Suisse et centenaire

France Musique était hier soir en direct du Victoria Hall de Genève. Clément Rochefort nous faisait vivre « comme si on y était » l’un des concerts programmés pour le centenaire de l’Orchestre de la Suisse romandeLa chaîne française est à l’unisson de cet anniversaire avec chaque après-midi l’excellente série Arabesques (de F.X. Szymczak).

Le programme de ce 27 novembre était, à dessein, emblématique d’une tradition (celle de l’orchestre, fondé par Ernest Ansermet) et d’une ambition (celle du nouveau chef Jonathan Nott) : 3ème symphonie d’Honegger, une création suisse d’un compositeur britannique qui a la cote, James MacMillan, Gershwin et Bernstein pour le côté festif.

On sait mon attachement à cette phalange centenaire. C’est avec et pour l’OSR que j’ai commencé, en 1986, mon parcours professionnel dans le domaine de la musique et des médias, comme je le racontais ici (Etat de grâce) :  « J’ai souvent évoqué ici , et dans de précédentes éditions de ce blog, l’attachement presque filial qui me liait au chef suisse (Armin Jordan). Il était le patron de l’Orchestre de la Suisse Romande, lorsque, il y a exactement trente ans aujourd’hui, j’ai intégré la Radio suisse romande comme « producteur responsable de la musique symphonique » (ça ne s’invente pas un titre pareil), empruntant un nouveau  chemin professionnel – la radio, la musique – que je n’ai jamais regretté d’avoir choisi ! J’ai coutume de dire qu’Armin m’a tout appris d’un métier où l’expérience, la sensibilité, le sens des rapports humains, la perception des forces et des fragilités des artistes ne sont inscrits dans aucune règle »

J’ai tant de souvenirs de cette période (1986-1993) au cours de laquelle j’ai côtoyé les musiciens, les responsables de l’Orchestre, bâtissant tant de projets et de programmes. Il faudra que j’en raconte certains, si je ne l’ai pas déjà fait (comme une longue tournée en 1987 au Japon et en Californie avec Gidon Kremer et Martha Argerich). 

Ce sera ma modeste contribution à ce centenaire, qui n’a pas tout à fait l’envergure qu’on eût souhaitée. Le programme de ce « Premier siècle » tel qu’annoncé sur le site de l’orchestre : Le premier siècle de l’OSR me paraît bien mince, et pour tout dire, pas à la hauteur de l’événement. Je ne peux pas incriminer l’équipe qui a pris les commandes de l’OSR il y a quelques mois, après des années de présidence erratique, mais qu’il est dommage de ne pas avoir exploré et exploité les trésors qui dorment dans les archives de la Radio suisse romande, pour proposer une édition discographique d’ampleur qui restitue les grands concerts de l’OSR sous de prestigieuses baguettes !

Heureusement que des passionnés comme François Hudry ont pu faire profiter les auditeurs de la Radio suisse (Un alerte centenaire)  de France Musique de leur connaissance intime d’une phalange qui reste associée, dans l’esprit public, à son charismatique fondateur Ernest Ansermet (lire Ernest Ansermet mon idole). 

Heureusement que Deccaqui avait déjà copieusement réédité la majeure partie des enregistrements réalisés par le label britannique au Victoria Hall (lire La modernité d’Ernest Ansermet, Un chef suisse sans frontières, Ansermet et les Russesa prévu, au printemps 2019, une monumentale édition Ansermet (160 CD!) préparée par François Hudry.

 

Mais cela ne concernera jamais que la moitié de l’histoire de l’OSR, et seulement son fondateur. Quid du legs discographique considérable des chefs invités (Weller, Lopez Cobos, Dutoit…) et des successeurs d’Ansermet (Kletzki, Sawallisch, Stein, Jordan, Luisi, Steinberg, Janowski, Järvi) ? Warner a fait une partie du chemin concernant Armin Jordan :

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Les premiers concerts de Jonathan Nott (qui a pris ses fonctions il y a un an) avec l’OSR laissent augurer un renouveau artistique bienvenu.

Le programme du premier disque du tandem OSR/Nott ne laisse pas de surprendre. Je n’ai pas bien compris le lien entre la suite du ballet Crème fouettée (Schlagobers) de Richard Strauss, Jeux de Debussy et les Melodien de LigetiCela a au moins le mérite de l’originalité…

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Petit dictionnaire incorrect de mots actuels

A l’usage de nos amis journalistes, commentateurs, twittophiles, facebookiens, de nos élus, des lignolinguistes* et même de mes concitoyens, quelques définitions revisitées de mots très usités ces dernières semaines :

Gilet : Vêtement court, sans manches, boutonné devant et ne couvrant que le torse, porté par les hommes sur la chemise et sous la veste (et quelquefois par les femmes), 

Dans la littérature du XIXème siècle, le gilet est l’apanage des jeunes gens bien mis, de bonne famille, c’est encore un élément de chic du costume trois pièces, qui n’est plus guère porté en dehors de cérémonies familiales ou officielles.

Variante : Gilet de sauvetage : Accessoire gonflable ou en matière insubmersible, en forme de gilet, destiné à maintenir à la surface de l’eau celui qui le porte…

Jaune : Un mot redouté des cantatrices, surtout les non francophones, dans l’un des trois poèmes de Shéhérazade de Tristan Klingsor mis en musique par Ravel.

