Lord Byron

J’ai été surpris par l’annonce de sa disparition le 14 mars dernier, je le pensais déjà mort et enterré… un peu comme son compatriote Abbey Simon (lire Le pianiste oublié), mort quelques semaines avant son centième anniversaire. Et je m’aperçois que je n’ai jamais consacré une seule chronique sur ce blog à l’un des plus admirables pianistes du XXe siècle: Byron Janis (1928-2024). Il est plus que temps de me rattraper !

Un génie empêché

L’histoire de Byron Janis est celle d’un pianiste qui n’aurait jamais dû l’être, comme il le déclarait à Alain Lompech (Le Monde) à La Roque d’Anthéron en 1997 : « Tout jeune, j’ai eu nerfs et tendons du petit doigt sectionnés. Tout le monde pensait que je ne deviendrais jamais pianiste« . A part un disque Chopin en 1990, sa carrière, fulgurante à ses débuts, a connu une longue, très longue éclipse, comme il le racontait dans le même article : « Il y avait trente-quatre ans que je n’avais pas enregistré de disque, car je ne pouvais réaliser ce que je voulais à cause d’une arthrite. J’ai donné encore des concerts, puis plus du tout. Cette période de ma vie a été très douloureuse ; j’ai été opéré d’un pouce et je me suis remis petit à petit, alternant des phases euphoriques et d’autres de découragement« 

Mais l’ami Lompech commence malicieusement son papier en rappelant que Byron Janis « est le pianiste qui aura été le plus souvent entendu en France et par le public le plus nombreux« . En effet,  » de la première à la dernière d’« Apostrophes », l’Américain aura été à l’affiche du générique : c’est son enregistrement du Premier concerto de Serge Rachmaninov qui ouvrait et fermait l’émission de Bernard Pivot. Rééditée par Philips/Mercury, cette interprétation est légendaire pour d’autres raisons : c’est l’une des plus accomplies et survoltées d’une oeuvre qui vaut mieux que ce qu’en disent les détracteurs du compositeur russe. C’est aussi l’une des mieux enregistrées » (Le Monde, 1er août 1997).

L’art unique de Byron Janis ne se décrit pas, il s’écoute. Et on comprend immédiatement pourquoi le pianiste est devenu une légende : la virtuosité est phénoménale, mais jamais démonstrative, jamais cognée ni brutale. Janis a un son, un discours qui se reconnaissent tout de suite.

On a la chance de disposer depuis longtemps de la totalité de ses enregistrements, réalisés à l’ère pionnière de la première stéréo pour des labels eux aussi légendaires, Mercury et RCA.

Le label « super éco » Brilliant Classics avait réédité une grande partie de ce legs :

J’ai un mètre-étalon à l’aune duquel j’ai coutume de « mesurer » les interprètes de Chopin – la Première Ballade op.23 – J’ai longtemps été fasciné – et je le suis toujours – par Arturo Benedetti-Michelangeli dans cette oeuvre, j’ai découvert plus tard la version de Byron Janis. Je ne connais pas plus parfaite interprétation : il n’y a pas une phrase qui ne soit chantée éperdument, pas un passage bousculé ou précipité (comme on l’entend trop souvent), rien qui mette les doigts avant la musique. Bouleversant !

Pour se remémorer l’art unique de ce grand seigneur du piano, les disques bien sûr, mais aussi – heureusement – tous les témoignages qu’on peut trouver sur YouTube, comme cette Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov, captée en 1968 à Paris :

Et cette fabuleuse captation d’un concert du 30 janvier 1960 au Carnegie Hall de New York, où Byron Janis joue – magnifiquement – un répertoire où on ne l’attend pas – Mozart et son 23e concerto. Il n’est que d’écouter la suprême simplicité de sa diction dans le mouvement lent.

Mises en boîtes : Copland, Mendelssohn

Le CD est mort, paraît-il, mais les éditeurs continuent de mettre en boîtes leurs fonds d’archives, parfois récentes. Et c’est une opération bien pratique pour qui a des rayons encombrés de trop de galettes individuelles.

Pour une fois, il n’y a pas eu besoin d’anniversaire prétexte pour sortir deux coffrets remarquables.

Copland by Copland

Aaron Copland (1900-1990), mort quelques semaines après son cadet Leonard Bernstein (lire Bernstein ou le génie à vif), est l’archétype du compositeur américain, l’inventeur d’une musique qui plonge toutes ses racines dans la terre américaine. Il est l’un des seuls à avoir bénéficié d’une notoriété mondiale, à défaut d’une vraie célébrité. Même si on connaît mal son oeuvre, on connaît son nom.

