Les héros de Notre Dame et Sainte-Colombe

Retour sur une actualité, dont le traitement médiatique me désespère : les suites de l’incendie de Notre-Dame, la disparition de Jean-Pierre Marielle.

Naguère, j’aurais encore consacré des lignes à dénoncer – en vain – les travers apparemment irrémédiables des médias de masse qui en sont réduits à s’aligner sur les réseaux sociaux : tous les points de vue se valent, on tend un micro à n’importe qui… Je n’en ai plus le goût ! Mais quand je lis l’article exceptionnel d’Elsa Freyssenet  dans Les Echos, je reprends espoir et j’oublie le monceau de conneries entendu sur tous les médias le soir de l’incendie de Notre Dame : Le secret de la victoire des pompiers contre le feuLire l’intégralité de cet article à la fin de ce billet !

Je ne participerai pas plus au débat sur la reconstruction de la cathédrale, encore moins sur l’argent récolté à cette fin.

J’ai encore le souvenir des épreuves écrites et orales que j’avais passées, et réussies à ma grande surprise,, à Poitiers, pour être Guide-conférencier des monuments historiques. S’il est bien une ville d’une exceptionnelle richesse monumentale, et en particulier d’édifices religieux, c’est bien Poitiers. Je me rappelle avoir constamment expliqué aux visiteurs que les églises qu’ils avaient devant eux, Notre-Dame-la-Grande, la Cathédrale Saint-Pierre, Sainte-Radegonde, etc… avaient subi, au cours des siècles, nombre de transformations, d’ajouts, de reconstructions, et que plus personne n’était choqué de voir autour d’une nef romane des chapelles Renaissance ou XVIIème, encore moins du gothique flamboyant édifié au-dessus d’une première église romane (voir Revoir Poitiers). 

Alors faut-il reconstruire Notre-Dame de Paris à l’identique ? mais à l’identique de quoi ? du visage que lui a donné Viollet-le-Duc au XIXème siècle (la flèche c’est lui !) ? On n’a pas fini de s’entre-déchirer sur le sujet…

J’ai quant à moi ressorti de ma discothèque ce coffret qui restitue l’art inimitable de Pierre Cochereau, notamment ses improvisations.

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Quant à Jean-Pierre Marielleje veux revenir un instant sur le formidable hommage qu’ARTE a rendu hier soir à l’acteur disparu, en diffusant un film qui a formé des générations de mélomanes, qui leur a fait découvrir un univers – et un instrument – jusqu’alors connus d’un cercle restreint d’amateurs.

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Tous les matins du monde a révélé au plus large public la viole de gambe, et les personnages de Sainte-Colombe et Marin Marais. Comme le soulignait hier Renaud Machart dans Le Monde :

« Jean-Pierre Marielle y incarnait l’ombrageux violiste M. de Sainte-Colombe (ca. 1640-ca. 1700), sur lequel on sait assez peu de choses, sinon qu’il écrivit des pièces d’une rare profondeur pour son instrument et qu’il fut le professeur de Marin Marais (1656-1728) – interprété dans le film, pour ses jeunes années, par Guillaume Depardieu (1971-2008), et, pour celles de sa maturité, par Gérard Depardieu.

Le scénario fut adapté du court roman éponyme de Pascal Quignard, qui réinventait dans une langue choisie et goûteuse la relation conflictuelle de ces deux musiciens que tout opposait : l’austère, colérique et obstiné Sainte-Colombe, qui n’écrivit que pour son instrument ; Marin Marais le mondain qui céda aux sirènes de la gloire en écrivant des tragédies lyriques, mais qui laissa aussi ce que le répertoire français pour l’instrument compte de plus beau – avec la musique de Sainte-Colombe.

Ainsi que l’écrivait Jacques Siclier dans nos colonnes, le 19 mars 2000 : « Alain Corneau a mis en scène le mystère d’une âme et d’un art, à l’ombre austère du jansénisme, dans des images presque toujours en plans fixes évoquant les tableaux de Philippe de Champaigne et les méditations des adeptes de Port-Royal. » Ce beau film, qui donna à Jean-Pïerre Marielle un rôle grave, inquiétant jusqu’à l’effroi, rendit, dans les semaines qui suivirent sa sortie, la viole de gambe célébrissime.

Au point que de nombreux jeunes musiciens voulurent apprendre cet instrument ancien rare, à une époque où la musique baroque commençait tout juste à être reconnue par les instances pédagogiques officielles : le département de musique ancienne du Conservatoire national supérieur de musique de Lyon, pionnier en la matière, venait d’être créé, en 1988, sur le modèle de celui de la Schola Cantorum de Bâle (Suisse).

C’est là, quelques lustres plus tôt, que le violiste catalan Jordi Savall – conseiller et directeur musical du film, interprète des pièces de viole – avait fait ses études, avant de devenir le plus grand spécialiste de cet instrument. Les amateurs de musique ancienne connaissaient ses enregistrements (pour EMI puis le label français Astrée), mais son renom ne dépassait pas le cercle des initiés. Après la sortie du film, et la publication de sa bande-son (chez Auvidis, qui avait racheté Astrée) Jordi Savall est devenu une vedette internationale.

On lisait, dans Le Monde du 11 janvier 1992 : « A l’issue de sa troisième semaine d’exploitation, Tous les matins du monde, d’Alain Corneau, totalise plus de 700 000 entrées pour toute la France et vient de rafler (…) la première place au box-office. Ce n’est pas la première fois qu’un film austère trouve un large public. Mais qui aurait pu imaginer que la bande-son du film (…) entrerait au “Top 30” de RTL-Virgin ? » Ce furent 70 000 exemplaires vendus en quelques semaines, puis un disque d’or : du jamais-vu pour un tel répertoire de « niche ».

Le film est un régal pour les yeux mais aussi pour les oreilles, avec de très beaux moments musicaux, dont cet extrait de la Troisième leçon de ténèbres de François Couperin qu’on entend chantée par celle qui fut l’épouse et la muse de Jordi Savall, la si inspirante et regrettée Montserrat Figueras (1942-2011). (Renaud Machart, Le Monde, 29 avril 2019.

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Notre Dame : le secret de la victoire des pompiers contre le feu

« Pour venir à bout de l’incendie de Notre-Dame de Paris, dans la nuit du 15 avril 2019, il a fallu bien plus que le courage et la ténacité des pompiers. Leur victoire contre le feu qui menaçait de détruire la cathédrale est le fruit d’une organisation millimétrée, d’une formation d’élite et d’une chaîne de commandement où la responsabilité et la confiance sont des maîtres mots.

« Qui est cet homme ? » La question a trituré les méninges des complotistes sur les réseaux sociaux. Cet homme était une silhouette sombre vêtue, pensaient-ils, d’une chasuble claire et filmée sur une coursive de Notre-Dame,  la nuit de l’incendie . Un djihadiste ? Un « gilet jaune » ? La rumeur courait et les pompiers de Paris ont dû lui faire un sort : cet homme était l’un des leurs. Et pas n’importe lequel : il s’agissait du général Jean-Marie Gontier, qui commandait les opérations de secours.

Le deuxième plus haut gradé présent sur site cette nuit-là effectuait alors son « tour du feu ». C’est-à-dire qu’il allait, à proximité des flammes, vérifier l’état de l’incendie, l’efficacité de ses décisions et le risque pris par ses hommes. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître – il y a bien des professions où les grands chefs ne vont pas sur le terrain – ce « tour du feu » est une routine. Une règle à laquelle s’astreint, à chaque incendie, la personne qui commande les opérations de secours. « C’est dans notre culture, il faut se rendre compte par soi-même et c’est important pour les hommes de voir le chef », explique Gabriel Plus, le porte-parole de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP). Le général Gontier est monté au front « au moins cinq ou six fois dans la soirée ». Une semaine après  l’incendie géant à Notre-Dame , il y a encore des choses à apprendre et à comprendre de la bataille victorieuse menée par les soldats du feu dans la nuit du 15 au 16 avril.