Gilets jaunes : catégorie indéfinie, inclassable, de manifestants, visibles en divers points du territoire, faisant systématiquement la une de tous les journaux télévisés et des chaînes d’info en continu depuis dix jours, usant d’un champ lexical restreint : « ras le bol » et « on ira jusqu’au bout » (personne ne cherchant à savoir de quel bout il s’agit… : une réponse peut-être avec Raymond Devos ?)

Périphérique, dans l’expression La France périphérique : Ensemble des quartiers éloignés du centre villeSynonyme : banlieue.  Concept vaguement condescendant, complètement fumeux, pour désigner… la majorité des Français, ceux qui ne vivent pas dans les centres ville !

Fiscalité écologique : Ségolène Royal, toujours prompte à faire la leçon, reproche au gouvernement et au président de la République de faire de l’écologie punitive, oubliant au passage sa reculade honteuse sur l’écotaxe et le scandale qui s’en est suivi (Abandon de l’écotaxe : un «gâchis» «très coûteux» selon la Cour des comptes). Mais reconnaissons une fois de plus le chef-d’oeuvre lexical qui consiste à associer les mots « fiscalité » et « écologique ». Effet repoussoir assuré !

Soutenabilité Encore un mot appelé à une certaine durabilité (!!). Le Haut Conseil pour le climat, dont le président de la République, doit annoncer la création ce mardi, sera, nous dit-on, chargé d’évaluer la soutenabilité sociale et économique (sic) des politiques publiques. On espère que ne se vérifiera pas l’adage prêté à Clémenceau : « Pour enterrer un problème, on crée une commission »

Sujet Tout est un sujet, les gilets jaunes, la transition écologique, la démocratie, l’Europe. Finalement nous sommes tous sujets… à sujet. Même le cultivé ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, qui s’exprimait ce matin sur France 2, semble ne plus connaître le mot problème. Je n’en peux personnellement plus d’entendre à tout propos, et en toute circonstance, pour évoquer un dossier, une difficulté, un problème : « C’est un sujet »!.

Et puisque certains n’ont pas hésité à comparer les gilets jaunes à de nouveaux sans-culotteson recommande, sans faire de prémonition, l’écoute de cette symphonie concertante mêlée d’airs patriotiques de Jean-Baptiste Davaux (1742-1822), natif comme Berlioz de La Côte Saint André,

Une oeuvre donnée par Le Concert de la Loge lors du Festival Radio France 2016 et enregistrée sur ce disque paru tout récemment :

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*Lignolinguiste : néologisme désignant un pratiquant, voire un spécialiste de la langue de bois !

Le piano venu de l’Est (I) : Peter Rösel

C’est Alain Lompech, spécialiste ès piano, auteur d’un ouvrage de référence sur Les Grands pianistes du XXème siècle (on attend avec impatience un deuxième tome)

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débatteur infatigable, qui, sur Facebook, braquait avant-hier le projecteur sur lui : Voici ce qu’on appelle un maître ! Peter Rösel (prononcer : Reu-zeul), pianiste allemand formé à Moscou, assurément scandaleusement négligé par le milieu musical. 

Et, à propos d’une autre vidéo, Lompech ajoutait : Où l’on voit que l’on peut jouer vite, clair et articulé sans lever les doigts au plafond ! Peter Rösel, grand, grand artiste et pianiste… Le minimum de gestes pour le maximum de résultat. Et son Mendelssohn avec Masur est splendide.

Voilà bien longtemps que, pour ma part, j’admire ce très grand musicien, sans malheureusement l’avoir jamais entendu en concert. Il fait partie de cette cohorte d’artistes de grande envergure qui, par choix ou par obligation, n’ont jamais pu ou voulu faire carrière en dehors du bloc soviétique. Heureusement pour nous mélomanes, les remarquables micros de la VEB Deutsche Schallplatten Berlin, dans des prises de son remarquables de précision et d’aération, ont capté tous ces musiciens, et le label Berlin Classics, qui a pris le relais d’Eternanous a restitué la majeure partie de cet inestimable legs discographique.

Pour ce qui est de Peter Rösel, deux beaux coffrets ont documenté ses jeunes années. Tout y est admirable, avec des sommets comme ses concertos de Rachmaninov avec Kurt Sanderling, les Weber avec Blomstedt, le 2ème concerto de Prokofiev évoqué par Alain Lompech, son anthologie Brahms, mais aussi des Beethoven, Schumann, Debussy, d’exceptionnels Tableaux d’une exposition, etc.

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Peter Rösel est toujours en activité, sa discographie s’est enrichie ces dernières années d’une intégrale des Sonates de Beethoven notamment.

Pour ce qui est des coffrets ci-dessus, on les trouve facilement sur le site allemand d’Amazon (amazon.de).

 

Le scandale du Boléro

Dans l’histoire des Ballets russesaucun scandale à noter lors de la création, il y a quatre-vingt-dix ans, le 22 novembre 1928, du Boléro de Ravel. Rien de comparable avec  la première du Sacre du printemps de Stravinsky au Théâtre des Champs-Elysées le 29 mai 1913.

Et pourtant, il y a un scandale Boléro, qui revient sous les feux de l’actualité : les droits d’auteur faramineux que l’oeuvre a générés au profit de prédateurs issus de « l’entourage » du compositeur, décédé en 1937 sans héritier ni légataire. Le Boléro rapporterait chaque année environ 1,5 million d’euros de droits (46 millions d’euros entre 1970 et 2006 )

Au Canada, au Japon et dans les pays observant un délai de 50 ans post mortem, le Boléro, comme toutes les œuvres de Ravel, est entré dans le domaine public le 1er janvier 1988. Aux États-Unis, le Boléro de Ravel est protégé jusqu’en 2024. Dans les pays de l’Union européenne observant un délai de 70 ans post mortem, le Boléro, comme toutes les œuvres de Ravel, est entré dans le domaine public le 1er janvier 2008.

