cathédrale Santa Maria la Real

La Mairie de Pampelune et sa superbe façade du XVIIe siècle

Le roi des virtuoses

En dehors d’une belle avenue arborée du centre ville, je n’ai pas trouvé d’hommage tangible de sa ville natale à l’un de ses plus illustres enfants, le violoniste et compositeur Pablo de Sarasate, né le 10 mars 1844 à Pampelune et mort pas très loin, à Biarritz, le 20 septembre 1908.

C’est grâce à Pablo de Sarasate que la littérature concertante pour le violon s’est enrichie de plusieurs chefs-d’oeuvre à la fin du XIXe siècle. Rien moins que la Symphonie espagnole de Lalo, le 3e concerto pour violon, ainsi que l’Introduction et rondo capriccioso de Saint-Saëns, ou encore le 2e concerto de Wieniawski ou la Fantaisie écossaise de Bruch ! Lui-même est l’auteur de plusieurs pièces brillantes que les virtuoses du violon ont toujours à leur répertoire, que ce soit les redoutables variations sur des thèmes de Carmen de Bizet ou les Airs bohémiens.

J’ai souvent exprimé sur ce blog mon admiration pour Nathan Milstein (Le violon de mon coeur) qui a laissé une version jamais surpassée du 3e concerto de Saint-Saëns

Des Airs bohémiens de Sarasate, il y a bien sûr nombre de belles versions. Peu atteignent le charme et la virtuosité décomplexée d’un météore du violon, le fabuleux Michael Rabin (1936-1972)

Wolfgang S. : les retards d’un centenaire

J’ai vérifié, le copyright des deux coffrets est bien daté 2024 ! Ce n’est donc pas une publication retardée. Pourquoi, comment a-t-on pu rater d’un an chez les deux grands éditeurs concernés, le centenaire… en 2023 du grand chef allemand Wolfgang Sawallisch (1923-2013) ?

Comme pour se rattraper de ce retard, Warner et Decca nous proposent deux forts pavés – avec un troisième annoncé – qui nous restituent un legs discographique longtemps resté en retrait ou sous-estimé.

En réalité, c’est le chef lui-même qui est resté en retrait, un peu comme un autre grand chef allemand, Karl Böhm (à propos de qui j’avais écrit un billet qui m’avait valu quelques indignations : Faut-il être sexy pour être un grand chef ?). Du temps des Karajan, Bernstein, Abbado, Kleiber, Muti qui brillaient sur les podiums, l’allure austère, le maintien sérieux de Wolfgang Sawallisch ne manquaient pas d’influer, consciemment ou non, sur la considération que lui portaient la critique et le grand public : un honnête Kapellmeister, disait-on avec cette condescendance qui n’appartient qu’aux ignorants.

Si l’on fait abstraction de cette « impression », et que l’on se fie à ses seules oreilles – ce que j’ai toujours fait pour lui comme pour d’autres – on (re)découvre un chef qui sans être ni un révolutionnaire ni un visionnaire est, stylistiquement, un modèle dans le répertoire classique et qui, dans les grandes fresques chorales et/ou lyriques, fait mieux que nous révéler l’essence du romantisme allemand. La seule réserve en effet qu’on peut faire sur ce legs discographique, c’est qu’il ne sort quasiment jamais de la sphère germanique. Mais, que ce soit avec les formations dont il a été le directeur musical (Wiener Symphoniker, Philadelphie, Opéra de Bavière) ou qu’il a régulièrement dirigées (Dresde, Londres, Amsterdam) Wolfgang Sawallisch est, au sens premier du terme, magistral. Et il se niche dans ces deux coffrets, de bien belles surprises.

Sawallisch chez Philips

Cyrus Meher-Homji, le responsable de la collection Eloquence, a repris tous les enregistrements réalisés pour Philips et DG, y compris les disques où Sawallisch se fait compagnon au piano de Fischer-Dieskau, Prey, Schreier. Avec quelques inédits et surtout une remasterisation qui redonne un air bienvenu à des intégrales symphoniques de Schubert (à Dresde) et Brahms (à Vienne) qui souffraient jadis de prises de son qui sentaient le renfermé.

