Quel point commun réunit le pianiste et compositeur Serge Rachmaninov, le violoniste Daniel Lozakovich et le chef Mikko Franck ? Leur date de naissance, un 1er avril. Ce n’est pas pire que d’être né un 1er janvier ou un 25 décembre.
On souhaite donc à ces trois musiciens un heureux anniversaire, au moins pour deux d’entre eux qui peuvent encore le fêter.
C’était en juillet 2019, je m’en souviens comme si c’était hier, il n’avait que 18 ans et il nous avait tous bluffés par son interprétation d’une élévation spirituelle confondante du concerto pour violon de Beethoven : Daniel Lozakovich était, pour moi, passé du statut de phénomène à celui de grand musicien parmi les grands (Opening nights) . Le violoniste suédois fête ses 22 ans aujourd’hui. N’était la longiligne silhouette juvénile et cette exquise et souriante politesse qui le caractérise, on le penserait plus âgé. On lui souhaite le plus heureux des anniversaires !
Quoique l’intéressé en pense – nous eûmes à nous confronter, sinon à nous affronter, durant quelques mois il y a déjà presque neuf ans – j’ai toujours eu de l’estime et de la considération pour Mikko Franck, le chef finlandais qui fête aujourd’hui son 44ème anniversaire. J’en ai même écrit du bien (Ainsi parlait Zarathoustra).
Les responsables de Radio France font régulièrement l’expérience de la difficulté qu’il y a à « gérer » un artiste aussi imprévisible. Qui annule répétitions et/ou concerts sans préavis, qui parfois atteint au grandiose. dans une oeuvre où on ne l’attendait pas et d’autres fois semble tourner en rond, comme désintéressé par ce qu’il dirige (c’est le cas dans ses derniers disques, Franck ou Stravinsky). Chef incroyablement doué, formidable musicien, Mikko Franck l’est assurément. Ce serait bien qu’il continue à nous en convaincre plus souvent.
2023 est une année Rachmaninov, on l’a déjà souligné ici : Sergei Vassilievitch Rachmaninov (Сергей Васильевич Рахманинов) est né le 1er avril 1873, à Semionov, dans la région de Nijni-Novgorod (Gorki à l’époque soviétique), et mort 70 ans plus tard, à trois jours près, le 28 mars 1943 à Los Angeles.
Warner publiait ce matin cette photo sur Twitter, sans pour autant annoncer une quelconque édition Rachmaninov, comme cela fut fait récemment pour Prokofiev (lire Prokofiev en boîte). D’autant plus étrange que les labels regroupés sous la marque Warner regorgent d’interprétations admirables, de trésors à rééditer.
Comme par exemple les concertos pour piano et les Préludes enregistrés par le formidable pianiste américain Agustin Anievas (né en 1934)
ou l’inattendu Charles Mackerras dans le couplage 3ème Symphonie /. Danses symphoniques
Depuis un certain 6 décembre (Il y a cinquante ans), Noël, la fin de l’année, ont un peu perdu leurs airs de fête. Pour les enfants, pour les petits-enfants, pour le plaisir d’être en famille, on fait comme si, mais la vérité est qu’on a hâte d’être à l’année prochaine. Rien ne me démoralise plus que les chalets et autres marchés de Noël, les rues des villes inondées de mauvais Jingle bells et Mariah Carey, ces grands magasins débordant de foie gras, champagne, chocolats à prix coûtants…
Bref je me replie sur ma discothèque (lire White Christmas) et je rêve aux soirées heureuses de l’enfance.
Sauf quand, missionné par Bachtrack, je me pointe – c’était mercredi soir – à la Maison de la Radio et de la Musique pour un concert de l’Orchestre philharmonique de Radio France, un « concert de Noël » dont la tête d’affiche est Marie-Nicole Lemieux. Eh oui, en pleine éruption de wokisme, notre Québécoise préférée ose chanter le Noël des chrétiens (Minuit chrétiens !), les anges dans nos campagnes, Adoremus Dominum…Dans les églises, on n’ose plus, mais à Radio France oui !
J’invite fortement ceux qui ont manqué le concert qui était diffusé en direct sur France Musique et Arte TV, à écouter sur francemusique.fr et surtout regarder ArteTV.
Mikko Franck s’étant fait porter pâle, c’est le jeune chef français Adrien Perruchon, directeur musical depuis l’an dernier de l’orchestre des Concerts Lamoureux, qui l’a très avantageusement remplacé, comme je l’ai relevé dans mon billet.
J’ai un souvenir particulier avec celui qui était encore timbalier solo du « Philhar ». C’était en décembre 2014, j’étais directeur de la musique de Radio France. Un jeune chef, français lui aussi, devait diriger deux programmes avec l’Orchestre philharmonique, et pour des raisons que j’ai oubliées, il avait dû déclarer forfait pour le premier d’entre eux. Il fallait trouver d’urgence un remplaçant. en accord avec la représentation permanente de l’orchestre, je décidai de faire confiance à Adrien Perruchon qui se déclarait prêt à reprendre l’essentiel du programme. Ce fut une belle réussite…Je viens de découvrir sur YouTube que non seulement ce concert avait été filmé (ce n’était pas encore systématique dans un auditorium de Radio France tout juste inauguré) et mis en ligne.
