Making of

Qu’on ne se méprenne pas sur le titre de ce billet ! Je n’ai rien à révéler des coulisses de la formation du nouveau gouvernement de Gabriel Attal. Juste un mot ici pour dire : bien joué !

Je suis allé dès cet après-midi, ce qui m’arrive très rarement, voir le nouveau film de Cédric Kahn « Making of » ou Le monde merveilleux du cinéma !

Je n’avais lu aucune critique auparavant. Ce n’est qu’après coup que je lis Télérama (Un réalisateur commence à peine à tourner son film, et l’affaire prend l’eau. Servie par un casting hors compétition, la comédie de l’auteur du “Procès Goldman” réussit aussi à émouvoir) ou L’Obs (A force de courir mille lièvres à la fois, « Making of » perd parfois de son mordant mais dresse un portrait assez juste des « professionnels de la profession » et, par extension, d’un pays, le nôtre, au bord de la crise de nerfs, où, quand tout fout le camp, seul le refuge du sentiment amoureux, peut – comme pour Simon –, allumer des contrefeux). Je ne partage pas l’avis du Monde qui trouve que Cédric Kahn a chargé son film de trop d’intentions.

Cédric Kahn évite deux écueils : le manichéisme et le démonstratif. C’est une comédie, pas un documentaire, portée par des acteurs assez étonnants. Jonathan Cohen joue dans un registre que je ne lui connaissais pas, se mouvant avec une aisance confondante entre les deux personnages que Kahn lui fait interpréter, le leader gréviste du film qu’est en train de tourner Simon (fabuleux Denis Podalydès) et l’acteur star qui la ramène en permanence au point de fatiguer tout le monde. Deux découvertes pour moi : Souhella Yacoub, un profil à la Exarkopoulos, mais tellement plus sympathique, et le tout jeune Stefan Crépon qui joue le figurant qui parvient à convaincre Simon de réaliser le… making of du tournage. Il paraît que le garçon (26 ans) joue dans deux épisodes du Bureau des légendes, il faudra que je les revoie.

Berlioz et Mitropoulos

L’autre atout de ce film est sa bande-son qui n’a pas manqué de me frapper. Je ne sais s’il faut en féliciter directement Cédric Kahn ou son « illustrateur musical » comme on dit dans le métier, mais c’est une fameuse idée que d’avoir choisi plusieurs extraits symphoniques de Roméo et Juliette de Berlioz, dans une version qui manifestement n’était pas récente et que j’ai essayé, tout au long du film, de reconnaître. Ce n’était ni Giulini, ni Muti, ni Munch, mais souvent plus heurté, plus dramatique : c’était Dmitri Mitropoulos comme je l’ai vu à la toute fin du générique final. J’avoue que si je connais bien la formidable version du chef américain de la Symphonie fantastique, j’ignorais même qu’il eût enregistré ces passages symphoniques de Roméo et Juliette. Merci à Cédric Kahn pour cette découverte !

Les peupliers du Ladakh

J’ai passé près de deux semaines dans une région du monde dont j’ignorais à peu près tout avant que j’y sois entraîné pour une aventure vraiment inoubliable. Récit en plusieurs épisodes de cette expédition aux confins de la pure beauté ! Quant à l’explication du titre, elle viendra dans le cours du récit, mais je n’imaginais pas retrouver le « populus » si familier des bords de nos rivières aussi répandu dans les très hautes vallées du Ladadk ! (cf.photo ci-dessous)

Présence militaire

La toute première chose qui frappe l’arrivant à l’aéroport de Leh – la capitale du Ladakh – c’est une présence militaire massive, et d’abord l’interdiction de prendre des photos de et dans l’aéroport qui est un espace militaire ! Et pourtant de tout le séjour, à part les passages fréquents dans le ciel de la capitale d’hélicoptères et de bombardiers, on n’aura jamais l’impression d’un pays en danger.

Le simple examen d’une carte géographique explique la position stratégique du Ladakh et de son voisin immédiat le Cachemire, donc de l’Inde, par rapport à ses turbulents voisins, le Pakistan, la Chine (le Tibet), l’Afghanistan tout proche…

Le vol Delhi-Leh offre une entrée en matière… himalayenne !

Vue de l’unique piste de l’aéroport de Leh… à 3500 m d’altitude :

Leh, carrefour historique de la route de la soie

La destination du Ladakh fait rêver parce qu’elle évoque la mythique route de la soie, qu’on devrait plutôt écrire au pluriel, car il y avait des routes de la soie, partant de l’empire chinois pour irriguer toute l’Asie centrale et l’Europe. Le Ladakh en était un carrefour obligé. Au centre de Leh – 30.000 habitants – on trouve un très joli petit musée (Central Asian Museum) qui raconte magnifiquement cette épopée.

Du musée on a vue directe sur l’ancien palais royal de Leh et un temple sikh.

J’ai bien sûr été intéressé par cet instrument, utilisé par les moines bouddhistes lors des prières ou dans les orchestres de fête, la surna, le hautbois indien.

La cité de Leh elle-même est concentrée autour d’une rue principale et son marché central. Avec ses boutiques de produits locaux, et des femmes venues de tous les villages et tribus alentour qui vendent fruits (les abricots ! on en reparlera) et légumes en fin d’après-midi.

Tribus aryennes

Parmi ces femmes qui vendent sur le marché, cette représentante d’une minorité, « la tribu des Drokpas, terme local dont l’orthographe connaît d’infinies variantes. Cette minorité de près de 4 000 membres a été préservée au cours des siècles par son isolement, son autarcie culturelle et ses mariages limités au clan. Les origines des Drokpas imbriquent imaginaire, hypothèses et réalité. Néanmoins, ces villageois ont acquis la renommée d’être de « purs » descendants des « Aryens ». « Leur apparence physique a appuyé la théorie aryenne, devenue populaire dans la région », souligne M. Tashi Morup, journaliste local. Leurs traits proches du type caucasien sont loin des visages mongoloïdes d’origine tibétaine des bouddhistes du Ladakh. Les Drokpas sont « différents ». Leur allure des grands jours, lors des festivals, est aux yeux des novices un spectacle unique. Avec leurs coiffes piquées de bouquets et cintrées de physalis, cette fleur orange qui semble taillée dans un papier délicat, ils incarnent un autre âge. Couverts de lourds colliers et d’ornements tribaux, ils se drapent dans une majestueuse cape blanche en peau de chèvre retournée. » (extrait d’un article du Point, Le mystère des derniers Aryens, 21/09/2014)

Le palais royal de Leh domine la cité depuis le XVIIe siècle : il est abandonné par la famille royale au XIXe siècle (au profit de Stok, à lire dans un prochain épisode !). Surplombant le palais, le temple Namgyal Tsemo domine toute la vallée et héberge une grande statue de Bouddha.