Avec le Concertgebouw, auquel il reviendra dans les années 80 pour une intégrale Beethoven, il grave une Pastorale et une 7e de toute beauté :

Et plus surprenant, puisqu’il n’y reviendra plus – en dehors des ballets – Tchaikovski et une Cinquième symphonie exemplaire qui bénéficie de ce son si spécifique au Concertgebouw (la salle comme l’orchestre)

A une époque où elles étaient plutôt rares, les cinq symphonies de Mendelssohn ont trouvé en Sawallisch un interprète magnifique, auquel on doit joindre la version de référence de l’oratorio Elias :

Et puis, outre les récitals de Lieder, l’ajout considérable de ce coffret (par rapport à un précédent qu’on avait trouvé et acheté au Japon), ce sont les opéras de Wagner captés à Bayreuth dans un son somptueux et avec des équipes glorieuses : Le Vaisseau fantôme, Lohengrin, Tannhäuser.

Peu d’inédits en dehors de quelques extraits en mono de Lortzing et Mascagni, et surtout un second disque de polkas et valses de Strauss que j’ignorais. En écrivant ces mots; je trouve sur YouTube ce document étonnant, où Sawallisch explique l’esprit de la valse viennoise au piano puis à la tête de l’orchestre de la RAI :

Sawallisch Warner vol. 1

EMI et Wolfgang Sawallisch, c’est une histoire qui a commencé à la fin des années 50, le chef était tout jeune, à l’instigation du grand patron du label anglais Walter Legge. Il y en a quelques traces dans ce coffret Warner présenté comme un 1er volume (orchestre, oeuvres chorales) qui devrait être suivi d’un coffret comportant tout le legs lyrique, en particulier les opéras de Richard Strauss.

Comme un formidable disque d’ouvertures de Weber :

Autant que dans le coffret Decca, il y a dans cette boîte Warner de magnifiques documents, notamment tout ce que le chef allemand a gravé avec le somptueux orchestre de Philadelphie, dont il a assumé la direction musicale de 1993 à 2003, à la suite de Riccardo Muti. Les Hindemith et Richard Strauss sont splendides, tout comme l’étonnant disque de transcriptions de Stokowski.

Dans les sommets de cette discographie, il y a la version jamais dépassée des Symphonies de Schumann, avec une Staatskapelle de Dresde en état de grâce.

Les symphonies de Beethoven – rebelote avec le Concertgebouw – sont à remettre très haut dans la liste des références, alors qu’elles avaient été peu remarquées à leur sortie.

De même les symphonies de Brahms, enregistrées cette fois à Londres, avec deux extraordinaires concertos pour piano avec Stephen Kovacevich en soliste

On devrait consacrer tout un article à Sawallisch pianiste, accompagnateur recherché par les plus grands chanteurs de son temps. Je le ferai certainement.

La Mer et les chefs

J’aurais préféré écrire une meilleure critique sur le concert auquel j’ai assisté jeudi dernier (le jour où on annonçait le nom du successeur de Louis Langrée à CincinnatiUne semaine pas très ordinaire). A lire sur Bachtrack : La Mer trop calme du National avec Cristian Măcelaru à Radio France.

