Quel point commun réunit le pianiste et compositeur Serge Rachmaninov, le violoniste Daniel Lozakovich et le chef Mikko Franck ? Leur date de naissance, un 1er avril. Ce n’est pas pire que d’être né un 1er janvier ou un 25 décembre.
On souhaite donc à ces trois musiciens un heureux anniversaire, au moins pour deux d’entre eux qui peuvent encore le fêter.
C’était en juillet 2019, je m’en souviens comme si c’était hier, il n’avait que 18 ans et il nous avait tous bluffés par son interprétation d’une élévation spirituelle confondante du concerto pour violon de Beethoven : Daniel Lozakovich était, pour moi, passé du statut de phénomène à celui de grand musicien parmi les grands (Opening nights) . Le violoniste suédois fête ses 22 ans aujourd’hui. N’était la longiligne silhouette juvénile et cette exquise et souriante politesse qui le caractérise, on le penserait plus âgé. On lui souhaite le plus heureux des anniversaires !
Quoique l’intéressé en pense – nous eûmes à nous confronter, sinon à nous affronter, durant quelques mois il y a déjà presque neuf ans – j’ai toujours eu de l’estime et de la considération pour Mikko Franck, le chef finlandais qui fête aujourd’hui son 44ème anniversaire. J’en ai même écrit du bien (Ainsi parlait Zarathoustra).
Les responsables de Radio France font régulièrement l’expérience de la difficulté qu’il y a à « gérer » un artiste aussi imprévisible. Qui annule répétitions et/ou concerts sans préavis, qui parfois atteint au grandiose. dans une oeuvre où on ne l’attendait pas et d’autres fois semble tourner en rond, comme désintéressé par ce qu’il dirige (c’est le cas dans ses derniers disques, Franck ou Stravinsky). Chef incroyablement doué, formidable musicien, Mikko Franck l’est assurément. Ce serait bien qu’il continue à nous en convaincre plus souvent.
2023 est une année Rachmaninov, on l’a déjà souligné ici : Sergei Vassilievitch Rachmaninov (Сергей Васильевич Рахманинов) est né le 1er avril 1873, à Semionov, dans la région de Nijni-Novgorod (Gorki à l’époque soviétique), et mort 70 ans plus tard, à trois jours près, le 28 mars 1943 à Los Angeles.
Warner publiait ce matin cette photo sur Twitter, sans pour autant annoncer une quelconque édition Rachmaninov, comme cela fut fait récemment pour Prokofiev (lire Prokofiev en boîte). D’autant plus étrange que les labels regroupés sous la marque Warner regorgent d’interprétations admirables, de trésors à rééditer.
Comme par exemple les concertos pour piano et les Préludes enregistrés par le formidable pianiste américain Agustin Anievas (né en 1934)
ou l’inattendu Charles Mackerras dans le couplage 3ème Symphonie /. Danses symphoniques
Les anniversaires, on sait faire, les institutions culturelles, les médias, les maisons de disques, il n’y a plus que ça. Quand ce n’est pas le 80ème anniversaire de Daniel Barenboim (lire Barenboim #80), c’est le centenaire de la mort de Proust aujourd’hui (qu’on se rassure, je n’ai rien d’original à en écrire, sauf à conseiller l’excellent essai de l’ami Jérôme Bastianelli, président de la Société des Amis de Marcel Proust)
Sans parler de certains qui préfèrent s’auto-célébrer – livre, disque, concerts, émissions de radio, articles de presse – de crainte peut-être que ledit anniversaire passe inaperçu ! Ou de faire état des hochets à eux généreusement distribués par telle ex-ministre de la Culture ! Vanitas vanitatum et omnia vanitas…
Bios dégradées
En revanche, fournir une information de qualité sur les artistes, en l’occurrence les musiciens, qu’on va écouter en concert ou sur un enregistrement audio ou vidéo. c’est normalement le job des organisateurs, des impresarios – pardon c’est un mot désuet, ringard, on dit maintenant « agent », c »est tellement plus poétique ! c’est une autre paire de manches. Dans notre jargon, on appelle ça une « bio ».
En général, ces « bios » d’artistes censées nous conter par le menu leur enfance, leur formation, les éléments importants de leur carrière, sont à peu près toutes faites sur le même modèle, avec les mêmes mots-valises, les mêmes superlatifs : « Anton von der Schmoll est généralement considéré comme l’un des talents les plus prometteurs de sa génération » – ça pour les débutants – Pour les plus confirmés, on monte d’un cran dans la formule creuse : « Est internationalement reconnu comme le chef le plus charismatique de son époque »… etc..
Mais au lieu de donner envie à l’auditeur ou au spectateur d’en connaître plus sur l’artiste en question, d’en révéler les traits marquants, ces « bios », en général fournies en anglais – parce que les plus grandes agences sont à Londres ou en Allemagne – ressemblent aux menus des restaurants de l’époque soviétique : une liste d’autant plus impressionnante et longue qu’inexistante.