à moins qu’on ne choisisse le promontoire sur lequel les Japonais ont édifié un gompa dans les années 80

Revenu dans les ruelles du centre, on visite le grand temple bouddhiste, ou les échoppes favorites des vaches qui sillonnent la ville !

La politique n’est jamais loin

Pour le tout-puissant premier ministre indien Narendra Modi, le sommet du G 20 qui se tient en Inde les 9 et 10 septembre est une opportunité formidable de mettre en avant les progrès – visibles – du sous-continent en matière par exemple d’écologie. La plaie qui a longtemps affecté les grands pays asiatiques et africains, l’usage de sacs plastique sur les marchés, dans les magasins – qu’on retrouvait disséminés par milliers au bord des routes, dans les champs – a disparu. Le plastique a partout été remplacé par du papier ou du carton ! On est encore loin d’une parfaite propreté des espaces publics et de la nature, mais le progrès observé depuis notre dernier voyage en Inde (2016) est spectaculaire.

Quelle ne fut pas ma surprise, arrivant pour les deux dernières nuits de mon séjour dans un grand hôtel de Leh, d’y constater la présence d’une personnalité, au patronyme illustre, que les médias – et les citoyens indiens avec qui nous avons pu échanger – présentent comme le challenger le plus sérieux de l’actuel premier ministre pour les élections générales prévues en 2024, Rahul Gandhi, petit-fils (Indira) et fils (Rajiv) de premiers ministres qui ont fini assassinés !.

Il y avait bien une certaine agitation, des militaires, des policiers à l’entrée de l’hôtel, mais on ne faisait remarquer que Rahul Gandhi tient sa popularité du fait qu’il a décidé de conjurer le sort qui s’attache à sa famille et de rester simple et accessible. Comme en témoigne cette photo prise il y a une semaine à Leh, dans le restaurant de notre hôtel.

Stūpas et Gompas

Les images qu’on associe toujours à ces paysages himalayens et qui alimentent puissamment notre imaginaire sont celles de ces temples érigés sur des promontoires sur fond de sommets enneigés. Comme lorsqu’on arrive à Likir, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Leh.

Sur cette photo, on voit bien d’une part, au centre, le gompa (du tibétain « dgon-pa » : monastère) et à gauche un stūpa (mot sanscrit signifiant « reliquaire »).

Guidé par un bouddhiste très pratiquant, je devrais ne plus rien ignorer de Bouddha, du bouddhisme, de sa variante tibétaine incarnée par le dalaï-lama (qui séjournait à Leh durant cet été) et de tous les rites accomplis par les moines et les fidèles.

J’avoue, au fil des visites de ces lieux spectaculaires, n’avoir pas tout retenu. Peu importe après tout, chacun cherche et atteint comme il peut le nirvana, comme le représente cette fresque :

Privilège d’assister à une séance de prière…

Privilège également d’avoir accès aux bibliothèques richement garnies de milliers d’ouvrages relatant l’enseignement de Bouddha, et utilisés comme supports des prières des moines.

A l’intérieur des temples, toutes sortes d’offrandes sont disposées devant les statues de Bouddha, des billets de banque, mais aussi des quantités de nourriture, bouteilles de Coca, jus de fruits et autres…

On a visité les sites de Likir (ci-dessus), Alchi, Lamayuru, puis Thiksey et Hemis.

Alchi, à la différence des autres gompas, n’est pas situé en hauteur, mais c’est l’un des plus anciens – fondé au Xe siècle – l’un des plus émouvants aussi dans l’austérité du dépouillement de ses deux tout petits oratoires en bois scuplté- La photo ci-dessous n’est pas de moi, puisqu’on doit abandonner appareils et téléphones portables avant la visite.

Lamayuru vu d’en bas et d’en haut

L’arrivée au monastère de Thiksey est spectaculaire :

Les Ladakhi le surnomment le petit Potala, du nom du palais du dalaï-lama à Lhassa (Tibet)

Thiksey domine la vallée de l’Indus et témoigne d’une munificence qui le distingue des autres gompas

Le temple de Hemis est tout aussi important pour le bouddhisme tibétain, quoique plus récent (XVIIe siècle). Il comporte un passionnant musée sur l’histoire du Ladakh (photos interdites !)

La vue sur la vallée et les montagnes environnantes est toujours impressionnante !

Le palais de Stok

À une quinzaine de kilomètres de Leh, le palais de Stok a été la résidence de la dynastie royale Namgyal qui a régné sur le Ladakh de 1470 à 1834. C’est aujourd’hui un (petit) hôtel très spartiate dans ses équipements, mais avec une vue imprenable sur la vallée de l’Indus.

A quelques encablures de Stok, le temple de Matho inspire le recueillement.

La décoration intérieure de certains temples est parfois exubérante, comme cette série de représentations de Bouddha en céramique.

Dernier temple – et non le moindre – le monastère de Diskit, qu’on atteindra, dans la vallée de la Noubra, une fois franchi le plus haut col du monde (accessible en voiture) – à suivre dans un prochain épisode !

Toujours une vue spectaculaire sur la vallée et sur une statue géante de Bouddha…

Des moines confectionnant un mandala avec une précision redoutable …

La nature immense

Les paysages qu’on traverse au Ladakh- en voiture ou à pied – sont si impressionnants que ni photos ni videos ne peuvent en restituer la majesté. L’expression « à couper le souffle » est doublement pertinente, d’abord parce qu’une incroyable émotion vous saisit à chaque halte, à chaque détour, ensuite parce qu’en effet, à ces altitudes – le plus haut col du monde franchissable en voiture est à 5480 m ! – l’atmosphère est très sèche (moins de 20% d’humidité) et l’oxygène rare.

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Les sommets de la chaîne des K – le Karakoram – où se trouve le deuxième plus haut du monde, le K2 (8611 m)

Ici autour de Nimmu, à 3200 m d’altitude, la nature est verdoyante et la végétation faite de peupliers, de saules, d’arbousiers, de genévriers. Plus surprenants encore les abricotiers, les pommiers, des fleurs, des champs d’orge ou de blé…

L’herbe est toujours verte pour les troupeaux de vaches, yaks, moutons et chèvres (ci-dessous les fameuses chèvres cachemire dont la laine sert à la confection des pashminas)

Sur les hauteurs

Je m’étais amusé à saisir sur mon téléphone les moments où notre voiture franchissait les 4807 m du Mont-Blanc. En deux jours, nous avons franchi trois des plus hauts cols du monde, à plus de 5000 m d’altitude…

Le Khardong La est présenté comme la route carrossable la plus haute du monde – 17982 pieds, 5480 m – vues imprenables sur les chaînes de l’Himalaya et du Karakoram.

