Festival de Cannes : le générique interdit

Depuis 1990, le festival de Cannes est identifié par ce générique musical :

Il s’agit d’un extrait – Aquarium – d’une oeuvre, la plus célèbre de son auteur, qui a failli ne jamais voir le jour…

En effet, lorsque Saint-Saëns écrit son Carnaval des animaux, c’est pour une circonstance particulière, et dans son esprit c’est une pochade qui n’a surtout pas vocation à la postérité. L’oeuvre est créée en auditions privées le 9 mars 1886 à l’occasion du Mardi gras par et chez le violoncelliste Charles Lebouc, puis redonnée le 2 avril 1886 chez Pauline Viardot en présence de Franz Liszt. Puis Saint-Saëns en interdit l’exécution de son vivant (à l’exception du Cygne ) craignant sans doute d’abîmer l’image de sérieux qui s’attache à sa personne et à son oeuvre, C’est d’ailleurs la même année, 1886, le 19 mai, qu’est créée à Londres l’autre « tube » de Saint-Saëns, sa symphonie n° 3 avec orgue ! Il faudra donc attendre 1921 et la mort du compositeur pour que Le Carnaval des animaux soit donné en public dans son intégralité, les 25 et 26 février 1922 sous la direction de Gabriel Pierné.

De nombreuses citations musicales parodiques se retrouvent dans la partition (RameauOffenbachBerliozMendelssohnRossini), ainsi que des chansons enfantines comme J’ai du bon tabacAh ! vous dirai-je, mamanAu clair de la lune,.. Dans certains enregistrements, qui associent souvent Pierre et le Loup de Prokofiev, le Carnaval des animaux est présenté par un narrateur qui récite un texte humoristique de Francis Blanche (né l’année de la mort de Saint-Saëns, mort en 1974)

  • I – Introduction et Marche royale du lion

Des trilles de piano et des montées de violons et de violoncelles. Marche très majestueuse, en do majeur pour les premiers accords, en la pour la suite, sur un rythme très strict. Quelques montées chromatiques de piano, puis d’autres aux instruments à cordes qui imitent les rugissements du lion, d’une manière qui n’est guère terrifiante, mais qui jouent un peu sur le tableau de l’inquiétude. Le mouvement finit sur une gamme chromatique ascendante puis descendante de la mineur. L’ambiance générale est celle d’un ballet.

  • II – Poules et Coqs

Exemple de musique purement imitative, ce caquetage concertant, auquel vient s’ajouter la clarinette, est un morceau de bravoure. Très ironique, avec des notes dont la venue est quasiment incohérente aux cordes, imitant les caquètements ; ce passage amuse toujours les plus petits par son caractère imitatif. Inspiré de La Poule de Jean-Philippe Rameau.

  • III – Hémiones (ou Animaux véloces)

Uniquement au piano, très rapide, à base de gammes exécutées tambour battant, cela rend la course véloce de ces ânes sauvages du Tibet.

  • IV – Tortues

Le thème, bien évidemment lent, est interprété par les violoncelles et les altosSaint-Saëns met en place une opposition rythmique entre le piano en triolets et le thème binaire en croches. Ce passage s’inspire du célèbre galop d’Orphée aux Enfers, dont Saint-Saëns n’a retenu que le thème. Le ralentissement extrême du rythme (échevelé chez Offenbach) produit un effet des plus savoureux.

  • V – L’Éléphant

Ce mouvement est lui aussi comique de manière très directe. Le thème, lent, est tenu par la contrebasse, soutenue par des accords de piano. On note un nombre important de modulations à partir de mi bémol majeur. Ce morceau est une citation de la Danse des sylphes de La Damnation de Faust de Berlioz ; très aérien dans sa version originale, il devient pachydermique chez Saint-Saëns. Il s’est aussi inspiré du Songe d’une nuit d’été de Felix Mendelssohn.

  • VI – Kangourous

Le piano alterne joyeusement des accords avec appoggiatures, ascendants puis descendants, et des passages plus lents, où sans doute l’animal est au sol…

  • VII – Aquarium

Célèbre thème, tournoyant et scintillant, évoquant le monde des contes de fées et pays imaginaires, avec des notes de l’harmonica de verre ― souvent jouées au glockenspiel ou au célesta ― et des arpèges descendants de piano.

  • VIII – Personnages à longues oreilles

Très évocateur, cet épisode, joué au violon, utilise les harmoniques aiguës et des tenues basses. Dans certaines interprétations, on jurerait entendre les braiements de l’âne.

  • IX – Le Coucou au fond des bois

C’est un mouvement très satirique, où la clarinette a le privilège de répéter vingt-et-une fois le même motif, sur les mêmes deux notes, alors que le piano mène la mélodie seul par des accords lents…

  • X – Volière

Mouvement très gracieux, où le thème est tenu presque exclusivement par la flûte, soutenue par des tremolos discrets des cordes et des pizzicatos.

  • XI – Pianistes

Autre passage, très humoristique, qui donne lui aussi dans la caricature. Les pianistes ne font que des gammes, ascendantes et descendantes, dans les tonalités majeures à partir de do, entrecoupées par des accords des cordes. Ce morceau peut être exécuté de différentes façons, selon la manière dont les musiciens interprètent la mention portée par Saint-Saëns sur la partition : « Dans le style hésitant d’un débutant ». Ils peuvent ainsi se permettre de se décaler l’un par rapport à l’autre et de jouer des fausses notes.

Il faut rappeler que Saint-Saëns était l’un des plus grands virtuoses de son temps !

  • XII – Fossiles

Passage parodique évoquant, outre les animaux disparus, les vieux airs d’époque. La clarinette reprend l’air célèbre du Barbier de Séville de RossiniUna voce poco fa. Le compositeur plaisante même avec sa propre Danse macabre, rendue gaie pour l’occasion ! Le thème est joué au début par le xylophone et le piano, avec des pizzicati des cordes. On entend aussi très clairement un fragment de Au clair de la Lune, joué par la clarinette, ainsi que les notes gaies de Ah vous dirais-je maman, deux chansons enfantines, puis, enchaîné à l’air du Barbier, un passage de Partant pour la Syrie, chanson populaire d’époque napoléonienne, dont la mélodie est attribuée à la reine Hortense.Saint-Saëns parodie particulièrement les artistes sans talent, en mettant bout à bout ces airs anciens, ajoutant même un passage fugué, du « remplissage » utilisé par les compositeurs en manque d’imagination.

