Miss Espagne au musée

En lisant la fiche Wikipedia de María del Carmen Rosario Soledad Cervera y Fernández de la Guerraon apprend qu’elle est plus connue en Espagne comme Tita Cervera, couronnée Miss Espagne en 1961 !

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Ce n’est évidemment pas à ce titre qu’elle a retenu l’attention des amateurs d’art du monde entier. Son nom est pour toujours associé à celui qu’elle avait épousé en troisièmes noces, lui-même descendant d’une illustre famille allemande, le baron Hans Heinrich von Thyssen-Bornemisza (1921-2002). Il y aurait beaucoup à dire sur la dynastie Thyssen

Aujourd’hui le musée Thyssen-Bornemisza, situé très exactement en face du Prado, à Madrid, est l’un des plus passionnants d’Europe, et une bonne moitié des surfaces exposées provient de la collection amassée par l’ex-Miss Espagne, Carmen Cervera.

Petit retour en arrière. C’est en Suisse, près de Lugano – en pays « neutre » ça peut toujours  servir ! – que les Thyssen avaient installé leur collection, commencée d’abord avec Heinrich. La Villa Favorita – vendue il y a deux ans à la famille Invernizzi – une autre dynastie, fromagère celle-là ! – par la veuve du baron Thyssen – hébergeait jusqu’au début des années 90 une pinacothèque qu’on venait visiter du monde entier. Il fallait s’y prendre à l’avance pour avoir une chance d’accéder au saint des saints, où l’on ne pouvait de toute façon voir qu’une petite partie de la fabuleuse collection Thyssen.

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J’ai eu cette chance là au cours d’une semaine de stage que j’effectuai, à l’automne 1986, à la radio suisse italienne.

Au début des années 1990, le scandale éclata. Tous les journaux de la Suisse bien pensante furent pleins de rage et d’indignation : le baron Thyssen, ensorcelé par sa jeune épouse espagnole, une ex-Miss Espagne vous pensez !, envisageait de transférer sa collection et son musée tessinois à Madrid. La Suisse était en passe de perdre sa plus belle collection d’art privée. Tout ça pour les beaux yeux de Carmen…La dite Carmen qui prouva alors que son charme n’était pas son seul atout, puisqu’elle fit racheter la collection par l’Etat espagnol, contre la promesse de la transférer à Madrid, et en partie à Barcelone. Bien joué !

IMG_2190 2(Luca di Tommè, L’adoration des mages)

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IMG_2194(El Greco, L’annonciation)

IMG_2197(TiepoloLa mort de Hyacinthe, après restauration en 2015)

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Minuscule aperçu d’une fabuleuse collection de chefs-d’oeuvre du 14ème au 20ème siècles.

 

 

Aimer Sibelius

C’est un formidable petit bouquin. Une déclaration d’amour peu banale, d’un jeune compositeur français à un illustre aîné finlandais.

Oui, Eric Tanguy aime Sibelius, et avec la complicité de Nathalie Krafft, lui consacre des pages qui n’ont rien de théorique ou de musicologique, mais qui donnent furieusement envie d’emprunter des chemins peu battus et de découvrir quelques trésors méconnus du plus grand compositeur finnois.

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« Pour les admirateurs de la musique de Sibelius, comme je le suis ardemment moi-même, Ecouter Sibelius, cette douce injonction paraît superflue. Et pourtant, en dépit des efforts de quelques programmateurs, son oeuvre se résume pour beaucoup à quatre pièces : le concerto pour violon, les symphonies n°2 et 5, l’immanquable Valse triste, des partitions admirables mais qui masquent une forêt de chefs-d’oeuvre méconnus. » (Eric Tanguy)

J’ajoute à cette liste Finlandia, mais le constat d’Eric Tanguy est juste.

Eric Tanguy était hier soir l’invité de Lionel Esparza sur France Musique pour parler de ce livre singulier : écouter Classic Club

En même temps qu’un parcours en neuf étapes dans l’oeuvre de SIbelius, c’est évidemment son propre itinéraire, ses enthousiasmes et des doutes, avec une sincérité touchante, que livre le compositeur français à l’approche de la cinquantaine.