Le Taglangla est à peine moins haut, plus sauvage et moins fréquenté : on aperçoit trois femmes, trois nomades remontant leurs récoltes d’herbes odorantes.

Autre col à plus de 5000 m franchi dans la même journée…le Wari La. Expédition plus sportive, la route ressemblant plus à un vaste chantier… à l’arrêt. Mais il faut reconnaître que le gouvernement régional met le paquet pour transformer le réseau routier, partout on voit des campements d’ouvriers, la plupart venus du Bihar, attelés à des chantiers gigantesques !

Des dunes, du sel, des lacs

On n’est jamais au bout de ses surprises quand on parcourt le Ladakh.

Comme quand on surplombe le confluent du Zanskar et de l’Indus

Des dunes de sable en plein Himalaya… on croit rêver, et pourtant c’est l’ébouriffant spectacle qui s’offre à la vue dans le désert de Hunder. Le touriste peut même contribuer à la préservation d’une espèce endémique de chameaux (les chameaux de Bactriane) qui formaient jadis les immenses caravanes des routes de la soie.

Mais il faut parfois s’armer de patience pour accéder à ces trésors de la nature. On a parfois l’impression de participer au tournage d’un épisode des Routes de l’impossible, par exemple quand un convoi militaire croise des camions de chantier, sur la seule route de la vallée…

Après le désert et ses dunes, on atteindra au sud-est du Ladakh de sublimes lacs immaculés (avec l’expérience de deux nuits à 4650 m sous tente !).

D’abord le Tso Kar, un lac salé !

Même notre guide est surpris de la densité saline du lac!

Plus élevé encore – 4705 m – ce petit lac vert le Kyagar Tso. Avant de parvenir au couchant sur les bords de l’immense Tso Moriri, à la frontière du Tibet.

Là haut dans la montagne

Le plus surprenant de tout ce séjour dans les hauteurs du Ladakh, c’est la pureté absolue de l’air, de l’eau, le calme total – qui n’est pas silence – jamais troublé par d’autres bruits que ceux de la nature. Et dans cette montagne immense ce festival permanent de couleurs.

Sur les chemins de randonnée, à 4000 m, on pense même au confort des marcheurs…

(Reproduction texte et photos/videos JPR interdite)

Ansermet enfin

On savait par son biographe, l’ami François Hudry, que Decca avait prévu d’honorer le chef suisse Ernest Ansermet (1883-1969) par une monumentale réédition de son legs discographique à l’occasion des 50 ans de sa mort en 2019. Puis silence radio (lire mon billet de décembre 2021 Disques fantômes). Sur la foi d’une nouvelle date de parution annoncée pour avril 2022, j’avais commandé le premier et plus important coffret de cette édition – Ernest Ansermet, the Stéréo Years – chez l’éditeur allemand jpc.de. C’est finalement un an après la date annoncée que j’ai reçu le précieux coffret.

On n’a pas à regretter le retard pris sur la date initiale de publication, tant l’objet qui nous est livré est à tous égards remarquable.

A la différence d’autres éditeurs (Sony, Decca pour le récent Dorati/Detroit), on a ici des minutages très généreux… et des pochettes d’origine. Sur chaque pochette, figurent tous les détails qu’un mélomane curieux est en droit d’attendre, les interprètes bien sûr, les minutages, les dates et lieux précis d’enregistrement.. et de première publication, les équipes de prise de son, etc… Dans le livret quadrilingue (français, anglais, allemand, japonais), d’excellents, quoique trop brefs à notre goût, textes de François Hudry et Jon Tolansky. Et le tableau extrêmement détaillé de tous les enregistrements réalisés par Ansermet, de leurs dates de publication, etc. Un coffret « mono » doit suivre.

Je connaissais déjà la quasi totalité de ces enregistrements, et en admirais de longue date les prises de son, presque toutes réalisées au Victoria Hall de Genève, par les ingénieurs de Decca de la grande époque. De ce que j’ai pu entendre de ce nouveau coffret, les remastérisations sont impressionnantes, en ce qu’elles gomment les défauts des premières prises stéréo, sans altérer – au contraire – leur parfait équilibre. Et quand Decca annonce toutes les captations stéréo cela comprend aussi des enregistrements qu’on ne connaissait pas en CD, comme une 1ère et une 8ème symphonies de Beethoven captées en mai 1956 (sept ans avant l’intégrale des symphonies)

En terres germaniques

Quant au contenu, il permettra, on l’espère, d’élargir la perception qu’on a de ce grand chef, une fois pour toutes catalogué comme spécialiste de la musique française. On aime tellement enfermer les musiciens dans des cases…

Qu’on écoute seulement ce qu’Ansermet fait de la demi-douzaine de cantates de Bach qu’il a gravées, des symphonies parisiennes de Haydn (la première intégrale en stéréo !), bien sûr des symphonies de Brahms et Beethoven, si proches de conception de son contemporain Monteux

Les Weber, Mendelssohn, Schumann (magnifique 2ème symphonie) ne manquent ni d’élan ni de saveur.

Maître de ballet

Qui pourrait oublier qu’Ansermet a été, de 1915 à 1923, le chef des Ballets Russes, qu’il a, à ce titre, créé les partitions du Tricorne de Manuel de Falla, de Noces de Stravinsky, qu’il a étroitement connu ceux dont il dirigeait les oeuvres ! Ses enregistrements des trois grands ballets de Tchaikovski, de Coppélia de Delibes, de Glazounov, évidemment de Stravinsky (malgré la brouille qui les a séparés après la guerre, Ansermet refusant de jouer les partitions « révisées » par Stravinsky, qui, ce faisant, régénérait le compteur de ses droits d’auteur!). Dans Tchaikovski en particulier, les tempi d’Ansermet peuvent parfois surprendre, on ne doit jamais oublier que lui savait ce qu’était qu’accompagner des danseurs !

Une curiosité sans limite

On ne peut résumer ici ce que fut l’incroyable carrière du chef suisse, fondateur en 1918 de l’Orchestre de la Suisse Romande qu’il dirigea jusqu’en 1967, ni l’étendue de ses curiosités et de ses répertoires. Mais on en trouve, dans ce coffret, l’éclatant témoignage.

De Sibelius, il a laissé deux symphonies, dont une surprenante Quatrième :

En septembre 1968 pour l’un de ses tout derniers enregistrements, il grave la 3ème symphonie d’Albéric Magnard.

Il n’oublie jamais ses contemporains suisses, Honegger bien sûr (c’est Ansermet qui crée le poème symphonique Pacific 2.3.1, Frank Martin

On l’a bien compris, ce coffret est une malle aux trésors, qu’on n’a pas fini de redécouvrir.