La formule est schématique, mais elle traduit bien l’impression de statisme qu’on a éprouvée à l’écoute d’une interprétation qui ne manquait pas de qualités. Le National et son chef avaient déjà donné le triptyque debussyste en 2022 comme en témoigne cette captation :

J’ai pensé que c’était l’occasion de faire le point non pas sur la discographie de l’oeuvre – des centaines de versions ! – mais d’une part en comparant l’Orchestre national de France à lui-même sous les différentes baguettes qui l’ont dirigé, d’autre part en tirant de ma discothèque des versions qui m’accompagnent depuis longtemps

La Mer et le National

La fausse symphonie de Debussy est bien évidemment l’un des piliers du répertoire de l’orchestre radiophonique qui célèbre ses 90 ans d’existence cette année. Ce qui est doublement fascinant, c’est d’une part la constance dans les couleurs si françaises de « notre » Orchestre national, et d’autre part la marque qu’y impriment les différents directeurs musicaux, leurs tempéraments, et quelques invités prestigieux :

2018 : Emmanuel Krivine (2017-2020)

2012 Daniele Gatti (2008-2014)

Evgueni Svetlanov (1998) au festival Radio France Montpellier

1984 : Seiji Ozawa

1974 : Jean Martinon (1968-1973)

1956 : Charles Munch (1962-1967)

Je n’ai pas trouvé d’enregistrement disponible de La Mer sous la direction de Lorin Maazel et Charles Dutoit qui se sont succédé à la tête de l’Orchestre National entre 1977 et 2001.

Les chefs de La Mer

Souvent les versions citées comme des « références » perdent de leur superbe au fil des années et de l’accroissement de la discographie d’une oeuvre. En l’occurrence, pour La Mer de Debussy, ces fameuses références demeurent inchangées, voire insurpassées.

Ernest Ansermet (1883-1969)

On ne sait pas toujours que le chef suisse, fondateur de l’Orchestre de la Suisse romande, a non seulement connu Debussy, mais le jeune homme qu’il était alors s’était même permis de suggérer au compositeur quelques corrections dans sa partition ! Le lien entre Ansermet et Debussy était tel que le programme inaugural de l’orchestre genevois était tout entier dédié à Debussy

J’ai beau la connaître par coeur, la version d’Ansermet de La Mer me paraît indépassable. Quand je dis à propos du dernier concert du National que les tempi sont trop lents, ce n’est pas seulement affaire de métronome, mais aussi et surtout de mouvement. Et Ansermet savait de qui et de quoi il parlait !

Pierre Boulez (1925-2016)

Avec d’autres moyens, et un luxe orchestral supérieur, qu’Ansermet, Pierre Boulez réalise avec Cleveland, deux fois pour Sony et DG, une version passionnante.

Herbert von Karajan (1908-1989)

Les deux seules fois où j’ai eu le privilège d’entendre Karajan en concert, en 1974 à Lucerne et en 1985 à Genève, La Mer était au programme. C’est dire si le chef autrichien aimait l’oeuvre. Il en a laissé pas moins de trois versions officielles au disque.

Ma liste n’est évidemment pas exhaustive, mais il y a ici pour l’amateur quelques heures passionnantes d’écoute en perspective !

L’autre Davis

Il était loin d’avoir la notoriété internationale de son homonyme Colin Davis (1927-2013), mais comme lui il avait participé à plusieurs Nuits des Prom’s. On apprend sa mort ce matin, à 80 ans, des suites d’une leucémie foudroyante : Andrew Davis était l’archétype du chef britannique, qui a fait l’essentiel de sa carrière en terres anglo-saxonnes, et qu’on a peu vu diriger sur le continent.

Le critique Norman Lebrecht qui annonce cette disparition sur son site Slippedisc dit joliment de ce chef que je n’ai jamais rencontré personnellement : « Je l’ai vu pour la dernière fois diriger à Liverpool, où il était chef émérite. Après le concert, il était allé prendre un verre au Hope Street Hotel, plein d’une bonhomie bavarde, un type charmant et modeste si engagé dans la musique qu’il servait »

Andrew Davis a été successivement chef du BBC Scottish, du Toronto Symphony, du festival de Glyndebourne (1988-2000) et pendant la même période du BBC Symphony, avec lequel il rétablit la coutume qui voulait que le chef de l’orchestre de la radio londonienne dirige la fameuse Last Night of the Prom’s.

Andrew Davis est mort à Chicago, trois ans après sa femme, où il s’était établi lorsqu’il avait pris la direction du Lyric Opera (de 2000 à 2021).