Ainsi d’un soliste, dont vous n’avez jamais entendu parler, on vous dira qu’il a joué avec les plus grands chefs, et les plus grands orchestres, oubliant juste de mentionner que c’était pour des remplacements au sein des dits orchestres. Ou alors l’énumération des lieux est en soi irrésistible de drôlerie.
Dans tous les cas c’est ridicule et souvent contre-productif.
Je m’explique : si un « agent » a besoin de placer ses artistes auprès d’organisateurs, de directeurs, il s’adresse à des professionnels à qui on ne la raconte pas, il apporte un éclairage, une information sur l’évolution de la carrière de son protégé, sur ses projets, ses souhaits. Donc la liste et les superlatifs interminables… aucun intérêt !
Quant au public qui vient écouter et/ou voir un artiste, croit-on vraiment qu’il va se taper des pages de lecture indigestes ?
J’ajouterai une catégorie de « bios » entourloupes : celles où, ridicule coquetterie, on cache soigneusement l’origine, l’âge (surtout !) des gens. Pas plus tard qu’hier soir impossible d’avoir des informations… réellement biographiques sur un chef d’orchestre dont je sais seulement qu’il est anglais et qu’il va succéder à Santtu-Matias Rouvali à la direction musicale de l’orchestre philharmonique de Tampere (Finlande).
Marilyn Monroe est morte il y a soixante ans, le 4 août 1962, et on en parle encore et toujours.
Je n’ai rien d’original à dire, sinon que je suis, comme quelques millions d’autres humains, un admirateur inconditionnel de l’actrice, de la chanteuse, et toujours fasciné par une personnalité plus complexe que l’image qu’elle-même et les autres ont donnée d’elle.
J’évoquais hier Michel Schneider (La comédie de la Culture). Le psychanalyste qu’il était ne pouvait pas passer à côté du « cas » Marylin, j’avais beaucoup aimé ce Marilyn dernières séances qui avait obtenu le prix Interallié en 2006.
Encore un bouquin à relire pendant ces vacances.
Mais je découvre que Michel Schneider avait préparé un nouvel ouvrage consacré à l’actrice américaine, dont la sortie est annoncée pour le 11 octobre prochain.
LES AMOURS DE MARILYN Cet amour, des millions de gens l’éprouvent encore soixante ans après sa disparition. Le secret de sa présence après tant de temps ? Marilyn est une sorte de miroir. Portrait d’une image brisée, Michel Schneider donne non pas la vérité de Marilyn Monroe mais éclaire d’un faisceau neuf ses vérités telles qu’elle les exprima en mots et en maux, au cours de sa vie amoureuse et sexuelle. Cet éclairage se résume en un nom : amour. Celui qu’elle ressentait pour certains êtres, et pour les animaux. Celui qu’elle inspira à quelques-uns. Celui que Michel Schneider lui porte à travers le temps (exemples d’entrées : Amour, amants, amis animaux, livres, mère, Montand…). Présentation de l’éditeur
On est évidemment impatient de découvrir ce beau livre.
L’hommage à M.S.
Sylvain Fort avait publié dans un hebdomadaire bien connu un merveilleux texte d’hommage à Michel Schneider, auquel les non-abonnés n’avaient pas accès. L’auteur de cet hommage ayant révélé ce texte sur sa page Facebook, on s’autorise à le reproduire ici. Avec une admiration encore renforcée pour celui qui a disparu le 22 juillet dernier.
« Nous avions Michel Schneider, et nous ne le savions pas. Je dis « avions » parce qu’il nous a quittés le 22 juillet dernier, discrètement. Je dis, « nous ne le savions », parce que sa place dans notre paysage littéraire et intellectuel n’a pas été, je pense, justement estimée.
Bien sûr, il était là, visible, actif, à certains égards même répandu. On le voyait à la télévision, on le lisait dans Le Point, il recevait des Prix littéraires. Je crains cependant que trop souvent il n’ait été vu comme un esprit fin, anticonformiste certes, mais enfin accroché malgré tout à ces grandeurs d’établissement qui permettent d’épingler sur le liège social le spécimen humain, afin de ne plus l’en déplacer, en se disant qu’on saura où le trouver, à quoi l’assigner : l’ENA, la Cour des Comptes, la psychanalyse, la critique littéraire…
En réalité, il n’était pas là. Il vivait dans son exil intérieur, dont la matière première était la nuit. L’oubli, le souterrain, l’obscurité, le secret étaient son élément. Il ne tentait pas de ramener à la lumière ce qui était caché, mais d’inventer une langue pour dire le secret. Il traquait l’absence et le deuil. Il écrivait « dans le noir » : titre d’un de ses essais récents (Écrit dans le noir, 2017) fouillant la part d’ombre, la conscience nocturne, de ces écrivains immenses dont il s’était choisi la compagnie, de Chateaubriand à Proust.