Peut-être le mouvement le plus connu de toute la pièce, en tout cas le seul qui a l’honneur d’être parfois joué seul, c’est un magnifique solo de violoncelle soutenu par le piano, très poétique et sans doute sans humour ni caricature d’un quelconque excès de lyrisme propre aux cordes.

  • XIV – Final

Ce dernier morceau équivaut à la parade des fins de revue. Entamé par la reprise des trilles des pianos du 1er mouvement, il développe lui aussi un thème maintes fois repris plus tard sur d’autres supports. Ledit thème s’appuie sur une descente de basse par figure de marche. On y voit réapparaître plus ou moins brièvement les animaux dans l’ordre suivant : les hémiones (avec des accords scandés par les cordes), les fossiles (notamment par l’utilisation plus importante du xylophone), les poules et coqs, les kangourous, les ânes et, implicitement par la tonalité, le lion.

Et comme pour prouver que ce Carnaval des animaux n’est pas 1. réservé aux enfants 2. l’apanage des musiciens français, je veux citer ici des versions dirigées par des chefs étrangers- tirées de ma discothèque – parfois surprenantes, qui toutes attestent du génie universel de son auteur.

Quand je parle de chefs, j’évoque bien sûr seulement la version pour orchestre d’une oeuvre écrite au départ pour un ensemble de 11 instrumentistes (2 violons, 1 alto, 1 violoncelle, 1 contrebasse, 1 flûte, 1 clarinette, 2 pianos, 1 xylophone, 1 harmonica de verre ou, le plus souvent, 1 célesta) et qui, dans cette formation, bénéficie de quantité de versions discographiques éminentes.

John Barbirolli, Hallé Orchestra (1958)

, New York Philharmonic (1962)

C’est évidemment Bernstein lui-même, fabuleux pédagogue, qui présente le Carnaval des Animaux

Karl Böhm, Orchestre philharmonique de Vienne (1975)

S’il y a un nom qu’on ne s’attend pas à trouver dans cette oeuvre, c’est bien celui de Karl Böhm, et c’est pourtant l’une des plus grandes versions de l’oeuvre, que je place en toute première place dans mes références (tout comme son Pierre et le Loup qui y est couplé)

Dans la version allemande, c’est le fils du chef, l’acteur Karlheinz Böhm qui fait le récitant, dans la version française devenue très difficile à trouver, c’est le comédien Jean Richard.

Charles Dutoit, London sinfonietta (1980)

Le chef suisse qui fut longtemps le seul à avoir gravé les poèmes symphoniques de Saint-Saëns, donne ici une version très poétique du Carnaval

Carl Eliasberg, Orchestre philharmonique de Leningrad (1951)

Sans doute la version la plus inattendue de ma discothèque, celle conduite par le chef russe Carl Eliasberg (1907-1978), avec, excusez du peu, comme pianistes Emile Guilels et Yakov Zak, qui s’en donnent à coeur joie dans ces Hémiones. Je sais que cette version est disponible en numérique, la mienne figure dans le magnifique coffret édité par Melodia pour le centenaire de Guilels (voir tous les détails ici)

Arthur Fiedler, Boston Pops (1972)

Assez étrangement, cette version est l’une des plus « sérieuses », même si les solistes de l’orchestre de Boston sont superlatifs.

Skitch Henderson, London Symphony Orchestra (1960)

Skitch Henderson (1918-2005) a un peu le même profil qu’Arthur Fiedler. Né en Angleterre de formation classique, il a fait l’essentiel de sa carrière aux Etats-Unis comme chef de « musique légère ». Ici, il a un duo de pianistes de première catégorie, rien moins que Julius Katchen et Gary Graffman !

Ion Marin, Orchestre symphonique de Hambourg (2019)

De nouveau, ici, ce n’est pas tant la personnalité du chef que celle des deux pianistes – Martha Argerich et Lilya Zilberstein – qui fait l’intérêt de cette toute récente version captée à Hambourg, où la pianiste argentine a déménagé ses pénates depuis la fin de ses années Lugano.

Igor Markevitch, Philharmonia Orchestra (1950)

La virtuosité est au rendez-vous, la poésie un peu moins, avec Markevitch et ses deux pianistes hongrois, Geza Anda et Bela Siki.

Zubin Mehta, Israel Philharmonic Orchestra (1984)

On peut compter sur Katia et Marielle Labèque pour ne pas laisser s’endormir les animaux de ce Carnaval !

Seiji Ozawa, Boston Symphony Orchestra (1994)

Esprit de sérieux quand tu nous tiens ! Les deux pianistes de ces Kangourous sont Garrick Ohlsson et John Browning.

Guennadi Rojdestvenski, Solistes de l’Orchestre National de France (1990)

Aux côtés de l’épouse du chef russe, Victoria Postnikova, le pianiste français Jean-François Heisser, dans un Aquarium bien languide

Felix Slatkin, Concerts Arts Orchestra (1953)

On a déjà dit ici tout le bien qu’on pense du légendaire animateur des concerts d’été du Hollywood Bowl à Los Angeles, Felix Slatkin (1915-1963) père du chef Leonard Slatkin (lire Felix à Hollywood)

Martin Turnovsky, Orchestre symphonique de Prague (1961)

J’aime infiniment cette version pragoise qui respecte autant l’esprit que la lettre de cette « fantaisie zoologique »

Une version due à l’un des grands chefs tchèques du XXème siècle, Martin Turnovsky (1928-2021), auquel j’avais consacré un portrait – voir ici – lorsque Supraphon a eu la bonne idée de nous restituer plusieurs de ses grands enregistrements, dont ce Carnaval des animaux

Maïwenn et la Dubarry

Et puisque le film Jeanne du Barry ouvre le festival de Cannes 2023 ce mardi soir

un souvenir et une recommandation musicale.

Le souvenir, je l’ai raconté ici (lire Inattendus) : en mai 2016, je me suis retrouvé assis à côté de Maiwenn à l’occasion d’un « stage de sensibilisation routière ». Moment délicieux, vraiment inattendu.