Le pays entier les a acclamés, tout ce que la France compte d’autorités leur a rendu hommage et  même leurs homologues de New York ont salué leur « bravoure ». Ils le méritent. La clairvoyance des gradés et la ténacité de leurs troupes, le miracle de la volonté… Tout cela est vrai mais ne suffit pas à leur rendre justice. Les pompiers eux-mêmes se méfient du « sentiment de toute-puissance » qui peut altérer leur jugement. « Ne faites pas de nous des héros », a-t-on entendu au cours de cette enquête.

Pour venir à bout de l’incendie de Notre-Dame, il a fallu d’abord une organisation millimétrée, des gestes si souvent répétés qu’ils sont devenus des réflexes, une capacité à anticiper, une chaîne de commandement fluide et la confiance absolue des pompiers en leurs chefs qui les fait accepter de mettre leur vie en danger. Tout cela se prépare et s’entretient. La victoire de Notre-Dame n’est pas seulement le fruit d’un combat hors norme, c’est un aboutissement. Celui d’une formation et d’une expérience, un métier dans ce qu’il a de plus noble.

Dix minutes de sidération

Un métier où même les « dix minutes de sidération » qui frappent les premiers pompiers arrivés sur les lieux ont été anticipées et théorisées. « Au départ, on est un peu incrédules car on ne peut pas imaginer que la cathédrale puisse brûler, a raconté, lors d’une conférence de presse, l’adjudant-chef Jérôme Demay, patron de la caserne la plus proche de la cathédrale. Et après on revient dans un système professionnel. » Il s’assure alors que le bâtiment a été évacué, il positionne les premières lances à incendie et envoie des troupes – hommes et femmes – en haut des tours pour arroser la toiture en feu, puis il demande des renforts.

« La phase de sidération sert à constater que la situation est anormale, qu’il faut mobiliser toute la cavalerie et que cela va durer longtemps. C’est aussi la phase des actes réflexes », explique Gabriel Plus. Le porte-parole de la BSPP va nous aider à décrypter les décisions prises, les choix techniques et humains faits cette nuit-là.

La machine est lancée autour de 19 heures, lorsque la demande de renforts arrive au QG des sapeurs-pompiers de Paris, porte de Champerret. L’heure est grave car la charpente de la cathédrale, en flammes, est vieille de huit cents ans et construite d’un seul tenant, sans séparation coupe-feu pour contenir la propagation. Et la fin du message laisse augurer du pire : « Poursuivons reconnaissance. »C’est un code pour dire que la situation est à ce moment-là hors de contrôle.

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REUTERS/Gonzalo Fuentes – RC1F535EA560REUTERS

Comme les bouches à incendie ne sont pas si nombreuses sur l’île de la Cité, décision est prise au QG de faire venir deux bateaux-pompes qui puiseront l’eau de la Seine. Les rues sont étroites autour de Notre-Dame et seuls 18 bras élévateurs pourront être positionnés : ils viennent des casernes parisiennes mais aussi de la grande couronne (dont une vingtaine de pompiers se joindront aux forces de la BSPP). La jonction est faite avec la police pour acheminer le matériel au plus vite, puis organiser un périmètre de sécurité autour de l’église. Les employés du gaz et de l’électricité sont mobilisés (pour veiller à la résistance des réseaux).

Plan d’évacuation de l’Hôtel-Dieu

Une formidable opération multidimensionnelle, à laquelle se joignent la Croix-Rouge et la protection civile. Cela n’a pas été dit jusqu’à présent mais la BSPP avait préparé, s’il y avait eu propagation du sinistre aux bâtiments alentour, un plan d’évacuation partielle de l’Hôtel-Dieu concernant les 50 lits situés dans l’aile la plus exposée. « La première demi-heure est cruciale car il faut demander tout de suite tout ce dont on peut avoir besoin »,souligne Gabriel Plus.

Les sapeurs-pompiers de Paris ne sont pas des militaires pour rien. La première brigade a été créée par Napoléon en 1811 à partir d’une troupe de fantassins. Depuis, ils envisagent un incendie comme un champ de bataille où il faut anticiper les mouvements de l’ennemi, le feu, dont ils parlent comme d’un corps vivant.

Tradition militaire

A Notre-Dame, le poste de commandement est d’apparence sommaire : une tente adossée à un camion équipé de liaisons radio. Mais il est organisé comme un état-major de campagne : on y voit un plan de Notre-Dame divisé en quatre secteurs, des colonels expérimentés sont en lien avec chaque responsable de secteur et notent l’évolution de la situation et des besoins en temps réel, un capitaine synthétise les informations et les communique au commandant des opérations de secours.

S’y ajoutent un expert du bâtiment, le lieutenant-colonel José Vaz de Matos (pompier détaché au ministère de la Culture), un « dessinateur opérationnel » (un pompier qui parcourt le site et ramène des croquis des points névralgiques) et le porte-parole, Gabriel Plus. Tous doivent aider le commandant des opérations à visualiser au mieux le champ de bataille, à enrichir (voire à les suppléer, en cas de panne) les images fournies par le drone de la police qui survole la cathédrale.

Notre Dame de Paris, CSTC POIS
Notre Dame de Paris, CSTC POISB. Moser/BSPP

Tandem de commandement

Cette douzaine de personnes est placée, cette nuit-là, sous la direction d’un tandem : le général Jean-Claude Gallet, commandant de la BSPP, et son adjoint, le général Jean-Marie Gontier. Compte tenu de l’enjeu, les deux hommes se sont partagé le travail : Jean-Marie Gontier dirige les opérations, indique les endroits à attaquer en priorité et analyse les mouvements du feu. Il établit un plan pour les contrer qu’il propose à Jean-Claude Gallet, seul responsable et décisionnaire en dernier ressort. Ce dernier fait aussi le lien avec les autorités, préfet de police, maire de Paris, Premier ministre et président de la République.

Les deux hommes se connaissent depuis longtemps. Ils se disent les choses clairement et se comprennent d’une phrase, ils sont en confiance. Mais durant la première heure, ils sont en proie au doute, graves et économes de leurs mots, les traits marqués par l’amertume : les lances crachent de l’eau à plein régime mais le feu ne cesse de s’intensifier, poussé vers les tours par un fort vent d’est. « Il faut sauver Notre-Dame », répète Jean-Marie Gontier, comme pour se convaincre que c’est possible.

Les attentats du 13 novembre en mémoire

Le moment est suffisamment traumatisant pour que plusieurs gradés fassent la comparaison avec les attentats du 13 novembre 2015 (même s’il n’y a finalement pas eu de victimes à Notre-Dame). Les pompiers en première ligne ne cessent de reculer. Ils sont environ 150 à attaquer les flammes à l’intérieur de la nef et depuis les tours.

« On a entendu un gros bruit, on ne voyait pas ce qui se passait à l’extérieur et apparemment c’était la flèche qui était tombée », a raconté à Brut la caporale-chef Myriam Chudzinski, présente dans les tours à ce moment-là. La flèche, haute de 93 mètres, constituée de 500 tonnes de bois et 250 tonnes de plomb, vient effectivement de s’abattre, perçant la toiture dans sa chute. Tous ceux qui combattent le feu à l’intérieur de l’édifice ont ordre de sortir et tous le font, sauf les dix pompiers partis en éclaireurs à la recherche des reliques. Ils sont dans la salle du trésor. Le temps se suspend quelques minutes… jusqu’à ce qu’ils réapparaissent, sains et saufs.

En tombant, la flèche a déplacé le feu de la toiture à l’intérieur de la nef. Du métal en fusion tombe du toit. Le robot Colossus prend le relais pour asperger l’intérieur de la cathédrale, tandis qu’une centaine d’hommes vont chercher les oeuvres d’art.