Quelques-unes de ces oeuvres chères à Tanguy :

Mais Eric Tanguy dit aussi son admiration – et l’écho qu’elles provoquent en lui – pour les grandes pages symphoniques ou chorales que sont Kullervo, la 5ème symphonie, la suite Karelia, le concerto pour violon

Les références de ces oeuvres sont nombreuses, on a l’embarras du choix dans une discographie devenue considérable. Mes préférences :

91jd980dtuL._SL1500_Paavo Berglund c’est le côté rude, âpre, immense de la force. Son Kullervo dans cette toute récente réédition (la deuxième de ses trois intégrales symphoniques de Sibelius) es légendaire.

Karajan est le grand sibélien non finlandais du XXème siècle. Sa 5ème symphonie captée en concert le 26 mai 1957 est tout à la fois feu et glace, marbre et soie.

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Karajan n’a gravé qu’une seule fois la suite de Karelia.

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Une famille formidable

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C’est un peu notre grand-mère à tous qui s’en est allée cette nuit. La doyenne des comédiens français (et des Comédiens-Français !), Gisèle Casadesus est morte à l’âge de 103 ans, nous l’aimions bien cette délicieuse vieille dame à l’élégance si naturelle.

Je ne l’ai pas connue directement, mais je connais bien plusieurs membres de cette immense famille, au patronyme renommé depuis des générations, les Casadesus.

Commençons par les descendants directs de la défunte :

nee-en-14_article_landscape_pm_v8(Photo de famille prise à l’occasion du centième anniversaire de Gisèle Casadesus)

Le plus célèbre des quatre enfants de Gisèle est – à droite sur la photo – Jean-Claude Casadesus, l’âme et le patron incontesté de l’Orchestre National de Lille durant quarante ans.

Quelques souvenirs récents avec cet éternel jeune homme, un beau concert à Montpellier en juillet 2014 (Inextinguible); quelques mois plus tard à mon invitation il dirigeait l’Orchestre National de France pour le Grand Echiquier spécial d’hommage à Jacques Chancel en janvier 2015. Et encore à des concerts d’autres orchestres et d’autres chefs, où je le vois parfois accompagné par son jeune frère compositeur Dominique Probst (à gauche sur la photo de famille)

Je n’oublie pas l’inauguration en janvier 2013 de la toute nouvelle salle du Nouveau Siècle à Lille, un projet porté à bout de bras par J.C. Casadesus, et un programme qui donnait à entendre La Voix humaine de Poulenc, interprétée – on restait en famille – par la fille du chef, Caroline Casadesus ! Qui, elle-même, a été mariée avec le violoniste de jazz Didier Lockwood.

Comme par hasard, les deux fils de Caroline sont aussi musiciens, tombés dès leur plus jeune âge dans le bain du jazz (influence du beau-père Didier Lockwood ?) et du classique. Je me rappelle très bien le choc éprouvé un dimanche matin dans Thé ou caféil y a une petite dizaine d’années, à découvrir Thomas et David Enhco, l’un au piano, l’autre à la trompette. Depuis, nos chemins n’ont cessé de se croiser, et ils font honneur à la dynastie familiale (lire Musique sans protection).

D’une autre branche des Casadesus, on connaît bien sûr les pianistes Robert, Gaby (sa femme), et Jean (leur fils). J’ai raconté comment j’avais eu l’honneur de connaître Gaby Casadesus (Tout sur Robert). Le legs discographique de ces pianistes magnifiques est heureusement réédité (même si ce coffret n’est pas exhaustif)

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Autres figures musicales illustres de la famille : Marius, fils du patriarche Luis, et oncle de Gisèle et Robert, génial faussaire, qui a fini par avouer, en 1977, être le véritable auteur d’un concerto pour violon attribué à …Mozart, qu’il disait avoir redécouvert en 1931.