La recommandation musicale, c’est l’opérette de Carl Millöcker, Gräfin Dubarry (La comtesse Dubarry), créée le 31 octobre 1879 à Vienne au Theater an der Wien, revue, « actualisée » par Theo Mackeben en 1931, et depuis lors plus souvent jouée sous le titre « Die Dubarry (La Dubarry)« 

Trop de musique ?

Le Point sur les orchestres de Radio France
Marronnier, définition : sujet qui revient chaque année, à la même époque, dans les médias.

Le Point de cette semaine est manifestement trop heureux de pouvoir titrer : Les très chers orchestres de Radio France. Et de faire état d’un nouveau rapport de la Cour des Comptes, comme il y en a, non pas chaque année, mais à intervalles réguliers, et toujours sur le même thème : Radio France a trop de formations musicales, et elles coûtent trop cher !

Je ne peux que renvoyer à la lecture du billet Ma part de vérité, qui n’a, semble-t-il, rien perdu de son actualité. Déjà à l’époque (2014-2015) la Cour des Comptes s’était (em)mêlée du débat.

Extraits :

« Pendant la « campagne » qui a précédé l’élection par le CSA du PDG de Radio France, début 2014, on a vu refleurir dans la presse un « marronnier » qui a la vie dure : Faut-il deux orchestres à Radio France ? Lire Les orchestres de Radio France en crise

Débat encore ravivé par le dernier rapport de la Cour des Comptes : « En 2018, comme en 2014, les formations musicales de Radio France sont au nombre de 4. La décision du fusionner les orchestres n’a pas été prise, en dépit des recommandations de la Cour »:« Il n’est ni dans la vocation ni dans les moyens de Radio France de conserver en son sein deux orchestres symphoniques »

Si le général de Gaulle affirmait en 1966, à propos de la Bourse : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille », on renverrait bien la formule aux magistrats de la rue Cambon : « La politique culturelle de la France ne se fait pas à la Cour des Comptes« ./…/ »

« Dans une note très argumentée que j’avais remise (à Mathieu Gallet) et qu’il avait acceptée comme base de notre collaboration, je disais deux choses très simples :

  • Le mot même de « fusion » n’a aucun sens, s’agissant de formations musicales. Dans certains cas, en Allemagne notamment, il y a eu des regroupements, des réorganisations (par exemple à Berlin, à la suite de la chute du Mur, ou dans certains Länder, comme le Bade-Wurtemberg), dans malheureusement beaucoup d’autres cas, notamment aux Etats-Unis, des suppressions pures et simples. La fusion est une notion économique, technocratique, en rien transposable à la situation des orchestres.
  • A la question : « Faut-il deux orchestres à Radio France ? » j’avais répondu très clairement : Si c’est pour jouer les mêmes répertoires, se faire une concurrence ridicule, refuser les missions normalement dévolues à des orchestres de radio, NON ! Si c’est pour revenir aux objectifs qui ont présidé à la fondation des deux orchestres, redéfinir deux projets artistiques originaux et complémentaires, dans le respect des missions de service public de Radio France, OUI !

Autrement dit, si on ne corrigeait pas une trajectoire qui, depuis trente ans, avait laissé se développer une rivalité féroce entre les deux orchestres de Radio France et leurs chefs respectifs, on offrait aux partisans de la « fusion » ou de l’élimination d’un des deux orchestres, tout comme aux comptables de Bercy ou de la Cour des Comptes, et à une grande partie de la classe politique, toutes les raisons de persévérer dans leurs idées funestes.«  »

« C’est très exactement le discours que je tins, dès ma prise de fonction début juin 2014, à tous mes interlocuteurs, musiciens, équipes administratives, et un peu plus tard à Daniele Gatti, patron de l’Orchestre National, et Mikko Franck, directeur musical désigné de l’Orchestre philharmonique (Myung Whun Chung, le chef « sortant » de cet orchestre considérant, lui, qu’il n’avait de comptes à rendre à personne, et surtout pas à moi !).

Si nous n’étions pas capables, en interne, de nous réformer, de justifier artistiquement l’existence des deux orchestres, d’autres, à l’extérieur, ne manqueraient pas de s’en charger, et sans états d’âme.

À l’Orchestre National de France la défense et illustration de la musique française, du grand répertoire, servi de préférence par des chefs français – dont la presse rappelle régulièrement qu’ils sont quasiment tous en poste à l’étranger ! -, et une présence beaucoup plus forte dans les salles de concert de l’Hexagone. Les premiers résultats de cette orientation se concrétiseraient dès la saison 2015/2016 et de manière spectaculaire en 2016/2017 (lire Les Français enfin). Du jamais vu depuis plus de quarante ans : 8 chefs français invités, Emmanuel Krivine, Louis Langrée, Stéphane Denève, Alain Altinoglu, Jean-Claude Casadesus, Fabien Gabel, Jérémie Rhorer, Alexandre Bloch !« 

« À l’Orchestre philharmonique de Radio France, les missions dans lesquelles il excelle et qu’il peut assumer grâce à sa « géométrie variable » : la musique du XXème siècle, la création, les productions lyriques, la comédie musicale, les projets radiophoniques, pédagogiques, qui n’excluent pas le grand répertoire. Mikko Franck le Finlandais, né, grandi dans un pays tout entier voué à promouvoir sa musique, sa création, ses talents, comprit très vite la nécessité de « franciser » la programmation de l’orchestre dont il allait devenir le chef. » (Ma part de vérité, 31 juillet 2019)

J’invite les curieux à lire cet article jusqu’au bout : Ma part de vérité

J’observe simplement que si le sujet revient sur la table, c’est peut-être parce que la situation actuelle de la Musique à Radio France donne du grain à moudre aux critiques habituelles de la Cour des Comptes. J’aurais pu ajouter à la note que j’avais remise à Mathieu Gallet au printemps 2014 que si les orchestres de Radio France ne se distinguaient pas, dans leur programmation, le choix des chefs et des solistes, du « mainstream » de la place de Paris, on aurait à l’évidence du mal à « justifier » leur existence. En consultant la saison 2023/2024 de l’auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique il faut bien reconnaître une certaine banalisation, l’absence de lignes de force programmatiques, la très faible part faite aux chefs français (j’en ai compté trois, Lucie Leguay, Stéphane Denève et François-Xavier Roth qui se chargera de l’hommage à Ligeti).

