Rien de nouveau sous le pâle soleil de ce matin : c’est le premier jour de l’hiver !
Il y a un an, j’avais consacré un long article à la Première symphonie de Tchaikovski. Je le reproduis ici, et l’actualise à la fin, en évoquant des versions ou rééditions récentes, qui surprennent… ou déçoivent !
Les rêves d’hiver de Tchaikovski
Comme je l’ai raconté dans le premier billet de cette série – La découverte de la musique (I) – j’ai, adolescent, en grande partie constitué ma discothèque classique grâce à une filiale de la puissante coopérative suisse Migros, Ex Libris, qui était à la fois un club et une chaîne de magasins culturels. C’est grâce à Ex Libris que j’ai eu ma première version d’une oeuvre qui a toujours puissamment résonné en moi (Musiques climatiques) : la première symphonie « Rêves d’hiver » de Tchaikovski
Cette symphonie, commencée au printemps 1866, est sans doute celle qui va donner le plus de mal à son auteur, qui traverse de graves crises nerveuses : « Mes nerfs sont à nouveau complètement détraqués. Les raisons en sont les suivantes :
1) les difficultés dans la composition de la symphonie ;
2) Rubinstein et Tarnovski, remarquant à quel point je suis susceptible, passent leur temps à me faire enrager ;
3) la pensée omniprésente que je mourrai bientôt sans avoir eu le temps d’achever ma symphonie.
J’attends l’été et Kamenka comme une terre promise. Depuis hier, je ne prends plus de vodka, de vin ni de thé fort. Je hais l’humanité et voudrais me retirer dans un désert. J’ai déjà pris mon billet de diligence pour le 22 mai… »
Il faudra à Tchaikovski surmonter les refus, les sarcasmes, pour enfin atteindre le succès, deux ans plus tard, lorsque sa symphonie est créée par son dédicataire, Nikolai Rubinstein, le 15 février 1868, à Moscou, lors d’un concert de la Société musicale russe. Ce n’est pourtant que, quinze ans plus tard, le 1er décembre 1883, qu’on pourra la réentendre à Moscou et lire dans Les Nouvelles russes cette critique qui résume bien l’oeuvre : « C’est une symphonie authentiquement russe. Dans chaque mesure, on sent qu’elle n’a pu être écrite que par un Russe« . Tchaikovski lui-même écrit à Nadiejda von Meck: « Même si elle demeure à bien des égards d’une immaturité évidente, elle a pourtant au bout du compte plus de substance et s’avère bien plus réussie que beaucoup de mes œuvres ultérieures« .
C’est donc avec Lorin Maazel – lire Un Américain de Paris – et l’Orchestre philharmonique de Vienne (ah ces couleurs du hautbois solo, des cors !) que je découvre ces Rêves d’hiver, une version qui ne m’a jamais quitté et que je place toujours en tête de ma discographie personnelle de l’oeuvre.


Quelques mois plus tard, je découvrirai l’un des premiers disques du jeune Michael Tilson Thomas

Et lorsque Karajan, qui a si souvent enregistré les trois dernières symphonies, grave les trois premières pour Deutsche Grammophon, cela donne une Rêves d’hiver intensément lyrique, tragique parfois, comme dans le mouvement lent, d’une abyssale nostalgie