J’avais déjà dans ma discothèque plusieurs des CD où le compositeur dirige ses propres oeuvres, le plus souvent à la tête d’orchestres londoniens ! Sony vient de rééditer l’intégrale de ce précieux legs en 20 CD et à petit prix, il faut le relever puisque cela n’a pas toujours été le cas naguère.

C’est évidemment une somme inestimable, qui donne à connaître un créateur plus complexe que ne le laissent deviner ses oeuvres les plus connues (Appalachian Spring, Billy the Kid, Rodeo…) qui sont évidemment les plus descriptives, les plus « natives » !

Quelle chance ont eue les enfants qui, ce jour-là, assistaient à l’un des Young People Concerts animés et présentés par Leonard Bernstein, lorsqu’ils ont découvert le compositeur Aaron Copland jouant son propre concerto pour piano !

A Liège, après la restauration en 2005 de l’orgue Schyven de la Salle philharmonique, j’aurais souhaité programmer la symphonie avec orgue de Copland. Je n’y suis jamais parvenu, et mes successeurs non plus jusqu’à présent !

Mendelssohn sur les ailes du chant

C’est devenu une habitude chez Warner Classics de consacrer de forts coffrets à des compositeurs, certes les plus souvent à l’occasion d’un anniversaire. Dans le cas de Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847), aucun prétexte particulier, sauf pour réunir en 40 CD des versions déjà connues, publiées par les différents labels qui font partie aujourd’hui du groupe Warner : EMI, Electrola, Teldec, Erato, etc.

Les pièces pour piano – pour l’essentiel les cycles de Romances sans paroles – sont dues Daniel Adni avec quelques raretés bienvenues, des Etudes et caprices joués par Annie d’Arco et surtout une Première sonate avec la pianiste argentine Silvia Kersenbaum (grâce à qui j’avais découvert le 2e concerto pour piano de Tchaikovski).

C’est Marie-Claire Alain qui avait jadis gravé une part malheureusement peu connue de la production de Mendelssohn, son oeuvre pour orgue

Pour la musique de chambre, Warner n’a pas eu de mal à trouver les meilleures versions : Frédéric Lodéon (violoncelle), Maxim Vengerov (violon), le trio Fontenay, l’élégant sextuor avec piano capté lors d’un festival Argerich à Lugano, les quatuors sont partagés entre les Berg, Artemis et Cherubini.

Les concertos pour piano sont ceux de Cyprien Katsaris et Kurt Masur, une version plusieurs fois couronnée, celle que nous avions retenue, il y a bien longtemps, dans l’émission Disques en Lice (lire Une naissance) :

Sans surprise, le corpus des « grandes » symphonies est confié à Kurt Masur et à « son » Orchestre du Gewandhaus de Leipzig (qui donnent aussi un magnifique Songe d’une nuit d’été) les symphonies de jeunesse étant dévolues au Concerto Köln.

Deux absolues raretés, deux brefs ouvrages lyriques – Die beiden Pädagogen et Die Heimkehr aus der Fremde – dirigées par Heinz Wallberg avec des stars de l’époque, Peter Schreier, Dietrich Fischer-Dieskau… tout un bouquet de mélodies composite, et tout un récital du grand Fischer-Dieskau accompagné par Sawallisch au piano. L’oeuvre chorale est dévolue à Michel Corboz.

Seul regret, pour les deux grands oratorios, Paulus et Elias, il y a mieux que les honnêtes Conlon et Frühbeck de Burgos proposés ici.

La somme est admirable, ce coffret unique, donc hautement recommandé !

Making of

Qu’on ne se méprenne pas sur le titre de ce billet ! Je n’ai rien à révéler des coulisses de la formation du nouveau gouvernement de Gabriel Attal. Juste un mot ici pour dire : bien joué !

Je suis allé dès cet après-midi, ce qui m’arrive très rarement, voir le nouveau film de Cédric Kahn « Making of » ou Le monde merveilleux du cinéma !

Je n’avais lu aucune critique auparavant. Ce n’est qu’après coup que je lis Télérama (Un réalisateur commence à peine à tourner son film, et l’affaire prend l’eau. Servie par un casting hors compétition, la comédie de l’auteur du “Procès Goldman” réussit aussi à émouvoir) ou L’Obs (A force de courir mille lièvres à la fois, « Making of » perd parfois de son mordant mais dresse un portrait assez juste des « professionnels de la profession » et, par extension, d’un pays, le nôtre, au bord de la crise de nerfs, où, quand tout fout le camp, seul le refuge du sentiment amoureux, peut – comme pour Simon –, allumer des contrefeux). Je ne partage pas l’avis du Monde qui trouve que Cédric Kahn a chargé son film de trop d’intentions.