Rachmaninov soviétique

J’avais vu passer cette Rachmaninoff Collection éditée par la firme Melodia – producteur exclusif de disques du temps de l’Union soviétique – pour le 145ème (sic) anniversaire de la naissance de Serge Rachmaninov, en 2018 donc. Je ne m’y étais pas attardé en raison d’un prix prohibitif – entre 300 et 400 € selon les fournisseurs – et du peu d’informations qu’on avait du contenu du coffret.

Il y a quelques jours, parcourant la colonne des « bonnes affaires » ou « offres spéciales » du site allemand jpc.de– où j’ai fait nombre de belles trouvailles – je suis tombé sur une offre, cette fois irrésistible, 130 € pour une véritable malle aux trésors (33 CD et un vinyle) : Sergej Rachmaninoff – Die Melodiya-Edition. Les frais de port sont très peu élevés, et pour les non-germanophones, le site peut aussi être consulté en anglais.

Comme pour les coffrets précédents consacrés à Sviatoslav Richter, Emile Guilels ou Evgueni Svetlanov, la présentation est très soignée, avec un livret quadrilingue, et sur chaque pochette cartonnée en trois volets toutes les précisions nécessaires (toujours en quatre langues) sur les interprètes, les dates et lieux d’enregistrement.

Inutile de dire qu’on va de surprise en émerveillement, parce qu’aux références déjà connues et éditées en Occident s’ajoutent nombre d’enregistrements d’interprètes moins connus, mais tout aussi passionnants, qui témoignent de l’art de plusieurs générations de musiciens de l’ère soviétique abordant un compositeur d’abord honni, puisque ayant fui la mère patrie sans jamais y être revenu.

Tous les détails de ce coffret à voir ici : Rachmaninoff Collection tracklist

De précieux documents connus (Rachmaninov lui-même au piano, Horowitz) et d’autres que je découvre comme ce prélude op.23/5 joué en 1924 par…Prokofiev (YouTube cite une autre date, 1919, pour un enregistrement sur rouleau, miraculeusement restitué)

Celui qui fut, dans sa jeunesse, un virtuose célèbre en URSS, Victor Eresco, 80 ans, vit, semble-t-il, une retraite paisible en Bourgogne, où il est installé depuis plusieurs années !

Nombre de représentants de la grande école de piano russe – si tant est que le terme ait un sens – moins connus que les figures de proue, figurent dans ce coffret. On y retrouve aussi des interprètes devenus mondialement célèbres, comme Nikolai Luganski :

Et bien sûr des versions maintes fois célébrées – Svetlanov dans la 2ème symphonie ou L’île des morts – Kondrachine dans les Danses symphoniques, la version qui trône au sommet de la discographie, la plus désespérée, la plus tragique.

Qui aime bien châtie bien

Trois raisons ce matin d’illustrer le proverbe médiéval Qui bene amat, bene castigat. À propos de trois pianistes.

Fazil Say l’intranquille

Ici même j’écrivais ce billet : Mes préférés : Fazil Say quelques semaines avant d’entendre, en juillet 2017, le récital du pianiste turc à Montpellier. Je lui avais demandé un programme tout Mozart, ce qui l’avait d’abord surpris (parce qu’on ne remplit pas une salle avec des sonates de Mozart ?), pour changer aussi les habitudes d’un public – celui du Festival Radio France – acquis d’avance depuis les débuts du pianiste vingt ans plus tôt.

J’assistais mercredi dernier à son récital au théâtre des Champs-Elysées. J’en ai fait le compte-rendu dans et pour Bachtrack : Au Théâtre des Champs-Elysées, Fazil Say l’intranquille.

La déception que j’ai éprouvée est à la mesure de l’admiration que je porte à l’artiste.

Remarque à l’attention des responsables du Théâtre des Champs-Elysées (mais cela vaut pour quasiment toutes les salles de concert que je fréquente !) : les minutages indiqués sont toujours faux pour le public. Si l’on en croit le panneau électronique dans le hall du théâtre mercredi dernier, la première partie se terminait au bout de 35 minutes. Or ces 35 minutes ne sont que l’addition – approximative d’ailleurs – des durées des trois oeuvres, et ne tiennent évidemment pas compte de ce qui se passe sur scène, des allers-retours du pianiste, des applaudissements, etc… Mieux encore, le minutage de la seconde partie fait l’impasse sur les bis. Résultat, un récital qui devait s’achever selon cette annonce à 21h35, s’est achevé à 21h55 !

J’avais coutume de demander, à Liège ou à Montpellier, où le public voulait surtout savoir vers quelle heure s’achèverait le concert, qu’on rajoute 20 minutes au minutage strict du programme. Et ça tombait toujours juste !

Les petits marteaux de Gavrilov

Je me réjouissais de retrouver la totalité des enregistrements réalisés par le pianiste suisse d’origine russe Andrei Gavrilov, mon quasi contemporain, pour Deutsche Grammophon, republiés dans la collection Eloquence (petit conseil en passant : le site anglais Prestomusic propose le coffret de 10 CD à 25 € de moins que la FNAC !)

CD 1

JOHANN SEBASTIAN BACH (1685–1750)
Goldberg Variations, BWV 988                                                                                                                                         

CDs 2–3
JOHANN SEBASTIAN BACH (1685–1750)
French Suites Nos. 1–6                                                                                                                                                        

CD 4
FRANZ SCHUBERT (1797–1828)
Impromptus, D.899 & 935                                                                                                                                                  

CD 5
FRÉDÉRIC CHOPIN (1810–1849)
Piano Sonata No. 2 in B flat minor, Op. 35
Four Ballades 

CD 6
EDVARD GRIEG (1843–1907)
Lyric Pieces (selection)

CD 7
SERGEI PROKOFIEV (1891–1953)
Piano Sonata No. 3 in A minor, Op. 28
Piano Sonata No. 7 in B flat major, Op. 83
Piano Sonata No. 8 in B flat major, Op. 84

CD 8
SERGEI PROKOFIEV (1891–1953)
Ten Pieces for Piano from Romeo and Juliet, Op. 75                                                                                              
Suggestion diabolique, Op. 4 No. 4                                                                                                                                
Prelude in C major, Op. 12 No. 7                                                                                                                                     

MAURICE RAVEL (1875–1937)
Gaspard de la nuit                                                                                                                                                                           
Pavane pour une infante défunte                                                                                                                                   

CD 9
BENJAMIN BRITTEN (1913–1976)
Friday Afternoons, Op. 7
Sailing, Op. 5 No. 2 (Holiday Diary)
The Ballad of Little Musgrave and Lady Barnard                                                                                                      
Night, Op. 5 No. 4 (Holiday Diary)
The Golden Vanity, Op. 78                                                                                                                                                 
Gernot Fuhrmann, Mark Bittermann, Michael Matzner, trebles
Thomas Weinhappel, Wolfgang Wieringer, boy altos
Wiener Sängerknaben · Jaume Miranda, chorus master
Chorus Viennensis · Peter Marschik, chorus master

CD 10
IGOR STRAVINSKY 
(1882–1971)
Scherzo à la Russe                                                                                                                                                                 
Concerto for Two Pianos                                                                                                                                                     
Sonata for Two Pianos
Le Sacre du printemps
Vladimir Ashkenazy, piano (II)

La quasi totalité de ces gravures date du tournant des années 90, à une époque où le jeune virtuose flamboyait, impressionnait par sa technique d’acier.