En France, jusqu’en 1993, le Boléro est resté à la première place du classement mondial des droits à la SACEM. En 2005, c’était encore la cinquième œuvre musicale française la plus exportée bien que n’étant pas à cette date dans le domaine public. Ravel étant mort sans enfants, la lignée d’héritage des ayants droit est extrêmement complexe. Depuis au moins 1970, les droits sont perçus au travers de sociétés légalement enregistrées à l’étranger (Monaco, Gibraltar, Amsterdam, Antilles néerlandaises, îles Vierges britanniques) : un consortium conçu et dirigé par Jean-Jacques Lemoine, aujourd’hui décédé, qui avait auparavant occupé les fonctions de directeur-adjoint des affaires juridiques de la SACEM. Sur ses conseils, en France, la SACEM a continué à percevoir des droits jusqu’au 1er mai 2016, invoquant les prorogations de guerre dues à la Seconde Guerre mondiale, qui auraient allongé la durée des droits d’auteur de 8 ans et 120 jours (soit 3042 jours écoulés entre le 03/09/1939 au 01/01/1948), la faisant passer du 01/01/2008 au 01/05/2016.

En 2016, les héritiers contestent à nouveau l’entrée du Boléro dans le domaine public en France, arguant de ce que le Boléro ayant initialement été créé comme un ballet, il s’agit d’une œuvre collaborative, dont la protection s’étend jusqu’à la fin des droits de tous ses co-auteurs, donc en y incluant la chorégraphe Bronislava Nijinska et le décorateur Alexandre Nikolaïevitch Benois décédé en 1960. L’échéance du domaine public serait alors repoussée de vingt nouvelles années. La SACEM avait cependant rejeté ces nouvelles prétentions, rendant publique l’œuvre le 2 mai 2016.

Mais voici que Le Figaro du 20 novembre révélait que la SACEM avait été assignée en juin 2018 devant le tribunal de grande instance de Nanterre.

Les actuels ayants droit de Ravel et les héritiers d’Alexandre Benois, décorateur du ballet Boléro commandé à Ravel par Ida Rubinstein, reviennent à la charge pour qu’Alexandre Benois soit déclaré coauteur du Boléro. puisque la prise en compte de la date du décès de Benois permettrait à l’œuvre de revenir et rester dans le domaine privé jusqu’en 2039. « Un bonus de 20 millions d’euros à se partager selon nos informations », selon Thierry Hillériteau et Léna Lutaud, les auteurs de l’article du Figaro

D’un côté, il y a donc les actuels ayants droit de Ravel, Evelyn Pen de Castel et Jean-Manuel de Scarano, qui n’ont pas de liens familiaux avec le compositeur et sont installés en Suisse. De l’autre, le journal fait mention de cinq héritiers Benois : Dimitri Vicheney, Alberto Romano Benois, François Tcherkessoff, Françoise Braslavsky et Maxime Braslavsky. Tous se seraient ainsi rapprochés.

Juste avant l’entrée du Boléro dans le domaine public, en mai 2016, la SACEM avait déjà rejeté une demande similaire de la part des héritiers Benois. Une première audience est attendue en 2019. Selon les informations des journalistes, les héritiers Benois réclament 250 000 euros à la SACEM au titre de préjudice économique, 10 000 pour préjudice moral et la nomination d’un expert (Source France Musique).

Sans doute la plus célèbre version dansée du Boléro, celle de Maurice Béjart avec son danseur fétiche Jorge Donn.

A propos de Jorge Donn, ce souvenir personnel : voyageant à la fin des années 80 à bord d’un TGV Paris-Genève, le hasard du placement m’avait installé en face du danseur. Comme souvent lorsqu’on voit quelqu’un sur scène, je l’imaginais grand, et j’avais devant moi un homme plutôt petit, recroquevillé sur son siège. Je n’ai pas osé lui dire mon admiration…

Quant aux innombrables versions discographiques de ce tube, on a l’embarras du choix, même si peu de chefs ont réussi ce savant et délicat mélange entre rigueur rythmique et sensualité. J’ai beaucoup de tendresse pour cette ultime concert de Nouvel an de Karajan en 1985, le Boléro lui allait bien.

Les versions Ozawa et Abbado me semblent l’une et l’autre lumineuses, et magnifiquement captées.

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La pire est celle de Maazel avec les Viennois, un ritardando final complètement hors de propos et un sommet de vulgarité.

