Prokofiev en boîte

Puisqu’il a été décidé que Serge Prokofiev, mort il y a 70 ans, méritait la une des deux magazines français de musique classique (lire Les deux Serge et Prokofiev etc.), réjouissons-nous de voir paraître un copieux coffret de 36 CD chez Warner.

Simple recyclage d’enregistrements déjà bien connus ? Pour partie oui, mais avec pas mal de redécouvertes. Et surtout un choix éditorial qui, dans un catalogue aussi vaste que celui des labels désormais regroupés sous la houlette de Warner (EMI, Erato, Teldec, etc.), prend des partis, retient telle version plutôt que telle autre.

Le piano

Ainsi, pour reprendre dans l’ordre de présentation des CD, dans les sonates pour piano, on retrouve partiellement la formidable intégrale de Vladimir Ovchinnikov, mais aussi l’énorme surprise qu’est la réédition de la 2ème sonate par le tout jeune Rafael Orozco.

Nikolai Luganski joue la 6ème sonate, et c’est, comme une forme d’hommage au pianiste franco-américain trop tôt disparu, à Nicholas Angelich que revient la 8ème sonate (comme son formidable cycle des Visions fugitives)

Les cinq concertos pour piano se partagent entre Andrei Gavrilov / Simon Rattle (1), le récent Beatrice Rana / Antonio Pappano (2), trois versions et non des moindres pour le 3ème, l’historique version du compositeur lui-même secondé par Piero Coppola et le LSO en 1932, Martha Argerich/Charles Dutoit et Alexis Weissenberg/Seiji Ozawa, Michel Béroff/Kurt Masur (4) et Richter/Maazel (5).

Le violon

C’est sans doute dans le chapitre « violon » et musique de chambre qu’il y a le moins de surprises : pour les deux sonates les inusables Repin et Berezovsky, pour les deux concertos les Oistrakh multi-réédités (j’aurais préféré les versions, pour moi insurpassées, de Nathan Milstein avec Giulini (1) et Frühbeck de Burgos (2)), mais aussi les moins connus Perlman avec l’apport de Rojdestvenski au podium.

Pierre et le Loup

Pour ce coffret, Warner avait l’embarras du choix dans les versions du conte musical Pierre et le Loup. Il y a pas moins de 6 versions, en français ,anglais, allemand, japonais, espagnol et néerlandais ! Avec d’illustres narrateurs : une version longtemps introuvable en allemand de Romy Schneider, à l’époque des Sissi, en espagnol avec Miguel Bosé, et en français c’est Claude Piéplu qui est annoncé sur la pochette… et c’est Peter Ustinov qu’on entend aux côtés d’Igor Markevitch et de l’Orchestre de Paris (1969). Le même Peter Ustinov, enregistré plusieurs années auparavant, est également présent dans la version anglaise avec Karajan et le Philharmonia (chef et orchestre qui manquent singulièrement de poésie !)

Les Ballets

C’est sans doute le point faible de ce coffret. En dehors des versions archi classiques d’André Previn de Roméo et Juliette et Cendrillon et du bien médiocre Fils prodigue de Lawrence Foster, rien dans les autres ballets et musiques de scène de Prokofiev à se mettre dans l’oreille ! En revanche une belle surprise avec les trois suites de Roméo et Juliette, dues à Armin Jordan et l’orchestre de la Suisse romande, passées sous les radars à leur sortie.

Rien de neuf non plus côté musiques de films ou assimilées : l’Alexandre Nevski d’André Previn manquant vraiment de « russité », l’impressionnant Ivan le Terrible de Riccardo Muti.

Les opéras

A l’instigation de Claude Samuel, les forces musicales de Radio France – Choeur et Orchestre National – avaient prêté leur concours à un très coûteux pour les finances d’Erato : le monumental Guerre et Paix sous la conduite passionnée de Mstislav Rostropovitch. L’Amour des trois oranges réunit la fine fleur du chant français sous la houlette nettement moins fervente de Kent Nagano.