Deux exercices à Notre-Dame en 2018

Beaucoup a été écrit sur ce sauvetage. Et l’histoire est belle de ces pompiers qui extraient la couronne d’épines du coffre et récupèrent la tunique de Saint-Louis, de cette incroyable chaîne humaine composée de soldats du feu, de religieux, de fonctionnaires de la Ville de Paris et du ministère de la Culture qui, toute la nuit, transportent les trésors vers une salle de l’Hôtel de Ville, de l’aumônier catholique des pompiers enfin qui tient à emmener les hosties hors du brasier. Et pourtant, là n’est pas l’action la plus mise en valeur par les pompiers eux-mêmes : il y avait du danger, certes, mais les pompiers des casernes alentour avaient exécuté deux exercices dans la cathédrale en 2018, ils connaissaient les passages.

La décision la plus grave a consisté à tout faire pour arrêter l’incendie au niveau des tours. A ce moment-là, le feu se propage dans tous les sens, nourri par les courants d’air, les gaz chauds et les fumées inflammables. Quand la charpente du beffroi nord commence à être touchée, vers 21 heures, la voix de José Vaz de Matos résonne sous la tente de l’état-major : « Si les 8 cloches tombent, elles emporteront toute la voûte et la cathédrale s’effondrera comme un château de cartes ! » Jean-Claude Gallet et Jean-Marie Gontier pensent à la même chose : il faut renoncer à sauver la toiture pour positionner un maximum d’engins au niveau des tours et tenter de les sauver. Il s’agit de « faire la part du feu ». Gontier : « Le risque, c’est que le feu gagne en intensité, il faut l’arrêter rapidement. » Gallet : « Oui, on l’arrête au niveau des tours et on engage des gens. »

Peu de possibilités de repli

Sur le papier, c’est logique ; dans la vraie vie, cela suppose de mettre des hommes en danger. Car les bras élévateurs situés à l’extérieur de la cathédrale ne suffiront pas à créer un rideau d’eau suffisamment important. Il faut envoyer à nouveau des pompiers en haut des tours, pour renforcer le rideau d’eau et pour éteindre le feu dans le beffroi nord. Un « commando de choc » d’une vingtaine de personnes devra gravir en courant, sur 60 mètres de hauteur, des escaliers en colimaçon larges d’à peine 60 centimètres avec plus de 20 kilos d’équipement sur le dos. Et ce, sans possibilité de repli facile.

J’ai déjà perdu deux hommes sur opération au début de l’année et notre devise c’est « Sauver ou périr ».

La brigade parisienne a déjà perdu deux des siens, en janvier dernier, dans l’explosion de gaz de la rue de Trévise. Vers 21 h 30, Jean-Claude Gallet présente ainsi sa décision à Emmanuel Macron qu’il a rejoint dans les bureaux de la préfecture de police, toute proche : « J’ai déjà perdu deux hommes sur opération au début de l’année, et notre devise c’est ‘Sauver ou périr’. Je vais en réengager à l’intérieur, cela présente un risque pour eux mais il faut que je le fasse. » Selon un témoin de la scène, quelques questions sont posées – « Le risque est-il mesuré ? » – puis le président de la République acquiesce. D’autant que Jean-Claude Gallet a précisé : « Cela se joue dans la demi-heure. »

Son adjoint, Jean-Marie Gontier, a déjà réuni les chefs de secteur. Il leur a fait mesurer l’enjeu – sauver la cathédrale – et le risque : ceux qui iront dans la tour nord marcheront sur un plancher instable posé sur une charpente en flammes et ils n’auront pas le temps de s’amarrer pour amortir une chute éventuelle. Puis il a demandé : « On y va ou pas ? » Question purement rhétorique ? Oui et non. « Je n’ai jamais vu un pompier dire non mais il est important que les chefs de secteur adhèrent à la décision du commandant », explique Gabriel Plus. Afin qu’eux-mêmes évaluent sans cesse le risque pris par leurs subordonnés.

Et puis, « si le risque n’est pas consenti, il y a perte de confiance dans la hiérarchie, la peur s’installe et fait faire des erreurs techniques graves », poursuit Gabriel Plus. A Notre-Dame, le consentement est facilité par le parcours du tandem décisionnaire : « Le risque que le général demande, il l’a pris quand c’était son tour de le prendre, donc il sait de quoi il parle. » Le mérite de la promotion par le rang.

Les premières images de l’intérieur de Notre-Dame après l’incendie

Créer un pack

Au-delà de l’excellente condition physique des soldats du feu, les entraînements quotidiens dans les casernes servent à créer des réflexes de travail en commun, des gestes partagés qui accélèrent l’attaque. « Comme pour une équipe de foot », note un gradé. Tous les pompiers fonctionnent en binôme : le plus jeune, qui dirige la lance au plus près du feu et peut être aveuglé par la fumée, est guidé par un aîné qui règle le débit de la pompe. Et ce dernier reçoit les consignes de son chef de secteur qui a une vue d’ensemble. Une organisation certes pyramidale, mais où chaque niveau hiérarchique est juge de la meilleure manière d’accomplir sa mission.

Le commando rendu en haut des tours, tout s’enchaîne très vite. Au bout d’un quart d’heure, les flammes faiblissent. Jean-Marie Gontier repart faire son « tour du feu » et revient à 22 heures : « Elle est sauvée. » Elle, c’est Notre-Dame.

La relève toutes les quarante minutes

Le travail n’est pas terminé pour autant : il faut éteindre le feu de la toiture. De l’extérieur, des pompiers perchés sur des nacelles arrosent le toit. Ils sont à un mètre des murs, exposés à une chaleur de « 100 à 200 degrés ». Il faut les relever toutes les quarante minutes, le temps de vie de leur bouteille d’air (ce qui explique la mobilisation de 600 pompiers cette nuit-là).

L’usage de la lance est très technique. Un jet à haut débit a un effet mécanique d’écrasement du feu mais peut faire des dommages. Ordre est donc donné de passer au-dessus des rosaces pour les préserver. Ceux qui sont postés plus loin du centre du brasier utilisent, eux, un jet diffus destiné à inonder les parties de l’édifice encore intactes afin qu’elles résistent au feu. Mais là encore, l’eau peut faire des dégâts. Alors, une fois l’incendie circonscrit, l’arrosage est modéré afin de protéger les tableaux pas encore décrochés.

Notre Dame de Paris, CSTC POIS
Notre Dame de Paris, CSTC POISB. Moser/BSPP

Technique de précision et facteur chance

Technique de précision, maîtrise d’un savoir-faire… Au milieu de tout cela, il a fallu aussi compter sur le facteur chance : l’échafaudage qui entourait la flèche et les deux ogives croisées qui tenaient la voûte entre la flèche et les tours ont résisté. S’ils avaient flanché, tout s’écroulait.

Alors que le feu est maîtrisé mais pas éteint, les officiels, dont Emmanuel Macron, demandent à entrer dans la cathédrale. Tous se tournent vers l’expert du ministère de la Culture, José Vaz de Matos, qui ne s’y oppose pas : il n’y a plus de risque d’effondrement.

Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a loué « l’intelligence des situations et le courage » du général Jean-Claude Gallet. Sait-il que pour acquérir cette « intelligence des situations », l’équipe de commandement de la BSPP s’entraîne chaque samedi matin à la prise de décision au cours d’un jeu de rôle sur un scénario de risque majeur ? Le samedi 20 avril, la simulation a exceptionnellement été annulée. »

(Elsa Freyssenet, Les Echos, 23 avril 2019)

Offenbach méritait mieux

On a assez loué ici les qualités de deux coffrets majeurs, sortis ces derniers mois, publiés par Warner, pour honorer Debussy (De la belle ouvrage) puis Berlioz  (Le père Berlioz)

pour ne pas avouer une vraie déception à propos d’un coffret qu’on attendait, qu’on espérait (Et Offenbach ?)

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Déception quant au contenu et à la présentation pour le moins approximative qui est faite du compositeur, de son oeuvre, et du contexte musical et historique de son activité parisienne.