Marius a eu un fils, Gréco Casadesus, avec qui j’ai été en contact dans une circonstance bien particulière.

Pour célébrer les 50 ans de la fondation officielle en 1960 de l’Orchestre de Liège – devenu Orchestre philharmonique royal de Liège – j’avais imaginé, avec la complicité de l’éditeur Cypresde rééditer en 2010 la totalité des enregistrements commerciaux réalisés par l’orchestre des années 60 à 2009. Un coffret de 50 CD (vendu 50 €). Il fallait évidemment l’accord des interprètes eux-mêmes, des différents labels, et de leurs directeurs artistiques. Il se trouve que les premiers disques commerciaux de l’Orchestre furent enregistrés sous la baguette de Paul Straussen 1972/73, pour EMI/Pathé-Marconi qui cherchait à se développer en dehors de l’Hexagone : le directeur artistique qui réalisait là ses tout premiers enregistrements était un jeune homme de 22 ans, Gréco Casadesus, avec qui j’ai correspondu et qui, pour le livret du coffret-anniversaire, avait bien voulu livrer quelques souvenirs émouvants.

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On n’a pas fini de fréquenter cette grande famille d’artistes, qu’on salue affectueusement au moment où leur doyenne les quitte…

L’admirable Nelson (suite)

Au début de ce mois, j’évoquais la personnalité, le talent singulier, d’un pianiste depuis si longtemps admiré, Nelson Freire (voir L’admirable Nelson)

11779974_10203373981309277_5085623428112298901_o(Photo Eric Dahan)

Je viens d’acheter un CD paru il y a un petit mois, des archives de radio allemandes.

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C’est un magnifique ajout à la discographie, longtemps erratique, du pianiste brésilien. Les fans de Nelson Freire connaissaient déjà le DVD d’un concert capté en 1983 à Lugano avec ce 2ème concerto de Saint-Saëns, dirigé par le regretté David Shallon.

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Tout ce qu’on aime dans ce concerto – chic, virtuosité, panache, humour – Nelson Freire le prodigue au plus haut degré.

On retrouve tout cela, trois ans plus tard, à Berlin, dans le « live » publié sur ce CD, cette fois aux côtés d’Ádám Fischer.

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Et le « complément » est tout sauf anecdotique puisqu’on y entend un tout jeune homme (Nelson a 22 ans en 1966), livrer des Pièces lyriques de Grieg intensément poétiques et libres, deux Rhapsodies hongroises et la 2ème Polonaise de Liszt, phénoménales !

On l’a compris : encore un indispensable de toute discothèque !

Fontaines centenaires

Les heureux festivaliers présents à Montpellier le 21 juillet dernier ont eu la chance d’entendre la lumineuse version de l’Orchestre National de Lille et de son chef Alexandre Bloch d’une oeuvre centenaire, Les Fontaines de RomePremier volet de ce qui deviendra la « trilogie romaine » de Respighicréé le 11 mars 1917 au Teatro Augusteo de Rome.

Une récente visite à l’une de mes adresses favorites à Paris – Melomania – m’a fait découvrir – et acheter – un disque qui m’a doublement intrigué : Respighi au piano à 4 mains – alors qu’on n’imagine pas la richesse, le raffinement de l’orchestre du compositeur italien réduits à un clavier en noir et blanc- et le patronyme de l’un des interprètes :

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La ressemblance avec le compositeur est frappante :

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Norberto Cordisco Respighi est bien un descendant du compositeur, et si l’on en croit son profil professionnel, aussi bon musicien que… banquier ! Je connaissais déjà son partenaire, Giulio Biddau, par un beau disque Fauréparu il y a quelques années.

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La très bonne surprise de ce disque, c’est que la crainte de la « réduction » des somptuosités orchestrales de Respighi au piano était vaine. On écoute ces oeuvres – Les Fontaines et Les Pins de Rome – d’une oreille neuve, les couleurs que mettent les deux pianistes à leur clavier parant ces tableaux de nuances qui ne cherchent pas à reproduire l’orchestre.