Les symphonies

C’est toujours Rostropovitch et le National qu’on retrouve pour la plupart des symphonies (notamment pour les deux versions de 4ème), Previn conduisant les 1 et 7. On aurait pu imaginer un choix un peu plus vaste, notamment pour la 5ème symphonie…

Le livret du coffret est réduit au minimum, pas de détails sur les CD, les dates d’enregistrement etc… (tout cela c’est sur chaque pochette, écrit en minuscules minuscules !). Un bon texte de Loic Chahine en trois langues.

Précision : j’achète tous les disques et coffrets que je commente et présente dans mon blog. Je n’ai jamais demandé ni reçu ce qu’on appelle dans le jargon professionnel des « services de presse » (gratuits).

Deux opéras, deux orchestres

On peut difficilement imaginer soirées plus contrastées, et chez l’auteur de ce blog situations parfois schizophréniques. Celle où le critique musical est en activité, celle où l’auditeur jouit pleinement du moment sans l’angoisse du papier à écrire.

Un couple mal assorti

J’aime les soirs de première, non par snobisme (les mondanités, ça n’a jamais été mon truc !), mais parce que l’effervescence est partout perceptible, côté public comme côté interprètes et organisation. Lorsque je prends mes places vendredi soir au guichet du théâtre des Champs-Elysées, après en avoir salué l’actuel et le futur directeurs, J.Ph. me laisse deviner un spectacle qui décoiffe. Il faut dire que Le Rossignol de Stravinsky et Les Mamelles de Tiresias de Poulenc dans une même soirée, mis en scène par Olivier Py, ça promet.

Résultat mitigé ! A lire sur Bachtrack : Le Rossignol et Les Mamelles de Tiresias un couple mal assorti. Avis partagés par mes « collègues » de Forumopera, du Figaro ou du Monde

Un spectacle à voir… pour les Mamelles !

San Francisco à Paris

Samedi soir, programme généreux pour le troisième des concerts du San Francisco Symphony en résidence à la Philharmonie. Esa-Pekka Salonen sur le podium, Yuja Wang au piano !

(Yuja Wang, Esa-Pekka Salonen, le San Fransisco Symphony dans un extrait du finale du 3ème concerto de Rachmaninov)

La pièce d’ouverture est due à une jeune compositrice californienne, Gabriella Smith. Une musique vraiment descriptive, qu’elle situe à 40 kilomètres au nord de San Francisco sur le majestueux cap de Point Reyes. Adolescente, Gabriella Smith y a participé à un projet de recherche sur les chants d’oiseau. Et c’est là contemplant l’océan, bercée par les bruits environnants, que lui vient l’idée de Tumblebird Contrails. Tous les instruments de l’orchestre sont sollicités pour reproduire la houle, le ressac, le sable qui crisse sur la grève. C’est mieux qu’un exercice de style, l’affirmation d’une authentique maîtrise du grand orchestre.

Que dire, ensuite, qui n’ait déjà dit sur Yuja Wang, sa technique superlative, son approche aussi virtuose que poétique de l’immense 3ème concerto de Rachmaninov (cf. l’extrait ci-dessus) ! En bis, la sublime transcription par Liszt de « Marguerite au rouet » de Schubert presque murmurée, dans un souffle.

Puis devant l’insistance du public, un « encore » qui était si familier à Nelson Freire, les Ombres heureuses de l’Orphée et Eurydice de Gluck arrangées par Sgambati

En seconde partie, le Concerto pour orchestre de Bartok, où les Californiens et leur chef n’ont pas de mal à briller de tous leurs feux. Mais ce n’est décidément pas l’oeuvre qu’on préfère de Bartok.

Les beaux dimanches du National

Je me rappelle encore l’énergie qu’il avait fallu développer, après l’inauguration de l’auditorium de Radio France en novembre 2014, pour installer l’idée que la musique et les formations musicales de la Maison ronde devaient être proposées au public le week-end. J’avais lancé le principe de concerts symphoniques le dimanche après midi, me heurtant d’emblée à l’incrédulité voire à l’hostilité générale, à l’exception, je dois le dire, du PDG Mathieu Gallet qui souhaitait une Maison de la Radio en format VSD !