L’art du chef disparu est très bien documenté notamment sur YouTube.

Sa discographie est de grande qualité, et ne se réduit pas au cliché qui veut que les chefs britanniques ne seraient capables que de diriger les compositeurs britanniques. Cela étant, on recommande vivement ce passionnant coffret qui contient l’une des plus belles intégrales des symphonies de Vaughan Williams, ainsi qu’une bonne partie de l’oeuvre symphonique d’Elgar.

Comme une intégrale des symphonies de Dvořák passée inaperçue et pourtant remarquable :

Inclassables : Biolay, Rattle et Joséphine M.

Un article pour évoquer trois inclassables : un film, un chef, une femme.

Un jeudi au cinéma

J’avais quelques heures devant moi, jeudi dernier, avant le deuxième des concerts de l’intégrale Sibelius à Radio France (voir mon dernier article Mes symphonies de Sibelius). J’ai choisi un film dont je ne savais rien, parce que la salle et l’horaire me convenaient, et je suis très bien tombé.

Le pitch : Arthur Berthier (Benjamin Biolay), critique rock relégué aux informations générales après avoir saccagé une chambre d’hôtel, découvre que le journalisme est un sport de combat. Envoyé à l’hôpital par un CRS en couvrant l’évacuation d’un camp de migrants, il tombe sous le charme de Mathilde (Camille Cottin) la responsable de l’association Solidarité Exilés et accepte d’héberger Daoud, un jeune Afghan, pour quelques jours croit-il.« 

Pour son premier film, Julie Navarro réussit à traiter un sujet casse-gueule sous la forme d’une comédie romantique : ce n’est pas un faux documentaire militant sur ces pauvres migrants, impossibles à loger à Paris – même si tout sonne et résonne juste dans la description de ces bénévoles confrontés aux urgences du quotidien. Aucun personnage n’est caricatural, et si la fin, un peu trop attendue, vire à l’eau de rose, on n’a pas le sentiment de s’être fait avoir ni sur le contenu ni sur le contenant.

Sir Simon à Berlin

Après avoir « emboîté » sa nombreuse discographie à Birmingham, Warner vient de faire de même pour la période berlinoise de Simon Rattle

Je n’avais pas beaucoup de ces disques. Ce coffret comme le précédent me laisse perplexe quant à la trace que le chef anglais a laissée à Berlin. Peut-on imaginer discographie plus disparate, avec des redites de Birmigham à Berlin qui n’apportent rien de neuf ? Pourquoi des poèmes symphoniques de Dvorak ? une Symphonie fantastique qui manque complètement de folie ? On aime bien les Haydn qui suivent un triptyque (60,70,90) déjà gravé à Birmingham, une Carmen surprenante avec Mme Rattle dans le rôle-titre… On va essayer d’écouter le reste sans préjugés

D’autant que les quelques fois où j’ai entendu Simon Rattle en concert, je n’ai pas mesuré mes éloges : voir Berlin à Paris, Vérifications. Encore récemment à la Philharmonie, j’avais chroniqué pour Bachtrack sa Sixième de Mahler « suffocante ».

Hommage à Joséphine Markovits

Qui dans le microcosme musical parisien ne connaissait pas Joséphine Markovits, disparue ce 18 avril à l’âge de 77 ans ? Le portrait que Radio France fait d’elle est assez juste (Figure historique du Festival d’automne) mais il ne dit pas l’incroyable ténacité qui animait celle qui fut consubstantielle au Festival d’automne. Il y a trente ans quand je dirigeais France Musique, elle était déjà incontournable, en bisbille permanente avec toutes les autres institutions musicales de la place, a fortiori Radio France, dès lors qu’on lui résistait ou qu’on ne partageait ses enthousiasmes souvent coûteux. Sa technique, très bien rodée, pouvait se résumer à : « Je commande, vous exécutez (et vous payez !) ». J’en ai encore fait les frais comme directeur de la Musique, en octobre 2014… Mais Joséphine soulevait les montagnes, et finissait toujours par obtenir ce qu’elle voulait en faveur des créateurs et de la création. C’était de surcroît une commensale très agréable et dotée d’un sens de l’humour ravageur y compris à ses dépens !