Aller au musée du Louvre, juste pour le plaisir, sans projet préconçu, ni pour un vernissage, ni pour un concert, cela ne m’était pas arrivé depuis des lustres.
Je me suis mis dans la peau d’un touriste, réservant mon billet et mon horaire à l’avance, un jour de semaine ordinaire. J’ai commencé par des salles que je sais moins fréquentées que d’autres, et puis j’ai suivi le parcours obligé : la Joconde, la Victoire de Samothrace, et puis les autres devant lesquels la foule qui se prenait en selfie devant la Joconde, passait indifférente…
Les mêmes qui se pressent devant la Joconde ignorent superbement ces deux autres célèbres toiles de Leonard de Vinci ou de son atelier: La belle ferronnière et un Saint Jean-Baptiste (attribué à Francesco Melzi) devenu Bacchus !
Quant à La Victoire de Samothrace, elle est de nouveau installée dans toute sa splendeur, après une complète restauration entre 2013 et 2015.
Les soleils de Marmottan
Il y a dans Paris quantité de musées, modestes par la taille (en comparaison du Louvre ou d’Orsay !), mais tellement riches et attachants. Du temps où je travaillais dans la Maison ronde, j’aimais m’arrêter au Musée Marmottan Monet, tout près des portes de La Muette ou de Passy.
En ce moment une exposition particulièrement bienvenue à cette période de l’année : Face au soleil, un astre dans les arts.
On est accueilli, cueilli devrais-je dire, par cet éblouissant Le soleil inonde ma toile (1966) de Gérard Fromanger (1939-2021)
On aperçoit vite la toile sans doute la plus célèbre de Monet Impression, Soleil levant, la plus célèbre de la collection permanente du musée Marmottan (on y reviendra) aussi.
Claude Monet, Impression Soleil levant, 1874
L’exposition n’est pas immense, mais ne propose que des chefs-d’oeuvre. Petite sélection :
Deux Caspar David Friedrich (1774-1840) à gauche La croix dans les bois (1812), à droite Le matin de Pâques (1828).
Ci-dessous, à gauche André Derain (1880-1954) Big Ben, Londres, à droite Paul Signac (1865-1956) Le port au soleil couchant (Saint-Tropez)
Contrastes entre L’embarquement de Sainte-Paule à Ostie (1650) de Claude Gellée Le Lorrain (1600-1682) et Coucher de soleil, Ciel orange (1909) de Felix Vallotton (1865-1925)
Ci-dessus à gauche Charles-Marie Dulac (1866-1898) Soleil levant à Assise (1897), à droite Maurice Denis (1870-1945) Saint-François d’Assise recevant les stigmates (1904)
C-dessous à gauche Otto Dix (1891-1969) Soleil levant (1913), à droite Gérard FromangerImpression, Soleil levant 2019
Collection permanente
C’est aussi pour Monet qu’on vient et revient au musée Marmottan qui raconte ainsi l’origine de la présence d’une aussi importante collection de toiles du peintre de Giverny (lire Un dimanche d’automne à Giverny) :
En 1966, un événement majeur marque la vie des collections. Le musée devient le légataire universel de Claude Monet par l’intermédiaire de son fils, Michel. Il hérite ainsi de la maison de Giverny et des œuvres restées dans la famille. Plus de cent peintures retraçant la carrière du chef de file de l’impressionnisme intègrent le musée. Outre les chefs-d’œuvre de jeunesse et de la maturité (Le Train dans la neige. La locomotive ; En promenade près d’Argenteuil ; Le Pont de l’Europe, gare Saint-Lazare ; Londres, le Parlement, reflets sur la Tamise…), l’ensemble se distingue par des tableaux monumentaux représentant les Nymphéas et le jardin de Giverny. Ces œuvres inédites du vivant de l’artiste sont présentées au public pour la première fois à leur arrivée au musée. Seul lieu à conserver les ultimes Pont japonais et Maison vue de l’allée aux roses, le musée Marmottan Monet offre par le nombre et la rareté de ses toiles une visite sans équivalent du premier fonds mondial d’œuvres de l’artiste (Source : Musée Marmottan Monet)
Claude Monet, Nymphéas, 1919
Mais l’ancien hôtel particulier de Paul Marmottan vaut aussi pour le mobilier, les objets d’art rassemblés par ce passionné du Premier Empire, le premier fonds mondial de l’oeuvre de Berthe Morisot, et la vingtaine d’épées d’académiciens exposées ici depuis 2018 à la demande du directeur du musée depuis 2013, l’ex-PDG de France Télévisions Patrick de Carolis.
Louis Gauffier, Vue de l’Arno (1799)Gustave Caillebotte : Rue de Paris Temps de pluie, 1877Camille Pissarro Les boulevards extérieurs Effet de neige 1879
Parmi la vingtaine exposée ici, trois toiles de la première femme impressionniste Berthe Morisot (1841-1895)
Semaine intéressante, même si inachevée contre mon gré – rien de grave, juste quelques douleurs persistantes qui restreignent ma « mobilité » – qui faisait se confronter et se succéder le récital de Joyce DiDonato au théâtre des Champs-Elysées mercredi et le concert de l’Orchestre national de France, dirigé pour la première fois par Philippe Jordan jeudi à l’Auditorium de la Maison de la radio et de la musique.