J’ai eu évidemment beaucoup de plaisir à constater ce dimanche après-midi qu’un public jeune et familial avait pris place dans l’Auditorium. Pour un concert en tous points admirable. Comme je l’ai écrit pour Bachtrack : Gianandrea Noseda, Joshua Bell et le National au meilleur de leur forme.`

Prokofiev, Ozon, Paris années 20/30

Le nouveau « Crime » d’Ozon

Avant-première hier, dans une salle que j’affectionne – Le Conti à L’Isle-Adam, confortable, accueillant, soucieux de son public – du nouveau film de François Ozon « Mon Crime« .

Rien à retirer ou ajouter à ce que j’écrivais déjà ici du cinéaste de Huit femmes ou Franz : « On est rarement déçu par un film de François OzonMême si, comme avec Woody Allen, les réussites sont inégales. »

En l’occurrence, Mon Crime est une totale réussite. J’ai adoré du début à la fin : casting d’enfer – savoureux petits rôles – lumineuse Nadia Tereszkiewicz (il faudra que Jamel Debbouze apprenne à prononcer son nom la prochaine fois qu’elle aura un César !) découverte, pour ma part, dans Les Amandiers, affriolante Isabelle Huppert…Une histoire, des décors, quantité de sous-entendus, de clins d’oeil, une réalisation au cordeau.

Prokofiev à Paris

Le scénario du film d’Ozon est inspiré d’une pièce de théâtre de Georges Berr et Louis Verneuil (1934). Serge Prokofiev n’aura pas eu l’occasion de la voir, il est alors de retour en URSS.

Prokofiev est mort le 5 mars 1953, officiellement le même jour que Staline, sauf qu’on sait maintenant que le « petit père des peuples » avait passé l’arme à gauche quelques jours auparavant (voir ou revoir à ce sujet le film de 2009 de Marc Dugain « Une exécution ordinaire » où – lien avec le film d’Ozon – André Dussollier compose un Joseph Staline absolument étonnant).

Comme Classica en février (lire Les deux Serge) qui dressait un parallèle entre Rachmaninov et Prokofiev, Diapason de mars consacre sa une au seul Prokofiev.

On ne va pas se livrer au jeu, bien inutile, de la comparaison entre les deux magazines des dossiers consacrés à Prokofiev, plus traditionnel chez Diapason avec André Lischke, sous un angle plus historique et littéraire chez Classica avec Laetitia Le Guay.

Attardons-nous sur le Prokofiev parisien qui va livrer deux musiques de ballet aux Ballets Russes :

Le bouffon (Chout/шут), créé le 17 mai 1921 au théâtre de la Gaité. La suite que Prokofiev en tire en 1922 est une sorte de manifeste de la modernité, même si huit ans plus tôt Stravinsky a déjà tout dit avec son Sacre du printemps

Le fils prodigue, créé le 21 mai 1929 – dernière création des Ballets Russes, trois mois avant la disparition de Diaghilev.

La discographie des ballets de Prokofiev, en dehors des deux monuments que sont Cendrillon et Roméo et Juliette, reste assez limitée. Pas sûr que le coffret annoncé par Warner pompeusement intitulé Prokofiev : The Collector’s Edition, comble ces lacunes.

Rojdestvenski reste une référence insurpassée.

A suivre !

L’art de la critique (suite)

Voilà quelques semaines que j’ai endossé un nouveau rôle, celui de critique musical. Nouveau ? pas tant que cela m’ont répondu d’aucuns, puisque, selon eux, je le faisais déjà sur mon blog. Pas tout à fait faux, même si mes remarques ici ne peuvent être assimilées à une critique construite, étayée. Exercice auquel je dois me plier, essayer en tout cas, lorsque j’écris pour Bachtrack (voir mon dernier papier sur l’intégrale Schumann de l’ONF et Daniele Gatti)

Bon public

Je n’ai plus de responsabilité dans le monde musical, je ne suis plus directeur d’un festival, d’une entreprise culturelle, d’une chaîne de radio, mais je suis resté le même, à l’égard des musiciens, des artistes, des professionnels que j’ai côtoyés et qui sont souvent devenus des amis. Est-ce à dire que je dois m’interdire de les critiquer ? Non bien sûr, mais connaissant leur démarche, leur travail, je me mets à la place du public, je suis dans le public, et j’essaie de raconter ce que j’ai vu et entendu, et qui parfois m’a surpris ou déçu (ainsi du dernier récital de Fazil Say à Paris).