Cédric Kahn évite deux écueils : le manichéisme et le démonstratif. C’est une comédie, pas un documentaire, portée par des acteurs assez étonnants. Jonathan Cohen joue dans un registre que je ne lui connaissais pas, se mouvant avec une aisance confondante entre les deux personnages que Kahn lui fait interpréter, le leader gréviste du film qu’est en train de tourner Simon (fabuleux Denis Podalydès) et l’acteur star qui la ramène en permanence au point de fatiguer tout le monde. Deux découvertes pour moi : Souhella Yacoub, un profil à la Exarkopoulos, mais tellement plus sympathique, et le tout jeune Stefan Crépon qui joue le figurant qui parvient à convaincre Simon de réaliser le… making of du tournage. Il paraît que le garçon (26 ans) joue dans deux épisodes du Bureau des légendes, il faudra que je les revoie.

Berlioz et Mitropoulos

L’autre atout de ce film est sa bande-son qui n’a pas manqué de me frapper. Je ne sais s’il faut en féliciter directement Cédric Kahn ou son « illustrateur musical » comme on dit dans le métier, mais c’est une fameuse idée que d’avoir choisi plusieurs extraits symphoniques de Roméo et Juliette de Berlioz, dans une version qui manifestement n’était pas récente et que j’ai essayé, tout au long du film, de reconnaître. Ce n’était ni Giulini, ni Muti, ni Munch, mais souvent plus heurté, plus dramatique : c’était Dmitri Mitropoulos comme je l’ai vu à la toute fin du générique final. J’avoue que si je connais bien la formidable version du chef américain de la Symphonie fantastique, j’ignorais même qu’il eût enregistré ces passages symphoniques de Roméo et Juliette. Merci à Cédric Kahn pour cette découverte !

Les anniversaires 2024 (V) : Ives l’Américain

Dernier épisode de cette courte série annonçant les anniversaires à célébrer en 2024.

Quand on veut faire bref, on cite Charles Ives comme le premier compositeur américain natif. Historiquement inexact, mais musicalement significatif ! 2024 va permettre de célébrer le compositeur né le 20 octobre 1874 à Danbury dans le Connecticut, mort 80 ans plus tard à New York, le 19 mai 1954.

L’intérêt de Charles Ives pour le mélomane européen est qu’il n’entre dans aucune case, aucune catégorie pré-définie. Et s’il nous fallait simplement des oreilles neuves, débarrassées de références, de comparaisons, pour écouter une oeuvre disparate, audacieuse, singulière. Il n’est que de prendre ses quatre symphonies, elles sont très différentes les unes des autres. On y reviendra.

Clin d’oeil au pays natal de Charles Ives, avec cette oeuvre de jeunesse – il a 17 ans -, ces Variations sur America, l’hymne des Etats-Unis, d’abord destinées à l’orgue, puis orchestrées par un compatriote d’Ives, William Schuman (1910-1982)

A l’autre extrême, la Quatrième symphonie composée entre 1910 et 1916 qui ne fut créée qu’en 1965 par Leopold Stokowski ! Je me rappelle l’avoir entendue une fois à la Philharmonie de Berlin dans une joyeuse mais parfaite cacophonie.

Ici dans un concert donné dans le cadre des Prom’s de Londres, avec un maître de cérémonie particulièrement avisé :

Sur le plan discographique, personne n’égale la quasi-intégrale d’orchestre réalisée par Michael Tilson-Thomas avec les splendeurs des orchestres de Chicago et Amsterdam !

Les voyages de Mozart et la famille Adams

Raconte-nous Mozart

J’ai connu Thierry Geffrotin lorsqu’il officiait à Europe 1, comme l’une des rares voix à bien parler de musique classique sur une radio généraliste, où il n’a pas été et ne sera pas remplacé…

J’ai mieux appris à le découvrir en suivant, quasi quotidiennement via les réseaux sociaux, ses aventures d’amateur éclairé du vrai croissant, de défenseur intransigeant quoique souriant de l’oeuf mayonnaise, de promoteur actif de sa Normandie natale et de membre actif (ou d’honneur ?) de l’académie Alphonse Allais. C’est dire si avec Thierry Geffrotin on a peu de risques de s’ennuyer.