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Personnalité et personnage

Voici que paraît – pour célébrer encore un centenaire ! – un coffret de 42 CD consacré au violiniste Henryk Szeryng (1918-1998)
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Dès hier, se déclenche sur Facebook l’une de ces conversations qui me réjouissent ou m’agacent selon la tournure des intervenants. Transcription d’une partie de ces échanges :
Jean-Charles Hoffelé : Immersion des prochains jours
Moi : Bon courage !
P.B. Il y a pire …

Moi : et beaucoup mieux, plus personnel

J.C.H. : Jean-Pierre trouve le classicisme de Szeryng trop court.
Michel Dalberto : Grand regret, qu’il soit mort quelques semaines avant que nous ne devions commencer à enregistrer les 10 Sonates de Beethoven.
Alain Lompech : Mais Michel, tu as eu le temps de jouer en public avec lui, il me semble bien.
M.D. En effet, il m’avait proposé, après un concert pour l’association Clara Haskil, de jouer les 10 Sonates de Beethoven dans une tournée d’une douzaine de concerts en Allemagne. Ce travail avec lui sur ces œuvres m’a marqué à un tel point que je n’ai pu/voulu les rejouer durant plus de vingt ans. Szeryng était un être très particulier qui pouvait être adorable mais aussi parfois.. imbuvable. Avec mes amis veveysans qui lui étaient très liés, nous pensions que, ayant commencé sa carrière un peu plus tard que ses contemporains – Stern, Grumiaux en particulier – il avait l’impression de devoir en faire plus. Il y avait des pans un peu mystérieux dans sa vie – qu’était-il allé faire au Mexique après la guerre par exemple ? – mais c’était dans l’ensemble un homme remarquable et d’une grande générosité mais il n’en parlait jamais (un peu l’opposé de Menuhin..). Son Dieu restait Heifetz. Quant à l’alcool dont on m’a si souvent parlé, je suis « désolé » de dire que je ne l’ai jamais vu saoul et que ses yeux n’étaient pas ceux d’un alcoolique. D’autres fois, Szeryng comme beaucoup d’autres, se mettait en « mode automatique » et  mais nous sommes tous comme ça!
A.L. Le plus sous-estimé des grands violonistes. A son zénith, il n’y a pas grand monde pour respirer son air
Ses Sonates et Partita, ses Concertos de Brahms, Schumann, Beethoven…
Parfois en sonates, le pianiste est aux ordres : la baronne Haebler par exemple, mais quand même cette justesse d’intonation, ce rayonnement, cette puissance ! Dans le Brahms il passait au dessus de l’orchestre dans le 1er mvt comme aucun autre que j’ai entendu en public…
Mais il pouvait aussi se tourner vers l’orchestre et diriger pour le chef !!! 😂 ça plaisait pas toujours…
Il joue juste ! Intonation parfaite ! Le Berg aussi ! Je l’ai entendu en public deux fois le jouer, dont la dernière pas bien longtemps avant sa mort. Il n’était pas dans son assiette : il avait bu… Après le concert, Irène Magaloff lui a affectueusement passé un savon pendant le diner : « Enrico, tu dois faire attention… »
M.T. Parfois quand il était dans le public, écoutant un jeune violoniste, d’une exigence extrême, de façon outrée, il pouvait subitement se lever bruyamment et partir en gênant tout le monde.

Il y a quelques mois, ce à quoi sans doute se réfère Jean-Charles Hoffelé, j’avais écrit ceci (Au violon) :Je me rappelle – c’était dans Disques en Lice  – un des invités, violoniste de son état, ne parvenant pas à identifier l’une des versions comparées d’un concerto pour violon, affirmant tout à trac : « Quand c’est du violon très bien joué, et qu’on n’arrive pas à le reconnaître, c’est sûrement Szeryng ! »

Au-delà de la boutade, il y a une réalité. Autant on peut immédiatement reconnaître, à l’aveugle, le style, la sonorité, la technique des Heifetz, Menuhin, Oistrakh, Milstein, Ferras, Grumiaux – tous contemporains du violoniste mexicain – autant Szeryng se tient dans une sorte de perfection un peu neutre. Mais il y a des amateurs pour cet art ! (3 mars 2017)

J’avais commandé (amazon.it) quelques semaines plus tôt un coffret de 13 CD reprenant la majeure partie des enregistrements concertants de Szeryng.

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et réécoutant certains d’entre eux que je n’avais plus entendus depuis longtemps, j’avais persisté dans ce sentiment d’une sorte de perfection glacée.

Mais cette réticence à adhérer à l’art de ce grand violoniste vient sans doute du peu d’empathie – euphémisme – que j’éprouve pour ce personnage.

J’ai raconté comment j’avais découvert la musique, le concert, dans la ville de mon enfance et de mon adolescence, Poitiers (lire Georges et Christian), les trop rares concerts qui s’y donnaient et auxquels je me précipitais.

800px-poitiers_palais_justice_salle_pas_perdus4Certains de ces concerts avaient lieu dans la monumentale salle des Pas perdus du Palais de Justice.

Terrible souvenir d’un concert d’Henryk Szeryng qui avait dû être invité à prix d’or à jouer et diriger l’Orchestre de chambre de Poitiers dans les Quatre saisons de Vivaldi. Le violoniste interrompt l’orchestre, quelques secondes seulement après avoir commencé. Il se tourne vers le public, sidéré, en clamant haut et fort : « Je suis désolé, ils jouent faux » (parlant des musiciens devant lui !), « Messieurs, accordez-vous, et on pourra peut-être jouer »! Je ne sais pas comment ces musiciens ont réussi à surmonter cette humiliation publique – c’eût été impensable avec une formation parisienne ! – J’en ai, en tout cas, conservé une détestation pour un odieux personnage, tout excellent violoniste qu’il fût.

Ce doit être un défaut, mais en trente cinq ans de vie professionnelle passée aux côtés des musiciens, des moins connus aux plus célèbres, je ne suis jamais parvenu à dissocier la personnalité du personnage. Dieu sait si j’en ai côtoyés, et de toutes sortes…  Mais, tant mieux pour M. Szeryng, et ses admirateurs, il n’a que faire de ce que je pense de lui !

 

 

Ne m’appelez pas Maestro !