J’avoue que je suis parfois soulagé de ne pas avoir à faire la critique d’un concert auquel j’assiste. Dernier en date, mardi dernier, l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam à la Philharmonie, dirigé par Paavo Järvi, avec en soliste Lisa Batiashvili.

Je n’aurais pas pu écrire un dithyrambe comme celui de mon estimé collègue sur Bachtrack, qui ne tarit pas d’éloges sur le jeu de la violoniste dans le Concerto de Beethoven. Au sortir de cette longue, très longue première partie de concert, je faisais part à des amis – devrais-je dire maintenant des « collègues » ? – du Figaro, de Diapason, de ma perplexité : pourquoi ces tempi si lents qui rendent le premier mouvement interminable ? pourquoi une quasi-absence de l’orchestre et du chef ? J’avais le souvenir de ce disque si formidable :

Apercevant à quelques sièges le jeune violoniste Daniel Lozakovich, je me rappelais la toute autre impression qu’il m’avait laissée, le 11 juillet 2019, en ouvrant le Festival Radio France à Montpellier, au côté d’un autre Järvi ! :

« Le concerto de Beethoven passe comme un rêve, le petit prodige suédois nous donne à entendre l’essence, le coeur d’une oeuvre qui fuit l’épate et la virtuosité gratuite, Lozakovich et Järvi s’écoutent, se répondent, atteignent plus d’une fois au sublime, à cet état suspendu de pure beauté. Le silence est absolu dans la vaste salle de l’opéra Berlioz du Corum de Montpellier. Nous avons tous le sentiment de vivre l’un de ces moments que la mémoire rendra indélébile… » (Opening Nights).

Pour en revenir au concert de mardi dernier, l’unanimité s’est faite sur la deuxième partie, la Cinquième symphonie de Prokofiev. Pierre Liscia (Bachtrack) souligne l’extraordinaire démonstration de discipline orchestrale donnée par l’Orchestre du Concertgebouw, véritable star de la soirée .

On continue de ne pas aimer le très soviétique premier mouvement, comme un exercice obligé de la part du compositeur pour célébrer la victoire de l’URSS sur l’Allemagne nazie (l’oeuvre est créée le 13 janvier 1945 dans la grande salle du Conservatoire de Moscou). Les trois mouvements suivants sont, eux, du pur Prokofiev, agreste, lyrique, virtuose. Paavo Järvi manifeste un contrôle de tous les instants sur la formidable machine orchestrale. On aimerait parfois qu’il se lâche un peu.

Le respect des artistes

Je me réjouissais d’entendre Lukas Geniušas le 8 février dans le bel écrin de la Salle Cortot. Le pianiste lituanien ayant déclaré forfait, il était remplacé par un artiste que j’avais souvent invité à Liège, libre, fantasque, étrange, Severin von Eckardstein. Programme étrange (sa transcription pour piano de Mort et transfiguration de Richard Strauss, Liszt, la 32ème sonate de Beethoven). Heureusement que je n’avais pas de critique à écrire…Je suis sorti décontenancé, malheureux, déçu. Il faut aussi accepter ces rendez-vous ratés, au nom même de l’admiration et du respect qu’on porte à ces artistes.

En attendant, il faut écouter les disques du pianiste allemand. Ils ne nous ont jamais déçu !

Rachmaninov soviétique

J’avais vu passer cette Rachmaninoff Collection éditée par la firme Melodia – producteur exclusif de disques du temps de l’Union soviétique – pour le 145ème (sic) anniversaire de la naissance de Serge Rachmaninov, en 2018 donc. Je ne m’y étais pas attardé en raison d’un prix prohibitif – entre 300 et 400 € selon les fournisseurs – et du peu d’informations qu’on avait du contenu du coffret.

