Le pianiste américain Abbey Simon est mort le 18 décembre à Genève, à quelques jours de son centième anniversaire.
Les hasards de la composition d’un jury m’avaient permis de le rencontrer, il y a une trentaine d’années. Nous siégions au jury du Concours de Genève. J’avais été frappé d’abord par son look et son allure d’acteur américain, par son exquise courtoisie. Je le connaissais de nom et par quelques-uns de ses disques, pour la plupart publiés chez Vox.
Il m’avait expliqué qu’il était de la même génération, de la même race (si j’ose encore utiliser ce mot !) qu’un autre pianiste américain dont il était très proche, Julius Katchen. Je voyais, à ses réactions face aux jeunes concurrents, qu’il détestait les effets de manche, les techniques approximatives, le non-respect du style de l’oeuvre jouée. Il ne manquait pas d’en appeler à l’exemple de Rachmaninov ou de son maitre Josef Hofman.
A la question que je lui avais posée de savoir pourquoi il ne jouait jamais en Europe, en France en tout cas, alors qu’il résidait une partie de l’année à Genève, il m’avait dit qu’il n’avait jamais cherché à « se faire de la publicité »…
Heureusement, la discographie d’Abbey Simon est abondante et de très haute qualité. Et facilement accessible sur les sites de téléchargement. Ses Chopin, Ravel, Rachmaninov sont d’éloquents témoignages de cette « école » américaine de piano qui privilégie une technique à toute épreuve au service exclusif du texte, une rigueur stylistique parfois accentuée, comme dans ces disques, par une prise de son qui confine à la sécheresse.
Philippe Cassard écrivait hier sur sa page Facebook :
« Il devait avoir 100 ans le 8 janvier prochain, mais il vient de nous quitter. J’avais prévu, pour fêter ce rare anniversaire, une émission de Portraits de famille le 11 janvier : cela prendra donc la forme d’un hommage. ABBEY SIMON, ce grand pianiste américain, quasiment inconnu sous nos latitudes, avait été formé par le légendaire Josef Hofman, et incarnait, un peu à la manière de Byron Janis, Gary Graffmann, Earl Wild, Agustin Anievas, William Kappell, le « virtuose américain » par excellence, avec les précautions à prendre en employant cette expression-cliché. C’était un de mes préférés. Il magnifiait, de son jeu aristocratique, Liszt, Chopin et Rachmaninov. Mais quel poète aussi dans la musique française et quel leçon de style dans Mozart et Beethoven ! »
On écoutera donc avec beaucoup d’intérêt ce portrait-hommage sur France Musique le 11 janvier prochain.
Merci, Monsieur Rousseau, de restituer à — désormais — la mémoire d’Abbey tous les mérites et la grandeur qui sont les siens. Ne pas vouloir se faire de publicité, c’est aujourd’hui, depuis la surmédiatisation généralisée, se condamner à l’oubli, à l’exception des happy fews… Abbey Simon avait probablement fait ce choix pour la France, où il joua rarement, trop rarement. Je me souviens d’un récital à la salle Gaveau, à moitié vide, vers 1986. Il nous reste heureusement des témoignages : outre les disques que vous mentionnez, les Schumann magnifiques qu’il avait discrètement confiés au Label Dante dans les années 85-90, et puis ceux qu’EMI avait enregistrés dans sa période londonienne (1950-60, des Brahms en solo et avec orchestre, Chopin, Liszt, etc.). Et puis des interviews toujours très intéressants : http://www.bruceduffie.com/simon.html, ainsi que celui de l’émission « Mémoire retrouvée » du 18 juin 1996, dans lequel il évoque l’importance qu’il accordait aux couleurs dans le jeu de piano. Je tiens de lui la copie privée d’un superbe live du 3e concerto de Rachmaninov à Tokyo, toujours dans les années 90, Japan Philharmonic Symphony Orchestra, dir . Akeo Watanabe. Cet enregistrement aurait dû être publié par la firme VOX, à l’époque où Todd Landor s’en occupait… Mais les vicissitudes du label — quel dommage pour ce catalogue si précieux! — ainsi que la modestie d’Abbey font que cet enregistrement disque ne vit jamais le jour pour le public. Merci encore, en tout cas, de ce bel hommage et de l’extrême qualité de tous les articles de votre Blog assidument suivi. J.-Ph. S.-G.
Merci à vous surtout pour toutes ces confirmations et votre témoignage !