Les bons sentiments
Puisque j’avais accepté de chroniquer le récital de Joyce DiDonato pour Forumopera, je renvoie à l’article paru sur le site : Les bons sentiments. Je n’ai pas beaucoup aimé ce show plein de tellement bons sentiments.
Mais en prime, cette courte vidéo, qui n’est pas dans l’article, si touchante :
Philippe le chevalier à la rose
Il me l’avait annoncé, lorsque la ci-devant ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, lui avait remis les insignes de chevalier de la Légion d’Honneur à la veille du premier tour de l’élection présidentielle (lire Ministère), Philippe Jordan était bien jeudi soir à la tête de l’Orchestre national de France. C’était une première, puisqu’il est dans les usages, parfois dans les contrats, que le directeur musical d’une institution parisienne – en l’occurrence ce fut l’Opéra de Paris de 2009 à 2021 – ne dirige pas un autre orchestre.
L’auditorium de la Maison de la radio était comble et l’excitation palpable dans les rangs du public. La première partie était constituée du concerto pour violon de Brahms, avec un magnifique soliste qu’on avait loué ici même il y a peu (Tables d’harmonie) et qu’on n’avait plus entendu en concert depuis belle lurette, Frank Peter Zimmermann. À 57 ans, il garde cette allure juvénile et surtout ce jeu d’une justesse, d’une élégance, d’une profondeur, sans les excès, les démonstrations que s’autorise parfois – souvent – son illustre compatriote plus célèbre, jadis couvée par Karajan.
Et ce que Philippe Jordan fait de l’orchestre, la soie des cordes, la beauté des vents – on entend pour la première fois le nouveau hautbois solo Thomas Hutchinson, magnifiquement chantant dans le début du deuxième mouvement (ce fameux mouvement qui avait déclenché l’ire du dédicataire et créateur du concerto, Joseph Joachim, parce qu’il fait la part trop belle au hautbois !).
La seconde partie est toute entière dédiée à Richard Strauss et à la nouvelle suite d’orchestre que Philippe Jordan et Thomas Ille ont réalisée à partir de l’opéra Der Rosenkavalier / Le Chevalier à la rose. Par rapport aux suites qu’on connaît déjà, pas d’extravagance, seulement des ajouts notamment aux épisodes de valse, la sollicitation de toutes les qualités individuelles et collectives de l’orchestre. Le chef obtient un triomphe, et l’on voit tant dans les yeux des musiciens que du public ou des personnalités présentes autour de Sibyle Veil, la PDG de Radio France, le souhait manifeste que cette « première » ne soit pas une dernière.
PS 1. Où l’on constate que les bonnes idées finissent toujours par aboutir, même à Radio France (!) : que ce soit comme directeur deFrance Musique – il y a longtemps -, comme directeur de la musique – brièvement entre 2014 et 2015, ou comme directeur du Festival Radio France, je m’étais toujours étonné que le public des concerts transmis en direct sur France Musique ne puisse pas entendre (ni voir) celles et ceux qui présentent ces concerts à l’antenne. On me répondait toujours que ce n’était pas possible etc. J’avais finalement obtenu à Montpellier la présence sur scène des producteurs/présentateurs de France Musique, pour le plus grand plaisir des auditeurs/spectateurs de l’Opéra Berlioz. Jeudi soir, je ne sais qui je dois en féliciter, Benjamin François a pu introduire le concert sur scène, au lieu d’être caché dans le studio attenant. Tout le monde en a profité, le public de l’auditorium comme les auditeurs de France Musique ! Bravo !
PS 2. S’agissant de Philippe Jordan ce n’était pas une première à Radio France mais avec l’Orchestre national. Au début des années 2000, tandis que je l’invitais à Liège, l’Orchestre philharmonique de Radio France l’avait engagé, lui faisant même enregistrer l’intégrale des concertos de Beethoven avec François-Frederic Guy.
Avant-dernier épisode de la série Vacances 2002, la Villa Médicis, où je n’ai pas mis les pieds cette année, mon séjour romain fut relativement bref – il m’en reste à raconter notamment sur les trésors du Vatican.
Ma première fois à Rome c’était en mars 1995 à l’occasion d’un week-end – qui a failli rater – de France Musique à la Villa Médicis. Week-end dont j’avais conservé un souvenir contrasté.
Rome, la fontaine de la Piazza di Spagna et le grand escalier menant à l’église de la Trinité des Monts et en haut à gauche à la Villa Médicis / Juillet 2022
Le futur ministre ?
Je n’ai compris que bien plus tard le véritable enjeu de ce moment où France Musique n’était qu’un prétexte. Je suis tombé par hasard sur les mémoires de Jean-Pierre Angremy (de son nom de plume Pierre-Jean Rémy) où l’on comprend que le déplacement en grand appareil du PDG de Radio France Jean Maheu, du directeur de la musique Claude Samuel, du directeur de France Musique l’auteur de ces lignes, de quelques autres personnes forcément importantes, tous accompagnés de leurs conjoints, au prétexte d’assister à des concerts de pensionnaires de la Villa Médicis, dont l’écrivain à succès était alors le directeur transmis sur France Musique bien évidemment, ce déplacement donc avait pour objectif non avoué pour l’état major de la radio publique de se mettre au mieux avec celui qu’une rumeur insistante et récurrente présentait comme le probable, possible futur ministre de la Culture de Jacques Chirac bientôt élu président de la République. On était à un mois du premier tour de l’élection présidentielle de 1995, tandis que s’achevait la cohabitation Mitterrand-Balladur.