Cet éternel jeune homme s’est mis en tête de raconter les voyages de Mozart. Cela me renvoie aux conférences que j’avais données, en 1991, année du bicentenaire de la mort du divin Wolfgang, où il me fallait donner en moins de deux heures, un aperçu de la vie et de l’oeuvre du génie de Salzbourg. Je me rappelle très bien une double page d’un ouvrage savant que j’avais alors consulté, qui montrait une carte de l’Europe à la fin du XVIIIe siècle et qui pointait toutes les villes où Mozart, seul, mais le plus souvent avec son père ou sa mère (ladite maman est morte à Paris lors du second séjour de Wolfgang dans la capitale française en 1778) s’est arrêté. Je pense que nul n’a passé autant de temps en voyage, ni visité autant de lieux et de pays, que Mozart.

Thierry Geffrotin ne vise pas le récit encyclopédique et c’est tant mieux. Mais il nous rend un Mozart familier, presque contemporain, nous conte des histoires autant pour les enfants que pour les parents. Et grâce à plusieurs QR codes disséminés dans le livre, nous offre autant de séquences musicales parfaitement choisies. Le cadeau de Noël idéal !

Thierry Geffrotin n’en est pas à son coup d’essai dans sa dévotion à Mozart et à la musique classique accessible à tous :

C’est à Londres, dans le quartier de Chelsea, que le petit Mozart, âgé de 8 ans, compose en 1764, sa première symphonie ! Ici dans l’un des tout premiers enregistrements d’un autre enfant prodige, Lorin Maazel (1930-2014), avec l’Orchestre national.

Machart l’Américain

Renaud Machart qui fut l’une des voix les plus écoutées de France Musique, jusqu’à ce qu’on décide de se priver de ses services il y a cinq ans, et l’une des plumes les plus acérées – et donc redoutées – de la critique musicale dans Le Monde, qui est surtout un ami de longue date, a depuis toujours une dilection particulière pour les Etats-Unis, New York surtout, et la musique américaine, comme en témoigne la collection de ses monographies chez Actes Sud

Je sais qu’il préparait depuis un bon bout de temps la suite de cette galerie de portraits, cette fois sous un titre générique : la musique minimaliste

À l’heure où le mot « minimalisme » est devenu galvaudé, le présent livre revient, pour la première fois en langue française, sur l’acception originelle du terme et sur les diverses composantes de cette tendance artistique née aux Etats-Unis, à l’orée des années 1960, qui a durablement marqué les arts plastiques et la musique au point de constituer une indéniable révolution esthétique. En plongeant le lecteur dans la New York downtown des années 1960 et 1970, l’auteur décrit l’extraordinaire inventivité d’une scène artistique où se mêlaient les plasticiens d’art minimal et les compositeurs minima- listes (dont ses représentants principaux La Monte Young, Terry Riley, Philip Glass et Steve Reich), dans les lofts, les salles de cinéma ou de théâtre et les galeries d’art du quartier. Cet essai, avant tout dévolu à la musique, s’arrête sur des œuvres essentielles – dont les fameux In C (1964), de Terry Riley, et Einstein on the Beach, de Philip Glass et Bob Wilson, créé au Festival d’Avignon en 1976 – et des tendances emblématiques de cette esthétique, mais par- court également ses nombreuses ramifications en Eu- rope, ses liens avec la musique populaire et son utilisation dans la musique pour les écrans de cinéma et de télévision. (Présentation de l’éditeur)

C’est en grande part grâce aux émissions de Renaud sur France Musique que j’ai accédé moi-même à nombre de compositeurs et de musiques dont je ne connaissais souvent que le nom.

J’ai toujours parmi les trésors de ma discothèque un CD du quatuor Kronos, et le 2e quatuor « Company » -bouleversant – de Philip Glass. Ecriture minimaliste mais émotion maximale !

Quant à l’une des figures de proue de la famille minimaliste, John Adams (1947-) c’est pour moi un compagnon de longue date. Ce fut l’une des soirées d’exception du mandat de Louis Langrée à Liège, le 20 novembre 2003, il y a tout juste vingt ans, comme le racontait Nicolas Blanmont dans La Libre Belgique : Ambiance des grands soirs. Soirée diffusée en direct à la télévision avec le concerto pour violon de Brahms joué par le fabuleux James Ehnes (c’était ses débuts en Belgique !) et le chef-d’oeuvre orchestral de John Adams, Harmonielehre.

A l’été 2006, à New York, j’avais eu la chance d’assister à la première de l’opéra écolo de John Adams, A Flowering Tree

Quand Rachmaninov rime avec Trifonov (la suite)

Il y a cinq ans déjà, je consacrais tout un billet à l’intégrale des concertos de Rachmaninov que venaient de publier le pianiste russe Daniil Trifonov, le chef québécois Yannick Nezet-Seguin et le plus « rachmaninovien » des orchestres, celui de Philadelphie.