Par des amis communs, j’aurais pu le rencontrer, discuter. Je n’ai jamais osé, parce que, lecteur depuis mes dix-sept ans du moindre de ses livres, je ne voyais pas au nom de quoi je lui aurais arraché une conversation forçant sa discrétion, et exposant à la lumière banale d’une conversation mondaine l’épaisseur de nuit secrète où il avait installé sa pensée et son œuvre.
J’insiste : nous n’avons pas assez su qu’en Michel Schneider nous disposions d’un esprit que nous pouvons comparer aux meilleurs intellectuels issus de la haute culture Mitteleuropa (Magris, Steiner, Canetti), mais surtout à l’un de ces intransigeants qui ne nous menait jamais où il nous plaisait d’aller, mais là où nous ne savions pas pouvoir aller. Dans les labyrinthes de ses écrits baignés d’ombre, nous rencontrions plus souvent peut-être que nous n’aurions aimé la mort, l’oubli, la blessure du temps, la solitude, dont il détaillait la subtile mécanique dans une langue insinuante, miroitante, semblant issue de l’expérience de mille vies.
Ses livres sur la politique traquèrent les fictions morbides du pouvoir. Son bref essai Miroir des Princes, narcissisme et politique (2013) examine cliniquement la fascination des politiques pour leur reflet dans tous les miroirs qu’on leur tend : mais par-delà l’usage de la psychanalyse, on sent constamment dans la rigueur incisive de la réflexion, dans le maniement précis du scalpel de la langue, le rayonnement sombre d’une morale. Son étude minutieuse d’épisodes du jeu de miroirs de la vie politique font songer à La Rochefoucauld ou Racine plus qu’à Freud. Aussi ne fus-je pas étonné qu’il consacrât un de ses plus beaux textes à Pascal (2016), osant cet aveu : « si je ressens, le lisant et écrivant sur lui, la sensation amère et pénétrante qu’il a écrit ce que j’aurais dû écrire, je n’ai pas la folie de croire que j’aurais pu écrire ce qu’il a écrit, ni aimé l’avoir écrit ». Nous n’avons pas assez su que Michel Schneider était, aussi, un descendant de Port-Royal.
Traquant les doubles fonds du langage et les mirages de notre condition, il aurait pu aussi céder à une forme de relativisme sceptique. Or, il fut hanté par la certitude du sens, et c’est la musique qui lui en communiqua la plus vive sensation. Il alla en sonder l’énigme dans les parages les plus dérobés, faisant sienne la conviction de Nietzsche que la musique était un « art de la nuit ». Il fut de ceux qui disaient le mieux la musique, parce qu’il entendait en elle, jusque dans sa folie aphasique, le murmure d’une vérité humaine. Il consacra deux livres à Schumann, dont La Tombée de la nuit, qui est peut-être un des deux ou trois livres les plus éblouissants sur la musique qu’il m’ait été donné de lire : cette exploration des démons de Schumann est une descente à l’abîme dont on sort vainqueur à la manière du Desdichado de Nerval. Comment, dès lors, aurait-il supporté le nihilisme faraud de Pierre Boulez ?
A présent qu’il n’est plus, il est temps encore de savoir que nous l’avions, et tous ses livres font que nous l’aurons pour longtemps, ce qui en somme est une forme supérieure de joie. » (Sylvain Fort)
Est-ce un effet de l’âge ou de l’expérience singulière traversée il y a six mois ? Plus les années passent, moins je ressens la nécessité de m’indigner, de m’insurger, de critiquer. Non pas que les motifs de le faire aient disparu, on serait plutôt sur une tendance exponentielle inverse.
Tenez prenez le nouveau gouvernement ! J’ironisais gentiment vendredi sur l’attente insupportable que nous faisaient subir le président de la République et la nouvelle Première ministre (En attendant Borne I). Depuis qu’il a été annoncé, c’est le déferlement. Pas un seul, journaliste, observateur, commentateur, pour dire que, peut-être, avant de leur tomber dessus, on pourrait juste attendre de voir ce que vont faire les nouveaux nommés ! Pas beaucoup plus pour creuser un peu plus les portraits de celles et ceux qui font figures de proue de ce gouvernement, à commencer par la Première ministre – une « techno » on vous dit !