Certes il était inenvisageable d’imaginer une intégrale, puisque tant d’ouvrages restent à découvrir, à enregistrer. Mais, comme Warner l’avait fait pour Berlioz par exemple, il eût suffi de rassembler des versions parues chez d’autres éditeurs d’oeuvres dont il n’existe souvent qu’un unique enregistrement (je pense aux Fées du Rhincaptées en 2003 à Montpellier dans le cadre du Festival Radio France).

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La composition de ce coffret ne laisse pas d’intriguer. À qui cette édition est-elle destinée ? au public français, à l’auditoire allemand ?

Orphée aux Enfers, La belle Hélène, La Vie parisienne, Les Contes d’Hoffmann, bénéficient de versions en français et en allemand. Quant à La Grande Duchesse de Gérolstein, elle n’a droit qu’à des extraits en français (alors qu’il y a au moins deux versions qui font autorité, celle de Michel Plasson avec Régine Crespin – mais chez Sony – et celle de Marc Minkowski avec l’irrésistible Felicity Lott…. chez Warner !

Certes, cette Grande Duchesse, comme d’irrésistibles Orphée aux enfers et Belle Hélène ont fait l’objet d’un coffret de référene, mais pourquoi avoir écarté ces réussites récentes ?

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Les versions germaniques ne sont pas dénuées d’intérêt, et il est vrai qu’Offenbach est régulièrement joué, en allemand, dans les théâtres outre-Rhin. Pas sûr, cependant, que l’adéquation stylistique soit toujours au rendez-vous avec des chanteurs plus habitués à l’opérette viennoise, comme Anneliese Rothenberger, Adolf Dallapozza ou même Dietrich Fischer-Dieskau

Quant au choix des versions retenues, dans un catalogue très fourni, les fonds EMI ou Erato, on n’est pas surpris que Michel Plasson se taille, justement, la part du lion (avec les équipes brillantes qu’Alain Lanceron rassemblait à Toulouse, Jessye Norman, Teresa Berganza, Mady Mesplé, etc…On l’est plus du choix d’une version des Contes d’Hoffmann, celle de Sylvain Cambreling qui n’a, dans les principaux rôles, que des interprètes non francophones (Neil Schicoff, Ann Murray, Rosalind Plowright, etc..), alors que le même éditeur a une version, autrement plus convaincante, et tout aussi brillante, celle qui rassemble Roberto Alagna, Natalie Dessay, José Van Dam...

Rien de l’Offenbach violoncelliste, alors que Warner vient de publier une magnifique version d’Edgar Moreau !

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Maigres « compléments » un disque « d’airs célèbres » avec Jane Rhodes et Roberto Benzi et la version archi-connue de Gaîté parisienne (dont on précise qu’il s’agit de la « version orchestrale », comme s’il en existait une autre ??) de Manuel Rosenthal, avec un orchestre de Monte-Carlo en très petite forme et mal enregistré. Pourquoi ne pas avoir retenu le chic, le charme et le fini orchestral de Karajan avec le Philharmonia (en 1958) ?

L’affaire se corse avec le livret qui accompagne ce coffret. Je ne suis, de loin, pas un spécialiste d’Offenbach, et je fais confiance à ceux que j’ai déjà cités (voir Et Offenbach ?pour nous éclairer sur le personnage et son oeuvre.

Entre approximations, généralités, vulgarité, et fautes de syntaxe, on est gâté : à propos des Contes d’Hoffmann « on dispose de trop de matériau, dont on ne sait pas ce qu’il en aurait fait », Saint-Saêns est traité au passage de « vieux cochon », La belle Hélène est qualifiée de « persiflage gréco-latin bourré d’anachronismes délirants« . On sera heureux d’apprendre qu’un ouvrage comme Le Pont des soupirs dont il n’existe, à ma connaissance, aucune version en CD, fait partie des « tubes immortels » d’Offenbach, et on pourra se dispenser de lire d’invraisemblables développements sur les « diverses appellations des oeuvres lyriques d’Offenbach : opérette, opéra-bouffe, opéra-comique, opérette-bouffe, opéra-bouffon, opéra-féerie.. des termes qui se marchent quelque peu sur les pieds (sic) !

Déception donc ! Offenbach méritait vraiment mieux.

On se console avec Felicity Lott :

et avec ce double album de l’impayable Régine Crespin.

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Grandes voix

 

Le 10 octobre 2017, j’intitulais mon billet La mort d’un gentilhomme : On aimerait tellement croire immortels ceux que nous aimons. Jean Rochefort on l’aimait – les médias, pour une fois, sont unanimes – parce qu’il était en somme tout ce qu’on aimerait être soi-même…

L’avant-dernier de cette prodigieuse équipe (il reste Belmondo), l’inimitable – et pourtant si souvent imité – Jean-Pierre Marielle  est parti les rejoindre. Les hommages affluent, à la mesure de ce que le comédien laisse comme beaux souvenirs à chacun de nous. Très beau portrait dans Le Monde signé Véronique Cauhapé : Jean-Pierre Marielle est mort à 87 ans

Comme pour Jean Rochefort, je n’ai rien vu, ni retenu de Marielle qui soit banal, médiocre.

Mais, comme tant de mélomanes ou de ceux qui le sont devenus grâce à ce film, c’est son incarnation de Monsieur de Sainte-Colombe  dans Tous les matins du mondele chef-d’oeuvre d’Alain Corneau (1991) qui m’a durablement marqué.

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À vous revoir, Monsieur Marielle, dans ce film et dans tous les autres que vous nous laissez et qui nous consolent de votre départ !

L’autre grande voix disparue cette semaine est celle de la soprano irlandaise Heather Harper (8 mai 1930 – 22 avril 2019). Même génération que Marielle, mais bien moindre célébrité, sauf dans le coeur de mélomanes qui, comme moi, ont eu l’impression de l’avoir toujours eue dans leur famille d’artistes.

Ma première version du Messie de Haendel, c’était elle

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Ma première version du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn, c’était elle

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Et puis dès que j’ai abordé les compositeurs britanniques, d’abord Britten (mais pas que),  ce fut elle, toujours, ardente et magnifique, non pas à « défendre », mais à promouvoir, à aimer chanter ces oeuvres qui, à quelques notables exceptions près, resteraient méconnues sur le Continent.

On se rappelle les circonstances qui lui ont valu de chanter la création du War Requiem de Britten en mai 1962 à Coventry : Galina Vichnievskaia – qui gravera ensuite le disque – n’avait pas eu son visa de sortie d’Union soviétique !

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Puis j’ai retrouvé Heather Harper chez Beethoven, Mahler, Richard Strauss…

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71ks8CaQpIL._SL1050_(Extraordinaire Missa Solemnis « live » sous la direction d’un très grand chef)

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Le piano poète

 

Sa mort, comme sa vie, sont passées inaperçues, en dehors de ceux, parmi les mélomanes , qui lui ont toujours voué une admiration, une affection sans bornes : Jörg Demus, né le 2 décembre 1928 à Sankt Pölten est mort le 16 avril dernier à Vienne.

Cherchez sa discographie, vous aurez du mal : des enregistrements certes nombreux mais épars, sous diverses étiquettes, où prédominent son rôle d’accompagnateur dans le répertoire de la mélodie allemande avec Fischer-Dieskau par exemple et son duo de pianos avec Paul Badura-Skoda, son aîné de quelques mois.

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Ce nom m’est devenu familier dans mon adolescence pour deux raisons inattendues.