Ce 30 octobre, je retrouvais les mêmes en concert à la Philharmonie de Paris, et comme l’a écrit Alain Lompech pour Bachtrack, Philadelphie et Trifonov ont fait chavirer la Philharmonie. Après l’avoir entendu à New York dans le concerto de Schumann, j’étais évidemment impatient d’entendre Daniil Trifonov dans ce kaléidoscope que forment les 24 variations sur le 24ème caprice de Paganini – la Rhapsodie sur un thème de Paganini – de Rachmaninov.

Une chose est d’avoir entendu cette équipe dans un disque magnifique, une autre est de les entendre « en vrai ». D’être submergé par la somptuosité d’un orchestre unique au monde – le Philadelphia Sound si amoureusement construit par Eugene Ormandy au long de presque un demi-siècle de règne, si jalousement conservé, entretenu par des générations de musiciens exceptionnels et des chefs comme Riccardo Muti, Wolfgang Sawallisch et, depuis quinze ans, Yannick Nézet-Seguin, ce Philadelphia Sound n’est décidément pas une légende.

Le chef québécois qui ne m’a pas toujours séduit en concert (ni dans certains de ses disques d’ailleurs) m’a ici subjugué par sa vision de la Première symphonie de Rachmaninov, l’injustement mal-aimée. Je vais écouter plus attentivement l’intégrale des symphonies qu’il vient de publier chez Deutsche Grammophon.

Les morts de Diapason

Dans la liturgie catholique, on célèbre le 1er novembre tous les saints de l’Eglise, c’est une fête de joie. Mais depuis belle lurette on confond la Toussaint et le 2 novembre le jour des morts. Ce que fait Diapason aujourd’hui en consacrant un article passionnant aux sépultures des grands musiciens : Où voir les tombes des grands compositeurs ?

Au hasard de mes voyages, j’ai pu m’arrêter sur les tombes de certains d’entre eux, le plus souvent sans l’avoir cherché.

Claudio Monteverdi est inhumé à Venise dans l’immense nef de Santa Maria Gloriosa dei Frari

C’est à Venise, dans le cimetière de l’île San Michele, que sont également enterrés Igor et Vera Stravinsky (lire Sonate d’automne), tout près du fondateur des Ballets Russes, Serge Diaghilev

Bien sûr c’est dans le choeur de l’église Saint-Thomas de Leipzig dont il fut le Cantor que repose Jean-Sébastien Bach

Durant l’été 2022, j’avais visité les lieux chers à Puccini, à Lucques et à Torre del Lago.

Mort des suites d’une opération d’un cancer de la gorge à Bruxelles, le corps de Puccini avait d’abord été rapatrié à Milan avant d’être finalement inhumé dans la petite chapelle de sa maison de Torre del Lago.

Coup de chapeau à Domingo Hindoyan pour ce très beau disque de préludes et d’intermezzos d’opéras de Puccini en particulier :

Les peintres de chez moi selon Van Gogh

Nul besoin de franchir l’Atlantique (voir Les peintres de chez moi) pour, en parallèle de la grande exposition Van Gogh à Auvers au musée d’Orsay à Paris, admirer une belle série de toiles exposées dans le plus modeste musée Daubigny d’Auvers-sur-Oise : Le Musée rêvé de Vincent

Outre la qualité et le nombre des toiles exposées, l’aspect le plus passionnant de cette exposition est que chacune d’elles est présentée, commentée, par Vincent van Gogh lui-même, dont on connaît l’abondante correspondance avec son frère Theo d’abord, mais aussi avec tous ses confrères.

Jules Breton (1827-1906) : La raccommodeuse de filet

Emile Breton (frère de Jules): La Grèle

Van Gogh : « Emile Breton a obtenu des effets qui sont le commencement de quelque chose de nouveau »

Charles-François Daubigny (1817-1878) : Le plateau de Valmondois, près d’Auvers-sur-Oise

Georges Michel (1763-1843): Paysage dans la plaine Saint-Denis

Camille Corot (1796-1875) : Le marais

Van Gogh : « …tout a pris exactement le visage des plus beaux Corot – un silence, un mystère, une paix comme lui seul les a peints »

Jules Dupré (1811-1889) : La mer en vue à Cayeux

Van Gogh : « quelle énorme variété d’atmosphères n’a-t-il pas exprimées en symphonie de couleurs’

Jules Dupré : Paysage

V.G. : « Dupré est peut-être plus coloriste que Corot et Daubigny, encore que Daubigny ait beaucoup d’audace en fait de couleur »

Narcisse Díaz de la Peña (1807-1876) : Une clairière

Gustave Courbet (1819-1877): Puits noir

Constant Troyon (1810-1865) : La rentrée du troupeau

Henri-Joseph Harpignies (1819-1916) : Vue des bords de Loire

Van Gogh (qui n’a pas pu assister au Salon de 1884) : « J’imagine que le Harpignies, avec ce soleil couchant, a dû être magnifique »