Que c’est fatigant ces caricatures ! Dans un sens ou dans l’autre… Ainsi, à écouter la longue, très longue, litanie d’autojustification de la ministre de la Culture sortante, la si médiatique Roselyne Bachelot, on pouvait avoir le sentiment d’y perdre au change avec l’arrivée d’une conseillère de l’ombre, inconnue du grand public, dotée d’un patronyme qui signale la « diversité », Rama Abdul Malak. Ceux qui ont eu affaire au ministère de la Culture ces dernières années n’ont pas du tout la même perception du bilan de la rue de Valois pendant la pandémie…En revanche, la nouvelle ministre c’est moins de paillettes mais plus de sérieux. Le milieu culturel ne l’a pas encore dézinguée. De bon augure ?
Les belles bretelles
Envie de parler d’un disque qui a peu de chances de faire le gros des ventes : ce n’est pas la première fois que l’accordéon – affectueusement désigné comme « piano à bretelles – s’empare de la musique classique.
Bogdan Laketic est un musicien né en 1994 en Serbie, aujourd’hui installé à Vienne. Il publie ces jours-ci un disque absolument enthousiasmant, comportant notamment deux grandes sonates de Haydn :
Un artiste qu’on va suivre assurément !
23 mai 1927
Il y a cinq ans, nous n’étions pas sûrs de pouvoir fêter ses 90 ans. Aujourd’hui, elle fête son 95ème anniversaire. Elle aura dans quelques jours autour d’elle tous ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants ! Bon anniversaire Maman !
Cadeau pour elle.. et pour nous cet extrait d’un récital à Buenos Aires de Montserrat Caballé, une chanson populaire suisse Gsätzli. Je connaissais la version d’Elisabeth Schwarzkopf, je n’aurais jamais imaginé la cantatrice espagnole nous donner des frissons en suisse allemand !
Elle a fêté hier ses 80 ans, on lui doit tant de beaux souvenirs : tous nos voeux Julia Varady !
Il y a un an (Légendaires) je m’interrogeais : « qu’attend Orfeo pour regrouper la meilleure et la plus complète série d’enregistrements de la cantatrice roumaine ? ». Réponse, ce coffret à l’occasion de son anniversaire !
Quant à Deutsche Grammophon, pour qui Julia Varady a beaucoup, mais discrètement, enregistré, l’hommage tient en une compilation numérique…
J’ai déjà raconté ici (et sur de précédents blogs) les quelques souvenirs radieux que j’ai de Julia Varady en concert et sur scène.
Carnegie Hall : Je me rappelle à mon tour le concert que le même Armin Jordan, cette fois à la tête de l’Orchestre de la Suisse romande, avait donné en octobre 1989. Et ma propre émotion en découvrant, en répétition, puis en concert, l’acoustique unique, chaleureuse et précise, de la salle mythique. La soliste était Julia Varady, qui y faisait aussi ses débuts, avec les Vierletzte Lieder de Richard Strauss. Le lendemain, le critique du New York Times saluait la performance de la cantatrice, dont la voix lui semblait idéalement sertie dans l’écrin orchestral que Jordan lui avait dessiné. Julia n’avait pas du tout lu le papier dans ce sens. Catastrophée, elle se lamentait auprès du secrétaire général de l’orchestre, Ron Golan, et moi, attablés au petit déjeuner – « vous vous rendez compte, le public ne m’entendait pas, ma voix ne ressortait pas ! ». Nous lisions plutôt dans cet article un compliment. Une heure plus tard, je retrouve par hasard Julia Varady dans l’ascenseur de l’hôtel, tout sourire. Elle m’embrasse et me confie : « Je viens de parler à Dietrich (Fischer-Dieskau, son mari !), je lui ai lu l’article, il m’a dit exactement la même chose que vous et m’a félicitée ».
Nabucco : en 1995, pour l’inauguration du mandat d’Hugues Gall à la direction de l’Opéra de Paris, coup de maître et coup de génie : Julia Varady est une Abigaille de rêve, puissance et poésie réunies.
Monsaingeon
J’avais eu la chance, en 1998, d’assister à un récital privé de Julia Varady et Viktoria Postnikova, enregistré en vue du documentaire que Bruno Monsaingeon consacrait à la cantatrice.
Pleyel, 28 janvier 1998, Requiem de Verdi, Carlo-Maria Giulini
Et puis encore cette soirée mémorable à plus d’un titre : le dernier concert de Carlo-Maria Giulini à la tête de l’Orchestre de Paris, un Requiem de Verdi en état de grâce, et de nouveau, radieuse, Julia Varady.
Voici ce qu’en écrivait Alain Lompech dans Le Mondedu 1er février 1998 : « Giulini ne bouge presque pas, ne souligne aucune phrase, ne singe pas l’émotion ; il est là, et cela suffit pour que les musiciens, les chanteurs, sublime Varady, inapprochable artiste, irréprochable chanteuse qui convertirait un mécréant, oublient leurs propres limites pour atteindre cette osmose, cette fluidité, cette évidence de l’expression qui se confondent avec l’oeuvre elle-même...Le Requiem s’achève comme il a commencé : dans le silence. Quand Giulini descend du podium, il est ailleurs, son visage de marbre met quelques secondes à s’animer. Il revient parmi nous pour être acclamé par une salle et un plateau à l’unisson. France-Musique a diffusé, en direct, le premier des trois concerts que le chef italien, né en 1914, aura dirigé Salle Pleyel » :
J’ai la chance d’avoir pu conserver une copie de cette captation :
Chère Julia, je vous envoie une immense brassée de pensées reconnaissantes et de voeux ardents. Votre voix « déchirée par des éclairs de lumière » n’est pas près de déserter nos mémoires.