Extraits choisis de ce « Journal de Rome » :
« Noter l’arrivée de Jean Maheu et de sa femme, Isabelle. Nous nous embrassons, nous nous tutoyons. Il aurait souhaité lui-même venir à la Villa Médicis comme directeur. Un jour, brisant la glace, il m’a dit qu’il n’en était rien. Je n’en pense pas moins. Ai-je dit que Stéphane Martin, qui fut longtemps son directeur adjoint de cabinet (1) et à qui je dois ma place ici, s’est fait l’écho, comme beaucoup d’autres, du bruit qui a couru selon lequel j’intriguerais, toujours dur et ferme, pour me retrouver à la Culture ? Claude Samuel me parlera également de l’affaire. Sophie Barrouyer de France Musique (2), aussi, comme Sophie Barruel (3), petite énarque au jeune mari aussi, comme également Jean-Pierre Rousseau. Rumeur ou calomnie ? Je n’ai pas que des amis, c’est le moins que je puisse dire !«
(1) Stéphane Martin, qui a été un temps le bras droit de Claude Samuel à Radio France, est à l’époque directeur adjoint du cabinet de Jacques Toubon, ministre de la Culture. Il sera, de 1998 à 2020, le président du musée du Quai Branly
(2) J’ai l’impression que Pierre-Jean Rémy s’emmêle dans ses souvenirs, en évoquant la présence de Sophie Barrouyer…à qui j’avais succédé deux ans plus tôt (lire L’aventure France Musique)
(3) Erreur de PJR, il s’agissait de Sophie Barluet, prématurément emportée par une cruelle maladie en 2007, son « jeune mari » étant Alain Barluet, actuel correspondant du Figaro à Moscou. J’avais beaucoup apprécié Sophie Barluet comme directrice de cabinet de Jean Maheu et comme complice toujours bienveillante.
Liaison fatale ?
Suite du journal de Pierre-Jean Remy :
« SAMEDI 25 MARS. Toute la journée en direct, donc, de France Musique. En réalité, depuis vingt-quatre heures, les trois techniciens de France Musique se battent avec les Télécoms italiens, car on n’arrive pas à obtenir les canaux pour transmettre vers la France via… eh bien via Rome, tout simplement ! En 1995. il est tout de même paradoxal de voir qu’il n’y ait pas moyen de lier la Villa Médicis, au-dessus de Rome, au centre de la RAI, à Rome même. Les autres liaisons sont possibles, mais pas celle-là. Il est vrai que l’on ne travaille plus par liaison hertzienne, mais par liaison numérique câblée. Ceci expliquerait cela. Pendant vingt-quatre heures, on s’arrache progressivement les cheveux. Le 24 au soir, on est persuadé que rien ne pourra se résoudre. Samedi 25 au matin, rien ne fonctionne encore alors que la première émission en direct est prévue à 11 heures À 11 heures moins dix : miracle ! apothéose! Les canaux sont rétablis »
Pierre Jean Remy on the set of TV show « Vol de Nuit ». (Photo by Eric Fougere/VIP Images/Corbis via Getty Images)
Ce n’est faire injure à la mémoire de personne que de relater que cette situation a donné lieu à des énervements et des comportements proches du ridicule. Je savais, comme responsable de l’antenne, que les techniciens de Radio France faisaient tout leur possible pour trouver une solution (au pire on pouvait enregistrer les émissions et concerts prévus et les diffuser ultérieurement de Paris). Mais il fallait bien que le PDG de Radio France justifiât sa présence à Rome et manifestât son autorité. Il se mit en tête après avoir copieusement engueulé ses proches, dont moi évidemment, d’interpeller les plus hautes autorités du pays, en commençant tout de même par l’ambassadeur de France à Rome, son homologue de la RAI (je doute qu’il l’ait joint), voire le ministre italien des télécommunications, pour leur faire valoir l’imbroglio diplomatique qui résulterait de l’impossibilité pour France Musique de diffuser en direct de Rome… Pierre-Jean Rémy considérait tout cela avec un certain amusement, habitué qu’il était aux moeurs italiennes (il avait été en poste à Florence), surtout un week-end.
Finalement le direct
« C’est donc la première émission, le concert des Nouveaux interprètes, que je présente depuis le grand salon. Un froid polaire me caresse les côtes. Le concert,c’est le trio Schumann, trois jeunes gens de Turin. Tout à fait honorable. On joue, entre autres, du Kreisler et un trio de Brahms. Entre les morceaux, je parle de la Villa, je décris le paysage : beaucoup d’amis de France m’entendront, qui me le diront. Déjeuner, sieste rapide, puis, toujours en direct de la Villa, l’émission Les Imaginaires de Jean-Michel Damian. Damian erre comme un malheureux heureux, souriant, barbu et ventripotent, mais pas plus« .