Il se trouve que les deux pianistes proposent ce programme en concert le lundi 2 octobre à l’Institut Italien à Paris (détails ici). Disque et concert vivement conseillés !

Et, comme un clin d’oeil à mon billet d’avant-hier (C’était mieux avant ?), ma petite « discothèque idéale » de ces Fontaines de Rome.

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J’ai eu la chance de pouvoir chroniquer cette réédition inespérée – Diapason d’Or – d’un des rares élèves de Respighi, un chef complètement oublié, Antonio Pedrotti (cf. Diapason n°650).

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A peu près au même moment (Les Fontaines de Pedrotti datent de 1961, prise de son exceptionnelle !), Fritz Reiner fait ruisseler ces Fontaines dans une Living Stereo éblouissante avec « son » orchestre de Chicago

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Karajan et ses Berlinois délivrent une palette exceptionnelle de couleurs.

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Moins souvent citée, mais passionnante, parce qu’accentuant la modernité de la partition, la version du chef/compositeur Giuseppe Sinopoli avec l’orchestre philharmonique de New York.

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C’était mieux avant ?

C’est l’histoire d’un texte écrit trop vite, publié hier matin et retiré. Et maintenant corrigé, ou plutôt remanié.

D’abord parce que, sans le savoir, le titre de ce billet plagie celui de l’éditorial de Franz-Olivier Giesbert dans Le Point de cette semaine, qui lui-même évoque un petit bouquin coup de gueule de Michel Serres

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« Dix Grands Papas Ronchons ne cessent de dire à Petite Poucette, chômeuse ou stagiaire qui paiera longtemps pour ces retraités : « C’était mieux avant ». Or, cela tombe bien, avant, justement, j y étais. Je peux dresser un bilan d’expert.
Qui commence ainsi : avant, nous gouvernaient Franco, Hitler, Mussolini, Staline, Mao… rien que des braves gens ; avant, guerres et crimes d’Etat laissèrent derrière eux des dizaines de millions de morts.
Longue, la suite de ces réjouissances vous édifiera. » Michel Serres

Je me référais, beaucoup plus modestement, aux discussions souvent passionnées, parfois passionnantes, que je vois sur Facebook – il m’arrive d’y participer ! – entre critiques éminents, discophiles invétérés, collectionneurs incollables, à propos du disque classique ou de témoignages audio ou vidéo de l’art de grands musiciens. La tonalité générale témoigne d’une nostalgie d’un âge d’or révolu, et, en effet, sans que ce soit péjoratif, d’un « C’était mieux avant » !

Sur ce blog, je ne suis pas le dernier à céder à cette tentation (lire Le génie de Genia)

En même temps, que de découvertes ou redécouvertes grâce à ces débats, notamment sur des pages dédiées (comme Conductors Orchestra Historical) ou grâce à des photos et documents exceptionnels (merci Remy Louis, Jean-Charles Hoffelé et bien d’autres que je devrais citer).

Dans ce même papier, je citais, maladroitement sans doute puisque d’aucuns y ont vu une critique, voire une attaque, les coffrets publiés par Diapason dans une collection intitulée La Discothèque idéale de Diapason

« Vous en rêviez… nous l’avons fait. Quoi donc ? La Discothèque idéale de Diapason. De quoi s’agit-il ? D’une forme nouvelle d’encyclopédie sonore, à la fois histoire de la musique et de l’interprétation, qui vous permettra, en collectionnant ses coffrets d’une dizaine de CD, d’avoir accès aux chefs-d’œuvre des grands compositeurs dans leurs plus incontestables versions de référence.