C’est peu dire qu’on est surpris par des Bach qui semblent singer Glenn Gould, des petits marteaux sans âme. Mais le même phénomène se retrouve dans une oeuvre où, a priori, le pianiste moscovite devrait être plus à son aise, le Roméo et Juliette de Prokofiev. C’est mieux, beaucoup mieux même, dans Chopin, Grieg, les sonates de Prokofiev, le duo avec Ashkenazy dans Stravinsky et cette étrangeté Britten.

J’ai retrouvé sur YouTube un récital donné par Gavrilov à la même époque, dans une rue d’Amsterdam (!) : Chopin et Prokofiev au programme :

J’avais évoqué ici l’étrange bouquin – autobiographie ? mémoires ? – publié à compte d’auteur (Tchaikovski, Fira et moi, Scènes de la vie d’un artiste) où Gavrilov raconte sa jeunesse moscovite et l’amitié particulière qui le lia à Sviastolav Richter.

Je n’ai personnellement jamais entendu Gavrilov en concert, je pensais même qu’il avait renoncé à jouer en public. Et puis j’ai trouvé ce récital récent, il y a deux ans au Japon. Le jeune chien fou des débuts est devenu poète, malgré des moyens affaiblis mais encore impressionnants.

Le piano d’un dandy

Piano Classics ressort en 4 CD l’intégrale de l’oeuvre pour piano de Reynaldo Hahn (1874-1947) gravée il y a une dizaine d’années par un jeune pianiste italien, 35 ans, Alessandro Deljavan, demi-finaliste du concours Van Cliburn en 2013.

Je n’ai pas le souvenir d’avoir jamais vu son nom à l’affiche des salles de concert françaises.. malgré nombre de critiques favorables à propos de ses disques, notamment des Chopin très intéressants.

J’ai chroniqué pour un site de vente en ligne cette réédition Reynaldo Hahn, une somme de petites pièces d’un goût toujours sûr, même si elles ne sont pas essentielles. Lire ici

2890 jours : mes années Montpellier

A la différence d’une ex-ministre de la Culture qui raconte le « calvaire » qu’ont été les 682 jours qu’elle a passés au gouvernement, j’ai envie de raconter les bons souvenirs – et quelques joyeusetés aussi ! – des presque huit années que j’ai vécues à la direction d’un beau festival (lire Le coeur léger).

Nomination

J’ai été nommé directeur du festival Radio France le 18 juillet 2014, quelques semaines après avoir été nommé directeur de la musique de Radio France par le nouveau PDG de Radio France Mathieu Gallet. Deux souvenirs précis de ce moment, l’un cocasse, l’autre émouvant.

L’émotion ce 18 juillet au dernier étage de la tour du conseil régional à Montpellier, c’est celle qui étreint tous les participants au conseil d’administration du Festival, présidé par Christian Bourquin, président du conseil régional Languedoc-Roussillon, que tous savent gravement malade, mais qui n’en laisse rien paraître. A l’issue du CA, Christian Bourquin nous retient Mathieu Gallet et moi dans son vaste bureau. Plus d’une heure, pendant laquelle l’élu balaie l’horizon politique – il est farouchement opposé au redécoupage des régions opéré par François Hollande en 2013, qui donnera naissance en 2016 à un monstre, la région Occitanie -. Mathieu et moi avons le sentiment poignant de recevoir son testament politique. Christian Bourquin décèdera un mois plus tard des suites du cancer du rein qui le rongeait (lire Midi Libre)

Le cocasse de cette nomination c’est le contexte : lorsque Mathieu Gallet m’appelle à la direction de la musique de Radio France, il m’annonce clairement deux choses : je serai aussi le directeur du festival Radio France, mais il souhaite se dégager dès que possible de ce festival, il a d’autres projets à Paris, entre autres une idée, sur le papier séduisante, de Prom’s à la française. Comme toujours rien ne se passera comme prévu… puisque je resterai à la tête du festival jusqu’en juillet 2022 et que Radio France, certes plusieurs fois tenté de s’en retirer a, au contraire, conforté son emprise sur la manifestation, en en reprenant la gestion directe à ma suite.

Inextinguible

Quelques jours après ma nomination, j’écrivais ici même un billet : Inextinguible. Inextinguible comme la 4ème symphonie de Nielsen que dirigeait alors Jean-Claude Casadesus avec ses musiciens lillois, inextinguible aussi comme ma soif de découvertes que je ne parviendrais pas à étancher tout au long des huit années qui allaient suivre (lire l’interview à Forumopera). C’est aussi en ce mois de juillet 2014 que je découvris l’incroyable talent de Santtu-Matias Rouvali, l’actuel chef du Philharmonia.

Je reviendrai sur ces fabuleux souvenirs avec le chef finlandais.

(Santtu-Matias Rouvali, JPR, Jean-Luc Votano et Magnus Linberg / juillet 2019 / Montpellier)

On est heureux de suivre pas à pas l’une des plus passionnantes intégrales des symphonies de Sibelius, où le talent singulier du jeune chef s’épanouit dans un formidable geste recréateur.

Soleils d’hiver au musée

Retour au Louvre

Aller au musée du Louvre, juste pour le plaisir, sans projet préconçu, ni pour un vernissage, ni pour un concert, cela ne m’était pas arrivé depuis des lustres.

Je me suis mis dans la peau d’un touriste, réservant mon billet et mon horaire à l’avance, un jour de semaine ordinaire. J’ai commencé par des salles que je sais moins fréquentées que d’autres, et puis j’ai suivi le parcours obligé : la Joconde, la Victoire de Samothrace, et puis les autres devant lesquels la foule qui se prenait en selfie devant la Joconde, passait indifférente…

Les mêmes qui se pressent devant la Joconde ignorent superbement ces deux autres célèbres toiles de Leonard de Vinci ou de son atelier: La belle ferronnière et un Saint Jean-Baptiste (attribué à Francesco Melzi) devenu Bacchus !