« S’il y a un terme qui m’a toujours paru déplacé, voire ridicule, lorsqu’il est utilisé en français, mais qui, hier soir, était pleinement justifié, c’est celui de Maestro. À un chef d’orchestre italien qui nous a enthousiasmé, on peut en effet dire Bravo Maestro ! »  

C’est ainsi que je commençais mon billet du 10 juin 2016 après le concert d’adieu de Daniele Gatti de ses fonctions de directeur musical de l’Orchestre National de France. Me revient en mémoire précisément une anecdote à propos de ce terme – maestro – : peu après ma prise de fonction comme directeur de la musique de Radio France en juin 2014 j’avais demandé à rencontrer les directeurs musicaux des orchestres de la Maison ronde. Le premier contact avec Daniele Gatti fut un peu rude, comme je l’ai déjà raconté (Remugles) : je m’adressai à lui en l’appelant « Monsieur Gatti », il me rétorqua « non Maestro Gatti » ! Je lui fis observer qu’on était en France et que je continuerais à m’adresser à lui en français. En bons Latins que nous sommes, nous convînmes finalement de nous appeler par nos prénoms, et peu après, de nous tutoyer !

Ridicule, de surcroît incorrecte, en effet, cette habitude prise de parler du maestro Untel pour désigner un chef d’orchestre, un artiste connu, voire un compositeur. C’est le seul défaut de la traduction française de ce passionnant livre d’entretiens entre deux… maîtres, qui m’a été offert récemment (par celui qui se reconnaîtra et que je remercie à nouveau).

Je doute que Seiji Ozawa – pardon le maestro Ozawa (!!) – désigne, en japonais, ses collègues comme « maestro Karajan » ou « maestro Bernstein »

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Cet ouvrage, enfin paru en français, six ans après sa publication au Japon, eût mérité de conserver le titre original que le grand écrivain mélomane, Haruki Murakami, lui avait donné : J’ai parlé de musique avec Seiji Ozawa. Car c’est bien lui qui a pris l’initiative d’une série d’entretiens avec le chef nippon, lorsque ce dernier a été obligé de ralentir, voire de cesser, ses activités, pour soigner un cancer de l’oesophage dans les années 2010-2011.

Extraits du texte introductif de Murakami :

Je n’avais jamais eu de vraie conversation sur la musique avec Seiji Ozawa avant de commencer la série d’interviews qui figure dans ce livre. Certes, j’ai vécu à Boston de 1992 à 1996, période pendant laquelle il était encore directeur musical du Boston Symphony, et je me rendais souvent aux concerts qu’il dirigeait, mais je n’étais rien de plus qu’un fan anonyme dans le public/…./

Si nous ne nous sommes jamais vraiment épanchés sur le sujet de la musique auparavant, c’est parce que son travail de chef d’orchestre accaparait toute son énergie/…./

On diagnostiqua un cancer de l’oesophage à Ozawa en décembre 2009, et après qu’il eut subi une opération très lourde le mois suivant, il dut réduire sérieusement ses activités/…/ C’est ainsi que nous nous sommes mis à parler de plus en plus de musique. Quoiqu’il soit affaibli, une nouvelle vitalité s’emparait de lui à chaque fois que nous abordions le sujet/…./

Je suis un grand amateur de jazz depuis maintenant un demi-siècle, mais cela ne m’a pas empêché d’apprécier tout autant la musique classique, de collectionner les disques classiques dès mes années de lycée et d’assister à autant de concerts que j’ai pu. C’est surtout pendant ma période passée en Europe, de 1986 à 1989, que mon immersion dans la musique classique a été la plus totale….

Difficile de résumer cet ouvrage, qui n’a pas d’équivalent. Censé être découpé en six chapitres – les différentes versions du concerto n° 3 de Beethoven, Brahms joué au Carnegie Hall, les années 1960, Gustav Mahler, l’opéra et la direction d’orchestre – il relate plutôt un dialogue au fil de l’eau, au gré des souvenirs du chef. Savoureuses digressions, anecdotes sans langue de bois notamment sur les deux aînés auprès desquels le jeune Ozawa a appris son métier, Bernstein et Karajan : l’Américain, tout en énergie communicative, se souciant comme d’une guigne du fini orchestral, l’Autrichien cultivant ce fameux Karajan sound, obsédé de perfection technique.

Même dans la première partie, lorsque l’écrivain et le chef comparent, partitions en main, différentes versions du 1er concerto de Brahms, et surtout du 3ème concerto de Beethovenleurs échanges restent abordables pour le non-spécialiste, et donnent, au contraire, envie d’écouter ou réécouter les versions qu’ils écoutent, et dont ils louent les interprètes.

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Murakami et Ozawa évoquent ce fameux concert du 6 avril 1962 au Carnegie Hall de New York, illustrant le complet désaccord entre le soliste, Glenn Gould, et le chef, Leonard Bernstein, sur l’interprétation de ce 1er concerto de Brahms. Concert enregistré, longtemps indisponible.

Puis le dialogue se poursuit sur plusieurs versions du 3ème concerto de Beethoven – je partage avec Murakami une passion pour ce concerto, qui m’a toujours paru le plus parfait des concertos beethovéniens – : d’abord Gould-Bernstein, où l’entente ici entre chef et soliste contraste avec le désaccord brahmsien.

Puis – l’une de mes versions de référence – l’incroyable énergie du duo Serkin/Bernstein, un tempo qui paraît fou de rapidité à nos deux interlocuteurs.