Je ne suis pas sûr qu’il y ait encore dans notre univers culturel des personnages aussi clivants, entiers, voués tout entiers à leur passion.

Hommage !

Sir Neville #100

Sir Neville #100

Il est né le 15 avril 1924, il y a cent ans, il est mort le 1er octobre 2016, à l’âge respectable de 92 ans : Neville Marriner est sans doute le chef anglais qui détient le record des disques enregistrés. J’avais déjà presque tout dit dans cet article : Sir Neville.

A l’occasion de ce centenaire, ses éditeurs – il en fallut plusieurs et pas des moindres pour étancher la soif enregistreuse du chef – ont plutôt bien fait les choses, même si une intégrale semble hors de portée et pas forcément indispensable.

On avait déjà brièvement évoqué le coffret Warner de 80 CD :

La critique a souvent traité Marriner avec une certaine condescendance, notamment dans le répertoire baroque et classique, où il ne devait pas être assez radical, audacieux, au goût de certains. Les messes de Haydn, les symphonies de Mozart de ce coffret sont, au contraire, des leçons de style, de goût, d’élégance, vertus dont le chef a fait preuve jusqu’au bout, comme l’illustre cette vidéo captée pour son 90e anniversaire :

Comme souvent dans ce genre de sommes, ce sont les raretés qui sont intéressantes : les ouvertures de Cherubini, les musiques légères de Wolf-Ferrari

quelques pépites un peu oubliées comme ces Illuminations de Britten avec la merveilleuse Heather Harper (1930-2019)

Decca publie, dans la collection Eloquence – à des prix beaucoup trop élevés pour des rééditions ! – des. coffrets thématiques qui ne contiennent rien d’inédit.

Et Resurrexit…

Pour les chrétiens, la fête de Pâques commémore la résurrection du Christ. Il y a treize ans, j’étais en Russie le jour où la Pâque orthodoxe coïncidait avec les Pâques catholique et protestante (lire La grande pâque russe).

Musicalement, la Résurrection est inscrite dans toutes les messes « ordinaires », et la proclamation « Et resurrexit » est le moment d’une exultation, d’une joie extraordinaire.

Comme dans la Messe en si de Bach :

Et bien sûr dans la Missa solemnis de Beethoven, dans l’interprétation pour moi insurpassée d’un Otto Klemperer survolté :

Puisqu’on a brièvement évoqué le coffret Warner consacré à Neville Marriner, en attendant d’y revenir en détail, cet extrait de l’une des messes de Haydn enregistrées par le chef anglais à Dresde :

Parfois l’évocation de Pâques se cache dans les oeuvres les moins attendues, comme ce carillon de Première suite pour deux pianos de Rachmaninov :

On ne peut faire l’impasse sur le finale de la 2e symphonie de Mahler, dite « Résurrection », surtout après vu le film Maestro (Bernstein ou le génie à vif) où Bradley Cooper reproduit de manière saisissante cette fin de concert dirigée par Leonard Bernstein à Londres en 1974.

L’effet de printemps : Ravel, Fauré, Marriner, Haydn etc.

Quand le blogueur ne se sent pas de traiter un sujet en particulier, il fait un panier fourre-tout de ce qui l’a touché, de ce qu’il va lire, écouter, de préférence sous un titre en forme de mauvais jeu de mots (cf. Faits d’hiver).

