Millénaire

En contrepoint d’une actualité tragique, quelques images prises il y a trois ans au coeur de la Russie millénaire, dans les hauts lieux de la liturgie orthodoxe :

Il y a trois ans exactement, je découvrais – enfin – les villes historiques de l’Anneau d’Or et Moscou  – lire : http://lemondenimages.me/2013/12/14/bulbes-bell-towers/.

Petit retour  sur ce fabuleux voyage en Russie profonde.

À une vingtaine de kilomètres de Rostov Veliky, à 80 km de la capitale régionale Iaroslavl, à l’écart des circuits touristiques, comme hors du temps, on découvre le petit village et le monastère de Borisoglebski… dans un état qui est celui de tout le patrimoine de ce type quand il n’est pas sous le regard des visiteurs étrangers ! Pour l’anecdote – émouvante – des moines nous apercevant dans l’enceinte du monastère firent sonner les cloches, un jour de semaine à 16 heures, juste pour nous. Le visiteur est si rare…

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J’ai demandé par la suite au jeune violoniste, plusieurs fois invité à LiègeNikita Boriso-Glebski, si sa famille avait un lien avec ce village et ce monastère. Il n’en sait rien, mais l’homonymie l’a interpellé !

Sur la route, des paysages comme ceux-ci :

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En revenant vers Moscou, on ne peut que faire halte à Sergiev Possad /Сергиев Посад, connue sous le nom de Zagorsk (de 1918 à 1991), haut lieu, épicentre de la Russie orthodoxe dès le XVIème siècle : http://fr.wikipedia.org/wiki/Serguiev_PossadImageImageImage

 

Quand Bernard Pivot s’énerve

La lecture du Journal du Dimanche – quand j’en ai l’occasion – est toujours divertissante. Je ne rate jamais une chronique du pape des mots et des lettres (c’est bien le moins ce dimanche, jour de canonisation de deux anciens papes !), surtout quand Bernard Pivot, l’homme des dictées et des dictionnaires, s’en prend avec un humour ravageur et une santé corrosive à ces mots qui nous polluent sans ajouter du sens ou du contenu à notre parler quotidien.

ImageLe président de l’Académie Goncourt n’est ni un réactionnaire ni un nostalgique d’une langue défunte. Son dernier opus est la preuve du contraire :

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Il consacre sa chronique dominicale à un pavé d’Alexandre des Isnards (un nom bien « franchouillard » selon Pivot), un Dictionnaire du nouveau français

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La recension pratiquée par l’auteur de ce Dictionnaire est passionnante, instructive autant qu’amusante. Modes et travers du temps y sont épinglés sans répit.

Pas moins de 400 entrées. Quelques exemples :

ASAP : acronyme de  » As Soon As Possible  » Dès que possible en langage professionnel

Badder : énervement circonstanciel, coup de cafard passager

Boloss : naze, bouffon des beaux quartiers

Crème : cool, classe, en langage adolescent

Enjailler (s’) : s’amuser, se réjouir, éprouver du plaisir

Fangirler : adorer, et adorer en parler Kikoolol : personne qui abuse des smileys et des abréviations du langage texto

Mème : contenu diffusé sur Internet donnant lieu à des imitations

Mooc : cours en ligne ouvert à tous et diffusé à une large audience

Plussoyer : donner son assentiment en quelques lettres, ou en un chiffre « +1 »

Swag : qui a du style, qui a la classe

Moi j’en étais resté à « trop cool« , je suis définitivement has been...

Vieux sages

Pas d’âge limite pour les chefs d’orchestre, ils ne jouent d’aucun instrument, ne chantent pas, et ne risquent donc pas l’usure, les atteintes de l’âge de ceux qu’ils dirigent ! La liste est plutôt longue de ces stars des podiums qui sont restées en activité jusqu’à près de 90 ans : Arturo Toscanini, Pierre Monteux, Paul Paray, et plus près de nous Carlo-Maria Giulini (1914-2005). Pour ne citer que ceux qui exercent encore, Pierre Boulez bien sûr (1925), Bernard Haitink (1929), Lorin Maazel (1930)…

Une certaine logique veut que, prenant de l’âge – de l’expérience aussi – ces chefs d’orchestre deviennent moins fougueux, plus retenus, plus lents. C’est particulièrement évident dans le cas de chefs qui ont fait une longue carrière discographique : Klemperer, Karajan, Bernstein, Maazel. Et on a des démonstrations exactement contraires, j’y reviendrai.