S’ensuit un long développement sur les invités de Jean-Michel Damian, dont l’essentiel de l’émission est consacré à Ingres, le grand peintre originaire de Montauban, très lié à Rome et en particulier à l’Académie de France à Rome dont il est le directeur de 1835 à 1840. Damian laisse les spécialistes disserter en roue libre, le concert qui devait conclure l’émission sera réduit à portion congrue.
L’auteur à succès, Callas, Karajan
On a oublié aujourd’hui la place qui était celle de Pierre-Jean Rémy dans la vie intellectuelle, culturelle et mondaine française. Auteur à succès, il était de tous les cercles influents, recherchant les honneurs, mais sans être dupe de la comédie humaine, à laquelle il participait avec une manière de distance et d’auto-dérision. Dans ce Journal de Rome, il évoque, parlant de lui, une « culture superficielle, un vernis qui se craquèle comme les murs peints par Balthus dans la Villa Médicis », et on va le voir plus loin à propos de ses livres. Brillant, chaleureux, réservant ses flèches à ceux qui ne pourraient plus lui nuire, il veillait à entretenir ses réseaux. Après la Villa Médicis, j’ai eu quelques occasions de revoir PJR devenu en 1995 non pas ministre de la Culture, mais président de la Bibliothèque Nationale de France.
Suite de la journée France Musique à la Villa Médicis relatée par Pierre-Jean Rémy :
« La fin de la soirée sera encore plus chaotique dans la mesure où je donne simultanément un dîner pour vingt-cinq personnes et où je présente une soirée de France Musique de trois heures consacrée à Maria Callas. Pour me remettre dans le bain de Callas, j’ai été amené à relire mon livre : Dieu, qu’il était bon !
Et combien j’ai tout oublié… Je m’émerveille encore d’avoir été capable d’écrire ce livre, finalement si foisonnant et assez bien écrit, malgré des tics qui m’apparaissent à présent insupportables, des attendrissements ridicules ou des exclamations superfétatoires/…/ Donc, émission sur Maria Callas au cours de laquelle je présente d’une part la grande Tosca de Serafin, puis une série de cinq ou six enregistrements, dont La Gioconda, l’Elvire des Puritains, la mort d’Isolde, Traviata et Norma. Quelques discours attendris, quelques références subtilement piquées dans mes propres œuvres.«
Et, dans le même temps, j’essaie de faire de timides apparitions à l’une des trois tables où je suis censé être assis. Présence de Massimo Bogianckino, terriblement fatigué. Présence du vieux compositeur Petrassi, quatre-vingt-onze ans à présent, l’une des dernières grandes figures vivantes de la musique européenne. Il est sourd et heureux d’être à la Villa Médicis. Sa femme, grande cavale de trente ou quarante ans de moins que lui, se dit heureuse aussi. Elle promet de nous inviter chez elle, de nous faire une pasta. La soirée se terminera tard. dans l’allégresse, on boira beaucoup.. »
Précisions : Bogianckino (1922-2019) a été, à l’instigation de Jack Lang, le directeur de l’opéra de Paris de 1983 à 1985, avant d’être maire socialiste de Florence. Quant au vieux Goffredo Petrassi (1904-2003), il ne m’avait pas semblé si sourd que cela….
En matière de musique, Pierre-Jean Rémy savait surfer sur les sujets grand public Après Callas, il a été le premier à publier une biographie en français du chef autrichien, Herbert von Karajan (1908-1989). Comme pour Callas, la critique aura beau jeu de repérer les inexactitudes, les approximations, le côté compilation brouillonne d’un ouvrage qui sort souvent de son sujet, pour déborder sur les goûts personnels de l’auteur en matière symphonique ou lyrique.
Sur la route des vacances halte ce week-end dans l’Ain, et retour en des lieux jadis familiers où je n’avais plus eu l’occasion de remettre les pieds depuis presque trente ans !
Ambronay
Ambronay, c’est cette ancienne abbaye bénédictine dans l’Ain, où en 1980, un fou de musique – Alain Brunet – décida de créer un festival de musique baroque et une académie. Quarante-deux après, il en a abandonné la direction mais en préside toujours ce qui est devenu, en 2003, un Centre Culturel de Rencontres. J’ai rarement rencontré personnage plus passionné, obstiné, déterminé, qui a toujours fini par convaincre les meilleurs musiciens de le suivre dans son aventure.
Mes premiers souvenirs d’Ambronay sont des émissions de radio – la Radio Suisse romande n’est pas loin, et Disques en Lice, l’émission de critique de disques, aujourd’hui disparue, de la RSR, était venue au moins deux fois dans mon souvenir. Une fois, c’était Jordi Savall autour des suites de Bach. Une autre fois, avant un concert où nous devions entendre le Stabat Mater de Vivaldi, j’étais assis à la tribune à côté de Gérard Lesne. Dans l’écoute comparative à l’aveugle, le jeu consistait évidemment à essayer de reconnaître les interprètes. Ecoutant la version que nous ne savions pas être celle de Nathalie Stutzmann, Gérard Lesne comme moi étions incapables de discerner le sexe de l’interprète, homme ou femme, tant la voix de Nathalie portait une superbe ambiguïté.