Il y a quelques jours, parcourant la colonne des « bonnes affaires » ou « offres spéciales » du site allemand jpc.de– où j’ai fait nombre de belles trouvailles – je suis tombé sur une offre, cette fois irrésistible, 130 € pour une véritable malle aux trésors (33 CD et un vinyle) : Sergej Rachmaninoff – Die Melodiya-Edition. Les frais de port sont très peu élevés, et pour les non-germanophones, le site peut aussi être consulté en anglais.

Comme pour les coffrets précédents consacrés à Sviatoslav Richter, Emile Guilels ou Evgueni Svetlanov, la présentation est très soignée, avec un livret quadrilingue, et sur chaque pochette cartonnée en trois volets toutes les précisions nécessaires (toujours en quatre langues) sur les interprètes, les dates et lieux d’enregistrement.

Inutile de dire qu’on va de surprise en émerveillement, parce qu’aux références déjà connues et éditées en Occident s’ajoutent nombre d’enregistrements d’interprètes moins connus, mais tout aussi passionnants, qui témoignent de l’art de plusieurs générations de musiciens de l’ère soviétique abordant un compositeur d’abord honni, puisque ayant fui la mère patrie sans jamais y être revenu.

Tous les détails de ce coffret à voir ici : Rachmaninoff Collection tracklist

De précieux documents connus (Rachmaninov lui-même au piano, Horowitz) et d’autres que je découvre comme ce prélude op.23/5 joué en 1924 par…Prokofiev (YouTube cite une autre date, 1919, pour un enregistrement sur rouleau, miraculeusement restitué)

Celui qui fut, dans sa jeunesse, un virtuose célèbre en URSS, Victor Eresco, 80 ans, vit, semble-t-il, une retraite paisible en Bourgogne, où il est installé depuis plusieurs années !

Nombre de représentants de la grande école de piano russe – si tant est que le terme ait un sens – moins connus que les figures de proue, figurent dans ce coffret. On y retrouve aussi des interprètes devenus mondialement célèbres, comme Nikolai Luganski :

Et bien sûr des versions maintes fois célébrées – Svetlanov dans la 2ème symphonie ou L’île des morts – Kondrachine dans les Danses symphoniques, la version qui trône au sommet de la discographie, la plus désespérée, la plus tragique.

Les deux Serge

Le numéro de février de CLASSICA consacre sa une et une grande partie de son contenu à deux compositeurs, qu’on n’a pas forcément l’idée d’associer… et pourtant ! Excellente initiative d’évoquer les deux Russes les plus connus du tournant du XXème siècle, les deux Serge, l’aîné Rachmaninov – ou Rachmaninoff comme on l’orthographiait jusqu’à ce que la transcription internationale du russe prenne le dessus – (1873-1943) et le cadet Prokofiev/Prokofieff (1891-1953).

Sans doute parce qu’il y a quelques anniversaires à célébrer : le sesquicentenaire de la naissance et les 80 ans de la mort de Rachmaninov, pour Prokofiev les 70 ans de sa mort (le même jour que Staline !). Qu’à cela ne tienne, tout prétexte est bon pour parler de musique.

Quasi contemporains, ils ont quitté leur Russie natale pour les mêmes raisons – la Grande Guerre, la prise de pouvoir par les bolcheviks – Rachmaninov en 1917, Prokofiev en 1918. Le premier ne reverra jamais le pays, le second y reviendra, dans la pire période stalinienne, s’installant définitivement à Moscou en 1936.

L’un et l’autre étaient de formidables pianistes (s’il en était besoin, Alain Lompech et les pianistes russes Nikolai Luganski et Alexandre Melnikov nous le rappelleraient).

Les dossiers et interviews sont passionnants, en particulier ceux de Laetitia Le Guay – jadis connue comme jeune productrice à France Musique – auteur d’un excellent Serge Prokofiev chez Actes Sud.

Il faut lire ce numéro, même et surtout si on croit bien connaître l’un et l’autre compositeurs. Il y a toujours à apprendre. Notamment dans les interviews de Nikolai Lugansky et Melnikov. Qui vont à l’encontre de pas mal d’idées reçues. On y reviendra !