Les éditeurs successifs de Carlo-Maria Giulini commémorent le centenaire de la naissance du grand chef italien, il reste des lacunes, mais ne nous plaignons pas, l’effort mérite d’être salué. EMI/Warner a ouvert le bal (lire : http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2013/11/26/giulini-la-classe-7996953.html ), Deutsche Grammophon avait déjà publié deux coffrets

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Récidive avec un coffret Giulini/VienneImageRien d’inconnu dans ce coffret, à une non négligeable exception près : la cantate écrite par le compositeur autrichien Gottfried von Einem (1918-1996) pour célébrer les 30 ans de la fondation de l’ONU, créée à New York le 24 octobre 1975 par Julia Hamari, Dietrich Fischer-Dieskau, le choeur de Temple University…et l’orchestre symphonique de Vienne, dirigé par celui qui en était alors le directeur musical, Carlo-Maria Giulini. Titre de la cantate : An die Nachgeborenen, littéralement « À ceux qui sont nés après »… après les désastres de la Seconde Guerre mondiale, sur des textes de Brecht, Holderlin et…Sophocle !

Sinon les quatre symphonies de Brahms, plus puissantes, creusées que celles réalisées à Londres ou Chicago, lorgnant déjà vers Bruckner, des 7ème, 8ème et 9ème symphonies marmoréennes, comme déjà figées dans l’éternité. Les « live » des concertos 1, 3 et 5 de Beethoven avec Arturo Benedetti Michelangeli, toujours aussi impressionnants…

Restera à DGG à rassembler encore quelques enregistrements réalisés notamment à Berlin.

Plus intéressants encore pour mesurer l’art du vieux chef – et parfois les limites de l’âge ! – les 22 CD que SONY a rassemblés :

ImageSi on oublie un Gloria de Vivaldi complètement hors de propos, un Requiem de Mozart sans relief (préférer la version EMI), le reste doit être écouté, même si les tempi du chef désarçonnent plus d’une fois dans Mozart, Beethoven ou Schubert – c’est lent, trop lent souvent, mais toujours habité – Idem pour les trois dernières symphonies de Dvorak, qui bénéficient du son légendaire (et d’une prise de son exceptionnelle) du Concertgebouw d’Amsterdam, tout comme de prodigieux Ravel, Debussy et Stravinsky (L’oiseau de feu)

Je retiens, quant à moi, une sublime Messe n°6 de Schubert, une Messe en si, hiératique, hors du temps, de Bach, une Symphonie de Franck (avec Vienne !) presque brucknerienne…et une intégrale inachevée des Symphonies de Beethoven avec l’orchestre de la Scala.

Je reviendrai dans un autre billet sur ces vieux chefs, qui, à l’inverse de Giulini, retrouvent au soir de leur vie, une nouvelle jeunesse, une « urgence » – pour reprendre une expression en cours chez les critiques ! – assez étonnantes. Cf. les derniers enregistrements de Monteux, Dorati, Stokowski ou Paray...

 

Bashing

Bashing : mot qui désigne en anglais le fait de frapper violemment, d’infliger une raclée, expression utilisée en français pour décrire le « jeu » ou la forme de défoulement qui consiste à dénigrer collectivement une personne ou un sujet. Lorsque le bashing se déroule sur la place publique, il s’apparente parfois à un lynchage médiatique. Le développement d’Internet et des réseaux sociaux a offert au bashing un nouveau champ d’action, en permettant à beaucoup plus de monde de participer dans l’anonymat t à cette activité collective (Source : Wikipedia).

J’aurai beau ici m’indigner, protester, dénoncer cette « mode », je sais bien que cela ne servira à rien. Mais ça fait toujours du bien de l’écrire !

Internet, les réseaux sociaux se sont transformés en gigantesque café du commerce, où chacun se croit permis d’avoir un avis sur tout et sur tous, voire d’insulter, de calomnier, de créer ou d’alimenter la rumeur. C’est le revers de la liberté d’expression, mais – il faut le rappeler – la loi s’applique aussi aux réseaux sociaux, l’impunité n’existe pas… contrairement à ce que certains usagers de ces réseaux croient.

Mais ce n’est pas ce phénomène qui m’inquiète outre-mesure, c’est le relais que lui donnent les médias… La presse écrite est, paraît-il, en fâcheuse posture, les ventes baissent, des journaux disparaissent, et on a le sentiment que, sous le coup de la panique, les médias font du « bashing » leur bouée de sauvetage.