Au moment de clore ce billet, j’ai une pensée toute particulière pour Patrick Davin, tragiquement disparu au début de l’automne (Un ami disparaît) qui avait magnifiquement dirigé, à ma demande, cette symphonie qu’il ne connaissait pas, à la tête de l’Orchestre philharmonique royal de Liège.
(Billet paru le 24 décembre 2020 : La découverte de la musique : Les rêves d’hiver de Tchaikovski)
A aimer.. ou à fuir
Aux versions citées dans cet article, je voudrais en rajouter quelques-unes, à conseiller.. ou à fuir !
Markevitch et Marriner à Londres
La réédition unanimement saluée dans la collection Eloquence des disques enregistrés par Igor Markevitch pour Philips (voir Igor Markevitch la collection Philips) comprend l’intégrale des symphonies de Tchaikovski réalisée à Londres au début des années 60, intégrale inégale dont se distingue une première symphonie idéale d’allure, d’atmosphère juvénile.
Une autre surprise de ma discothèque, vraiment passée sous le radar de la critique, est une intégrale des symphonies de Tchaikovski dirigée par Neville Marriner – qui l’eût cru ? Ses « rêves d’hiver » bien peu « tranquilles » captent notre attention
Désolé pour eux !
Le grand Bernstein a laissé plusieurs enregistrements des dernières symphonies de Tchaikovski. C’est peu dire qu’il a raté les premières : où sont les grands paysages enneigés dans ce premier mouvement qui commence de manière si scolaire, et se poursuit dans une instabilité rythmique bien peu contrôlée ?
Beaucoup plus surprenant le prosaïsme de chefs qui sont nés dans ces contrées, comme Valery Gergiev capté ici avec son orchestre du Marinski à la salle Pleyel à Paris.
Le grand Svetlanov n’est guère plus inspiré par la poésie de ces paysages d’hiver.
On n’est guère plus convaincu par une Première symphonie bien sérieuse et terre-à-terre captée à Zurich – la dernière intégrale en date des symphonies de Tchaikovski.
Même Mariss Jansons – dans une intégrale pourtant souvent célébrée – reste dans un entre-deux, loin des emballements poétiques de Tilson Thomas ou Markevitch.
Je souhaite à tous les amateurs de musique une année 2022 moins oppressante que les deux précédentes.
Cher Jean-Pierre Rousseau, je partage votre affection pour cette première symphonie, de même que la nostalgie, je suppose, des blancs manteaux d’autrefois. Au delà des différences de température, voire de tempérament, le gouffre qui sépare la version piano du scherzo de sa version orchestrée laisse songeur.
Si le piano de Piotr Illitsch me donne mal à la tête, dès les premières mesures de cet opus, ce qui me frappe, c’est que l’on peut atteindre au génie de l’orchestration tout en gardant une âme d’enfant, dépeindre un univers neuf, pittoresque, avec une fraîcheur d’inspiration exceptionnelle, sans dissimuler un désarroi immense face au monde. Maman, que c’est beau, ce cantabile glacé du deuxième mouvement… C’est un témoignage émouvant car sincère d’un jeune homme à la sensibilité intacte, exempte du moindre cynisme, comme figée dans sa naïveté. Si jeune et déjà nostalgique… Un peu beaucoup paumé, mais avec quelle distinction ! Pour planer aussi haut, voilà bien une symphonie que devais adorer le prince Mychkine !
Bon, je surinterprète en pseudo-freudien puisque j’ai lu la biographie plus une partie de la correspondance de Tchaïkovsky avec son frère. Cette musique est nourrissante. Mais Tchaïkovsky, par rapport à Tolstoï, c’était un petit garçon. C’est la limite de toute musique : elle endort, si l’on n’y prend garde… Il faut savoir en sortir, de cette hibernation, aussi parfaite qu’elle soit.
Du côté des interprètes, d’après ce que j’ai entendu, Tilson Thomas possédait l’âge idoine et le talent pour enregistrer cette œuvre. Karajan confectionna un d’œuf de Fabergé berlinois très comestible pour mes oreilles. Jansons, Svetlanov, j’aime aussi… J’aurais voulu mettre la main sur Swarovski – un autre bijoutier – avec l’État de Vienne au début des années cinquante. Kondrashine dont la Pathétique en concert moscovite était un must.
Qui au pinacle ? Comme vous ne l’avez pas citée, je préfère encore la version Dorati à celle de Markhévitch. Convenons-en, avec le même orchestre, les deux versions sont exceptionnelles. Affaire de goûts et de couleurs, celle de Dorati me paraît plus imaginative, plus chantante, plus romantique, plus théâtrale, plus vertigineuse, plus dansante, globalement plus vibrante. Est-ce un défaut de vouloir reproduire dans cette musique les excès de la jeunesse et les foucades du tempérament slave quand on est un vieux routier de la baguette ? Chez Dorati, l’ultime mouvement touche au sublime, tant par sa faculté à gommer les lourdeurs de l’emballage final que par sa science des transitions. On a presque peur d’un secret derrière la porte… Commet écrit-on suspens en russe ?