Jules Dupré: Le vieux chêne à l’abreuvoir

Jules Dupré : Charpentiers en forêt

Van Gogh : « J’ai toujours raffolé de Jules Dupré/…/ car c’est un véritable coloriste, toujours intéressant avec quelque chose de si puissant et dramatique »

Narcisse Díaz de la Peña : Sous-bois

Théodore Rousseau (1812-1867) : La mare, lisière de bois, Berry

Honoré Daumier (1808-1879) : Les quatre âges du buveur

V.G. : « J »ai toujours considéré Les quatre âges du buveur de Daumier comme une de ses plus belles choses »

Honoré Daumier: Boulevard du Temple à minuit

V.G. parlant de Daumier : « Il est amusant et pourtant plein de sensibilité et de passion »

Armand Guillaumin (1841-1927) : La Seine à Rouen

Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898) : La Source

Lucien Pissarro (1863-1944) : Forêt de pins

Les peintres de chez moi

J’ai la chance d’habiter tout près de la dernière demeure d’un peintre qui est à l’honneur d’une exposition exceptionnelle au musée d’Orsay. Exposition qui rassemble, pour la première fois, une grande partie des 80 toiles peintes par Van Gogh durant les 70 derniers jours de sa vie, à l’été 1890, à Auvers-sur-Oise (voir Van Gogh à Auvers).

Van Gogh ne fut pas le seul, même s’il est resté le plus célèbre, des peintres et artistes, originaires ou résidents d’adoption de ces rives de l’Oise, qui font aujourd’hui partie du département du Val d’Oise.

Visitant lors de mon récent séjour aux Etats-Unis, le Metropolitan Museum à New York d’une part, le Taft Museum de Cincinnati d’autre part, j’y ai vu quelques belles toiles de ces peintres « de chez moi ».

Au Metropolitan Museum de New York

Je me promène souvent à Valmondois et je passe toujours devant la petite maison qu’Honoré Daumier y acquit en 1861 et où il est mort en 1879.

Cette toile de Daumier repérée au Met ne pouvait que m’interpeller :

Honoré Daumier, Le wagon de 3e classe (1862)

Rien à voir avec ma région, mais tout avec Hergé, Tintin et le capitaine Haddock ! Tout près de ce Daumier, un tableau – de belle facture – dont le titre m’a évidemment fait sourire :

Jean-Léon Gérôme, Bachi-bouzouk, 1868

Pour en revenir à mes paysages familiers, détour par Montpellier et Aigues-Mortes où j’ai tant de souvenirs :

Frédéric Bazille, Porte de la reine à Aigues-Mortes (1867)

Argenteuil est aujourd’hui une sous-préfecture – très peuplée – du Val d’Oise. Pas sûr que Monet y trouverait aujourd’hui ces champs de coquelicots.

Claude Monet, Champ de coquelicots à Argenteuil (1875)

Vétheuil a peut-être moins changé qu’Argenteuil…

Claude Monet, L’été à Vétheuil (1880)

Camille Pissarro a vécu une quinzaine d’années à Pontoise. La nature environnante l’a inspiré :

Camille Pissarro, Peupliers à Eragny (1895)
Camille Pissarro, La côte des Grouettes près de Pontoise (1878)
Camille Pissarro, Une vachère au Valhermeil, Auvers-sur-Oise (1874)

A Cincinnati, le Taft Museum

De mon précédent séjour à Cincinnati, à l’automne 1989, à l’occasion d’une tournée de l’Orchestre de la Suisse romande, j’avais retenu deux images, l’imposant siège de Procter & Gamble, et un très joli petit musée, le Taft Museum.

Le siège de Procter & Gamble, comme un décor d’un James Bond !

Dans ce joli musée, sans commune mesure avec l’immense Met de New York, on a l’impression de visiter une belle maison d’autrefois, dont les propriétaires n’ont collectionné que des chefs-d’oeuvre.

Jacob van Ruisdael, Fermes sur la grand route (1658)
William Turner, Trout stream (1809)

Plus près de chez moi, la figure de Jules Dupré (1811-1889) s’impose : c’est à L’Isle Adam qu’il a ses racines familiales et qu’il est mort.

Jules Dupré, Paysage avec bétail (1845)
Jules Dupré, Paysage (1880)

Le nom de Camille Corot (1796-1875) n’est pas souvent associé à Auvers-sur-Oise. Il a pourtant été l’ami de Charles Daubigny (lire Les deux amis), dont il a décoré la maison-atelier

Au Taft, il y a deux Corot et trois Daubigny !