De quoi parle-t-on ces derniers jours après l’installation de nouvelles équipes à Matignon et à l‘Élysée ? Un peu des quelques milliards à trouver, un peu – mais si peu – de l’Europe, mais surtout et beaucoup, au choix, des « décolletés » proscrits par Ségolène Royal, des primes de cabinet de Manuel Valls, ou des cigarettes que fume le nouveau conseiller com de François Hollande… ah oui, j’allais oublier, les pompes d’Aquilino Morelle ! Passionnant non ?

Remarquable article de Joseph Macé-Scaron dans Marianne :

http://www.marianne.net/Royal-cachez-ce-dessein_a238314.html

ImageConclusion de l’article de JMS :

« Faut-il en rire ou en pleurer ? Nous autres journalistes avons donc mis deux ans pour nous apercevoir qu’Aquilino Morelle faisait cirer ses chaussures à l’Elysée et deux semaines seulement pour savoir que Ségolène Royal interdisait les décolletés. C’est curieux, quand il s’agit d’une femme exerçant des responsabilités, les enquêtes sont toujours plus rapides. Si c’est pas du progrès, ça, coco…Ce sont les mêmes qui viendront après vous parler d’égalité de traitement. Et à part çà, la politique ? Euh, la quoi ? Le nouveau cap pris par la locataire du ministère de l’Ecologie. Rien. Pensez donc ! Royal ne va en plus prétendre nous parler de politique. Cachez Madame, ce dessein qu’on ne saurait voir ! »

Gaspard Gantzer est à peine nommé responsable de la communication à l’Élysée que quelqu’un s’avise de dénicher une ancienne photo de ce jeune homme où il tient une cigarette suspecte… et suivez mon regard, encore un coup dur pour Hollande ! Déjà que le Président tolérait à ses côtés un conseiller amateur de belles chaussures, qui, bien avant l’Élysée, avait semble-t-il conseillé un labo pharmaceutique… ne me dites pas que Hollande n’était pas au courant, il a forcément des fiches secrètes sur tout et tout le monde, hein mon bon monsieur !

Ce matin, dans ces mêmes médias on découvre, grâce à Europe 1, le geste incroyablement politique posé, osé même, par Nicolas Sarkozy en visite à New York. Rendez-vous compte : il a fait deux tours de calèche à cheval dans Central Park avec sa fille Giulia…. pour provoquer le nouveau maire de New York qui voudrait – mais personne n’a vérifié la validité de cette « info » – interdire ces attelages un peu folkloriques qui font la joie de tous les touristes… Pas vrai ce que j’affirme ? Mais si, puisque c’est écrit :

http://www.europe1.fr/Politique/Nicolas-Sarkozy-en-balade-avec-Giulia-a-New-York-2101593/

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Affligeant ? Oui. Vraiment affligeant.

Darius et les négresses

Ce n’est pas toujours par ses plus grandes oeuvres qu’on découvre un créateur. Pour moi c’est un souvenir très précis, un ami chanteur qui avait placé ces « Trois chansons de négresse » dans son premier récital :

La vérité est que je connaissais déjà Le boeuf sur le toit et Scaramouche. Des rythmes et des couleurs latino-américains si éloignés de l’image – un peu austère – que dégageaient les photos du compositeur, au prénom d’empereur persan : Darius Mlhaud.

Regardez ces deux-là comme ils s’amusent dans le 3e mouvement de Scaramouche :

Chemin faisant dans ma découverte du répertoire, j’ai beaucoup lu que le compositeur français, né à Marseille en 1892 d’une famille juive installée depuis longtemps dans la région, mort à Genève en 1974 – il y a donc 40 ans -, avait été beaucoup trop prolifique pour retenir vraiment l’attention. Pas assez révolutionnaire pour les uns, trop profus pour les autres. Bref, pas là où il faut !

On n’en est que plus heureux de saluer la parution d’un coffret de 10 CD, à petit prix, qui porte le titre que Darius Milhaud avait donné lui-même à son autobiographie : Une Vie heureuse. On doit reconnaître, puisqu’on l’avait déploré en son temps, que la fusion Warner/Erato/EMI a, en l’espèce, produit une des meilleures compilations qui se puisse imaginer, piochant avec beaucoup de pertinence dans les catalogues EMI et Erato, et permettant à l’amateur de vraiment rencontrer l’homme à facettes multiples qu’était ce cher Darius. Je ne sais qui est à l’initiative et à la réalisation de ce coffret, mais je le félicite chaleureusement.