Eliminons d’emblée une actualité qui produit toujours les mêmes effets de meute (lire La dictature de l’émotion) : j’ai rencontré quelques fois dans ma vie professionnelle Frédéric Mitterrand, il m’est arrivé de le lire, de le regarder à la télévision, j’ai aimé son film sur Madame Butterfly, mais comme tout été dit, et maintenant le contraire de tout, à son sujet, je ne me suis pas cru obligé de proclamer mon hommage sur les réseaux sociaux, où l’odieux le dispute à l’excès dans l’admiration comme dans la détestation.

Encore un effort pour M. Haydn

Mercredi soir, j’assistais à un concert de l’Orchestre de chambre de Paris, dont j’ai rendu compte sur Bachtrack (voir Le génie de Haydn).

J’y ai entendu une 80e symphonie de Haydn de toute beauté, un orchestre dans une forme olympique et me suis une fois de plus interrogé sur les raisons de l’absence du plus grand symphoniste de l’histoire des programmes de concert. La dernière fois que j’avais entendu du Haydn en concert, c’était au Louvre, avec et grâce à Julien Chauvin et son Concert de la Loge, lui aussi en forme olympique !

Comme si Haydn était trop difficile, trop exigeant, pour les orchestres comme pour les chefs…

Après avoir donné les Variations Rococo de Tchaikovski, Nicolas Altstaedt a eu l’excellente idée de donner en bis – il aurait dû l’annoncer au public ! – ce faux concerto pour violoncelle qu’est l’adagio cantabile de la 13e symphonie de Haydn.

Vivement que le nouveau chef de l’Orchestre de chambre de Paris nous donne, à tout le moins, les Symphonies parisiennes : il a l’orchestre idéal pour cela !

Le Boléro d’Anne Fontaine

J’ai profité de la relative grisaille de dimanche dernier pour aller enfin voir « le » film du moment, le Boléro d’Anne Fontaine.

En dehors du papier ‘d’Ivan Alexandre dans le dernier Diapason, je n’avais lu aucune critique du film. J’en suis ressorti ni emballé ni déçu (et pourtant je ne suis pas normand !). Dans ce genre de film sur, autour de la musique, il y a presque systématiquement des erreurs que le musicien ou le mélomane averti repère immédiatement. Rien de tel ici, et c’est un point très positif : quand Ravel/Raphaël Personnaz pose ses mains sur un clavier, même si on sait qu’il est doublé, il fait illusion. Quand le même dirige un orchestre, il ne paraît pas emprunté dans sa gestique. Quant à l’incarnation des différents rôles, Raphaël Personnaz est presque à contre-emploi, dans la froideur, la timidité figées que la réalisatrice lui a demandé de composer, Dora Tillier fait une Misia Sert plutôt conforme à l’image qu’on a d’elle, Jeanne Balibar n’a aucun mal à caricaturer une Ida Rubinstein sur le retour – exigeante commanditaire d’un Boléro que Ravel a bien du mal à accoucher. Quant à Emmanuelle Devos, elle fait oublier l’ingratitude des traits de Marguerite Long !

Le film d’Anne Fontaine vaut aussi beaucoup par le fait qu’il a été en grande partie tourné dans la maison de Ravel à Montfort-l’Amaury, maison toujours difficile d’accès, puisque son exiguïté ne permet pas de l’ouvrir à la visite, sauf sur réservation à l’avance, et par tout petits groupes !

Centenaires

En dressant la liste, en début d’année, des anniversaires que 2024 allait permettre de célébrer, j’avais évoqué Gabriel Fauré, mort le 4 novembre 1924, mais oublié le chef anglais Neville Marriner, né lui il y a cent ans, le 15 avril 1924.

Je viens de recevoir deux coffrets, commandés il y a plusieurs semaines. Je vais mettre à profit quelques jours de vacances pour les découvrir (Fauré) ou les redécouvrir (Marriner).

C’est Lucas Debargue qui a voulu, conçu cette intégrale du piano de Fauré, et qui a lui-même rédigé le texte de présentation. Le peu que j’ai entendu me rend impatient d’écouter la suite.

Même en anglais, Lucas Debargue est tout à fait convaincant !