Camille Corot, Le soir, la fête de Pan (1855)
Camille Corot, Sur les hauteurs de Ville-d’Avray (1865)
Charles Daubigny, Le soir tombe sur l’Oise (1863)
Charles Daubigny, La solitude du soir (1867)
Charles Daubigny, Le village de Gloton (1857)

Je ne peux évidemment pas refermer ce chapitre, sans montrer ici les deux toiles « musicales » que renferme le musée Taft de Cincinnati.

Pieter de Hooch, Une femme à la guitare (1667)
James Whistler, Au piano (1859)

New York – Cincinnati : sur les ailes de la musique

Me voici rentré d’un mini-périple américain, dont le fil rouge était évidemment la musique. D’abord New York, comme je l’ai déjà évoqué dans mon précédent article – New York toujours -.

Le miracle Trifonov

Mon compte-rendu vient de paraître sur Bachtrack : Daniil Trifonov réinvente le concerto de Schumann à New York. Extrait :

«  Le pianiste russe semble réinventer l’œuvre parce qu’il la joue comme une symphonie concertante, dans une optique chambriste/…/La palette de couleurs que Trifonov tire de son clavier est proprement inouïe« 

Une décennie à Cincinnati

Au lendemain de ce concert, je prenais l’avion pour Cincinnati.

Je peux dire que j’ai atterri vendredi dans un état proche de l’Ohio – clin d’oeil à Gainsbourg et à son interprète Isabelle Adjani ! – puisque l’aéroport est situé dans le Kentucky, de l’autre côté de…l’Ohio.

C’est un chauffeur de luxe qui m’attendait à la sortie et qui m’a fait découvrir le plus ancien et le plus rapide moyen de traverser la rivière, l’Anderson Ferry, en activité depuis 1817 !

Je m’étais promis de retourner à Cincinnati – c’est que j’écrivais il y a 4 ans déjà – et il était temps parce que c’est la dernière saison de Louis Langrée comme directeur musical de l’un des plus anciens orchestres américains.

Le portrait de Louis Langrée figure désormais dans la galerie de bustes et tableaux représentant ses prédécesseurs, comme Eugène Ysaye, le célèbre violoniste, pédagogue et compositeur belge, chef permanent à Cincinnati de 1919 à 1922.

à gauche le buste de Cincinnati, à droite celui de Liège installé sur le boulevard Piercot face à la Salle Philharmonique.

Ce week-end Louis Langrée dirigeait son premier programme de sa dernière saison, un programme tout américain. Qu’on peut intégralement voir et écouter dans la vidéo ci-dessous.

Un programme qui reprenait en partie celui que l’orchestre et le chef avaient donné il y a six ans à la Seine Musicale (lire La fête de l’orchestre), Bernstein, l’ouverture de Candide, la suite tirée de la musique du film d’Elia Kazan, On the Waterfront. Une oeuvre que je n’avais entendue que distraitement au disque, la 1ère symphonie de la compositrice Florence Price (1887-1953), la première Afro-Américaine à avoir été jouée par de grands orchestres américains. L’oeuvre n’est pas d’une modernité effarouchante, mais les deux mouvements centraux fleurent bon les mélodies et les rythmes natifs. L’attraction de la soirée, surtout pour un public très majoritairement âgé, c’était la présence de George Takei, un des héros de la série originale de Star Trek, comme récitant d’une oeuvre de Copland – Lincoln Portrait – créée par l’orchestre de Cincinnati le 14 mai 1942.

Un très bel orchestre dans une très belle salle, un excellent chef : le public de l’Ohio est gâté !

New York toujours

J’ai un rapport irrationnel avec New York. Depuis que j’ai découvert cette ville monde en 1989 – c’était à l’occasion d’une tournée de l’Orchestre de la Suisse romande dont j’ai déjà raconté plusieurs épisodes ici – j’y suis revenu à plusieurs reprises, seul ou (bien) accompagné, et à chaque fois, j’ai éprouvé une joie presque enfantine.

Toujours plus haut

On a pu croire qu’après les attentats du 11 septembre 2001 qui avaient détruit les deux tours jumelles du World Trade Center, la construction de nouveaux gratte-ciel s’en trouverait ralentie. Non seulement cela n’a pas été le cas, mais depuis ma dernière venue, fin 2017 (lire New York today) , pas moins de trois immeubles dépassant les 400 m de haut ont été achevés, après le One World Trade Center, qui culmine à 541 m, inauguré en 2014.