Classica fait des recommandations discographiques. On ne les évoquera pas toutes ici, puisqu’on « feuilletonnera » au fil de l’année une sorte de discothèque idéale pour l’un et l’autre compositeurs.

Pour ce qui de l’intégrale des symphonies de Prokofiev, j’aimerais vraiment mettre en valeur une version ignorée d’à peu près tous les guides, et jamais citée en « référence », alors qu’elle est, à mes oreilles, l’une des plus idiomatiques, celle de Jean Martinon réalisée en 1970 avec l’Orchestre national de l’ORTF pour le label américain Vox. Dans une prise de son admirable, le chef et l’orchestre français font éclater toute la modernité du symphonisme de Prokofiev.

Quand je déplorais la lenteur et la lourdeur de Riccardo Chailly et de son orchestre scaligère dans la 1ère symphonie dite « classique » (lire Bachtrack) – il semble que ce travers soit contagieux, à en croire mon confrère qui a assisté au concert de Pappano avec la même oeuvre – La tiédeur de Pappano – j’avais en tête la malice, l’ironie, le rebond de Martinon :

Deux Milanais à Paris

Décade très italienne à Paris ces jours-ci, et parfois collisions programmatiques !

J’ai manqué Antonio Pappano, Sir Antonio pour les Britanniques dont il fait partie en dépit de son patronyme, et son orchestre, lui bien italien, de Santa Cecilia de Rome, hier à la Philharmonie de Paris. Le programme s’ouvrait par… la 1ère symphonie de Prokofiev !

La même symphonie « classique » figurait au programme, dimanche, de la Filarmonica della Scala, l’orchestre de l’opéra milanais en formation symphonique, sous la baguette de son directeur musical, le Milanais Riccardo Chailly.

J’en ai fait le compte-rendu à lire dans Bachtrack : Chailly et la Scala illuminent la Pathétique.

Un autre natif de Milan, Daniele Gatti, le benjamin des trois, retrouvait, quant à lui, le 26 janvier et le 1er février, l’Orchestre national de France dont il fut le directeur musical de 2008 à 2016. On est bien placé pour savoir que les relations entre la phalange de Radio France et le chef n’épousèrent pas toujours le cours d’un long fleuve tranquille.

Mais la Seine a coulé sous le Pont Mirabeau et l’intégrale des symphonies de Schumann qu’ont donnée l’ONF et Gatti s’inscrit désormais au premier rang de mes souvenirs de concert. Voir mon. compte-rendu pour Bachtrack : Une intégrale Schumann à marquer d’une pierre blanche

Et surtout (ré) écouter les deux soirées sur France Musique : Schumann, symphonies 2 et 4 (1/02) et Schumann, symphonies 1 et 3 (26/01).

#RVW 150 (III) : Happy 150 Sir Ralph

Aucune chance que l’événement fasse les gros titres, sauf peut-être au Royaume-Uni. C’est aujourd’hui le sesquicentenaire (le mot chic pour dire 150ème anniversaire !) de Ralph Vaughan Williams, le grand compositeur britannique du XXème siècle, né le 12 octobre 1872 à Down Ampney, ravissant village des Cotswolds dans le Gloucestershire (prononcer : Glôôst-cheure).

EMI avait édité en 2008 (pour le cinquantenaire de la mort de RVW) un coffret généreux de 30 CD. Warner vient de le « rhabiller » et on le conseille tout autant. Tous les détails du coffret ici.

On ne va pas de nouveau se lamenter que, sur le continent, on ignore quasiment l’oeuvre du plus grand symphoniste anglais – neuf symphonies – l’équivalent au XXème siècle d’un Chostakovitch ou d’un Prokofiev (lire Royal Ralph)

Si seulement cet anniversaire pouvait aussi faire connaître un aspect essentiel de l’oeuvre de RVW, le vocal, le choral, qui plongent leurs racines dans la tradition populaire des nations qui forment le Royaume-Uni.

Lors de l’hommage à Lars Vogt, le 4 octobre dernier, Ian Bostridge, accompagné par le violon de Christian Tetzlaff, en avait donné une illustration éloquente – une découverte pour le public de la Philharmonie et les auditeurs de France Musique. Quatre extraits du cycle de mélodies Along the Field.