A l’origine de cette initiative, une tête pensante : Gaëtan Naulleau qui assume la direction artistique du projet. Et un double constat. D’abord, la quasi-disparition des disquaires qualifiés capables de vous guider dans vos choix. A cela nous remédions, en sélectionnant pour vous la crème de la crème avec la caution de notre expertise critique – et les mêmes scrupules que nous mettons à séparer le bon grain de l’ivraie dans le flot de nouveautés qui nous arrivent chaque mois. »

 

 

Je relevais, ce que ne dit pas ce texte de présentation, que, pour des raisons juridiques qui échappent aux non-initiés, ces très beaux coffrets, magnifiquement composés, font l’impasse – à quelques rares exceptions près – sur la production discographique des 50 dernières années. Et que présenter cet ensemble comme une discothèque de référence peut induire en erreur un jeune mélomane désireux de se constituer sa propre discothèque. D’autant plus que les guides Fayard ou Laffont dus à J.C.Hoffelé et Piotr Kaminski et Ivan Alexandre (pour le baroque) qui nous guidaient et nous éclairaient il y a vingt ou trente ans ont disparu de la circulation et n’ont jamais été remplacés.

Certes, le lecteur assidu de Diapason a, chaque mois, nombre de rubriques, en plus de la critique des nouveautés et rééditions, qui le guident, l’informent, l’éclairent. Mais je ne suis pas le seul à être en manque d’ouvrages récapitulatifs, qui sont aujourd’hui trop coûteux à réaliser (même Gramophone et Penguin ont abandonné la partie).

Précision me concernant : Je me suis essayé, durant deux saisons, à un exercice que je n’avais jusqu’alors pas pratiqué, celui de la critique écrite de disques – qui ne ressortit pas du tout au même genre que la critique radiophonique, j’en atteste (lire Le difficile art de la critique). Je reste très reconnaissant aux responsables de Diapason, en particulier Gaëtan Naulleau, de m’avoir ouvert leurs colonnes, de m’avoir supporté – parfois dans les deux acceptions du terme -, et in fine de m’avoir fait prendre conscience de la difficulté de l’exercice. Difficulté accrue par l’ambiguïté de ma position : on ne peut définitivement pas être juge et partie, et si j’ai eu la grande joie de pouvoir chroniquer le très beau coffret d’hommage à Armin Jordan, j’ai été plus d’une fois très mal à l’aise lorsque je devais écrire, avec ma franchise habituelle, sur des artistes, des chefs bien vivants, que je suis amené à fréquenter, voire à engager, dans mon activité professionnelle…

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L’insupportable Jean-Luc G.

Je n’ai lu les critiques qu’après avoir vu le film. Ceux du Monde ou de Télérama n’ont pas dû voir le même que moi…

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Moi j’ai bien aimé Le Redoutable, affiché, à juste titre, comme une comédie de Michel Hazanavicius.

D’abord parce que j’avais lu les trois livres de souvenirs (lire Des livres pour rentrerd’Anne Wiazemskypetite-fille de François Mauriacéphémère épouse de Jean-Luc Godard dont Un an après qui sert de trame à ce film :

À Paris, en 1967. Le célèbre réalisateur Jean-Luc Godard tourne son film La Chinoise. La tête d’affiche n’est autre que la femme qu’il aime, Anne Wiazemsky, de 17 ans sa cadette. Ils se sont rencontrés peu de temps avant, sur le tournage du film Au hasard Balthazar de Robert Bresson en 1966. Ils sont heureux, amoureux, séduisants, ils se marient.

À sa sortie, La Chinoise reçoit un accueil assez négatif et cela déclenche chez Jean-Luc une profonde remise en question. À cela vont s’ajouter les évènements de Mai 68. Cette crise que traverse le cinéaste va profondément le transformer. Il va passer d’un statut de réalisateur « star » à celui d’un artiste maoïste hors du système autant incompris qu’incompréhensible

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« La traque des étudiants se poursuivait boulevard Saint-Germain et rue Saint-Jacques. Des groupes de jeunes, garçons et filles mélangés, se battaient à mains nues contre les matraques des policiers, d’autres lançaient différents objets ramassés sur les trottoirs. Parfois, des fumées m’empêchaient de distinguer qui attaquait qui. Nous apprendrions plus tard qu’il s’agissait de gaz lacrymogènes. Le téléphone sonna. C’était Jean-Luc, très inquiet, qui craignait que je n’aie pas eu le temps de regagner notre appartement. « Ecoute Europe numéro 1, ça barde au Quartier latin !« Nous étions le 3 mai 1968. » (A.W.)