Happy 80#

Puisque John-Eliot Gardiner est l’un des invités de l’Orchestre philharmonique de Radio France, profitons de ce billet pour lui souhaiter un joyeux quatre-vingtième anniversaire (le chef anglais est né le 20 avril 1943 à Fontmell Magna dans le Dorset !). Lire Les Pâques de Gardiner.

Vivre ensemble en musique

Aux conseillers de la Cour des Comptes, aux journalistes, aux critiques, aux grincheux, on conseille de lire l’interview que Louis Langrée a accordée à Forumopera, quelques jours avant la première de la nouvelle production de Carmen de Bizet que va diriger le chef français dans les murs qu’il dirige depuis novembre 2021, l’Opéra Comique, la scène même où fut créé l’ouvrage le 3 mars 1875.

A-t-on jamais trop de musique ?

La réponse du chef est d’une éblouissante clarté, quand Louis Langrée évoque le spectaculaire succès de la Maîtrise populaire voulue et développée par l’Opéra Comique : Si tous les Maîtrisiens et Maîtrisiennes ne deviendront pas de grands chanteurs ou chanteuses, ils seront de meilleurs citoyens. Et chanter ensemble…. Vous êtes obligé d’écouter l’autre. Vous êtes obligé de de répondre à l’autre, de vous opposer ou au contraire de vous accorder. Nous vivons dans un monde où les gens parlent mais ne se parlent pas. On se sert de ce que dit l’autre pour être en contradiction permanente et. Et en musique, ce n’est pas possible. En musique, on est obligés de vivre ensemble. Vous ne pouvez pas bien jouer si vous négligez le groupe. C’est une école de civisme. « 

Prokofiev en boîte

Puisqu’il a été décidé que Serge Prokofiev, mort il y a 70 ans, méritait la une des deux magazines français de musique classique (lire Les deux Serge et Prokofiev etc.), réjouissons-nous de voir paraître un copieux coffret de 36 CD chez Warner.

Simple recyclage d’enregistrements déjà bien connus ? Pour partie oui, mais avec pas mal de redécouvertes. Et surtout un choix éditorial qui, dans un catalogue aussi vaste que celui des labels désormais regroupés sous la houlette de Warner (EMI, Erato, Teldec, etc.), prend des partis, retient telle version plutôt que telle autre.

Le piano

Ainsi, pour reprendre dans l’ordre de présentation des CD, dans les sonates pour piano, on retrouve partiellement la formidable intégrale de Vladimir Ovchinnikov, mais aussi l’énorme surprise qu’est la réédition de la 2ème sonate par le tout jeune Rafael Orozco.

Nikolai Luganski joue la 6ème sonate, et c’est, comme une forme d’hommage au pianiste franco-américain trop tôt disparu, à Nicholas Angelich que revient la 8ème sonate (comme son formidable cycle des Visions fugitives)

Les cinq concertos pour piano se partagent entre Andrei Gavrilov / Simon Rattle (1), le récent Beatrice Rana / Antonio Pappano (2), trois versions et non des moindres pour le 3ème, l’historique version du compositeur lui-même secondé par Piero Coppola et le LSO en 1932, Martha Argerich/Charles Dutoit et Alexis Weissenberg/Seiji Ozawa, Michel Béroff/Kurt Masur (4) et Richter/Maazel (5).

Le violon

C’est sans doute dans le chapitre « violon » et musique de chambre qu’il y a le moins de surprises : pour les deux sonates les inusables Repin et Berezovsky, pour les deux concertos les Oistrakh multi-réédités (j’aurais préféré les versions, pour moi insurpassées, de Nathan Milstein avec Giulini (1) et Frühbeck de Burgos (2)), mais aussi les moins connus Perlman avec l’apport de Rojdestvenski au podium.

Pierre et le Loup

Pour ce coffret, Warner avait l’embarras du choix dans les versions du conte musical Pierre et le Loup. Il y a pas moins de 6 versions, en français ,anglais, allemand, japonais, espagnol et néerlandais ! Avec d’illustres narrateurs : une version longtemps introuvable en allemand de Romy Schneider, à l’époque des Sissi, en espagnol avec Miguel Bosé, et en français c’est Claude Piéplu qui est annoncé sur la pochette… et c’est Peter Ustinov qu’on entend aux côtés d’Igor Markevitch et de l’Orchestre de Paris (1969). Le même Peter Ustinov, enregistré plusieurs années auparavant, est également présent dans la version anglaise avec Karajan et le Philharmonia (chef et orchestre qui manquent singulièrement de poésie !)

Les Ballets

C’est sans doute le point faible de ce coffret. En dehors des versions archi classiques d’André Previn de Roméo et Juliette et Cendrillon et du bien médiocre Fils prodigue de Lawrence Foster, rien dans les autres ballets et musiques de scène de Prokofiev à se mettre dans l’oreille ! En revanche une belle surprise avec les trois suites de Roméo et Juliette, dues à Armin Jordan et l’orchestre de la Suisse romande, passées sous les radars à leur sortie.

Rien de neuf non plus côté musiques de films ou assimilées : l’Alexandre Nevski d’André Previn manquant vraiment de « russité », l’impressionnant Ivan le Terrible de Riccardo Muti.

Les opéras

A l’instigation de Claude Samuel, les forces musicales de Radio France – Choeur et Orchestre National – avaient prêté leur concours à un très coûteux pour les finances d’Erato : le monumental Guerre et Paix sous la conduite passionnée de Mstislav Rostropovitch. L’Amour des trois oranges réunit la fine fleur du chant français sous la houlette nettement moins fervente de Kent Nagano.

Les symphonies

C’est toujours Rostropovitch et le National qu’on retrouve pour la plupart des symphonies (notamment pour les deux versions de 4ème), Previn conduisant les 1 et 7. On aurait pu imaginer un choix un peu plus vaste, notamment pour la 5ème symphonie…

Le livret du coffret est réduit au minimum, pas de détails sur les CD, les dates d’enregistrement etc… (tout cela c’est sur chaque pochette, écrit en minuscules minuscules !). Un bon texte de Loic Chahine en trois langues.