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Et Ozawa de regretter de n’avoir pas mis la même ardeur, d’être resté trop neutre, lorsque, 25 ans plus tard, il enregistrera les concertos de Beethoven avec le même Serkin

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L’écrivain et le chef s’accordent à reconnaître, à propos de Serkin, puis de Rubinstein, que ce que ces deux immenses pianistes perdent en perfection technique, ils le gagnent en liberté poétique avec l’âge.

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Bref, faites-vous offrir ce livre, et, comme moi, lisez-le pas nécessairement dans l’ordre des chapitres. Vous n’êtes pas au bout de vos découvertes.

Comme, par exemple, cet aveu du grand chef japonais. Lui que la critique internationale a si souvent loué pour ses interprétations de la musique française et russe (qui dominent d’ailleurs sa discographie avec le Boston Symphony) dit finalement préférer, de loin, la musique allemande, Bach, Beethoven, Brahms, Wagner

Une discographie très complète de Seiji Ozawa à retrouver ici : Bestofclassic.

Il faut y ajouter ce coffret qui résulte du travail sur le répertoire germanique auquel le chef nippon a pu enfin s’adonner librement avec l’orchestre Saito Kinenqu’il a fondé en 1984 en hommage à son premier maître Hideo Saito.

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Ancêtres

Je n’ai pas une passion pour le passé, ni, on l’aura compris, pour les commémorations.

Mais, puisque nous avons vécu, ces dernières semaines, au rythme des manifestations célébrant le centenaire de l’Armistice de 1918, je me suis demandé ce qui s’était passé dans ma famille paternelle durant cette époque (ma famille maternelle étant d’origine suisse, c’est une tout autre histoire). J’ai repris cette photo dans l’album familial :

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Prise dans les premiers mois de 1956, la photo montre, de droite à gauche, mon père (1928-1972), mon grand-père (1903-1967), et mon arrière-grand-père (1875-1959) et ses belles moustaches. Tous les trois sont nés dans la petite commune vendéenne de L’Ile d’Elle, aux confins de la Charente-Maritime, à une trentaine de kilomètres de La Rochelle. 

J’y ai tant de souvenirs d’enfance, heureux ou tragiques : j’étais présent, pour quelques jours de vacances, au printemps 1967, lorsque mon grand-père mourut subitement d’une crise cardiaque. J’ignorais alors que je revivrais la même situation avec mon père cinq ans plus tard (Dernière demeure) Je me rappelle avoir voulu veiller le défunt, comme on le faisait en ce temps-là dans les campagnes, avoir annoncé la nouvelle à la fermière chez qui nous allions chaque soir chercher le lait frais, puis avoir été choqué, après les obsèques, les premières auxquelles j’assistais, par tous ces gens qui avaient envahi la maison pour boire et manger dans une forme de bonne humeur qui me semblait parfaitement déplacée.

Et l’arrière-grand-père donc ? La légende familiale rapporte qu’il aimait bien pincer la joue du bébé joufflu que j’étais. Je n’en ai aucun souvenir.. Mais, dès que je me suis engagé, adolescent, dans l’action publique puis en politique, on m’a toujours cité l’exemple de cet aïeul qui avait été maire de son village (l’atavisme !)  J’ai vérifié : André Clovis Hilaire Rousseau a été maire de L’Île d’Elle pendant vingt-quatre ans, de 1923 à 1947.

Mais ce n’est que dimanche dernier que je me suis avisé de savoir ce que le dit arrière-grand-père avait fait pendant la Grande Guerre, et c’est l’un de mes fils qui a retrouvé ses états de services militaires. Emotion !

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Pour voir ou revoir le Concert de la Paix donné le 11 novembre à l’opéra royal de Versailles : https://www.france.tv/france-5/le-concert-pour-la-paix/782891-concert-pour-la-paix.html

 

 

Commémorations

Que serait le monde musical, le monde de la culture en général, sans anniversaire, centenaire, sesquicentenaire*, bicentenaire à célébrer ? La commémoration tient-elle lieu de palliatif à l’absence d’imagination ? Souvent, pas toujours heureusement !

Le centenaire de l’Armistice de 1918 et les manifestations qui l’ont célébré dimanche dernier ont fait une belle et large place à la musique. Le Boléro de Ravel (1928) bien sûr, un orchestre de jeunes Européens, un jeune chef russe admiré depuis longtemps, Vassily Petrenko.

Et Ravel encore, avec un extrait de sa Sonate pour violon et violoncelle (1920) – et non « pour violon et piano » comme on l’a entendu en boucle sur des chaînes d’information en continu ! – Ravel qui a été ambulancier en 1916 à Verdun,comme le rappelle ce roman/récit de Michel Bernard.

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Ce 13 novembre, nul ne pouvait oublier la tragédie de 2015 : Le chagrin et la raison

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On salue l’excellent film documentaire diffusé hier soir par France 2 : Histoire secrète de l’antiterrorismeL’émotion qui s’empare de Jean-Michel Fauvergue, le patron du RAID, et de François Molins, le procureur de Paris, qui ont dû entrer dans l’enfer du Bataclan… 

Ce 13 novembre, un autre anniversaire était – plus discrètement – commémoré : les 150 ans de la mort de Rossinile 13 novembre 1868 à Passy. L’occasion pour les labels de disques de ressortir quelques belles archives.

Recyclage luxueux, cher et encombrant chez Decca des opéras de Rossini où figure Cecilia Bartoli. Inutile.