J’ai raconté le seul concert dans lequel je me sois jamais produit sur scène, à Poitiers au printemps 1973 (Les jeunes Français sont musiciens). Outre quelques Danses hongroises de Brahms que je partageais au piano avec une autre élève du Conservatoire de Poitiers, j’avais accompagné deux excellents camarades clarinettistes dans une transcription pour deux clarinettes du Lied de Schubert Der Hirt auf dem Felsen (Le pâtre sur le rocher). À l’époque où nous préparions ce concert, je n’avais aucun disque de la version originale (pour soprano, clarinette et piano) à ma disposition. Ce n’est que bien après, en Suisse, que je trouverai cet enregistrement qui ne m’a plus jamais quitté, avec la céleste Elly Ameling, la clarinette un peu rustaude de Hans Deinzer… et au pianoforte Jörg Demus

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Quelques années après, parcourant les environs de Poitiers, dans ce département de la Vienne dont on m’avait dit qu’il était riche de… 400 châteaux, je m’arrêtai, pour je ne sais plus quelle raison, près du château de Rochemeau ou Rochemaux à Charroux. J’appris qu’il était la propriété d’un pianiste, un « original », un étranger ! Jörg Demus ! Eût-il été présent ce jour-là que je n’aurais jamais osé sonner à la porte du château, j’étais bien trop timide…

pa00105384-chateau-rochemauxJ’ai découvert en lisant l’article nécrologique de Marie-Aude Roux dans Le Monde (Le pianiste Jörg Demus est mortque sa fantaisie et sa francophilie avaient conduit Demus à acquérir un deuxième château, sans doute pour abriter son impressionnante collection de pianos, clavecins, pianoforte et autres Hammerflügel. 

Et depuis, sans que je l’aie jamais vu jouer, j’ai collectionné les disques de lui que je trouvais au hasard de mes fouilles dans les magasins de seconde main.. parfois en ligne.

J’ai « appris » le concerto en ré majeur de Haydn (et son finale alla ungarese) par les deux versions de Jörg Demus (où seule une Martha Argerich lui dame le pion en matière de liberté et de fantaisie) l’une sur pianoforte, l’autre sur un instrument moderne.

 

 

 

 

 

Puis ma première version de La Truite de Schubert

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ou du Voyage d’hiver

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Puis j’ai un peu oublié ce tendre pourvoyeur de mes premières émotions schubertiennes. J’ai négligé ses Schumann, ses Debussy, même ses Schubert à 4 mains (à cause de son partenaire qui ne m’a jamais séduit ?). Et, il y a quelques années, un disque Franck

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Et puis on trouve sur Youtube des merveilles comme ce récital donné au Japon : on ne sait de ses Bach, Beethoven, Chopin, Debussy ce qu’il faut admirer le plus…

Fort heureusement, un éditeur a eu la bonne idée de rassembler une grande partie du legs discographique de Jörg Demus dans un coffret « anniversaire »…

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En cherchant bien sur plusieurs sites, j’ai trouvé un double CD sous le titre passe-partout de Famous Piano Pieces qui ne mentionne même pas le nom de l’interprète sur sa couverture, et qu’on découvre en tout petit au dos : Jörg Demus ! Indispensable aussi !

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Femmes de théâtre

 

Même si, par un effet de sidération collective, au demeurant compréhensible, on ne parle plus, depuis lundi soir, que de l’incendie de Notre Dame de Paris et de ses suites, j’aimerais évoquer un film et une pièce, vus récemment, qui ont en commun d’avoir été mis en scène par deux femmes dont on aime le parcours et le talent.

D’abord le dernier film d’Anne Fontaine : Blanche comme neige :

Je ne me rappelle pas avoir été déçu par un film d’Anne Fontaine. Il y a un style, une touche, un art de filmer, qui ne sont qu’à elle et qui me la font aimer.

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Une version moderne du conte des frères Grimm ? L’allusion est évidente. Même si le scénario – de Pascal Bonitzer – paraît un peu téléphoné et dépourvu de tout suspense dès le début de l’intrigue. « Claire, jeune femme d’une grande beauté, suscite l’irrépressible jalousie de sa belle-mère Maud, qui va jusqu’à préméditer son meurtre. Sauvée in extremis par un homme mystérieux qui la recueille dans sa ferme, Claire décide de rester dans ce village et va éveiller l’émoi de ses habitants… Un, deux, et bientôt sept hommes vont tomber sous son charme ! Pour elle, c’est le début d’une émancipation radicale, à la fois charnelle et sentimentale… » 

Claire c’est Lou de Laâge – la moue de Jeanne Moreau jeune -, la belle-mère Isabelle Huppert, impériale comme toujours, juste un peu trop lisse, rides comblées, rictus figé, et un casting masculin surprenant où les stars Benoît Poelvoorde et Charles Berling font presque figure d’intrus. Claire les affole tous dans ce village de montagne, ces sept hommes qu’elle séduit sont tous attachants, dans leur maladresse, leur pudeur. Paysages et personnages somptueusement filmés par la caméra amoureuse d’Anne Fontaine…

Au lendemain de l’incendie de Notre Dame, on avait rendez-vous avec Molière et ses Femmes savantesrevisitées et mises en scène par l’excellente Macha Makeieff.

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C’est à la Scala... de Paris, cette salle qu’on a adoré découvrir en septembre dernier et qui confirme toutes les qualités qu’on lui avait trouvées (on conseille l’excellent restaurant à l’étage, prix doux, discrète originalité, service impeccable et rapide).

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C’était la première fois que je voyais cette pièce au théâtre ! Tout arrive…

Fantastique galerie de personnages :

  • Chrysale, le père. (Le rôle que Molière jouait lui-même à la création en 1672) Il se prétend le maître de la maison et affirme que les femmes ne doivent s’occuper de rien d’autre que des tâches ménagères ; cependant, il a du mal à contredire sa femme quand celle-ci prend ses décisions.
  • Philaminte, la mère. C’est elle qui dirige la petite « académie » et qui a découvert Trissotin. Parce que celui-ci flatte son orgueil, elle le considère comme un grand savant au point qu’elle pense réellement qu’il peut faire un bon parti pour sa fille. Elle milite également pour la « libération » des femmes et s’attache à diriger la maisonnée, même si c’est en dépit du bon sens.
  • Armande, la fille aînée. Autrefois courtisée par Clitandre, elle l’a rejeté et celui-ci est alors tombé amoureux de sa sœur Henriette. Elle prétend que cela la laisse indifférente, mais elle est jalouse de sa sœur et n’a qu’un but : empêcher les deux amoureux de se marier.
  • Henriette, la fille cadette. C’est la seule femme de la famille qui ne fasse pas partie des « femmes savantes » : à leur galimatias pédant, elle préfère les sentiments qui la lient à Clitandre.
  • Bélise, la tante. Sœur de Chrysale, c’est une vieille fille, et l’on devine que c’est en partie par dépit qu’elle a rejoint les « femmes savantes ». Elle se croit cependant irrésistible et s’invente des soupirants ; elle s’imagine en particulier que Clitandre est amoureux d’elle et qu’Henriette n’est qu’un prétexte.
  • Ariste, l’oncle. Frère de Chrysale, il n’accepte pas de voir celui-ci se laisser mener par le bout du nez par sa femme, et apporte son soutien à Clitandre et Henriette.
  • Trissotin, un pédant (« trois fois sot »). Bien qu’il se vante d’être un grand connaisseur en lettres et en sciences, il est tout juste bon à faire des vers que seules Philaminte, Bélise et Armande apprécient. S’il s’intéresse aux « femmes savantes », c’est semble-t-il davantage pour leur argent que pour leur érudition. Ce personnage est inspiré de l’abbé Charles Cotin, dans les œuvres duquel Molière est allé chercher les poèmes que lit le personnage à la scène 2 de l’acte III.
  • Vadius, un pédant comme Trissotin. Il est tour à tour son camarade et son rival. Sa querelle avec Trissotin sur leurs poèmes respectifs met en relief la petitesse d’esprit de ce dernier. Ce personnage est inspiré du grammairien Gilles Ménage. Une telle dispute est d’ailleurs réellement arrivée entre Charles Cotin et Gilles Ménage à l’époque de l’écriture de la pièce
  • Clitandre, le soupirant d’Henriette. Autrefois amoureux d’Armande, il fut éconduit par celle-ci.
  • Martine, la servante. Au début de la pièce, elle est renvoyée par Philaminte pour avoir parlé en dépit des règles de la grammaire. Elle revient à la fin pour défendre les arguments de Clitandre et d’Henriette.