Précision : j’achète tous les disques et coffrets que je commente et présente dans mon blog. Je n’ai jamais demandé ni reçu ce qu’on appelle dans le jargon professionnel des « services de presse » (gratuits).

Deux opéras, deux orchestres

On peut difficilement imaginer soirées plus contrastées, et chez l’auteur de ce blog situations parfois schizophréniques. Celle où le critique musical est en activité, celle où l’auditeur jouit pleinement du moment sans l’angoisse du papier à écrire.

Un couple mal assorti

J’aime les soirs de première, non par snobisme (les mondanités, ça n’a jamais été mon truc !), mais parce que l’effervescence est partout perceptible, côté public comme côté interprètes et organisation. Lorsque je prends mes places vendredi soir au guichet du théâtre des Champs-Elysées, après en avoir salué l’actuel et le futur directeurs, J.Ph. me laisse deviner un spectacle qui décoiffe. Il faut dire que Le Rossignol de Stravinsky et Les Mamelles de Tiresias de Poulenc dans une même soirée, mis en scène par Olivier Py, ça promet.

Résultat mitigé ! A lire sur Bachtrack : Le Rossignol et Les Mamelles de Tiresias un couple mal assorti. Avis partagés par mes « collègues » de Forumopera, du Figaro ou du Monde

Un spectacle à voir… pour les Mamelles !

San Francisco à Paris

Samedi soir, programme généreux pour le troisième des concerts du San Francisco Symphony en résidence à la Philharmonie. Esa-Pekka Salonen sur le podium, Yuja Wang au piano !

(Yuja Wang, Esa-Pekka Salonen, le San Fransisco Symphony dans un extrait du finale du 3ème concerto de Rachmaninov)

La pièce d’ouverture est due à une jeune compositrice californienne, Gabriella Smith. Une musique vraiment descriptive, qu’elle situe à 40 kilomètres au nord de San Francisco sur le majestueux cap de Point Reyes. Adolescente, Gabriella Smith y a participé à un projet de recherche sur les chants d’oiseau. Et c’est là contemplant l’océan, bercée par les bruits environnants, que lui vient l’idée de Tumblebird Contrails. Tous les instruments de l’orchestre sont sollicités pour reproduire la houle, le ressac, le sable qui crisse sur la grève. C’est mieux qu’un exercice de style, l’affirmation d’une authentique maîtrise du grand orchestre.

Que dire, ensuite, qui n’ait déjà dit sur Yuja Wang, sa technique superlative, son approche aussi virtuose que poétique de l’immense 3ème concerto de Rachmaninov (cf. l’extrait ci-dessus) ! En bis, la sublime transcription par Liszt de « Marguerite au rouet » de Schubert presque murmurée, dans un souffle.

Puis devant l’insistance du public, un « encore » qui était si familier à Nelson Freire, les Ombres heureuses de l’Orphée et Eurydice de Gluck arrangées par Sgambati

En seconde partie, le Concerto pour orchestre de Bartok, où les Californiens et leur chef n’ont pas de mal à briller de tous leurs feux. Mais ce n’est décidément pas l’oeuvre qu’on préfère de Bartok.

Les beaux dimanches du National

Je me rappelle encore l’énergie qu’il avait fallu développer, après l’inauguration de l’auditorium de Radio France en novembre 2014, pour installer l’idée que la musique et les formations musicales de la Maison ronde devaient être proposées au public le week-end. J’avais lancé le principe de concerts symphoniques le dimanche après midi, me heurtant d’emblée à l’incrédulité voire à l’hostilité générale, à l’exception, je dois le dire, du PDG Mathieu Gallet qui souhaitait une Maison de la Radio en format VSD !

J’ai eu évidemment beaucoup de plaisir à constater ce dimanche après-midi qu’un public jeune et familial avait pris place dans l’Auditorium. Pour un concert en tous points admirable. Comme je l’ai écrit pour Bachtrack : Gianandrea Noseda, Joshua Bell et le National au meilleur de leur forme.`

Des chefs étoilés

Je me dis, à l’occasion de la parution du Guide Michelin 2023, qu’il y a bien longtemps que je n’ai pas évoqué ici les bonnes tables que j’aime fréquenter. Promis c’est pour bientôt, surtout que les deux étoilés du Val d’Oise, où j’ai mes pénates, ont conservé leur macaron (pour ne pas les citer, le Chiquito à Méry-sur-Oise et L’Or Q’idée à Pontoise).

Je veux ici parler de deux très grands chefs… d’orchestre, qui sont depuis longtemps au firmament de nos amours musicales, à qui leurs éditeurs viennent de rendre un bel hommage discographique.

Abbado et la marque jaune

Comme naguère Deutsche Grammophon/Universal l’avait fait pour Karajan et Bernstein, le célèbre éditeur a réuni dans une grosse boîte très bien agencée la totalité du legs discographique pour Decca et DG de Claudio Abbado (1933-2014). Même s’il s’agit d’une édition limitée, le coffret n’est pas donné : plus de 700 € sauf sur Amazon.fr où il est accessible à 629 €.

L’éditeur a bien fait les choses: 257 CD et 8 DVD. Présentation par ordre alphabétique de compositeurs. Un beau livre richement illustré. Aucun inédit : tout ce qu’Abbado a enregistré depuis les premiers disques pour Decca au milan des années 60 jusqu’aux derniers avec son orchestre « Mozart » de Bologne ou le festival de Lucerne. Deux intégrales des symphonies de Beethoven (avec Vienne et Berlin, mais avec les Berliner seulement les captations faites en Italie, et non celles faites en studio à Berlin qu’Abbado avait finalement interdites), idem pour Brahms, pour Mahler quasiment trois intégrales partagées entre Berlin, Vienne et Chicago). La partie, pour moi, la plus intéressante, la plus émouvante aussi, est cette ultime série d’enregistrements réalisés à Bologne avec la formation fondée par le chef italien en 2004. Beaucoup m’avaient échappé, notamment ces Mozart si allègres, vif-argent. On ne peut s’empêcher d’être étreint par l’émotion lorsqu’on revoit les derniers concerts d’un homme dont le visage avait revêtu le masque de la mort qui allait finalement l’emporter au début de 2014.