Autre souvenir, cette fois comme directeur de France Musique, et dans le cadre d’un partenariat qu’Alain Brunet avait obtenu sans problème de ma part, mais avec les réticences d’usage de la technique de Radio France, j’étais revenu en 1994 notamment pour un concert de l’académie animée alors par William Christie, David et Jonathas de Marc-Antoine Charpentier, qui révéla une jeune soprano qui allait faire son chemin : Patricia Petibon.
Je n’ai pu m’empêcher, revenant en ces lieux, de penser à l’ami Jacques Merlet, qui n’avait pas été le dernier à croire à l’aventure d’Ambronay et qui y installait ses quartiers d’automne. Il y a ainsi des ombres heureuses qui peuplent les mémoires et les pierres.
Pérouges
C’est pendant ce bref séjour de l’automne 1994 que je découvris Pérouges, à une vingtaine de kilomètres d’Ambronay, cette cité médiévale bien préservée. Un déjeuner à l’Hostellerie de Pérouges me fit côtoyer William Christie et son commensal. Quelques amabilités échangées. Ce fut le seul et dernier contact sympathique que j’eus avec ce personnage qu’il m’est arrivé d’apprécier comme musicien.
J’avais prévu ce matin de dire la joie que j’ai éprouvée hier à l’annonce de la nomination de Louis Langrée à la direction de l’Opéra Comique à Paris. Une autre annonce, cette nuit, m’oblige à reporter cet article. Bernard Haitink est mort à Londres, à 92 ans.
Dernier concert
Voici ce que j’écrivais le 18 novembre 2016 après le dernier concert que le chef hollandais avait dirigé à la tête de l’Orchestre National de France à l’auditorium de Radio France :
Le chef néerlandais, qui avait dirigé la 9ème symphonie de Bruckner en février 2015, avait expressément souhaité un programme français, sachant que l’ensemble de cette saison 2016-2017 du National serait placée sous l’égide de la musique française : le Gloriade Poulenc et l’intégrale de Daphnis et Chloé, « symphonie chorégraphique pour orchestre et choeurs sans paroles » de Ravel.
L’oeuvre de Poulenc est étrange, ambigüe – comme l’était le compositeur « moine et voyou » et on avait plutôt l’impression hier soir d’un requiem que d’un gloria, la voix cristalline et d’une impeccable justesse de Patricia Petibon nous rapprochant du requiem de Fauré. Haitink a fait le choix de la gravité, de la grandeur même, et c’est un parti parfaitement assumé.
En deuxième partie, on était impatient d’entendre l’intégralité de la partition de Ravel, plutôt rare au concert (à cause des interventions chorales ?). On retrouve – mieux que dans le « live » qu’il a gravé à Chicago, voir ci-dessous – les qualités de celui qui fut le légendaire patron du Concertgebouw, respect du texte et des mélanges instrumentaux – si importants chez Ravel – contrôle des masses sonores, au risque d’une modération qui manque parfois de fantaisie. Mais la performance, pour un homme de cet âge, reste éblouissante, et, en l’applaudissant aussi longuement, le public, dans lequel étaient assis deux étoiles montantes de la direction, Lorenzo Viottiet Alexandre Bloch, avait peut-être ce pincement au coeur qui vous vient lorsque l’au-revoir prend la forme d’un adieu… »
J’étais allé saluer Bernard Haitink dans sa loge du Théâtre des Champs-Elysées en février 2015 lorsqu’il y avait dirigé la 9ème symphonie de Bruckner, toujours à la tête de l’Orchestre National. Je dois à l’honnêteté de dire que je n’avais pas été convaincu par cette lecture (en tout cas loin de ses réussites au disque), j’avais trouvé un monsieur modeste, timide presque, fatigué..
Un Pelléas inattendu
Les souvenirs se bousculent (lire : Bernard et Roméo, Concertgebouw 125, ), l’un me revient en particulier. En 1998, nous réfléchissions à organiser une série de concerts des formations de Radio France et d’émissions de France Musique autour de la figure et de l’oeuvre de Debussy. Le regretté Dominique Jameux avait été chargé de mettre en oeuvre cet ambitieux projet, au coeur duquel figurait évidemment l’unique opéra de Debussy, Pelléas et Mélisande. Il avait pris contact avec plusieurs chefs (Boulez, Gielen) qui avaient décliné l’offre pour des raisons d’agenda. Lors d’une réunion, j’évoquai le nom de Bernard Haitink, dont j’admirais depuis longtemps les enregistrements de musique française avec le Concertgebouw. Interrogé, le chef répondit positivement et avec beaucoup d’enthousiasme, heureux de pouvoir enfin diriger un ouvrage qui le fascinait. Cela donnera, en 2000, une version de concert unanimement louée
et en 2007, toujours au Théâtre des Champs-Elysées, un Pelléas dans la mise en scène diversement appréciée de Jean-Louis Martinoty et sous la direction une fois de plus remarquée de Bernard Haitink (lire Pelléas à la peine / Le Monde).