L’esthétique Deschiens n’est jamais loin, chaque personnage est campé par des acteurs/actrices que Macha Makéieff pousse dans tous leurs retranchements.

On n’est pas toujours d’accord avec elle, mais on souscrit totalement à ce qu’écrivait Fabienne Darge dans Le Monde : Avec ce « Trissotin ou Les Femmes savantes », la directrice du Théâtre de la Criée, à Marseille, offre un spectacle totalement réussi, dont le succès ne se dément pas depuis sa création en 2015. Le talent visuel et plastique de Macha Makeïeff est ici particulièrement éclatant, de même que son sens du burlesque, mais ils s’accompagnent d’une lecture de la pièce on ne peut plus fine et pertinente. Ce qui est beau ici, c’est la manière dont le talent formel de Macha Makeïeff et son propos se nouent indissolublement. À ce théâtre-là, qui requiert une précision du corps comme du maniement de l’alexandrin moliérien, il faut des interprètes hors pair. Ils le sont, les premiers rôles en tête ».

Mentions spéciales pour Jeanne-Marie Lévy, excellente chanteuse et impayable Bélise nymphomane et pour le Trissotin métrosexuel de Philippe Fenwick, quelque chose entre Conchita Wurst et Francis Lalanne !

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Bref, si vous n’avez pas encore vu ces Femmes savantes à la sauce Makeieff, courez-y. Elles sont à la Scala de Paris jusqu’au 10 mai !

P.S. La musique est très présente dans le film d’Anne Fontaine comme dans la mise en scène de Macha Makeieff. Dans Blanche comme Neige, l’un des hommes que rencontre Claire dans la maison de montagne joue des suites de Bach au violoncelle, tandis que sur les bords du Rhône (?) on aperçoit au début du film une silhouette jouer Bach au violon (je crois avoir reconnu Laurent Korcia, mais il n’est pas crédité au générique..) Dans la pièce de Molière, les inserts musicaux sont nombreux, du très classique a capella à des arrangements plus pop et l’ouvrage s’achève… en chanson entonnée par toute la troupe.

Ma Notre-Dame

Sitôt reçu l’alerte sur mon smartphone, j’ai assisté, impuissant, envahi d’une insondable tristesse, à l’inimaginable, Notre-Dame de Paris en proie aux flammes…

Comme le 11 septembre 2001, impossible de se détacher de ce spectacle morbide, jusqu’aux premières heures de la nuit, et l’assurance que le bâtiment et les tours resteraient debout.

Chacun de nous a une histoire, son histoire avec Notre-Dame

Le piéton de Paris que je suis a ses parcours familiers, obligés (Paris autour de Notre-Dame). Je suis si souvent passé tout près d’elle, évitant le plus souvent le parvis et ses milliers de touristes, préférant le pont de l’Archevêché à l’arrière du square Jean XXIII, avec une vue imprenable sur le chevet, la flèche, la toiture… qui ne sont plus que cendres ce matin.

IMG_6936(Vue du pont de la Tournelle sur Notre-Dame et le quai d’Orléans)

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Le 30 janvier 2018, Notre-Dame semblait surnager au milieu de la crue de la Seine

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IMG_4300Et en novembre dernier, « ma » Notre-Dame resplendissait dans la nuit de l’hiver…

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J’ai un autre souvenir très particulier. Le 30 mai 1980, première visite à Paris du nouveau pape Jean-Paul II, messe solennelle à Notre-Dame. Les parlementaires y avaient été invités; le député avec qui je travaillais n’était pas à Paris ce jour-là et j’avais pu profiter de son carton d’invitation pour assister à l’événement sur le parvis de la cathédrale. À mes côtés celle qui allait donner naissance six mois plus tard à notre premier fils… Lorsqu’à la fin de l’homélie du pape, le ciel de Paris s’entrouvrit, illuminant la façade de Notre-Dame du soleil couchant, l’émotion nous étreignit.

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Mais Notre-Dame, pour moi, ce sont tant et tant de souvenirs liés à ses grandes orgues, à ses organistes. Personne n’en a parlé depuis hier, mais on peut imaginer, craindre, que l’instrument n’ait pas survécu à l’incendie…

Pensées pour l’ami Olivier Latry qui venait d’enregistrer ce disque Bach sur ces grandes orgues Cavaillé-Coll rénovées.

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Et comment oublier que mon tout premier disque d’orgue (La découverte de la musique : l’orgue fut un disque de « toccatas célèbres » enregistré par le mythique Pierre Cochereau (1924-1984)..

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Notre-Dame doit maintenant se relever, renaître de ses cendres. Le monde entier l’attend et l’espère.

Nathan Milstein ou le violon de mon coeur

Il y a des artistes qu’on admire, qui forcent le respect, et puis il y a les artistes qu’on aime, qui parlent au coeur, à la sensibilité, les compagnons de l’intime.

Parmi ces derniers, deux violonistes tiennent une place particulière dans mon univers personnel depuis mon adolescence : Christian Ferras (1933-1982) plusieurs fois évoqué ici (Le bonheur SibeliusGeorges et Christianet Nathan Milstein (1903-1992)…dont je n’ai jamais parlé autrement que par allusion.

L’édition par Deutsche Grammophon d’une nouvelle série de coffrets « The Violin Masters » me donne l’occasion de rattraper cet oubli.

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Détails de ce coffret et de la discographie disponible de Nathan Milstein à voir ici : bestoflassic Nathan Milstein

Comment qualifier l’art de ce musicien, qu’à la différence de Ferras, je n’ai jamais eu le bonheur d’entendre en concert  ? « Entre la hauteur méditative d’un Menuhin et la fougue chaleureuse d’un Heifetz » (in Dictionnaire des interprètes / Robert Laffont). On pourrait ajouter noblesse du son, archet impérial (jusque dans les dernières années), justesse stylistique. Des mots, toujours des mots..

Si l’on veut comprendre – et partager – mon engouement pour Milstein – et par contraste mon peu de goût pour un autre violoniste de sa génération, récemment honoré par un volumineux coffret, Henryk Szeryng (Personnalité et personnage), mesurer le fossé entre   une sorte de perfection neutre (Szeryng) et le panache, le chic d’un jeu aristocratique, jamais racoleur, il suffit d’écouter le troisième concerto pour violon de Saint-Saëns, dans LA version de référence signée Milstein/Fistoulari, et celle de Szeryng/Remoortel, en particulier dans le dernier mouvement. La comparaison est cruelle pour le second… Idem pour l’accompagnement orchestral !

(à écouter à partir de 18’11)

(à écouter à partir de 16’57)

Buchet-Chastel a très bien fait de rééditer en 2018 les Mémoires de Nathan Milstein – De la Russie à l’Occident – recueillis par Solomon Volkov, publiés en 1991, dans une traduction calamiteuse confiée à quelqu’un qui ne connaît rien à la musique, encore moins à la langue russe. Compliqué quand Milstein évoque sa jeunesse dans son pays natal…

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Dans le chapitre 5 de la première édition, intitulé Nos aventures à Saint-Pétersbourg et Moscou, Milstein évoque, entre autres, de savoureux souvenirs avec le grand personnage qui régnait dans l’ancienne capitale tsariste, Alexandre Glazounov (voir mon dernier billet : L’alcoolique (presque) anonyme)

« Le point culminant de nos tournées avec Horowitz en Russie fut Saint-Pétersbourg en 1923 (Horowitz et Milstein ont tout juste 20 ans !)… Nous arrivions au bon moment : la guerre civile était finie, la nouvelle politique économique était à son apogée, beaucoup de musiciens plus vieux que nous avaient quitté la Russie, et les tournées de musiciens étrangers se comptaient sur les doigts d’une main…

Nos concerts à Saint-Pétersbourg étaient organisés de la manière suivante : d’abord Horowitz donnait un récital en soliste, puis je donnais mon programme en soliste, puis nous jouions ensemble, et comme l’annonçait l’affiche, en concert symphonique sous la direction de Glazounov…

(Le critique Viacheslav) Karatyguine apprécia notre première à Saint-Pétersbourg des concertos de Prokofiev et Szymanowski. Après tout, il fut le premier à découvrir le jeune Prokofiev…. A cette époque, de nombreux musiciens dont Glazounov, étaient farouchement opposés à Prokofiev. 