Haitink et le Concertgebouw

Le lien entre l’orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam et le chef néerlandais Bernard Haitink (1929-2021) ne se réduit pas à la période, déjà considérable, pendant laquelle le second fut le directeur musical du premier, de 1964 à 1988. Les premiers enregistrements datent de 1959, les derniers des années 2010.

C’est ce que Decca a rassemblé dans un coffret luxueux – beaucoup moins cher qu’Abbado ! – Tous les détails ici : Bernard Haitink l’intégrale Concertgebouw

Comme je l’indique sur bestofclassic, le coffret regroupe tout ce que Bernard Haitink a enregistré avec la prestigieuse phalange amstellodamoise, et lorsqu’une intégrale comme les symphonies de Chostakovitch a été partagée entre Amsterdam et le London Philharmonic, l’éditeur a eu le bon goût de tout conserver !

Ce qui intéresse ici, c’est un grand nombre d’inédits en CD ou sur le marché international, comme des Dvorak, des Mendelssohn, c’est aussi, dans le cas de Bruckner et Mahler, l’ensemble des versions captées par le chef et l’orchestre, pas seulement celles retenues dans le cadre d’une intégrale. Et le cadeau des DVD – que j’avais déjà depuis longtemps achetés aux Pays-Bas- des concerts de Noël consacrés à Mahler.

Evoquant Bernard Haitink, je ne peux oublier les concerts qu’il a dirigés ces dix dernières années à la tête de l’Orchestre national de France. Je me rappelle en particulier celui du 23 février 2015, quelques semaines après l’inauguration de l’Auditorium de la Maison de la radio. J’étais bien sûr allé saluer le chef dans sa loge, qui était restée fermée un long moment, parce que, avec l’aide de son épouse, le vieil homme tenait à se changer et à se présenter « dans une tenue décente » (selon les mots de Madame !) à ceux qui venaient le féliciter. La modestie et la gentillesse de Bernard Haitink n’étaient pas feintes. C’est lui qui nous remerciait de l’avoir invité et écouté !

L’art de la critique (suite)

Voilà quelques semaines que j’ai endossé un nouveau rôle, celui de critique musical. Nouveau ? pas tant que cela m’ont répondu d’aucuns, puisque, selon eux, je le faisais déjà sur mon blog. Pas tout à fait faux, même si mes remarques ici ne peuvent être assimilées à une critique construite, étayée. Exercice auquel je dois me plier, essayer en tout cas, lorsque j’écris pour Bachtrack (voir mon dernier papier sur l’intégrale Schumann de l’ONF et Daniele Gatti)

Bon public

Je n’ai plus de responsabilité dans le monde musical, je ne suis plus directeur d’un festival, d’une entreprise culturelle, d’une chaîne de radio, mais je suis resté le même, à l’égard des musiciens, des artistes, des professionnels que j’ai côtoyés et qui sont souvent devenus des amis. Est-ce à dire que je dois m’interdire de les critiquer ? Non bien sûr, mais connaissant leur démarche, leur travail, je me mets à la place du public, je suis dans le public, et j’essaie de raconter ce que j’ai vu et entendu, et qui parfois m’a surpris ou déçu (ainsi du dernier récital de Fazil Say à Paris).

J’avoue que je suis parfois soulagé de ne pas avoir à faire la critique d’un concert auquel j’assiste. Dernier en date, mardi dernier, l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam à la Philharmonie, dirigé par Paavo Järvi, avec en soliste Lisa Batiashvili.

Je n’aurais pas pu écrire un dithyrambe comme celui de mon estimé collègue sur Bachtrack, qui ne tarit pas d’éloges sur le jeu de la violoniste dans le Concerto de Beethoven. Au sortir de cette longue, très longue première partie de concert, je faisais part à des amis – devrais-je dire maintenant des « collègues » ? – du Figaro, de Diapason, de ma perplexité : pourquoi ces tempi si lents qui rendent le premier mouvement interminable ? pourquoi une quasi-absence de l’orchestre et du chef ? J’avais le souvenir de ce disque si formidable :

Apercevant à quelques sièges le jeune violoniste Daniel Lozakovich, je me rappelais la toute autre impression qu’il m’avait laissée, le 11 juillet 2019, en ouvrant le Festival Radio France à Montpellier, au côté d’un autre Järvi ! :

« Le concerto de Beethoven passe comme un rêve, le petit prodige suédois nous donne à entendre l’essence, le coeur d’une oeuvre qui fuit l’épate et la virtuosité gratuite, Lozakovich et Järvi s’écoutent, se répondent, atteignent plus d’une fois au sublime, à cet état suspendu de pure beauté. Le silence est absolu dans la vaste salle de l’opéra Berlioz du Corum de Montpellier. Nous avons tous le sentiment de vivre l’un de ces moments que la mémoire rendra indélébile… » (Opening Nights).

Pour en revenir au concert de mardi dernier, l’unanimité s’est faite sur la deuxième partie, la Cinquième symphonie de Prokofiev. Pierre Liscia (Bachtrack) souligne l’extraordinaire démonstration de discipline orchestrale donnée par l’Orchestre du Concertgebouw, véritable star de la soirée .

On continue de ne pas aimer le très soviétique premier mouvement, comme un exercice obligé de la part du compositeur pour célébrer la victoire de l’URSS sur l’Allemagne nazie (l’oeuvre est créée le 13 janvier 1945 dans la grande salle du Conservatoire de Moscou). Les trois mouvements suivants sont, eux, du pur Prokofiev, agreste, lyrique, virtuose. Paavo Järvi manifeste un contrôle de tous les instants sur la formidable machine orchestrale. On aimerait parfois qu’il se lâche un peu.

Le respect des artistes

Je me réjouissais d’entendre Lukas Geniušas le 8 février dans le bel écrin de la Salle Cortot. Le pianiste lituanien ayant déclaré forfait, il était remplacé par un artiste que j’avais souvent invité à Liège, libre, fantasque, étrange, Severin von Eckardstein. Programme étrange (sa transcription pour piano de Mort et transfiguration de Richard Strauss, Liszt, la 32ème sonate de Beethoven). Heureusement que je n’avais pas de critique à écrire…Je suis sorti décontenancé, malheureux, déçu. Il faut aussi accepter ces rendez-vous ratés, au nom même de l’admiration et du respect qu’on porte à ces artistes.