En revanche, belle opération de la part de Warner, qui, pour le même prix que le coffret Decca, édite un boîtier de 50 CD, puisant généreusement dans les fonds EMI et Erato, 13 opéras, plusieurs récitals, et redonnant à entendre des versions un peu oubliées.

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Tous les détails de coffret ici : Rossini 150

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*Sesquicentenaire : 150ème anniversaire

 

Etoiles du nord

J’ai aimé retrouver l’atmosphère si particulière de la Finlande (lire Au coeur de la Finlande), tout ce que j’avais découvert en décembre 2005, lorsque, à l’invitation du gouvernement finlandais, j’avais pu passer une semaine à Helsinki à l’occasion du Concours Sibelius (dont la lauréate, cette année-là, fut la jeune violoniste russe Alina Pogostkinaque j’aurais le bonheur d’inviter à trois reprises à Liège : en 2008 avec Paul Daniel, Beethoven et Vaughan Williams « The Lark ascending », en janvier 2011 pour les 50 ans de l’OPRL, et en novembre 2011 avec Domingo Hindoyan et le concerto de Korngold)

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Helsinki en décembre, c’est tout au plus quatre heures de lumière du jour, nuit noire dès 15 h, dîner de très bonne heure, et plus personne dehors le soir venu. Le fonctionnaire du ministère des affaires étrangères qui me « pilotait », avait organisé mon planning de rencontres et de visites, me disait, pince-sans-rire : « Vous pouvez constater que les distractions sont rares ici : si on ne veut pas boire de la bière, il nous reste le chant choral. Dans mon bâtiment au ministère, il y a une chorale par étage ».

Il avait oublié la distraction nationale : le sauna (le seul mot finnois qui a fait florès dans toutes les langues du monde). En face de mon hôtel se trouvait la magnifique piscine art déco Yrjönkatu, plusieurs bassins entourés de plusieurs saunas et hammams à différentes températures. Après les journées chargées qu’on m’avait concoctées, et avant les concerts du soir, je visitais avec plaisir l’établissement, où j’eus la surprise de retrouver, transpirant sur le même banc de sauna, le grand danseur et chorégraphe, longtemps directeur du Ballet national de Finlande, Jorma Uotinenrencontré vingt ans plus tôt à Thonon-les-Bains à l’occasion d’un concours international de Danse organisé par la regrettée Roselyne Gianola, dont il était l’hôte d’honneur. Le monde est petit…

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Et puis il y a la langue finnoise, sa musique si particulière, qui rappelle, en plus doux, le hongrois, les deux idiomes se rattachant au groupe dit des langues finno-ougriennes, qui ont leurs racines en Asie centrale, et qui ont très peu en commun avec les autres langues européennes. Impossible de comprendre une conversation simple, même de demander son chemin ou de commander un menu au restaurant (qui se dit ravintola). C’est un puissant stimulant pour apprendre, s’imprégner d’une langue…

Six mois après ce séjour hivernal à Helsinki, je revins dans ce pays, la capitale bien sûr mais surtout la Caréliel’été et ses nuits blanches, la maison et les paysages de Sibelius… J’y reviendrai.

Atterrissant jeudi à Tampere, un petit aéroport aménagé avec ce goût caractéristique des designers scandinaves, je retrouvai instantanément les sensations éprouvées treize ans plus tôt à Helsinki. Nuit noire à 16 h, ciel plombé chargé de bruine, Un hôtel moderne, une tour de 25 étages.

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La directrice générale de l’orchestre de Tampere s’excuse presque de cette triste météo, à cette époque de l’année c’est plutôt la neige et le manteau de lumière qui recouvre la ville. Après la répétition (voir Le Goncourt et la Finlande), nous partons dîner – il est plus de neuf heures du soir ! – dans un restaurant tournant resté ouvert tout exprès pour nous, au sommet de la tour Nasinneula, à 125 m de haut. Atmosphère irréelle, la ville en-dessous émerge par intermittences de la brume. Saumon, civet de renne, genièvre. Cuisine roborative, relevée. On a chaud au corps et au coeur.

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Vendredi soir, le concert est à 19 h (18 h heure de Paris), les deux soirées du 9 et du 10 novembre sont hors abonnement, elles ont été prises d’assaut. Carmina Burana fait partie de ces oeuvres si populaires qu’elles remplissent systématiquement les salles… sur un malentendu.

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IMG_0033Ce public nouveau, nombreux, très jeune ce soir dans la superbe salle de concert de Tampere, ne connaît de l’oeuvre de Carl Orff que le début et la fin.

Il va découvrir une oeuvre qui, sous la simplicité apparente de ses rythmes et de ses mélodies, est plus complexe et difficile qu’on ne l’imagine, en particulier pour les forces chorales – vendredi soir ils étaient près de 200 sur scène, trois choeurs et un choeur d’enfants rassemblés – et un challenge pour le chef. Avec Santtu-Matias Rouvali, j’ai eu le sentiment d’entendre d’une oreille neuve une oeuvre que le jeune chef finlandais dirigeait pour la première fois.

Autre surprise pour le public, les mélodies avec orchestre de Richard Strauss programmées en première partie, avec le baryton et la soprano solistes de Carmina Burana. Une formidable idée de Santtu-Matias Rouvali et une belle occasion d’entendre les moirures, les couleurs chaudes et la parfaite homogénéité des pupitres de l’orchestre philharmonique de Tampere. Bonheur sans mélange.