Dans le cas de Neville Marriner, on a affaire à un recordman du disque pour plusieurs grands labels (Philips, Argo/Decca, EMI). Ce coffret rassemble 80 CD (!) réalisés pour la plupart à partir des années 80 pour EMI. On y reviendra bien sûr pour détailler toutes les pépites de ce coffret, et du même coup restituer au chef anglais sa vraie place dans l’histoire de l’interprétation au XXe siècle.

Parmi les surprises de ce coffret, un disque dédié à Manuel de FallaLe Tricorne et les Nuits dans les jardins d’Espagne avec Tzimon Barto au piano !), qu’on trouvera peut-être trop élégant, pas assez rugueux !

Redécouvrir Samson

Pour une fois, je précède un anniversaire, le centenaire de la naissance, le 18 mai 1924, du pianiste Samson François. Je suis tombé, par hasard, avant-hier soir sur LCP (La Chaîne Parlementaire) sur une rediffusion de l’émission Rembobina, animée par Patrick Cohen.

J’ai découvert un talent que je ne connaissais pas à l’ancien matinalier de France Inter, que je saluais parfois chez Carrette à côté de la maison de la radio : une excellente connaissance de la musique, et en l’espèce de Ravel et du héros du jour, le pianiste français mort à 46 ans en 1970. Même Eve Ruggieri, qui m’insupportait par son ton mondain (« Pava-reu-ti ») et ses approximations, m’a agréablement surpris par une vivacité d’esprit intacte à l’âge vénérable qui est le sien. Evidemment nous étions, eux et moi, nostalgiques d’une époque, d’abord les années 70 où la musique classique avait droit à la télévision à des émissions hebdomadaires à des heures de grande écoute, puis des années 80 et 90 avec des « Musiques au coeur » (1982-2009 !) qui ont fait défiler les plus grands interprètes (c’est par cette émission que j’ai eu la révélation de Felicity Lott par exemple).

Le son de Samson

Mais si j’ai été scotché devant mon écran par un artiste que je connaissais finalement trop peu et mal, bien que j’aie acquis en son temps le coffret récapitulatif des enregistrements réalisés pour Pathé-Marconi

Je me rappelle l’émotion qui avait saisi mes professeurs du modeste Conservatoire de Poitiers (lire Retour à Poitiers) à l’annonce de la mort brutale de Samson François en 1970. Je ne sais plus à quelle occasion, en revanche, le directeur de l’époque du Conservatoire, Lucien Jean-Baptiste (pas l’acteur !), m’avait fait écouter dans son bureau le 6e prélude de Chopin – sans doute était-ce au programme d’un examen ? – joué par Samson François, qu’il trouvait exemplaire de poésie.

Je me suis replongé avec autant de curiosité que de délectation dans ce coffret, les Chopin bien sûr, les Ravel si connus, que je m’en veux d’avoir négligés si longtemps, et des Debussy admirables.

Je citais dans mon récent article – Retour à Poitiers – les grands artistes que j’avais eu la chance d’entendre dans ma ville de jeunesse. Malheureusement je n’ai jamais entendu Samson François en concert, et j’ai toujours été réservé sur la légende entretenue à son propos – l’oiseau de nuit, porté sur l’alcool, la cigarette voire d’autres substances – comme s’il fallait absolument expliquer l’originalité d’un génie, comme si on avait oublié que le véritable artiste n’est jamais « conforme ». Merci à Patrick Cohen et Eve Ruggieri de m’avoir permis de le redécouvrir.

Mises en boîtes : Copland, Mendelssohn

Le CD est mort, paraît-il, mais les éditeurs continuent de mettre en boîtes leurs fonds d’archives, parfois récentes. Et c’est une opération bien pratique pour qui a des rayons encombrés de trop de galettes individuelles.

Pour une fois, il n’y a pas eu besoin d’anniversaire prétexte pour sortir deux coffrets remarquables.