Le même Jean-Baptiste, au désert cette fois, dû à Raphaël, est à quelques mètres :

Quand la sculpture exalte le corps : ci-dessus à gauche Psyché ranimée par le baiser de l’Amour d’Antonio Canova, à droite le Mercure volant de Jean de Bologne.

Ci-dessous à gauche L’esclave rebelle de Michel-Ange, à droite le sublime Gladiateur Borghese chef d’oeuvre de l’Antiquité grecque.

Quant à La Victoire de Samothrace, elle est de nouveau installée dans toute sa splendeur, après une complète restauration entre 2013 et 2015.

Les soleils de Marmottan

Il y a dans Paris quantité de musées, modestes par la taille (en comparaison du Louvre ou d’Orsay !), mais tellement riches et attachants. Du temps où je travaillais dans la Maison ronde, j’aimais m’arrêter au Musée Marmottan Monet, tout près des portes de La Muette ou de Passy.

En ce moment une exposition particulièrement bienvenue à cette période de l’année : Face au soleil, un astre dans les arts.

On est accueilli, cueilli devrais-je dire, par cet éblouissant Le soleil inonde ma toile (1966) de Gérard Fromanger (1939-2021)

On aperçoit vite la toile sans doute la plus célèbre de Monet Impression, Soleil levant, la plus célèbre de la collection permanente du musée Marmottan (on y reviendra) aussi.

Claude Monet, Impression Soleil levant, 1874

L’exposition n’est pas immense, mais ne propose que des chefs-d’oeuvre. Petite sélection :

Deux Caspar David Friedrich (1774-1840) à gauche La croix dans les bois (1812), à droite Le matin de Pâques (1828).

Ci-dessous, à gauche André Derain (1880-1954) Big Ben, Londres, à droite Paul Signac (1865-1956) Le port au soleil couchant (Saint-Tropez)

Ci-dessus à gauche Charles-Marie Dulac (1866-1898) Soleil levant à Assise (1897), à droite Maurice Denis (1870-1945) Saint-François d’Assise recevant les stigmates (1904)

C-dessous à gauche Otto Dix (1891-1969) Soleil levant (1913), à droite Gérard Fromanger Impression, Soleil levant 2019

Collection permanente

C’est aussi pour Monet qu’on vient et revient au musée Marmottan qui raconte ainsi l’origine de la présence d’une aussi importante collection de toiles du peintre de Giverny (lire Un dimanche d’automne à Giverny) :

En 1966, un événement majeur marque la vie des collections. Le musée devient le légataire universel de Claude Monet par l’intermédiaire de son fils, Michel. Il hérite ainsi de la maison de Giverny et des œuvres restées dans la famille. Plus de cent peintures retraçant la carrière du chef de file de l’impressionnisme intègrent le musée. Outre les chefs-d’œuvre de jeunesse et de la maturité (Le Train dans la neige. La locomotive ; En promenade près d’Argenteuil ; Le Pont de l’Europe, gare Saint-Lazare ; Londres, le Parlement, reflets sur la Tamise…), l’ensemble se distingue par des tableaux monumentaux représentant les Nymphéas et le jardin de Giverny. Ces œuvres inédites du vivant de l’artiste sont présentées au public pour la première fois à leur arrivée au musée. Seul lieu à conserver les ultimes Pont japonais et Maison vue de l’allée aux roses, le musée Marmottan Monet offre par le nombre et la rareté de ses toiles une visite sans équivalent du premier fonds mondial d’œuvres de l’artiste (Source : Musée Marmottan Monet)

Claude Monet, Nymphéas, 1919

Mais l’ancien hôtel particulier de Paul Marmottan vaut aussi pour le mobilier, les objets d’art rassemblés par ce passionné du Premier Empire, le premier fonds mondial de l’oeuvre de Berthe Morisot, et la vingtaine d’épées d’académiciens exposées ici depuis 2018 à la demande du directeur du musée depuis 2013, l’ex-PDG de France Télévisions Patrick de Carolis.

Louis Gauffier, Vue de l’Arno (1799)
Gustave Caillebotte : Rue de Paris Temps de pluie, 1877
Camille Pissarro Les boulevards extérieurs Effet de neige 1879

Parmi la vingtaine exposée ici, trois toiles de la première femme impressionniste Berthe Morisot (1841-1895)

Vacances 2022 : Intrigue à la Villa Médicis

Rome, la Villa Médicis

Avant-dernier épisode de la série Vacances 2002, la Villa Médicis, où je n’ai pas mis les pieds cette année, mon séjour romain fut relativement bref – il m’en reste à raconter notamment sur les trésors du Vatican.

Ma première fois à Rome c’était en mars 1995 à l’occasion d’un week-end – qui a failli rater – de France Musique à la Villa Médicis. Week-end dont j’avais conservé un souvenir contrasté.

Le futur ministre ?

Je n’ai compris que bien plus tard le véritable enjeu de ce moment où France Musique n’était qu’un prétexte. Je suis tombé par hasard sur les mémoires de Jean-Pierre Angremy (de son nom de plume Pierre-Jean Rémy) où l’on comprend que le déplacement en grand appareil du PDG de Radio France Jean Maheu, du directeur de la musique Claude Samuel, du directeur de France Musique l’auteur de ces lignes, de quelques autres personnes forcément importantes, tous accompagnés de leurs conjoints, au prétexte d’assister à des concerts de pensionnaires de la Villa Médicis, dont l’écrivain à succès était alors le directeur transmis sur France Musique bien évidemment, ce déplacement donc avait pour objectif non avoué pour l’état major de la radio publique de se mettre au mieux avec celui qu’une rumeur insistante et récurrente présentait comme le probable, possible futur ministre de la Culture de Jacques Chirac bientôt élu président de la République. On était à un mois du premier tour de l’élection présidentielle de 1995, tandis que s’achevait la cohabitation Mitterrand-Balladur.