Riccardo Muti a fêté ses 80 ans le 28 juillet dernier… par une chute spectaculaire, heureusement sans conséquence pour le chef napolitain.
On a déjà évoqué ici l’imposant coffret que Warner lui a consacré : Riccardo Muti l’intégrale symphonique. On veut revenir aujourd’hui sur un autre coffret, plus modeste (et moins coûteux) qui contient nombre de raretés de musique italienne enregistrées avec la formation symphonique de la Scala de Milan.
En particulier, les deux disques dédiés à Nino Rota (1911-1979) constituent des références que de plus récentes versions, comme celle du meilleur ennemi de Muti, Riccardo Chailly, avec le même orchestre de la Scala, sont loin d’égaler. Toute l’insondable nostalgie de ces musiques de film, en même temps que la classe, le chic, qui sont la marque de Riccardo Muti, s’y retrouvent.
Ici « live » à Chicago
Très beau disque aussi – curieusement oublié dans le coffret Warner ! – avec les deux concertos pour piano de Nino Rota sous les doigts de l’excellente pianiste italienne Giorgia Tomassi, trop peu connue de ce côté-ci des Alpes
Martha Argerich fête aujourd’hui ses 80 printemps, et on n’arrive pas à y croire. L’âge semble n’avoir aucune prise sur une musicienne hors normes. J’ai déjà beaucoup écrit sur Martha Argerich, que j’ai eu la chance de connaître, d’approcher dès 1987, que j’aime et admire inconditionnellement :
Martha Argerich qui a renoncé depuis des lustres à l’exercice solitaire du récital, donnait l’an dernier, sans public, à Hambourg où elle a installé son nouveau rendez-vous de juin (après tant d’années à Lugano), elle a livré cette fabuleuse Troisième sonate de Chopin. À une technique flamboyante, elle ajoute une dimension poétique, réflexive, qui m’émeut aux larmes, un concentré de l’essence du génie de Chopin : le mouvement lent tutoie les étoiles…
Quelques souvenirs, déjà racontés sur d’autres blogs :
1987 à Tokyo : J’ai la chance d’accompagner l’Orchestre de la Suisse romande et Armin Jordan au cours d’une longue tournée (plus de 5 semaines) au Japon et dans l’Ouest américain. Martha Argerich et Gidon Kremer en sont les prestigieux solistes. La Radio suisse romande, qui m’emploie, m’a demandé de jouer au journaliste et d’envoyer quelques cartes postales sonores (avec les moyens techniques de l’époque, c’est-à-dire encombrant Nagra, bandes magnétiques, et/ou coups de téléphone incertains). Je sais que Martha Argerich n’accorde jamais d’interview, je lui demande néanmoins si elle accepterait de me dire quelques mots. Sa réponse est immédiatement positive, nous prenons rendez-vous, un soir de relâche à Tokyo… à minuit dans l’immense hall de notre hôtel. Je prépare enregistreur et bandes et j’attends… Peu après minuit, je vois Gidon Kremer s’avancer vers moi : « Nous revenons de dîner, Martha ne vous a pas oublié, elle arrive bientôt ».
À 2h30 du matin, je suis obligé d’interrompre l’interview, j’ai épuisé mon stock de bandes ! Mais la conversation va se poursuivre jusqu’à ce que je lui demande la permission d’aller dormir !
Pas peu fier de mon exploit, je fais envoyer un extrait de cette interview pour ma chronique sur les ondes d’Espace 2, en annonçant que le reste suivra.
Une fois rentré à Genève quelques semaines plus tard, j’interroge la direction de la chaîne : l’interview complète a-t-elle été diffusée, montée, archivée ? Réponse : nous ne gardons pas ce qui a été traité par l’info… La rage !
2001 à Liège : J’ai pris les rênes de l’Orchestre philharmonique de Liège fin 1999. Je souhaite inviter quelques-uns des artistes que j’ai côtoyés durant mes années suisses. Armin Jordan accepte – il viendra chaque année jusqu’à 2006 – et connaissant le lien noué entre le chef suisse et la pianiste argentine (après 1987, il y aura d’autres tournées, en 1989, en 1993 notamment) – je demande à l’agent de Martha Argerich en Belgique, la regrettée Liliane Weinstadt, de contacter sa protégée. Elle me dit que cela va être difficile, que Martha – qui a déjà joué à Liège avec Pierre Bartholomée – accepte de plus en plus rarement… et seulement avec des chefs qu’elle connaît. Je me rappelle avoir dit à Liliane « Parle lui d’Armin Jordan, tu verras sa réaction ». Les 5 et 6 décembre 2001, Martha Argerich et Armin Jordan étaient à Liège !