En traversant Central Park hier, en revenant du Metropolitan Museum, j’ai pu observer ces petits derniers :

Gratte-ciel d’autant plus repérables qu’ils sont effilés comme des flèches :

à gauche les 435 m et 84 étages d’un immeuble achevé en 2021 sur la 57e rue, à droite la Central Park Tower – 98 étages et 472 m – terminée en 2020.

Plus imposant le Hudson Yards (2019), 386 m seulement et 73 étages ! vu de la High Line.

Bien sûr on conserve intacte notre tendresse pour l’Empire State ou le Chrysler Building.

De la High Line au Village

J’ai connu la High Line presque à ses débuts, lorsque, reprenant l’idée parisienne (qui n’était pas celle d’Anne Hidalgo !) de la Coulée verte, la ville de New York décida de remplacer une voie ferrée qui reliait les zones portuaires au quartier des abattoirs (aujourd’hui devenu l’un des quartiers les plus hype de Manhattan, le Meetpacking District). C’était désert, très vintage (avec le Standard Hotel, le plus inconfortable de toute la ville, mais tellement couru qu’il fallait réserver des mois à l’avance !). C’est devenu une promenade très fréquentée, plantée de toutes sortes d’espèces préservées, très dans l’air du temps.

Le fameux Standard Hotel qui a dû être complètement réhabilité pour être écologiquement plus correct !

A quelques encablures – on marche énormément à New York ! – on plonge dans le Village, jadis point de rassemblement des gays, des marginaux, comme le Marais à Paris. L’atmosphère de ce quartier sans gratte-ciel, parcouru de cafés et de boutiques à la mode, n’a pas changé, mais l’affichage militant a disparu.

Un tout petit square sur Christopher Street forme le « Stonewall National Monument pour commémorer les premières manifestations de la communauté homosexuelle en 1969 contre la répression policière autour du Stonewall Bar. Non loin le Washington Square rassemble une population hétéroclite d’étudiants, de vieux hippies et de musiciens de rue plus ou moins inspirés !

« 

Entrant dans un petit magasin de vêtements dont l’enseigne m’est familière à Paris, je suis salué par un « Bonjour monsieur, bienvenue ». Un peu surpris, je demande à mon interpellateur pourquoi il me parle en français. « Parce qu’on voit tout de suite que vous êtes Français… à la manière dont vous êtes habillé ». Je souris en prenant la remarque comme un compliment, peut-être intéressé ! Comme toujours aux Etats-Unis, nous nous présentons l’un à l’autre, il me dit être le « CEO » de la marque à New York, après avoir implanté d’autres enseignes françaises ici. Je suis ressorti sans rien acheter,..

Du Met au Met

A New York, impossible d’éviter le Metropolitan Museum of Art. A condition de savoir quelles salles on veut visiter. C’est comme le Louvre, ou l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. J’y reviendrai dans un prochain billet.

Mais la liaison était trop facile avec ma soirée de jeudi, puisque, après avoir traversé Central Park, je me suis retrouvé devant l’autre Met, le Metropolitan Opera, qui fait partie de ce complexe culturel unique en Amérique qu’est le Lincoln Center.

Mais le concert du New York Philharmonic auquel j’ai assisté se déroulait bien dans le David Geffen Hall

Ce concert, outre un compte-rendu à venir sur Bachtrack, fera l’objet d’un prochain billet.

La présence de Bernstein

Il ne reste malheureusement plus grand chose des formidables documents (affiches, programmes, photos) qui ornaient les alentours de la salle de concert elle-même qui a fait l’objet d’une complète rénovation qui s’est achevée seulement il y a moins d’un an. Sauf un tout petit kiosque où sont rassemblées quelques témoignages de la fantastique aventure que furent les Young People’s Concerts, qui ne sont pas nés et n’ont pas cessé avec lui, mais ont connu un retentissement mondial grâce à Leonard Bernstein.

J’évoquais, en juillet dernier, la mort du grand pianiste américain André WattsLes disparus de juillet -, en soulignant qu’il avait fait ses débuts, à 16 ans, comme soliste de l’un de ces Young People’s concerts. J’ai retrouvé cette photo émouvante :

Et ces quelques autres photos qui témoignent de l’extraordinaire engouement du public new yorkais pour une aventure parfois imitée, jamais égalée… mais n’est pas Bernstein qui veut !

En ces temps d’horreur absolue, de massacre des innocents, au Proche-Orient comme à Arras, laissons Leonard Bernstein nous rappeler ce qu’est la Musique :

(Jusqu’en 1962, ces séances ont lieu au Carnegie Hall, le Lincoln Center, et l’Avery Fischer Hall – aujourd’hui renommé David Geffen Hall, du nom d’un très généreux mécène, n’ouvrant leurs portes qu’en 1963)