Je reviendrai plus longuement sur la discographie, heureusement abondante, du chef disparu. On peut déjà se faire une vaste idée de l’art de Bernard Haitink avec ces deux coffrets :
CristianMăcelaru inaugurait hier soir son mandat anticipé* de directeur musical de l’Orchestre National de France, avec un programme emblématique de ses ambitions de répertoire.
La musique française
J’ai eu le privilège de rencontrer longuement, en juillet dernier, le chef originaire de Timisoara, tout jeune quadragénaire, pour parler projets pour les prochaines éditions du Festival Radio France Occitanie Montpellier – puisque l’Orchestre National comme l’Orchestre Philharmonique de Radio France, le Choeur et la Maîtrise de Radio France sont des invités réguliers du festival !
Je dois confesser avoir rarement rencontré un chef aussi curieux de répertoires moins rebattus, qui ne réduit pas la musique française à Berlioz, Debussy et Ravel, et qui paraît bien décidé à entraîner ses musiciens et le public à des découvertes salutaires. Quand on pense que la dernière intégrale des symphonies de Saint-Saëns par un orchestre français remonte à quarante-cinq ans ! C’était Jean Martinon et le même orchestre alors appelé Orchestre national de l’ORTF.
Pour son programme inaugural, CristianMăcelaru avait d’ailleurs choisi la symphonie op.55 de Saint-Saëns, présentée comme la n°2 alors que c’est la quatrième écrite, une symphonie brève (20 minutes) en quatre mouvements, dont un finale virtuose, créée à Leipzig le 20 février 1859.
Benjamin Grosvenor
L’autre bonne nouvelle de cette saison 20-21 de Radio France c’est la résidence du pianiste anglais Benjamin Grosvenor, 28 ans tout juste, que j’avais invité à Liège le 17 mai 2014 pour un récital magique, qui avait impressionné le public nombreux de la Salle philharmonique.
L’intelligence musicale, la technique superlative de ce jeune homme ne cessent de m’enchanter depuis ses débuts. Sa discographie en témoigne éloquemment. Je peux livrer un scoop à mes lecteurs : Benjamin Grosvenor sera de l’édition 2021 du Festival Radio France !
Hier soir il jouait le deuxième concerto de Rachmaninov. Placé au premier balcon, en surplomb du piano et du pianiste – ce qui m’arrive rarement dans une salle de concert – j’ai pu apprécier l’extraordinaire maîtrise de l’interprète sur son clavier. Et j’ai entendu ce « tube » comme j’aime l’entendre : poétique, d’une virtuosité qui ne passe jamais avant l’expression, le pianiste en osmose avec l’orchestre – sublime deuxième mouvement dans le dialogue avec les bois, en particulier la clarinette – bienvenue à Carlos Ferreira arrivé en juillet dernier à l’orchestre !
Le concert était diffusé en direct sur France Musique et Arte Concert et on peut évidemment le revoir et l’entendre ici :
* Le chef roumain ne devait entrer en fonction qu’en septembre 2021, la démission d’Emmanuel Krivine au printemps dernier l’a conduit à avancer d’un an sa prise de fonction.
Je ne peux avoir oublié la date de sa mort, le 13 juillet 2014, la veille du « concert de Paris » le 14 juillet 2014 avec l’Orchestre National de France, le choeur et la Maîtrise de Radio France et toute une pléiade de stars du chant sous la Tour Eiffel.
(Seule « survivante » de cette photo prise ce 14 juillet 2014, la maire de Paris Anne Hidalgo, à sa gauche, Bruno Juilliard son ex-premier adjoint, François Hollande, JPR ex-directeur de la musique de Radio France, Manuel Valls. Figuraient aussi sur la photo Mathieu Gallet, ex-PDG de Radio France et Rémy Pflimlin, ex-PDG de France-Télévisions prématurément disparu en 2016)
Nous avions décidé de dédier ce concert à Lorin Maazel, cet Américain de Paris, né à Neuilly le 6 mars 1930, mort dans sa maison de Virgine le 13 juillet 2014. Pour une double raison, d’abord parce qu’il avait été le directeur musical de fait de l’Orchestre National de France de 1977 à 1991 – même si Maazel avait pris soin de gommer cette période de sa biographie officielle, en raison des conditions calamiteuses de la fin de son contrat à Radio France – mais aussi parce que son premier enregistrement symphonique avait été réalisé en 1957 avec l’Orchestre National !
Dans un article d’août 2015 – Les jeunes années – à l’occasion de la réédition des premiers enregistrements réalisés par Lorin Maazel pour Deutsche Grammophon, j’écrivais ceci :
« Les références sont par exemple L’Enfant et les sortilèges de Ravel, un petit miracle jamais détrôné depuis 50 ans, la poésie des timbres de l’Orchestre National, une distribution parfaite, une sorte d’état de grâce permanent. Mais, bien moins cités, une 3eme symphonie de Brahms emportée, vive, presque violente, la plus rapide de toute la discographie, comme une Ouverture tragique de la même eau. Toutes les « espagnolades » d’une puissance, d’une acuité rythmique, en même temps d’un raffinement, d’une transparence, inouïs : Capriccio espagnol de Rimski-Korsakov, Tricorne et Amour sorcier de Falla, époustouflants. »
Rimski-Korsakov, Falla
Je viens de réécouter ces « espagnolades »
en commençant par le Capriccio espagnol de Rimski-Korsakov, le type même d’ouvrage « exotique » qu’on écoute distraitement en complément en général de la Shéhérazade du même Rimski.