Il y a tant à aimer et découvrir dans l’œuvre d’un compositeur finalement assez inclassable, à qui les tenants de l’avant-garde autoproclamée ont reproché de se tenir à l’écart des dogmes de la musique contemporaine post-Seconde école de Vienne. On s’aperçoit vite, dans ses œuvres vocales, que les sources populaires ne sont jamais loin. Et c’est ce qu’on aime chez Ralph Vaughan Williams non ?

Dans l’imposante discographie de Leonard Bernstein à New York, il y a « live » cette version à très grand effectif – on croirait la 8ème symphonie de Mahler ! de Serenade to Music.

Et puis, chez Vaughan Williams, comme chez Mahler, il y a ces cycles de mélodies magnifiques, qui puisent dans les sources populaires, ou les imitent. Les Songs of Travel de RVW font évidemment penser aux Lieder eines fahrenden Gesellen

Impossible d’être exhaustif sur Ralph Vaughan Williams en un seul article. On poursuivra d’ailleurs la série.

Souvenir simplement d’une intense émotion à l’écoute de ce qui est peut-être l’un des chefs-d’oeuvre de Vaughan Williams, sa Fantaisie sur un thème de Thomas Tallis. Les seules fois où j’ai pu programmer un peu de RVW à l’Orchestre philharmonique royal de Liège, ce fut grâce à mon ami; l’excellent Paul Daniel, l’un des très grands chefs britanniques de notre temps.dont il faut chérir et rechercher les trop rares disques, notamment une intégrale des symphonies parues chez Naxos

Le coeur léger

Je pars le coeur léger et le bagage pas si mince* que ça, chargé de souvenirs heureux. C’est ce que je disais hier soir, dans la nuit étoilée du jardin de la Maison des relations internationales de Montpellier, à toutes les équipes du Festival Radio France, à la fin du dernier concert de l’édition 2022.

(Photo Luc Jennepin/Festival Radio France)

Le coeur léger, bien sûr par allusion à l’incident de novembre dernier, mais aussi parce que, pour la première fois depuis que j’ai commencé à travailler (à 17 ans !), je suis déchargé du fardeau des responsabilités inhérentes aux fonctions que j’ai occupées.

Mais trève de considérations. Dès aujourd’hui je suis en vacances. Ce blog en épousera le rythme. Il sera toujours temps de revenir sur le passé récent ou plus lointain.

Marianne, Serge et Gabriel

Dans mon dernier billet j’annonçais un bouquet final – Semaine 3 et fin . On n’a pas été déçu !

Mardi soir, Marianne Crebassa triomphait, toujours à l’Opéra Comédie de Montpellier, dans un récital proche de l’idéal, comme le soulignait Pierre Gangiobbe sur Ôlyrix

Ces deux récitals seront diffusés sur France Musique le week-end prochain, ce qui ne sera malheureusement pas le cas des trois dernières soirées du Festival. Je n’ai pas bien compris pour quelle raison les équipes techniques de Radio France avaient plié bagage en milieu de semaine. Les fameuses restrictions budgétaires ?

Dommage en tout cas que n’ait pas été capté le très singulier concert de mercredi, où le compositeur britannique Gabriel Prokofiev (1975) faisait entendre deux de ses oeuvres – le concerto pour platines n°2 avec le DJ Mr. Switch, et Beethoven9 Remix – et réservait aux spectateurs de Montpellier la surprise de dire, dans un français qui parfois lui résistait, le texte du célébrissime conte pour enfants de son grand-père Serge, Pierre et le Loup. Dernière prestation aussi pour l’Orchestre national de Montpellier, très sollicité cet été, élégamment dirigé par Christopher Warren-Green.


Doublé final : Benjamin, Maxim et les Ecossais

Vraiment il y a de quoi râler sur l’absence de micros pour les deux concerts finaux: une affiche pourtant exceptionnelle, le Scottish Chamber Orchestra venu tout exprès à Montpellier, Maxim Emelyanychev qui réinvente tout ce qu’il dirige, sans céder aux excès de certains de ses contemporains plus médiatisés (Prétention) et Benjamin Grosvenor qui, dans les 4ème (jeudi) et 3ème (vendredi) concertos de Beethoven, nous fait rendre les armes. Dans le 4ème, il jouait de surcroît les cadences de Saint-Saëns, plutôt inattendues.