Extraits choisis de ce « Journal de Rome » :

« Noter l’arrivée de Jean Maheu et de sa femme, Isabelle. Nous nous embrassons, nous nous tutoyons. Il aurait souhaité lui-même venir à la Villa Médicis comme directeur. Un jour, brisant la glace, il m’a dit qu’il n’en était rien. Je n’en pense pas moins.
Ai-je dit que Stéphane Martin, qui fut longtemps son directeur adjoint de cabinet (1) et à qui je dois ma place ici, s’est fait l’écho, comme beaucoup d’autres, du bruit qui a couru selon lequel j’intriguerais, toujours dur et ferme, pour me retrouver à la Culture ? Claude Samuel me parlera également de l’affaire. Sophie Barrouyer de France Musique (2), aussi, comme Sophie Barruel (3), petite énarque au jeune mari aussi, comme également Jean-Pierre Rousseau.
Rumeur ou calomnie ? Je n’ai pas que des amis, c’est le moins que je puisse dire !
« 

(1) Stéphane Martin, qui a été un temps le bras droit de Claude Samuel à Radio France, est à l’époque directeur adjoint du cabinet de Jacques Toubon, ministre de la Culture. Il sera, de 1998 à 2020, le président du musée du Quai Branly

(2) J’ai l’impression que Pierre-Jean Rémy s’emmêle dans ses souvenirs, en évoquant la présence de Sophie Barrouyer…à qui j’avais succédé deux ans plus tôt (lire L’aventure France Musique)

(3) Erreur de PJR, il s’agissait de Sophie Barluet, prématurément emportée par une cruelle maladie en 2007, son « jeune mari » étant Alain Barluet, actuel correspondant du Figaro à Moscou. J’avais beaucoup apprécié Sophie Barluet comme directrice de cabinet de Jean Maheu et comme complice toujours bienveillante.

Liaison fatale ?

Suite du journal de Pierre-Jean Remy :

« SAMEDI 25 MARS. Toute la journée en direct, donc, de France Musique. En réalité, depuis vingt-quatre heures, les trois techniciens de France Musique se battent avec les Télécoms italiens, car on n’arrive pas
à obtenir les canaux pour transmettre vers la France via… eh bien via Rome, tout simplement ! En 1995. il est tout de même paradoxal de voir qu’il n’y ait pas moyen de lier la Villa Médicis, au-dessus de Rome, au
centre de la RAI, à Rome même. Les autres liaisons sont possibles, mais pas celle-là. Il est vrai que l’on ne travaille plus par liaison hertzienne, mais par liaison numérique câblée. Ceci expliquerait cela. Pendant vingt-quatre heures, on s’arrache progressivement les cheveux. Le 24 au soir, on est persuadé que rien ne pourra se résoudre. Samedi 25 au matin, rien ne fonctionne encore alors que la première émission en direct est prévue à 11 heures À 11 heures moins dix : miracle ! apothéose! Les canaux sont rétablis »

Pierre Jean Remy on the set of TV show « Vol de Nuit ». (Photo by Eric Fougere/VIP Images/Corbis via Getty Images)

Ce n’est faire injure à la mémoire de personne que de relater que cette situation a donné lieu à des énervements et des comportements proches du ridicule. Je savais, comme responsable de l’antenne, que les techniciens de Radio France faisaient tout leur possible pour trouver une solution (au pire on pouvait enregistrer les émissions et concerts prévus et les diffuser ultérieurement de Paris). Mais il fallait bien que le PDG de Radio France justifiât sa présence à Rome et manifestât son autorité. Il se mit en tête après avoir copieusement engueulé ses proches, dont moi évidemment, d’interpeller les plus hautes autorités du pays, en commençant tout de même par l’ambassadeur de France à Rome, son homologue de la RAI (je doute qu’il l’ait joint), voire le ministre italien des télécommunications, pour leur faire valoir l’imbroglio diplomatique qui résulterait de l’impossibilité pour France Musique de diffuser en direct de Rome… Pierre-Jean Rémy considérait tout cela avec un certain amusement, habitué qu’il était aux moeurs italiennes (il avait été en poste à Florence), surtout un week-end.

Finalement le direct

« C’est donc la première émission, le concert des Nouveaux interprètes, que je présente depuis le
grand salon. Un froid polaire me caresse les côtes. Le concert,c’est le trio Schumann, trois jeunes gens de Turin. Tout à fait honorable. On joue, entre autres, du Kreisler et un trio de Brahms. Entre les morceaux, je parle de la Villa, je décris le paysage : beaucoup d’amis de France m’entendront, qui me le diront.
Déjeuner, sieste rapide, puis, toujours en direct de la Villa, l’émission Les Imaginaires de
Jean-Michel Damian. Damian erre comme un malheureux heureux, souriant, barbu et ventripotent, mais pas plus
« .

S’ensuit un long développement sur les invités de Jean-Michel Damian, dont l’essentiel de l’émission est consacré à Ingres, le grand peintre originaire de Montauban, très lié à Rome et en particulier à l’Académie de France à Rome dont il est le directeur de 1835 à 1840. Damian laisse les spécialistes disserter en roue libre, le concert qui devait conclure l’émission sera réduit à portion congrue.

L’auteur à succès, Callas, Karajan

On a oublié aujourd’hui la place qui était celle de Pierre-Jean Rémy dans la vie intellectuelle, culturelle et mondaine française. Auteur à succès, il était de tous les cercles influents, recherchant les honneurs, mais sans être dupe de la comédie humaine, à laquelle il participait avec une manière de distance et d’auto-dérision. Dans ce Journal de Rome, il évoque, parlant de lui, une « culture superficielle, un vernis qui se craquèle comme les murs peints par Balthus dans la Villa Médicis », et on va le voir plus loin à propos de ses livres. Brillant, chaleureux, réservant ses flèches à ceux qui ne pourraient plus lui nuire, il veillait à entretenir ses réseaux. Après la Villa Médicis, j’ai eu quelques occasions de revoir PJR devenu en 1995 non pas ministre de la Culture, mais président de la Bibliothèque Nationale de France.

Suite de la journée France Musique à la Villa Médicis relatée par Pierre-Jean Rémy :

« La fin de la soirée sera encore plus chaotique dans la mesure où je donne simultanément un dîner pour vingt-cinq personnes et où je présente une soirée de France Musique de trois heures consacrée à Maria Callas. Pour me remettre dans le bain de Callas, j’ai été amené à relire mon livre : Dieu, qu’il était bon !

Et combien j’ai tout oublié… Je m’émerveille encore d’avoir été capable d’écrire ce livre, finalement si foisonnant et assez bien écrit, malgré des tics qui m’apparaissent à présent insupportables, des attendrissements ridicules ou des exclamations superfétatoires/…/ Donc, émission sur Maria Callas au cours de laquelle je présente d’une part la grande Tosca de Serafin, puis une série de cinq ou six enregistrements, dont La Gioconda, l’Elvire des Puritains, la mort d’Isolde, Traviata et Norma. Quelques discours attendris, quelques références subtilement piquées dans mes propres œuvres.« 

Et, dans le même temps, j’essaie de faire de timides apparitions à l’une des trois tables où je suis censé être assis. Présence de Massimo Bogianckino, terriblement fatigué. Présence du vieux compositeur Petrassi, quatre-vingt-onze ans à présent, l’une des dernières grandes figures vivantes de la musique européenne. Il est sourd et heureux d’être à la Villa Médicis. Sa femme, grande cavale de trente ou quarante ans de moins que lui, se dit heureuse aussi. Elle promet de nous inviter chez elle, de nous faire une pasta. La soirée se terminera tard. dans l’allégresse, on boira beaucoup.. »

Précisions : Bogianckino (1922-2019) a été, à l’instigation de Jack Lang, le directeur de l’opéra de Paris de 1983 à 1985, avant d’être maire socialiste de Florence. Quant au vieux Goffredo Petrassi (1904-2003), il ne m’avait pas semblé si sourd que cela….