Copland by Copland

Aaron Copland (1900-1990), mort quelques semaines après son cadet Leonard Bernstein (lire Bernstein ou le génie à vif), est l’archétype du compositeur américain, l’inventeur d’une musique qui plonge toutes ses racines dans la terre américaine. Il est l’un des seuls à avoir bénéficié d’une notoriété mondiale, à défaut d’une vraie célébrité. Même si on connaît mal son oeuvre, on connaît son nom.

J’avais déjà dans ma discothèque plusieurs des CD où le compositeur dirige ses propres oeuvres, le plus souvent à la tête d’orchestres londoniens ! Sony vient de rééditer l’intégrale de ce précieux legs en 20 CD et à petit prix, il faut le relever puisque cela n’a pas toujours été le cas naguère.

C’est évidemment une somme inestimable, qui donne à connaître un créateur plus complexe que ne le laissent deviner ses oeuvres les plus connues (Appalachian Spring, Billy the Kid, Rodeo…) qui sont évidemment les plus descriptives, les plus « natives » !

Quelle chance ont eue les enfants qui, ce jour-là, assistaient à l’un des Young People Concerts animés et présentés par Leonard Bernstein, lorsqu’ils ont découvert le compositeur Aaron Copland jouant son propre concerto pour piano !

A Liège, après la restauration en 2005 de l’orgue Schyven de la Salle philharmonique, j’aurais souhaité programmer la symphonie avec orgue de Copland. Je n’y suis jamais parvenu, et mes successeurs non plus jusqu’à présent !

Mendelssohn sur les ailes du chant

C’est devenu une habitude chez Warner Classics de consacrer de forts coffrets à des compositeurs, certes les plus souvent à l’occasion d’un anniversaire. Dans le cas de Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847), aucun prétexte particulier, sauf pour réunir en 40 CD des versions déjà connues, publiées par les différents labels qui font partie aujourd’hui du groupe Warner : EMI, Electrola, Teldec, Erato, etc.

Les pièces pour piano – pour l’essentiel les cycles de Romances sans paroles – sont dues Daniel Adni avec quelques raretés bienvenues, des Etudes et caprices joués par Annie d’Arco et surtout une Première sonate avec la pianiste argentine Silvia Kersenbaum (grâce à qui j’avais découvert le 2e concerto pour piano de Tchaikovski).

C’est Marie-Claire Alain qui avait jadis gravé une part malheureusement peu connue de la production de Mendelssohn, son oeuvre pour orgue

Pour la musique de chambre, Warner n’a pas eu de mal à trouver les meilleures versions : Frédéric Lodéon (violoncelle), Maxim Vengerov (violon), le trio Fontenay, l’élégant sextuor avec piano capté lors d’un festival Argerich à Lugano, les quatuors sont partagés entre les Berg, Artemis et Cherubini.

Les concertos pour piano sont ceux de Cyprien Katsaris et Kurt Masur, une version plusieurs fois couronnée, celle que nous avions retenue, il y a bien longtemps, dans l’émission Disques en Lice (lire Une naissance) :

Sans surprise, le corpus des « grandes » symphonies est confié à Kurt Masur et à « son » Orchestre du Gewandhaus de Leipzig (qui donnent aussi un magnifique Songe d’une nuit d’été) les symphonies de jeunesse étant dévolues au Concerto Köln.

Deux absolues raretés, deux brefs ouvrages lyriques – Die beiden Pädagogen et Die Heimkehr aus der Fremde – dirigées par Heinz Wallberg avec des stars de l’époque, Peter Schreier, Dietrich Fischer-Dieskau… tout un bouquet de mélodies composite, et tout un récital du grand Fischer-Dieskau accompagné par Sawallisch au piano. L’oeuvre chorale est dévolue à Michel Corboz.

Seul regret, pour les deux grands oratorios, Paulus et Elias, il y a mieux que les honnêtes Conlon et Frühbeck de Burgos proposés ici.

La somme est admirable, ce coffret unique, donc hautement recommandé !