En attendant, il faut écouter les disques du pianiste allemand. Ils ne nous ont jamais déçu !

Des femmes à la première chaise

L’actualité me donne l’occasion d’évoquer un sujet que je n’ai jamais abordé jusqu’à présent. Non pas le rôle ni la place des femmes dans un orchestre, quoique… mais le fait que l’Orchestre philharmonique de Berlin se félicite de nommer, pour la première fois de son histoire, une femme, une violoniste, à ce qu’on appelle dans le jargon des musiciens, la « première chaise ». C’est-à-dire à la place du premier violon, du Concertmaster (en anglais), du Konzertmeister (en allemand), celui qui est assis juste au bord de la scène à gauche et à proximité immédiate du chef d’orchestre.

En l’occurrence, c’est une musicienne que j’ai bien connue du temps de mes années belges, Vineta Sareika-Völkner, 36 ans, d’origine lituanienne.

Elle avait participé à l’aventure que j’avais initiée avec la Chapelle musicale Reine Elisabeth consistant à faire enregistrer les sept concertos pour violon de Vieuxtemps par sept violonistes passés par la Chapelle et/ou le Concours Reine Elisabeth, avec l’Orchestre philharmonique royal de Liège sous la direction du très regretté Patrick Davin. Entreprise dont le succès ne s’est jamais démenti depuis la publication de ce coffret en 2010.

Vineta y joue le 1er concerto :

Au moment où Berlin annonçait la confirmation de Vineta Sareika à ce poste, l’orchestre publiait des photos du départ en retraite de deux de ses membres, et notamment de celle qui fut la première femme à être engagée dans les rangs des Berliner, la violoniste suisse Madeleine Carruzzo. C’était en… 1982 !

Si la féminisation des orchestres n’est heureusement plus une rareté – certaines phalanges ont plus de musiciennes que de musiciens et je me souviens que c’était le cas lorsque j’ai quitté la direction de l’Orchestre philharmonique de Liège en 2014 ! – la présence d’une violoniste à la » première chaise » reste encore un événement.

J’ai le souvenir qu’à Liège, après le retrait des deux « concertmeister » historiques, il nous fallut « essayer » plusieurs personnes pour un poste extrêmement exposé, où doit s’imposer un musicien qui conjugue des qualités multiples – technique, virtuosité, musicalité évidemment, mais surtout leadership, diplomatie, autorité !- Je m’étais mis en quête de l’oiseau rare, conseillé par quelques amis avisés, membres eux-mêmes de grands orchestres.

Et j’éprouvai alors ce que beaucoup d’orchestres vivent encore, malgré toutes les dispositions anti-discrimination, les législations assurant l’égalité hommes-femmes, qu’il était plus difficile pour une musicienne que pour un musicien de s’imposer à un poste clé de l’orchestre, cela valait aussi pour les autres postes.

Ainsi lorsque coup sur coup les deux flûtes solo que j’avais recrutés fin 1999 quittèrent l’OPRL pour des raisons très différentes (je salue Herman van Kogelenberg aujourd’hui flûte solo des Münchner Philharmoniker) les résultats du concours de recrutement qui suivit furent sans appel. Deux jeunes femmes. Mêmes résultats lorsqu’il fallut recruter second soliste et piccolo. Aujourd’hui le pupitre de flûtes liégeois est exclusivement féminin! Mais je me rappelle encore certaines réflexions des jurys où siégeait une majorité d’hommes… je ne citerai personne, il y a prescription.

Revenons à la place de Premier violon. Fidèle à une position que j’ai toujours défendue comme directeur général, la question du sexe ne s’est jamais posée. J’ai d’ailleurs fait appel, pendant une période « probatoire » de deux ans, à autant de femmes que d’hommes. Mais je voyais bien que, même dans les pupitres de premiers et seconds violons majoritairement féminins, les hommes étaient mieux acceptés que les femmes, sans que ce soit formulé explicitement. Une exception notable : Tatiana Samouil, alors en poste à La Monnaie, m’avait fait l’amitié et l’honneur d’accepter quelques sessions avec l’OPRL. J’entends encore les commentaires… des musiciens comme du public d’ailleurs : quand elle est à la première chaise, c’est elle la « patronne », unanimement et immédiatement respectée. Tatiana qui avait le projet de lâcher sa fonction très prenante à Bruxelles m’avait prévenu qu’elle n’accepterait pas de prendre Liège. Toutes les ambassades de ses collègues n’y firent rien.

À Paris, l’Orchestre de chambre de Paris et l’Orchestre national de France ont la chance d’avoir deux formidables musiciennes, deux soeurs, Deborah et Sarah Nemtanu. On peut espérer que l’Orchestre de Paris qui doit pourvoir à deux postes de premier violon solo suivra la même voie.

Deux Milanais à Paris

Décade très italienne à Paris ces jours-ci, et parfois collisions programmatiques !

J’ai manqué Antonio Pappano, Sir Antonio pour les Britanniques dont il fait partie en dépit de son patronyme, et son orchestre, lui bien italien, de Santa Cecilia de Rome, hier à la Philharmonie de Paris. Le programme s’ouvrait par… la 1ère symphonie de Prokofiev !

La même symphonie « classique » figurait au programme, dimanche, de la Filarmonica della Scala, l’orchestre de l’opéra milanais en formation symphonique, sous la baguette de son directeur musical, le Milanais Riccardo Chailly.

J’en ai fait le compte-rendu à lire dans Bachtrack : Chailly et la Scala illuminent la Pathétique.

Un autre natif de Milan, Daniele Gatti, le benjamin des trois, retrouvait, quant à lui, le 26 janvier et le 1er février, l’Orchestre national de France dont il fut le directeur musical de 2008 à 2016. On est bien placé pour savoir que les relations entre la phalange de Radio France et le chef n’épousèrent pas toujours le cours d’un long fleuve tranquille.