Extraits du 3ème concerto pour piano de Beethoven : Benjamin Grosvenor, le Scottish Chamber Orchestra dirigé par Maxim Emelyanychev

En bis, Benjamin Grosvenor annonçait un « Irish song », le très célèbre – au Royaume Uni ! – O Danny Boy transcrit par Percy Grainger.

Une conclusion en beauté du Festival 2022 : Bilan à la hausse (le détail ici)

* Les premiers mots de la chanson de Charles Aznavour « Je m’voyais déjà« 

Feu sacré

#FestivalRF22 #SoBritish

Barry l’Irlandais

Je l’ai voulu so British, le Festival Radio France est entré samedi de plain pied dans sa thématique, après le succès de la version ténor d’Hamlet… d’Ambroise Thomas (lire l’excellent papier de Clément Mariage sur Forumopera : Être Hamlet), c’était la présence remarquable et remarquée de mon cher Barry Douglas, natif de Belfast, qui inaugurait les diffusions en direct du Festival sur France Musique.

Sur francemusique.fr on peut en effet réécouter un récital dont le programme avait été spécialement composé pour le festival : deux nocturnes de John Field, inventeur d’un genre que Chopin a porté à la perfection, la première française de Clandeboye Overture (2021) du jeune compositeur irlandais Sean Doherty présent au concert, les quatre impromptus D 935 de Schubert, et en seconde partie les dix pièces pour piano reprises par Prokofiev lui-même de son ballet Roméo et Juliette.

de gauche à droite Sean Doherty, JPR, Barry Douglas.

Royaux chanteurs

Les King’s Singers, c’est un mythe. Les spectateurs de Montpellier ne s’y sont pas trompés, on n’était pas loin de la salle comble à l’Opéra Berlioz du Corum lundi soir. Et quelle ambiance !

C’est une chose d’avoir souvent entendu au disque l’ensemble vocal britannique le plus célèbre au monde

c’en est évidemment une toute autre de les entendre – enfin – en vrai (et de pouvoir les réécouter intégralement sur francemusique.fr ! merci France Musique !).

De gauche à droite, Patrick Dunachie, Edward Button, Julian Gregory, Christopher Bruerton, Nick Ashby, Jonathan Howard

Admirables, adorables, ces super professionnels sont d’exquises personnes, généreuses de leur talent, de leur temps consacré au public, et de leur répertoire qui semble sans limite. Ils sont encore ce soir à l’Abbatiale de Saint-Gilles (Gard)…

Le Sacre méditerranéen

Hier soir, toujours en direct et en réécoute sur France Musique, un autre événement du #FestivalRF22, le jeune chef anglais Duncan Ward et surtout l’Orchestre des jeunes de la Méditerranée (OJM), formidable rassemblement de musiciens de 16 à 26 ans de 22 nationalités différentes du pourtour de la Méditerranée.

Avant ce concert, un Tea Time auquel on avait convié Lionel Esparza, l’auteur d’un très remarqué Stravinsky. Prélude à la seconde partie du concert qui devait nous offrir un Sacre du printemps plus sauvage que jamais !

L’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée et Duncan Ward avaient choisi, en première partie, l’élégant D’un matin de printemps (1917) de Lili Boulanger (1893-1918), puis une surprise, une création collective à laquelle participaient Adriana Bignagni Lesca, mezzo-soprano Jawa Manla, chant, oud, Fabiana Manfredi, chant, Islem Jemaï, chant, oud, Omar Ababji, chant, luth, Panagiotis Lazaridis, clarinette, Matteo Nicolin, guitare.

Adriana Bignani Lesca, l’OJM et Duncan Ward terminaient la première partie par les Cinco Canciónes negras du Catalan Xavier Montsalvatge.

Et puis un Sacre du printemps qui restera longtemps dans la mémoire de cette centaine de jeunes musiciens et d’un public qui les a longuement applaudis.