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On retrouve certes du bien connu comme cet inimitable et inimité Boeuf sur le Toit dirigé par Bernstein avec un Orchestre National en transe

mais surtout un panorama passionnant de la musique d’orchestre (les 4e et 8e symphonies dirigées par Milhaud lui-même), des quatuors, de la musique pour piano, des mélodies, de la musique de chambre (notamment pour les vents, une extraordinaire sonate pour flûte, clarinette, hautbois et piano réunissant Emmanuel Pahud, Paul et François Meyer et Eric Le Sage), plusieurs enregistrements « historiques » avec Milhaud lui-même aux côtés de Jane Bathori, Janine Micheau ou Marcelle Meyer….

Assurément le coffret le plus intelligent et le plus utile de ce printemps !

Détails à lire sur : http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2014/04/24/darius-le-prolifique-8170945.html

Une déclaration d’amour

De retour de dix jours de vacances dans les Balkans, après avoir traversé quatre pays de l’ex-Yougoslavie, cinq villes importantes, j’avais commencé un billet pour dire combien l’Europe – pour laquelle on vote dans un mois – est non seulement nécessaire mais humainement, culturellement, politiquement indispensable.

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Cetinje, ancienne capitale du Montenegro, siège de la Présidence de la République, et ci-dessous une belle maison abandonnéeImage

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Trogir (Croatie)

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Le tristement célèbre Stari Most de Mostar (Bosnie)Image

Dubrovnik (Croatie)

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Je ne publierai pas les lignes que j’avais écrites, je préfère reproduire ici intégralement un texte qui dit beaucoup plus haut, beaucoup plus fort, tout ce qu’on a envie de dire de et à l’Europe. Il émane d’un responsable politique, que j’ai toujours respecté même si je n’ai pas les mêmes orientations que lui. Merci Alain Juppé pour cette déclaration d’amour !

Europe, mon amour

(Publié le 22 avril 2014 par Alain Juppé)

Je mesure ce qu’il y a de provocateur dans le titre que j’ai choisi de donner à ma déclaration.

Par les temps qui courent, ma douce Europe, tu inspires plus de désamour que de sentiments amoureux.

Il n’est question que d’euro-scepticisme, voire d’euro-hostilité. Chaque matin, médias et politiques te chargent de tous les péchés du monde. Tu es, à les en croire, trop peu démocratique et beaucoup trop technocratique, souvent naïve, impuissante et divisée, assoiffée d’austérité et source de chômage, j’en passe et des pires.

« Bruxelles » est devenu le grand épouvantail, que nos amis belges nous pardonnent.

Nier qu’il y ait une part de vérité dans le procès qui est instruit contre toi serait faire preuve d’aveuglement.

Ceux qui t’aiment ont beau dire que ton Parlement a conquis de réels pouvoirs de co-décision, les Européens ne se pressent pas aux urnes quand il s’agit d’élire leurs députés.

Il est vrai que la bureaucratie bruxelloise est nombreuse, lointaine, compliquée et qu’elle produit trop de normes dans trop de domaines.

Ta banque centrale gère ta monnaie sans qu’un véritable gouvernement économique puisse dialoguer avec elle comme, aux Etats-Unis, le Secrétaire au Trésor, Ministre des Finances, le fait avec la Réserve Fédérale.

Schengen, cet accord qui devrait réguler les mouvements de population, ne marche pas parce que tu n’es pas capable de contrôler tes frontières extérieures.

Les Européens ont le sentiment que tu ne sais pas répondre à leurs attentes en mettant, par exemple, en œuvre une politique de croissance efficace fondée sur l’innovation, ou en organisant une réelle transition énergétique pour relever le défi du changement climatique.

Tu n’as pas pu empêcher l’annexion de la Crimée par Poutine ni la déstabilisation de l’Ukraine.

Avant de te décider à soutenir l’action de la France au Mali où tes intérêts sont directement en jeu, tu as atermoyé pendant des mois.

La vision du commerce international qui continue d’inspirer ta Commission est en retard d’une globalisation. Le dogme de la concurrence pure et parfaite semble intangible dans tes hautes sphères, alors que nos grands partenaires, américains ou chinois, assurent la protection de leurs intérêts comme Monsieur Jourdain faisait de la prose : sans user du mot mais en profitant de la chose.