En matière de musique, Pierre-Jean Rémy savait surfer sur les sujets grand public Après Callas, il a été le premier à publier une biographie en français du chef autrichien, Herbert von Karajan (1908-1989). Comme pour Callas, la critique aura beau jeu de repérer les inexactitudes, les approximations, le côté compilation brouillonne d’un ouvrage qui sort souvent de son sujet, pour déborder sur les goûts personnels de l’auteur en matière symphonique ou lyrique.

Je vais sans doute le feuilleter à nouveau…

Vacances 2022 : Napoléon et l’île d’Elbe

Quatre jours en bord de mer à Punta Ala, et juste en face de nous l’île d’Elbe. Une visite s’imposait.

La fascination Napoléon

J’ai, à l’égard de Napoléon, ou j’ai eu jusqu’à présent, une attitude que les spécialistes de l’âme humaine pourraient qualifier de fascination/répulsion. J’ai peu lu sur lui – c’est une erreur que je répare peu à peu – je ne lui voue pas un culte comme pas mal de mes amis, et pourtant le personnage, ce qu’il a été, ce qu’il a laissé, ne laisse pas de m’intriguer.

L’île d’Elbe au moins je savais que c’était le premier exil de l’empereur (lire l’excellente notice de la Fondation Napoléon) du 4 mai 1814 au 26 février 1815. Il y avait au moins deux lieux liés à la présence de Napoléon sur l’île à visiter, mais j’avais oublié que les musées italiens évitent de travailler lorsque l’affluence touristique est la plus forte. Tout est fermé le week-end à partir du samedi 13h ! Je n’ai donc pu visiter que l’une des résidences napoléoniennes, à San Martino, dans la montagne à quelques kilomètres du chef-lieu de l’île Portoferraio : la Villa Napoleonica.

Impossible de visiter l’autre résidence de Napoléon sur les hauteurs de Portoferraio, sur la Piazza dei Mulini. Mais on aura pû gouter l’excellente eau minérale de la source Napoléon !

Napoléon et la musique

Contrairement à mes précédents billets, aucun rapport ici avec la musique – y a-t-il même un compositeur né sur l’île ? -. Pour ce qui est de Napoléon et la musique, je renvoie à l’article que j’avais publié lors du bicentenaire de la mort de l’empereur.

Dans cet article, j’ai oublié les deux oeuvres les plus spectaculaires et bruyantes écrites respectivement par Beethoven – la Victoire de Wellington – et Tchaikovski – l’Ouverture 1812 – inspirées à leurs auteurs par de cuisantes défaites napoléoniennes…

On sait pourtant l’admiration que portait Beethoven au général Bonaparte, au point d’avoir songé lui dédier sa Troisième symphonie, pour finalement rayer rageusement sa dédicace lorsque Bonaparte devint Napoléon 1er. La Victoire de Wellington, qui n’est franchement pas un chef-d’oeuvre, célèbre la victoire du duc de Wellington sur les troupes napoléoniennes le 21 juin 1813 à Vitoria-Gasteiz en Espagne.

Quant à l’ouverture solennelle 1812 (« L’ouverture sera très explosive et tapageuse. Je l’ai écrite sans beaucoup d’amour, de sorte qu’elle n’aura probablement pas grande valeur artistique. » dixit Tchaikovski lui-même !), écrite en 1880, pour « célébrer » le désastre de la campagne de Russie en 1812, avec la fameuse citation de la Marseillaise !

Vacances 2022 : retour à Ambronay

Sur la route des vacances halte ce week-end dans l’Ain, et retour en des lieux jadis familiers où je n’avais plus eu l’occasion de remettre les pieds depuis presque trente ans !

Ambronay

Ambronay, c’est cette ancienne abbaye bénédictine dans l’Ain, où en 1980, un fou de musique – Alain Brunet – décida de créer un festival de musique baroque et une académie. Quarante-deux après, il en a abandonné la direction mais en préside toujours ce qui est devenu, en 2003, un Centre Culturel de Rencontres. J’ai rarement rencontré personnage plus passionné, obstiné, déterminé, qui a toujours fini par convaincre les meilleurs musiciens de le suivre dans son aventure.

Mes premiers souvenirs d’Ambronay sont des émissions de radio – la Radio Suisse romande n’est pas loin, et Disques en Lice, l’émission de critique de disques, aujourd’hui disparue, de la RSR, était venue au moins deux fois dans mon souvenir. Une fois, c’était Jordi Savall autour des suites de Bach. Une autre fois, avant un concert où nous devions entendre le Stabat Mater de Vivaldi, j’étais assis à la tribune à côté de Gérard Lesne. Dans l’écoute comparative à l’aveugle, le jeu consistait évidemment à essayer de reconnaître les interprètes. Ecoutant la version que nous ne savions pas être celle de Nathalie Stutzmann, Gérard Lesne comme moi étions incapables de discerner le sexe de l’interprète, homme ou femme, tant la voix de Nathalie portait une superbe ambiguïté.

Autre souvenir, cette fois comme directeur de France Musique, et dans le cadre d’un partenariat qu’Alain Brunet avait obtenu sans problème de ma part, mais avec les réticences d’usage de la technique de Radio France, j’étais revenu en 1994 notamment pour un concert de l’académie animée alors par William Christie, David et Jonathas de Marc-Antoine Charpentier, qui révéla une jeune soprano qui allait faire son chemin : Patricia Petibon.

Je n’ai pu m’empêcher, revenant en ces lieux, de penser à l’ami Jacques Merlet, qui n’avait pas été le dernier à croire à l’aventure d’Ambronay et qui y installait ses quartiers d’automne. Il y a ainsi des ombres heureuses qui peuplent les mémoires et les pierres.

Pérouges

C’est pendant ce bref séjour de l’automne 1994 que je découvris Pérouges, à une vingtaine de kilomètres d’Ambronay, cette cité médiévale bien préservée. Un déjeuner à l’Hostellerie de Pérouges me fit côtoyer William Christie et son commensal. Quelques amabilités échangées. Ce fut le seul et dernier contact sympathique que j’eus avec ce personnage qu’il m’est arrivé d’apprécier comme musicien.

L’Hostellerie de Pérouges
Pérouges la porte Sud