Au cours de l’hiver 1923, le concert le plus mémorable fut la soirée symphonique à la Philharmonie (et non pas le « théâtre philharmonique » comme l’écrit la traductrice). Sous la direction de Glazounov. Le programme était le suivant : d’abord l’Ouverture solennelle de Glazounov, puis son concerto pour violon avec moi, en seconde partie Horowitz jouait le premier concerto de Liszt et le troisième concerto de Rachmaninov… Glazounov dirigeait, comme à son habitude, très flegmatique, sans tenir compte de nos tempéraments…

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(Horowitz à gauche, Milstein au centre et Glazounov à droite)

Je me rappelle aussi de ce concert avec Glazounov, parce qu’après notre concert, le vieux compositeur me présenta à un jeune homme que je décrirais aujourd’hui comme la version russe de Rudolf Serkin .Il avait l’air sérieux, les lèvres minces serrées; il portait de grandes lunettes à l’ancienne sur un long nez osseux…Glazounov me murmura à l’oreille : « J’aimerais te présenter un pianiste très talentueux : Mytia Chostakovitch ». Dmitri Chostakovitch avait dix-sept ans à l’époque !…. C’était près de trois ans avant la création de sa Première symphonie qui devait le rendre célèbre dans le monde entier… »

Suite des Mémoires de Milstein dans de prochains billets…

En attendant, la première des deux versions enregistrées par Milstein du concerto de Brahms, avec l’excellent Anatole Fistoulari.

 

 

 

 

L’alcoolique (presque) anonyme

Faites le test : demandez au plus mélomane de vos amis de vous chantonner un air, une mélodie de ce compositeur. Je suis prêt à parier qu’il n’y arrivera pas…pas plus que moi qui, pourtant, m’intéresse à lui et pense bien connaître sa musique !

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Alexandre Glazounov n’est pourtant pas un inconnu. Son nom est toujours cité lorsqu’on évoque les grands compositeurs russes. Mais rien n’y fait, il n’a pas « imprimé » dans la mémoire collective. De la musique toujours bien troussée, un savoir-faire indéniable, un orchestrateur dans la veine de Rimski-Korsakov, mais jamais un éclair de génie qui transcende la bonne facture. Et puis, au hasard de notices sur les oeuvres ou de biographies d’autres compositeurs russes, on tombe régulièrement sur une particularité fâcheuse de Glazounov : son alcoolisme, un état d’ivresse qui semblait être permanent, surtout lorsqu’il dirigeait des créations !

Orfeo a eu la bonne idée de regrouper dans un coffret de 5 CD les gravures réalisées par Neeme Järvi des huit symphonies et de quelques autres oeuvres symphoniques (comme les deux Valses de concert) de Glazounov : c’est aujourd’hui l’intégrale la plus recommandable, par le souffle épique qu’y met le chef estonien, la beauté et la qualité de prise de son de ses orchestres.

Qui est donc ce personnage ?

Le petit Alexandre Konstantinovitch naît le 10 août 1865 à Saint-Pétersbourg. Son père est un riche éditeur. Il commence à étudier le piano à neuf ans et à composer à onze. Balakirev, l’animateurdu groupe des Cinq, montre ses premières compositions à Rimski-Korsakov : « Incidemment, Balakirev m’a un jour apporté la composition d’un étudiant de quatorze ou quinze ans, Alexandre Glazounov », se souvint Rimski-Korsakov. « C’était une partition d’orchestre écrite de façon enfantine. Le talent du garçon était indubitablement clair.» .

Rimski-Korsakov le prend sous son aile : «Son développement musical progressait non pas de jour en jour, mais littéralement d’heure en heure» 

Glazounov va vite profiter de la prodigalité d’un personnage extrêmement influent à Saint-Pétersbourg, Mitrofan Beliaiev (1836-1903), authentique mécène et protecteur de toute la jeune garde musicale russe. À 19 ans, Il fait son premier voyage en Europe, rencontre Liszt à Weimar où est jouée sa Première symphonie

Beliaiev crée en 1886 les Concerts symphoniques russes qui seront le tremplin de toute une génération de compositeurs. C’est dans ce cadre par exemple que sera créée en 1897… sous la direction de Glazounov, la Première symphonie de Rachmaninov

C’est un échec complet, Glazounov est ivre, le jeune Rachmaninov mettra du temps à s’en remettre : « Ce coup inattendu m’a amené à décider d’abandonner la composition. Je me suis laissé gagner par une apathie insurmontable. Je ne faisais plus rien, ne m’intéressais plus à rien. Je passais mes journées affalé sur le divan, avec de sombres pensées sur ma vie finie » (Rachmaninov, in Réflexions et souvenirs*, Buchet-Chastel).

Glazounov ne sera jamais un bon chef d’orchestre, même s’il sera régulièrement invité comme tel dans le monde entier jusqu’à la fin de sa vie !.En revanche, il laissera une trace durable comme professeur, puis directeur du Conservatoire de Saint-Pétersbourg. Il succède en 1905 à Rimski-Korsakov et va user de ses bonnes relations avec le nouveau Commissaire du peuple à l’Education Anatoli Lounatcharski pour préserver une institution dont il a rehaussé le niveau d’exigence, la qualité des enseignements. Mais son conservatisme est contesté par les étudiants et les professeurs qui sont restés à Petrograd et qui adhèrent aux idéaux révolutionnaires. À la différence de Stravinsky, Rachmaninov, Milstein ou Horowitz qui fuient le nouveau régime soviétique, Glazounov ne prend pas explicitement le chemin de l’exil lorsqu’il se rend en 1928 à Vienne pour les célébrations du centenaire de Schubert. Maximilian Steinberg dirige le Conservatoire en son absence jusqu’à sa démission en 1930

Glazounov s’installe à Paris en 1929, et prétexte d’une santé défaillante et de trop nombreux engagaments pour ne pas rentrer en Union soviétique, ce qui lui évite d’être mis au ban d’infamie par le régime stalinien ! Il compose encore en 1934 un concerto pour saxophone, et meurt à Neuilly-sur-Seine le 21 mars 1936 ! Ses restes ne seront transférés qu’en 1972 à Leningrad.

Voilà pour l’essentiel de sa biographie ! Reste une oeuvre qui, pour manquer de génie, est loin d’être sans intérêt. Si on hésite à aborder les huit symphonies, la Cinquième (1895) est sinon la meilleure, du moins la préférée des chefs.

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Les intégrales des symphonies ne sont pas légion, Serebrier, Otaka qui manquent – pardon pour le cliché ! – de « russité », les trop neutres à mon goût Polianski et Fedosseievle seul qui se compare à Järvi

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Glazounov reste encore au répertoire des maisons d’opéra, avec deux ballets qui invoquent clairement leur filiation avec les chefs-d’oeuvre de Tchaikovski :  Raymonda que Marius Petipa s’était résolu, après la mort inopinée de Tchaikovski en 1893, à commander à Glazounov et Les Saisons  créés respectivement le 19 janvier 1898 et le 7 février 1900 au théâtre Marinski

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Svetlanov et Järvi refont le match pour ces deux ballets. On y ajoute Ansermetchez lui dans la musique russe !

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Pour une première approche de l’univers symphonique de Glazounov, un double CD excellemment composé, avec une rareté – le poème symphonique Stenka Razine dirigé par le trop méconnu Anatole Fistoulari °, et pour moi la version de référence du concerto pour violon, celle de Nathan Milstein.