Mais la Seine a coulé sous le Pont Mirabeau et l’intégrale des symphonies de Schumann qu’ont donnée l’ONF et Gatti s’inscrit désormais au premier rang de mes souvenirs de concert. Voir mon. compte-rendu pour Bachtrack : Une intégrale Schumann à marquer d’une pierre blanche

Et surtout (ré) écouter les deux soirées sur France Musique : Schumann, symphonies 2 et 4 (1/02) et Schumann, symphonies 1 et 3 (26/01).

La musique de la nature

Comme promis dans un précédent billet (Gare aux gorilles), de retour d’une trop courte décade sur le continent africain, avec le souvenir d’une multitude de sons, d’impressions sonores, de ces bruits de la nature.

Aucune pollution lumineuse, sonore, juste la nature qui s’éveille avec le lever du jour, dans l’ouest de l’Ouganda.


Les bruits de la nature encore quand la nuit vient de tomber :


Entendant cela durant de très longues minutes, me revenaient immédiatement à l’esprit deux oeuvres qui, chacune, tentent de restituer ces symphonies magiques.

Mahler et son Naturlaut

Gustav Mahler intitule le premier mouvement de sa Première symphonie : Wie ein Naturlaut, Comme le son de la nature

Ici une interprétation mémorable, lorsque le géant Neeme Järvi dirigeait l’Orchestre national de France il y a trois ans :

https://www.youtube.com/watch?v=jT6qWac6rRw



De cette première symphonie de Mahler, je garde très précieusement dans ma discothèque un disque rare, pour moi proche de l’idéal, Paul Kletzki dirigeant le philharmonique de Vienne.

Ravel et le lever du jour de Daphnis.

Plus encore peut-être que Mahler, Ravel réussit à traduire cette miraculeuse impression sonore au début de la troisième partie de son ballet Daphnis et Chloé, précisément intitulé Lever du jour.

L’enregistrement de Pierre Boulez avec les Berliner Philharmoniker est lui aussi miraculeux. Manière de rendre hommage au compositeur et chef disparu il y a sept ans…

Je ne vais pas me livrer à une recension exhaustive des oeuvres et compositeurs qui ont tenté, et souvent réussi, à reproduire ou imiter les bruits de la nature. Ils sont légion.
Je me suis brièvement demandé, l’autre jour, contemplant cette nature africaine au petit matin, si avec les systèmes d’intelligence artificielle, un compositeur pourrait aujourd’hui reproduire exactement pour un orchestre symphonique ces bruits de la nature… Mais dans ma réflexion il y a un mot de trop : artificiel. Restons-en donc à la nature princeps.

César Franck #200

C’est aujourd’hui le bicentenaire de la naissance, le 10 décembre 1822 à Liège, de César Auguste Franck.

En dehors de sa ville natale, et de quelques concerts parisiens, on ne peut pas dire que cet anniversaire ait bénéficié de grandes célébrations. Pas très vendeur sans doute le père Franck.

Après le point fait sur la discographie – lire Ave César -, mes choix purement subjectifs, et quelques pépites bien cachées ou oubliées.

Symphonie

L’unique symphonie, en ré mineur, de César Franck, achevée en 1888 et créée le 17 février 1889, bénéficie d’une discographie pléthorique. J’ai déjà ici souvent exprimé mes préférences, corroborées par la critique.

Je ne peux évidemment pas revoir, sans une profonde émotion, ces deux vidéos pourtant si différentes : l’Orchestre national de France exalté par le geste conquérant de Leonard Bernstein, l’Orchestre de la Suisse romande et Armin Jordan si authentiques.

J’ai fait le compte, j’en ai 43 versions dans ma discothèque (en CD) sans compter les téléchargées. Dont les trois enregistrées par Carlo-Maria Giulini, à Londres, à Berlin et à Vienne. On admire immensément ce chef, mais sa lecture hiératique, chargée d’intentions, statufie un peu plus le père Franck !

La sonate pour violon

Définitivement le duo Christian Ferras – Pierre Barbizet dans leurs deux versions EMI (1958) et DG (1965)

Psyché avec ou sans choeur

Déjà écrit (Ave Cesar), pour ceux qui voudraient sortir de la Symphonie, la trop justement méconnue symphonie qui ne dit pas son nom, le « poème symphonique avec choeur » Psyché.

Malheureusement pas grand chose à tirer ni à entendre de la toute récente et bien banale version des Liégeois dirigés par leur actuel chef, mais tout à redécouvrir grâce à la réédition d’un enregistrement de 1976 avec le même orchestre de Liège et son chef de l’époque, l’Américain Paul Strauss, pour la version complète avec choeur :

Et pour la version sans choeur, un enregistrement que j’écoutais hier dans un taxi – c’est rare un taxi branché sur France Musique ! – et qui m’enthousiasmait sans que je parvienne à le reconnaître. Lorsque j’entendis, à la fin de l’extrait, « désannoncer » Armin Jordan et l’orchestre symphonique de Bâle. (et pas, comme je l’entendis jadis sur cette même chaîne, l’orchestre Basler !!), je n’en fus pas surpris. Comme dans la symphonie, Armin Jordan est un chef qui a tout saisi du caractère de la musique de Franck, né au carrefour des cultures germanique et latine.

Le chasseur maudit

Sans doute l’oeuvre la plus « romantique » de César Franck, un poème symphonique d’une quinzaine de minutes où rodent les ombres de Berlioz, de Weber et du premier Wagner.

Michel Plasson et « son » Capitole de Toulouse en donnent une vision frémissante :

Piano et orchestre

Franck a écrit plusieurs pièces pour piano et orchestre, un concerto notamment (on les retrouve dans le coffret anniversaire OPRL/Fuga Libera. Seules restent jouées les Variations symphoniques – en réalité un concerto bref en trois parties – et Les Djinns.

J’ai longtemps été rebuté par le début empesé, lourd, de beaucoup de versions des Variations symphoniques, malgré l’excellence des pianistes et des chefs. Et à chaque fois je reviens à mon tout premier disque, inégalé, inégalable : Artur Rubinstein en 1957 et un chef Alfred Wallenstein qui ne se croit pas obligé d’embrumer Franck.

Pour le reste, je renvoie à l’esquisse de discographie déjà dressée dans Ave Cesar.

Petit cadeau pour cet anniversaire, une version vraiment inattendue de l’une des mélodies (genre qu’il a peu cultivé) de Franck, son Nocturne :