Le jour venu, « l’entourage » de la pianiste fait barrage pour qu’on ne l’approche pas, me dit qu’elle voudra aller se reposer, qu’elle ne déjeunera pas…En arrivant pour sa répétition avec l’orchestre, elle a déjà demandé au chef si elle pourrait changer de concerto, jouer plutôt Schumann que le 2ème concerto de Beethoven prévu au programme. Armin Jordan ne cède pas. La répétition se termine vers midi, Martha Argerich est sur scène au piano. « L’entourage » me dissuade de la déranger, je n’en fais rien et je suis quand même dans « mes » murs. Je vais vers la pianiste, que je n’ai pas encore saluée, et lui demande si elle a faim. Elle me répond : « OK pour un déjeuner rapide, je voudrais me reposer un peu avant le concert de ce soir ». Tête de « l’entourage » ! Nous partons vers L’Héliport en bord de Meuse. Le déjeuner durera jusqu’à… 17h, et encore parce que je lui ai rappelé son souhait de « se reposer » !
(Sur ces photos, on aperçoit outre Armin Jordan et Martha Argerich, Louis Langrée et le pianiste cubain Mauricio Vallina)
2015 à Paris :
« Je n’avais plus entendu Martha Argerich en concert depuis quatre ans, une bien médiocre création d’un double concerto de Rodion Chtchedrine* au théâtre des Champs-Elysées, et je ne l’avais jamais entendue dans ce cheval de bataille de Prokofiev. Transcendant, miraculeux, magique, les adjectifs manquent toujours pour décrire l’art de Martha Argerich, la « reine Martha ».Mais hier soir « son » 3e concerto de Prokofiev n’était que musique pure, poésie infinie, osmose avec un discours orchestral d’une subtilité rare. Tout ce qui est effort, démonstration, muscle, chez tous les autres, même les plus grands, est tellement maîtrisé, dominé, que c’en est désarmant » (in La Reine et le géant)
On veut surtout remercier Martha Argerich d’être et de demeurer une artiste aussi généreuse, généreuse envers le public, généreuse envers tous ces musiciens qu’elle attire, stimule, inspire depuis des années. Longues et belles années de bonheur encore !
Il y a une semaine, j’avais fait un rapide retour aux sources de ma famille paternelle, dans le sud de la Vendée (Retour aux sources). Ce week-end c’était une fête prévue, attendue, le 94ème anniversaire de ma mère, à Nîmes.
Il y a quatre ans, une grande partie de la famille s’était retrouvée pour fêter son passage dans le club des nonagénaires. La fête, alors, était inespérée, tant les mois précédents nous avaient inquiétés (lire L’eau vive). Depuis lors, il y eut quelques alertes, une mobilité plus réduite, mais rien de ce qui assombrit souvent la fin de vie de nos aînés: le cerveau, la vue, l’ouïe, la mémoire, restent vaillants. Et les fous rires aussi…
Mais cet anniversaire a été pour moi la source d’une émotion considérable. J’ai découvert fortuitement, au fil d’une conversation où surgissaient des souvenirs de famille heureux, que les 33 tours de la discothèque familiale, et nombre de mes premières acquisitions, que je pensais perdus – ma mère ayant déménagé en 1982, et moi quitté la maison familiale de Poitiers dès 1978 – j’ai découvert que ces disques étaient toujours là, rangés depuis des lustres dans un coin fermé de la bibliothèque de ma mère. Etrangement, je n’avais jamais songé à lui demander ce qu’elle avait fait de ces disques.
A mon prochain voyage en voiture, je viendrai récupérer ces précieuses galettes, celles déjà évoquées dans ces billets – La découverte de la musique I
Dans cette évocation de mon été 73 – La découverte de la musique III – j’avais complètement oublié ce vinyle 25 cm, contenant les deux rhapsodies roumaines d’Enesco, un cadeau dédicacé de mon « correspondant » roumain.
Le chef roumain George Georgescu (1887-1964) y dirige la Philharmonie d’Etat George Enescu. Quelle saveur dans les timbres, quel naturel dans l’énoncé des thèmes populaires…
J’ai souvent évoqué ici le choc que j’avais éprouvé en voyant le film de François Reichenbach – L’Amour de la vie – consacré à Artur Rubinstein et, bien sûr, ma découverte de Chopin.