Enfin une vraie rareté à tous points de vue. Le duc Constantin Romanov (1858-1915), petit-fils du tsar Nicolas Ier,  se piquait d’être poète, musicien, écrivain – Tchaikovski, Rachmaninov le mirent en musique – En 1912 K.R. – ainsi qu’il était connu et nommé dans les cercles littéraires de la capitale russe – ayant écrit un mystère intitulé Le Roi des Juifs, se tourne vers Glazounov pour qu’il compose la musique de ce mystère (oserait-on un parallèle avec le Martyre de Saint-Sébastien écrit en 1910 par Debussy sur un texte de D’Annunzio ?). 

Ce Roi des Juifs est créé en janvier 1914 au Palais de l’Hermitage à Saint-Pétersbourg, puis souvent donné par Glazounov lors de ses tournées en Europe, avec un très grand succès… jusqu’à ce que l’oeuvre retombe dans un complet oubli ! C’est à Guennadi Rojdestvenski qu’on doit le premier enregistrement – en 1991 – de l’intégrale de cette musique de scène.

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À quelques jours des fêtes pascales, une alternative aux Passions et autres Messie ?

*On reparlera de ce petit livre de souvenirs et de textes de Rachmaninov

°Un futur épisode de la série des Sans-grade

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Je me demandais ce qui avait conduit les responsables de Warner à publier cet excellent coffret :

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Un anniversaire ? Bien vu ! Le sesquicentenaire de la naissance à Tourcoing – le 5 avril 1869 – d’Albert Roussel, un compositeur français qu’on a souvent évoqué ici, grâce notamment aux souvenirs du violoniste Robert Soëtens (lire Evocations de Roussel). Touchante, cette lettre adressée par Roussel à celui qui fut son interprète lors du Festival Albert Roussel organisé à la Salle Gaveau à Paris, il y a 90 ans, le 18 avril 1929, pour le soixantième anniversaire du compositeur :

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Roussel aimait la mer, au point d’y commencer sa vie – Ecole Navale puis sept ans de Marine – et de choisir sa dernière demeure à Varengeville (lire L’inconnu de Varengeville) : « C’est en face de la mer que nous finirons nos existences et que nous irons dormir pour entendre encore au loin son éternel murmure »

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Le coffret qui vient de sortir n’est pas au sens strict une intégrale, mais constitue, à petit prix, un panorama remarquable et complet de l’oeuvre de Roussel :

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Qui connaît (et joue encore) les pièces pour piano, la musique de chambre, les mélodies ? On cherche en vain dans les programmes de concert…

Quant à l’oeuvre symphonique et chorale, il suffit de regarder les versions choisies pour ce coffret, toutes gravées il y a plus de trente ans,  pour mesurer combien Roussel est complètement passé de mode, sauf exceptions notables comme l’excellente intégrale symphonique gravée par Stéphane Denève en Ecosse !

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Tous les détails du coffret Roussel ici : bestofclassic Roussel Edition

Indispensable évidemment !

 

Lang de bois

Il n’a pu échapper à personne que le dernier « album » (puisque, dans ce cas, on ne parle pas de « disque » – trop classique sans doute !) du pianiste chinois Lang Lang a bénéficié d’une promotion à la hauteur de la célébrité de l’intéressé. Pour la seule France, il est passé à peu près dans toutes les émissions grand public, des Victoires de la musique classique au 20h30 de Laurent Delahousse un dimanche soir sur France 2 (où la vedette lui a été disputée par François Hollande et le remake de ses Leçons de pouvoir !), en passant par une journée sur France Musique.

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L’Obs de cette semaine n’y va pas par quatre chemins pour évoquer cet album et son interprète. Extraits :

« Quand un président, une reine, un pape, une coupe du monde, un jeu olympique a besoin d’un pianiste, c’est bien sûr à Lang Lang qu’on fait appel. Au plus véloce des soixante millions de pinaistes chinois, à celui dont la veste brille le plus sous les projecteurs/…/ Ce Piano Book réunit une trentaine de bis célèbres et mondialisés, une sorte de Lettre à Elise Inc. Lorsque Lang Lang décide de jouer le premier Prélude (du Clavier bien tempéré) de Bach, agrémenté du plus monstrueux crescendo de toute l’histoire du crescendo, c’est Bayer rachetant Monsanto, la Bourse frissonne d’aise (Elle déchantera elle aussi !)/…../

La qualité de Lang Lang est de savoir extrêmement bien jouer du piano; son défaut : le mauvais goût. Il est trop, comme on dit dans la banlieue de Pékin : il joue trop vite, trop alangui, trop fort, trop sentimental, trop étincelant. Sa musique est bodybuildée, son toucher est dur comme de l’or massif et ses sourires donnent envie de pleurer.

Le billet est signé Jacques Médina, un pseudonyme de Jacques Drillon, le critique historique de L’Obs ?

J’aurais pu signer ces lignes, parce qu’elles reflètent la triste réalité d’un artiste aujourd’hui âgé de 36 ans, que j’ai vu faire ses débuts à New York, à l’été 2003, dans le cadre du festival Mostly Mozart dont Louis Langrée venait de prendre la direction. Lang Lang, 19 ans, jouait le 1er concerto de Mendelssohn, qu’il venait d’enregistrer avec Daniel Barenboim.

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Il n’avait aucune idée du style de Mendelssohn, mais, guidé par Louis Langrée, il avait ébloui le public new-yorkais par son jeu plein de fougue, de virtuosité joyeuse. Je me rappelle ensuite un dîner d’après-concert où le jeune homme était entouré par ses parents, ses agents, et se montrait comme ce qu’il était, un adolescent tout heureux de cette célébrité qui lui tombait dessus.

Quelques mois plus tard, je visitais Pékin, en pleine modernisation avant les Jeux Olympiques de 2008. Sur la grande artère commerciale de Wangfujing, les premiers malls surgissaient de terre, et un grand magasin de disques et de vidéos de type FNAC – qui a disparu depuis, je l’ai vérifié il y a trois ans – attirait les chalands nombreux. A l’entrée et au milieu du rayon CD trônait une gigantesque affiche représentant Lang Lang en pied. Déjà une star dans son pays !

Le 12 avril 2007, je retrouvais Lang Lang à Londres, au Barbican Center, à l’orée du tournée qui devait mener le London Symphony et Daniel Harding au Japon et en Chine. Au programme Memoriale de Boulez, une Symphonie fantastique de Berlioz étrangement décousue et sans relief, et le concerto en sol de Ravel. J’avoue n’avoir jamais entendu un Ravel aussi… déconcertant. Techniquement défaillant dans le troisième mouvement, des « choses » très bizarres dans le premier mouvement, et une absence complète de simplicité dans l’adagio assai. Applaudissements tout juste polis d’un public londonien à qui on ne la fait pas…!

Ce qui n’empêcha pas Lang Lang de revenir faire un bis, une mélodie chinoise (de son cru ?) écoeurante à souhait. Le jeune pianiste s’attendait manifestement à une ovation, il fut prestement éconduit de la scène du Barbican.

Dernier souvenir in vivo de Lang Lang. En mai 2014, l’Orchestre philharmonique royal de Liège jouait dans la grande salle dorée du Musikverein de Vienne. Christian Arming, qui retrouvait sa ville natale, et moi étions allés rencontrer Thomas Angyan, le vénérable directeur de cette salle mythique. Dans son bureau, un écran de contrôle des différentes salles de répétition du bâtiment : Harnoncourt et son Concentus musicus Wien répétant avec Lang Lang, les Wiener Symphoniker dirigés par Simone Young, et les Wiener Philharmoniker avec Christoph Eschenbach.  Le lendemain, je reprenais l’avion pour Paris, avec deux illustres passagers que personne ne semblait avoir reconnus, l’architecte Jean Nouvel… et Lang Lang. A l’arrivée à Roissy, je me retrouvai juste à côté du pianiste dans les toilettes pour soulager un besoin pressant ! Et dire que certains attendent des heures pour l’approcher et faire signer des autographes…