D’abord la composition de Louis Garrel. Etonnante ! Il n’imite pas, il est Jean-Luc Godard, chuintement caractéristique et imperceptible accent suisse compris. Je suis moins convaincu par l’évanescente Stacy Martin qui peine à restituer les ambiguïtés de la jeune fille qu’était Anne Wiazemsky. Surtout j’aime, sans me poser de questions métaphysiques, le style décalé, irrespectueux, d’Hazanavicius (que j’appréciais déjà dans les deux OSS 117). On l’a compris, ce n’est en rien un biopic, oui le cinéaste suisse n’est pas toujours présenté sous son meilleur jour. Il n’en apparaît que plus attachant.

Excellente bande-son, et un mystère non résolu : peu avant la fin du film – que je ne vais pas dévoiler – on entend le dernier des Vier letzte Lieder de Richard Strauss, Im Abendrot. Mais je n’en ai pas reconnu l’interprète, ni trouvé la mention sur les sites que j’ai visités…

En attendant d’élucider cette voix mystère, voici la version de Kiri Te Kanawaqui a annoncé prendre sa retraite lors des récents Gramophone Awards à Londres.

Le génie de Genia (II)

Quatre mois après un premier coffret paré d’argent, paraît la suite, tant attendue, du projet discographique sans doute le plus considérable de l’histoire du disque : une anthologie quasi exhaustive de la musique symphonique russe par un géant de la direction d’orchestre, Evgueni Svetlanov (lire Le génie de Genia).

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Le premier coffret couvrait tous les compositeurs du XIXème siècle de Glinka à Liapounov et comportait relativement peu d’inédits, la plupart de ces enregistrements avaient été édités en CD, sous différentes étiquettes ou labels.

On retrouve ici des Rachmaninov, Scriabine d’anthologie, portés par un souffle immense, une intégrale d’un compositeur certes prolifique et inégal, mais bien négligé en Occident, Glazounov (mort à Neuilly en 1936 !).

Mais ce second coffret révèle bien des surprises : trois CD consacrés au très médiocre mais inamovible secrétaire de l’Union des compositeurs soviétiques (de 1948 à 1991 !) Tikhon Khrennikovtrois au contestable et pas toujours inspiré Rodion Chtchedrine (six lettres en russe, Щедрин, onze en français !), époux à la ville de la célèbre danseuse Maia Plisstetskaia, disparue en 2015. Mais de grands absents, quasiment rien de Prokofiev, Khatchaturian, Weinberg ou Glière, quelques symphonies de Chostakovitch, rien de Schnittke, Gubaidulina, Denisov, en revanche une superbe anthologie, très remarquée à sa sortie, des symphonies de MiaskovskiIncompréhensible l’absence des propres compositions orchestrales de Svetlanov, qui, pour n’être pas touchées par le génie, ne sont pas inécoutables, loin de là. Pudeur de l’éditeur, des proches du chef ?

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Evidemment, ce coffret comme le premier (ou ceux que Melodia a consacrés à Richter et Gilels) n’est pas bon marché, mais les différences de prix entre les pays sont incompréhensibles : 455 € sur le site français d’Amazon315 € lorsque je l’ai commandé, maintenant à 345 € (110 € de moins !) sur le site italien du même distributeur.

Détails du coffret sur bestofclassic.skynetblogs.be

On consacrera ultérieurement des chroniques à certains des compositeurs, connus ou inconnus, à certains des solistes aussi, présents dans ce coffret (comme le tout jeune Vadim Repin, interprète de luxe des concertos de Khrennikov !)