Je ne pensais pas retrouver ce tout premier album à avoir figuré dans ma discothèque :
J’avais naguère évoqué brièvement mes études au modeste Conservatoire de région de Poitiers (lire Les jeunes Français sont musiciens. Je me rappelle en particulier les épreuves de fin d’études de piano- et le Diplôme à la clé ! et un jury composé de brillantes jeunes stars du piano – Michel Béroff, Jean-Bernard Pommier et André Gorog !
J’ai retrouvé hier un 33 tours que j’avais complètement oublié, l’un des premiers pourtant que j’aie achetés à petit prix, dans la collection Musidisc, le concerto n°5 L’Empereur de Beethoven, sous les doigts précisément de Jean-Bernard Pommier, un enregistrement probablement réalisé, en 1962, dans la foulée du concours Tchaikovski de Moscou dont le pianiste français fut le plus jeune lauréat (il avait 17 ans !). C’est le chef d’origine grecque Dimitri Chorafas (1918-2004) qui dirige l’orchestre de la Société du Conservatoire.
On l’a compris, il y aura d’autres séquences nostalgie, une fois que j’aurai récupéré une cinquantaine de galettes qui, pour certaines, sont devenues des collectors
Pierre Boulez est mort il y a cinq ans, le 5 janvier 2016. Des manifestations sont prévues à Paris, à Berlin, ailleurs peut-être, mais auront-elles lieu ?
J’évoquais dans mon dernier billet Ces vieux qui rajeunissent et inversement, je n’y ai pas mentionné Pierre Boulez parce que, de ses débuts comme chef d’orchestre à ses dernières apparitions sur scène ou dans la fosse d’opéra, il a échappé aux syndromes que je décrivais. Si l’on devait noter une évolution, c’est sans doute, dans les dernières années notamment au concert, l’abandon à une sensualité sonore que la rigueur de la battue pouvait parfois obérer.
J’ai profité des derniers mois – confinement 1 et 2 ! – pour revisiter ma discothèque boulezienne, en particulier les symphonies de Mahler, que j’avais étrangement tenues à distance, comme si je me refusais à associer Mahler et Boulez. Et je dois avouer que j’ai souvent succombé d’abord à la pure beauté de lectures orchestrales somptueusement enregistrées (et quels orchestres !), ensuite ou en même temps à la tenue des lignes, qui n’est jamais sécheresse, au respect scrupuleux des indications – si nombreuses – de Mahler sur ses partitions.
Je ne connaissais pas cette interview – en anglais – de Pierre Boulez sur Mahler. Emouvant !
Exemplaires, pour moi, les deux Nachtmusik de la 7ème symphonie (à l’opposé en effet de ce que produit un Bernstein, que j’adore par ailleurs!), ou comment naît l’émotion de l’absence d’exagération (comme le dir très bien Pierre Boulez dans l’interview) et du respect des indications du compositeur :
Et que dire du plus foncièrement viennois des mouvements de la 5ème symphonie, le scherzo qui s’abandonne dans l’infinie nostalgie de valses improbables ? Quand on entend, on voit Boulez suivre à la lettre la partition, et ainsi lui restituer cet inimitable parfum (par exemple à 2’25 ») on craque, je craque…
La démonstration pourrait valoir pour toutes les autres symphonies.
Cette captation réalisée à Berlin en 2005 de la Deuxième symphonie me bouleverse à chaque écoute :
J’ai aussi réécouté le tout premier Sacre du printemps gravé par Boulez en 1963 avec l’Orchestre National pour Adès (reparu depuis sous d’autres étiquettes). Je ne suis pas loin de préférer cette version aux deux qui suivront avec Cleveland, d’abord dans les années 70 pour CBS/Sony, puis au début des années 90 pour Deutsche Grammophon, ne serait-ce que parce qu’on y entend le basson français (et non le Fagott allemand que quasiment tous les orchestres au monde ont adopté), le basson français qui était évidemment l’instrument que Stravinsky avait en tête en écrivant ce solo initial. Et quels bois dans l’Orchestre national de ces années-là !
Même la Huitième symphonie de Bruckner -ici enregistrée à St Florian – passe l’épreuve de la rigueur d’une battue qui ne renonce jamais à l’éloquence (même si Boulez n’est pas mon premier choix pour cette oeuvre)
Je voudrais en profiter pour rappeler l’indispensable Boulez de Christian Merlin. Je redis ce que j’écrivais : non seulement c’est une mine d’informations sur Pierre Boulez, compositeur et chef, mais aussi sur tout le siècle qu’il a traversé, et ça se lit comme un roman policier !
J’ai bien des raisons d’épingler la date du 7 décembre dans mon calendrier de coeur.