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Deux beaux doubles CD à conseiller :

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Les images de Tampere, la deuxième ville de Finlande, à voir ici : Le monde en images : Tampere

Le Goncourt et la Finlande

Après le mauvais bouquin de Ségolène Royal – recyclage de ses thèmes de campagne de 2007 sur le mode « j’ai eu raison avant tout le monde », agrémenté de quelques piques pas très fines sur à peu près tout le personnel politique, surtout celui de son camp, les souvenirs, souvent drôles, parfois répétitifs, de Jane Birkin,

je me disais qu’à la perspective de quelques heures d’avion je devais changer de registre. Et pourquoi pas le Goncourt dont je venais d’entendre l’interview sur France Inter ?

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D’ordinaire, je ne me précipite jamais. Mais ce Nicolas Mathieu – que je ne connaissais pas – m’a d’emblée paru sympathique, modeste, surpris de ce qui lui arrive, pas poseur pour un sou.

J’ai lu la « présentation de l’éditeur » :

Août 1992. Une vallée perdue quelque part dans l’Est, des hauts-fourneaux qui ne brûlent plus, un lac, un après-midi de canicule. Anthony a quatorze ans, et avec son cousin, pour tuer l’ennui, il décide de voler un canoë et d’aller voir ce qui se passe de l’autre côté, sur la fameuse plage des culs-nus. Au bout, ce sera pour Anthony le premier amour, le premier été, celui qui décide de toute la suite. Ce sera le drame de la vie qui commence. Avec ce livre, Nicolas Mathieu écrit le roman d’une vallée, d’une époque, de l’adolescence, le récit politique d’une jeunesse qui doit trouver sa voie dans un monde qui meurt. Quatre étés, quatre moments, de Smells Like Teen Spirit à la Coupe du monde 98, pour raconter des vies à toute vitesse dans cette France de l’entre-deux, des villes moyennes et des zones pavillonnaires, de la cambrousse et des ZAC bétonnées. La France du Picon et de Johnny Hallyday, des fêtes foraines et d’Intervilles, des hommes usés au travail et des amoureuses fanées à vingt ans. Un pays loin des comptoirs de la mondialisation, pris entre la nostalgie et le déclin, la décence et la rage.

Et je me suis dit : encore un de ces faux romans naturalistes, autobiographiques, à la Eddy Louis. J’ai quand même téléchargé un extrait…et j’ai très vite téléchargé tout le livre. Parce que, comme une oeuvre musicale inconnue qui vous empoigne, vous surprend, vous captive, le roman de Nicolas Mathieu vous embarque, ne vous lâche plus. Dans une langue à la fois très élaborée, mais jamais précieuse, ni auto-complaisante, et très directe, un mélange que je n’imaginais pas possible entre le parler cru des ados et de purs moments de poésie, le récit coule, fluide, riche de mille détails qui dressent un décor sans digressions inutiles.

Bon, voilà, j’aime ce livre, j’aime cet écrivain et je félicite l’académie Goncourt !

Hier je partais pour la Finlande, où je n’avais pas remis les pieds depuis l’été 2006 (Helsinki et la Carélie), et une semaine en décembre 2005 à Helsinki, à l’occasion du concours Sibelius de violon.

Voyage intéressé, conséquence directe d’un dîner d’après-concert en juillet dernier (lire George et Igor). J’avais écrit ceci :

« Alors Le Sacre à la manière Rouvali ? Je manque d’objectivité sans doute, mais j’ai entendu hier soir tout ce que j’aime dans cette partition, les scansions primitives – dommage que les orchestres français n’aient plus (?) de basson français, mais les solides Fagott allemands ! – , les rythmes ancestraux, la fabuleuse organisation des coloris fauves de l’orchestre. Il n’est que de réécouter le concert ici : francemusique.fr.

Et la confirmation que le jeune chef finlandais – 32 ans seulement – est déjà l’une des très grandes baguettes de notre temps. On n’attendra pas quatre ans pour le réinviter à Montpellier… » 

Santtu-Matias Rouvali – c’est lui le jeune chef de 32 ans, 33 depuis deux jours ! – me disait à ce dîner, dans la chaleur des nuits de Montpellier, qu’il voulait revenir au plus vite au Festival Radio FranceVoeu partagé, mais qui semblait loin d’être exaucé, puisque, comme tous les surdoués de sa génération, SMR est très pris, très demandé, « principal conductor » de l’orchestre de Göteborg, « principal guest conductor » du Philharmonia de Londres, et directeur musical, depuis 2010 de l’orchestre philharmonique de Tampere, l’un des très bons orchestres de Finlande.

Mais quand on veut, on trouve, et la solution fusa presque immédiatement : « Invite-moi avec « mon » orchestre de Tampere, je te promets, je reviens en 2019″ ! Il ne fallait pas me le promettre deux fois. Le temps que la nouvelle directrice générale de l’orchestre prenne ses fonctions début août, et le contact était noué.

Et me voici à Tampere, pour discuter de la venue de l’orchestre et de son chef, sans doute pour deux concerts et deux programmes, à Montpellier l’été prochain. Et voir et entendre ces musiciens et leur chef répéter et jouer dans leur fabuleuse salle de concert – quelle acoustique idéale ! – IMG_9970

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Dans quelques heures, un programme qui est la marque de l’originalité du chef. Son premier Carmina Burana – succès populaire garanti – avec pas moins de 200 choristes sur scène (tous « amateurs » mais à quel niveau !!) – précédé de mélodies avec orchestre (pour baryton et soprano) de Richard Straussque je n’ai personnellement jamais entendues en concert. Impatient !