Irma la dure

Faut-il se résoudre à ce que l’inacceptable s’ajoute désormais systématiquement à l’insupportable (ou inversement) lorsque survient une catastrophe ? (lire Les jours enfuis)

Quand tout un territoire est ravagé par un ouragan – Irma – dont la puissance n’a aucun antécédent connu dans la région, quand toute une population devient prisonnière chez elle du fait de cette catastrophe, la priorité, la seule, l’unique, c’est la mobilisation nationale, Etat, services publics, associations, citoyens. Sans discussion, sans délai, sans hésitation.

Qu’advint-il, comme toujours ? Les démagogues de tout poil n’attendirent même pas un délai de décence (mais le mot même leur est inconnu) pour stigmatiser tout ensemble le président, le gouvernement, forcément coupables de ne pas avoir anticipé, prévu. L’ineffable député des Alpes-Maritimes (en voilà un que les médias s’arrachent – c’est bon pour eux, ça fait le buzz !) va jusqu’à confondre les ouragans…

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Magnifique photo due à Matthieu Mondolonijournaliste à France InfoUn instantané d’humanité qui a valu à son auteur un torrent de commentaires, d’insinuations, d’accusations sur les réseaux sociaux. Lamentable, abject ! Au point que le reporter a dû se fendre aujourd’hui de plusieurs tweets pour rétablir la simple vérité :

Oui, les militaires que j’ai vus dans cet aérogare font tout ce qu’ils peuvent pour aider et sont souvent tristes de ne pouvoir faire plus.
Je rapporte des choses vues et entendues, en vérifiant mes infos, bref je fais mon taf de journaliste quoi

Des nuances de noir et blanc

D’abord ce beau coffret commandé avant les vacances, arrivé le jour de mon retour, et depuis dégusté à petites doses, comme des retrouvailles avec quelqu’un qu’on avait un peu perdu de vue ou d’oreille.

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Faut-il rappeler qui est Rudolf Serkin ? Peut-être pas le plus grand pianiste, si l’on s’en tient à des critères techniques, mais l’un des musiciens les plus emblématiques du XXème siècle. Sa vie, ses origines, sa destinée épousent tous les cahots, les horreurs comme les lumières d’un siècle qui ne fut pas avare de fortes personnalités.

On redécouvre, dans ce coffret, dans un son largement amélioré, d’immortelles gravures de Mozart, Beethoven, Schubert, Brahms, et, plus rares, Bartok (1er concerto), Prokofiev (4ème concerto), Reger, Chopin (Préludes), et ces trésors de musique partagés à Marlboro avec les BuschCasals, Schneider, Fleisher et tant d’autres.

Voir détails de ce coffret ici : Rudolf Serkin complete Columbia recordings

Decca honore, pour son 80ème anniversaire, l’un de ses artistes maison, stakhanoviste de l’enregistrement tant comme pianiste que comme chef : Vladimir Ashkenazy

 

71KYkoPzRUL._SL1200_Dans le dernier numéro de Gramophone le pianiste est évoqué, par euphémisme, comme « peu soucieux de couleurs ». Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites..  Virtuose certes, chez lui dans Rachmaninov ou Prokofiev, avare de poésie et de fantaisie dans le répertoire romantique (Beethoven, Brahms, Schumann, Chopin), je n’ai jamais accroché à Ashkenazy pianiste, surtout lorsqu’il est enregistré dans des acoustiques de salle de bain ou sur des pianos ferraillants qui durcissent un jeu qui n’est déjà pas très varié. J’ai toujours trouvé mieux, plus intéressant, plus idiomatique ailleurs.

Ashkenazy chef d’orchestre est souvent beaucoup plus pertinent que le pianiste. Decca serait bien inspiré (c’est peut-être prévu ?) de regrouper ses gravures comme chef, dans son répertoire natif (somptueux Rachmaninov avec le Concertgebouw) mais aussi dans des registres plus surprenants (Sibelius, Richard Strauss, Mahler…)