La première – et de loin – est la naissance de mon premier fils, un dimanche 7 décembre, huit ans après le décès de mon père, un mercredi 6 décembre. Impossible de ne pas voir dans cette quasi-coïncidence de dates le signe d’une vie plus forte que la mort. J’ai eu la chance d’être père jeune, je n’avais pas 25 ans quand P.F. est né, je me rappellerai, jusqu’au bout de mes jours, le regard d’un bleu profond d’un beau bébé blond dans la couveuse où on l’avait placé juste après un accouchement parfait dans une clinique parisienne du côté de la place Wagram.
Ce garçon, devenu grand, allait fêter ses 20 ans, puis ses 30 ans, en même temps que l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège ses 40 (2000) puis 50 ans (2010).
Tant d’images me reviennent de ces événements concomitants.
20/40 ans
En décembre 2000, je me devais, nouveau directeur général de l’Orchestre philharmonique de Liège, de marquer le 40ème anniversaire de la fondation de l’Orchestre. Pierre Bartholomée, son directeur musical depuis 1977, ayant claqué la porte au printemps 1999 (sans cet événement, je ne serais sans doute jamais devenu le DG de l’orchestre !), il était impossible de penser à le réinviter un an plus tard. Avec le nouveau délégué artistique que j’avais choisi, Stéphane Dado, nous fîmes une rapide prospection parmi les chefs d’une certaine notoriété pour voir qui accepterait de reprendre le programme inaugural de l’Orchestre en 1960. L’excellent Serge Baudo accepta l’invitation.
Pour la soirée du 7 décembre 2000, j’invitai les prédécesseurs de Pierre Bartholomée encore vivants, Paul Strauss (1967-1977) – mais celui-ci était aux Etats-Unis – et… Manuel Rosenthal, qui n’avait certes dirigé l’orchestre que durant un court mandat (1964-1967), mais qui, à 96 ans, était encore en forme olympique. Nous envoyâmes une voiture le chercher à son domicile de la Butte aux Cailles, organisâmes une réception à l’Hôtel de Ville de Liège où lui fut remise – mieux vaut tard que jamais – la médaille de citoyen d’honneur de la ville, et dans mon bureau une pause détente en fin d’après-midi avant que le concert de 20 h ne débute.
Je revois encore assis face à face, mon fils de 20 ans et le vieil homme de 96 ans qui lui racontait ses souvenirs de Ravel, de Gershwin… et ses débuts impécunieux de violoniste de salon. J’entends encore Rosenthal raconter que, repéré pour ses talents violonistiques, je ne sais plus qui le recommanda au Ritz où il était de coutume d’accompagner les dîners de riches clients par une sérénade. Arrivé dans le palace de la place Vendôme, on montre au jeune Rosenthal une petite pièce où il doit attendre qu’on lui fasse signe de se présenter dans le salon où il va jouer. Il est surpris d’entendre déjà jouer du violon, et du très beau violon : il entr’ouvre un épais rideau et il aperçoit… Fritz Kreisler en personne !
30/50 ans
Pour les cinquante ans de l’Orchestre, les conflits du passé étant apaisés, je tenais à ce que cet anniversaire réunisse, rassemble, ceux qui l’avaient porté à une excellence reconnue par toute la critique. J’avais souhaité, dès ma prise de fonction, prendre contact avec Pierre Bartholomée, puisque j’étais complètement étranger aux événements et aux circonstances qui l’avaient conduit à quitter son poste. L’ancien directeur musical de l’OPL étant par ailleurs un compositeur reconnu et honoré, je lui demandai s’il accepterait d’écrire une oeuvre pour « son » orchestre: il écrivit tout simplement une… Symphonie, qu’il me fit l’immense honneur de me dédier – j’en conserve précieusement la partition originale – mais il hésita longtemps avant d’accepter de la diriger lui-même.
(Une photo rare : de gauche à droite Louis Langrée, Pierre Bartholomée, Pascal Rophé, Jean-Pierre Hupkens – président de l’OPRL)
Paul Strauss qui avait toujours été un formidable et bienveillant conseiller – je ne manquais jamais de l’inviter au concert lorsqu’il était en Belgique – Paul Strauss était mort en juin 2007 à Bruxelles.
Mais Louis Langrée (2001-2006) comme Pascal Rophé (2006-2009) avaient accepté de participer à un concert à tous égard inédit : jamais dans le monde on n’avait célébré un anniversaire en réunissant, dans une même soirée, trois chefs d’orchestre.
(Les trois chefs, le directeur de l’Orchestre et la princesse Astrid de Belgique)
Pierre Bartholomée dirigea sa Symphonie, Louis Langrée la 2ème suite de Daphnis et Chloé de Ravel, et Pascal Rophé le Sacre du printemps de Stravinsky. Ce fut un superbe concert. Et j’eus la joie d’avoir à mes côtés mes deux fils, l’aîné 30 ans, le second 28 ans.
Trois ans après cet anniversaire, le père devenait grand-père, le fils devenait père. Il le sera très bientôt à nouveau !