Ecoutez ce qu’en fait un Lorin Maazel de 28 ans, écoutez ce qu’il tire d’un orchestre philharmonique de Berlin qui, entre Furtwängler et Karajan, était loin de sonner avec cette vivacité, cette transparence, cette alacrité. Plus jamais Maazel ne retrouvera ce « jus » – lorsqu’il récidive vingt ans plus tard à Cleveland, c’est empois et boursouflure ! –
L’Amour sorciercapté avec l’autre orchestre de Berlin-Ouest, celui du RIAS (Rundfunk im Amerikanischen Sektor) devenu ensuite Radio-Symphonie-Orchester Berlin, puis après la chute du Mur, Deutsches Symphonie-Orchestre Berlin, à la même époque, et avec la toute jeune Grace Bumbry, est de la même veine.
Les danses du Tricorne sont moins exceptionnelles, mais elles ne déparent pas cette collection.
C’était l’événement, le premier concert dans le monde dans une salle de concert devant un vrai public – 600 personnes ! – depuis le début du confinement. Ce 25 juin, Michel Orier, le directeur de la Musique et de la Création de Radio France, a eu les mots justes : « 105 jours sans vous, c’est long, trop long », après qu’une puissante salve d’applaudissements a salué l’arrivée sur la scène de l’Auditorium de Radio France les musiciens de l’Orchestre National de France.
Le temps retrouvé
Un orchestre qui ne peut encore (mais bientôt ?) jouer en grande formation, notamment avec les vents et les cuivres, des pupitres de cordes donc très sollicités.
Je me rappelle toujours avec bonheur – même si l’aventure fut de courte durée – les programmes imaginés dans l’enthousiasme avec le chef français pour son concert inaugural de directeur musical de l’Orchestre philharmonique royal de Liège en 2009 : Haendel (Royal fireworks), Haydn (symphonie n°96) et Holst (Les Planètes) ! Pas moins !
Conjurer l’angoisse
Comme Daniele Gattile 11 juin dernier avec la 2ème symphonie d’Honegger(1941), le programme d’hier soir reprenait deux oeuvres quasi-contemporaines, écrites en 1939-1940, à la demande du chef et mécène suisse Paul Sacher, comme de Double concertopour cordes, piano et timbales de Martinů.
Le compositeur explique la frénésie de ce concerto par la pesanteur des années précédant la Seconde Guerre mondiale : « J’ai voulu me dégager de cette oppression, me défendre par mon travail et lutter contre cette menace qui devrait tourmenter chaque artiste et chaque homme dans ses convictions les plus profondes »
Cédric Tiberghien avait rejoint les cordes et le timbalier de l’Orchestre National de France. Et ce fut sans doute une découverte pour une majorité du public présent comme de celui qui suivait le concert sur France Musique et/ou sur ArteConcert.
C’est dans le chalet de son commanditaire, Paul Sacher, près de Saanen (en Suisse), que Bartók, compose du 1er au 17 août 1939, cette oeuvre au titre paradoxal, qui n’a vraiment rien d’un aimable divertissement qui exprime « l’angoisse de l’auteur confronté à la guerre qui menace ». L’oeuvre est créée le 11 juin 1940 par l’orchestre de chambre de Bâle. Deux mois plus tard le compositeur s’exile aux Etats-Unis où il mourra en 1945 au terme d’un véritable chemin de croix physique et moral.
Il se trouve que c’est l’oeuvre qui m’a fait découvrir et aimer Bartok, lors de l’un des rares concerts auxquels j’ai pu assister, adolescent, à Poitiers(La découverte de la musique). Et à la différence du Concerto pour orchestre ou de la Musique pour cordes, percussions et célesta, elle reste peu programmée au concert.
C’est donc avec une intense émotion que j’ai entendu ce Divertimento hier soir. Une vision, une version d’anthologie, sous la houlette de la merveilleuse Sarah Nemtanu– qui chantait dans son arbre généalogique – et de François-Xavier Roth restituant idéalement douleur et nostalgie, effroi et espérance, d’une partition si profondément bouleversante
Au disque, des chefs d’origine hongroise pourtant comme Ormandy ou Solti ont trop gommé les aspérités, les racines populaires du Divertimento. Boulez à Chicago est tellement dans la musique pure qu’il passe à côté de l’oeuvre.
Pour moi, il n’y a guère que deux références, Sandor Vegh(1912-1997) et Antal Dorati(1906-1987).
Après le concert
Comme un bonheur n’arrive jamais seul, on a retrouvé, après le concert, une adresse qu’on avait tellement aimée et qu’on avait vu lentement dépérir ces derniers mois – Chaumette rue Gros, rouverte il y a trois semaines sous un autre nom, mais avec le même décor, le même chef, cette cuisine joyeuse et goûteuse, ces vins aimables servis à la ficelle, comme dans la bonne tradition lyonnaise. Des serveurs virevoltant d’une table à l’autre, dans la bonne humeur et l’efficacité. On aura de nouveau plaisir à y revenir…