La manière dont tu négocies avec les Etats-Unis d’Amérique un accord de libre-échange présenté comme stratégique n’est pas un modèle de transparence. J’entends bien que dans une négociation aussi âpre on ne met pas d’emblée toutes ses cartes sur table. Mais il est essentiel que l’exécution du mandat donné au négociateur reste sous contrôle.

Tu vois, je ne suis pas complaisant avec toi. Je te dis tes quatre vérités. Qui aime bien châtie bien.

Ce qui m’autorise à parler vrai, aussi, à tes détracteurs. Et de leur dire : non l’Europe n’est pas responsable de tous nos maux ! La crise qui a failli emporter non seulement la finance mais aussi l’économie mondiale en 2008-2009 n’est pas son fait. La pratique des «subprimes» et le dérèglement des marchés qui en est résulté a pris naissance en Amérique. Et la crise des dettes souveraines en Europe n’est pas à mettre au débit de « Bruxelles ». Il faut chercher les responsabilités à Dublin, à Athènes, à Rome, à Madrid… ou à Paris dont les gouvernements n’ont pas respecté leurs engagements de réduction des déficits publics et de maitrise de l’endettement.

Certains, en France, sont malvenus de s’insurger contre les rappels à l’ordre de la Commission : c’est nous-mêmesqui l’avons chargée de vérifier que nous nous mettons en conformité avec les règles que nous avons nous-mêmesédictées, et, à défaut de nous sanctionner.

Je vais plus loin : non seulement tu n’es pas responsable de tous nos maux mais tu nous as protégés au milieu de la tourmente que l’économie mondiale traverse depuis quelques années.

C’est une grande chance que d’avoir une monnaie stable. A mes amis gaullistes, je demande de faire retour une cinquantaine d’années en arrière : le premier objectif du Général de Gaulle quand il revint au pouvoir ne fut-il pas de guérir la France de l’instabilité monétaire et de la doter d’un nouveau franc ?

L’euro stable, ce sont des taux d’intérêt historiquement bas, sans quoi le refinancement de notre dette nous entraînerait droit dans le mur.

Et là encore, ne rejetons pas la responsabilité de nos mauvaises performances sur autrui.

Dans le commerce des biens industriels (j’emprunte ces chiffres à l’excellent livre de Pascal Lamy, « Quand la France s’éveillera ») tu dégages, mon industrieuse Europe, « un excédent qui a triplé en dix ans pour atteindre plus de 200 milliards d’euros et maintiens [tes] parts de marché, alors que celles de [tes] concurrents américains ou japonais ont régressé. »

Aujourd’hui le Japon qui pratique les « Abenomics » c’est-à-dire une politique du yen moins fort, enregistre le pire déficit commercial de son histoire.

Si la France souffre, elle aussi, d’un lourd déficit commercial, la raison n’en est pas principalement le cours de l’euro, mais l’insuffisante compétitivité de ses entreprises et l’inadaptation de son secteur productif à la demande mondiale, faiblesses qui résultent de notre propre incapacité à mettre en œuvre les réformes nécessaires.

Faut-il ajouter que, dans le nouveau monde qui a émergé depuis trois décennies, tu es, ma puissante Europe, une extraordinaire chance ?

Avec toi, nous pesons 500 millions de citoyens, le plus grand PIB du monde, et le quart des échanges mondiaux.

Nous, Français que la mondialisation effraie… au point que quelques bons esprits chez nous vont jusqu’à prôner la « dé-mondialisation » ; nous que traumatise le déplacement du centre de gravité de la richesse et de la puissance vers d’autres horizons ; nous qui souffrons de n’être plus le centre du monde… nous devrions nous tourner, plus que jamais, vers toi, Europe, nous jeter dans tes bras, t’exprimer la confiance que nous mettons en toi pour, ensemble prendre toute notre place dans le nouveau monde, y faire rayonner nos idées et nos valeurs, y défendre nos intérêts

Et pas simplement nos intérêts économiques.

D’abord et avant tout le bien suprême que tu nous as apporté : la paix après un siècle de massacres.

Avons-nous bien conscience que ce bien n’est pas acquis pour toujours ?

La guerre a sévi dans les Balkans il y a 20 ans, à nos portes.

Notre voisinage oriental, je pense bien sûr à l’Ukraine, traverse une crise d’une grande gravité.

Et dans les frontières de l’Union elle-même, les vieux démons ne sont pas morts : quelques groupuscules défilent aujourd’hui dans les rues de Budapest un brassard à croix gammée à l’épaule.

Faire exploser la zone euro, c’est engager un processus de déconstruction de l’Europe et dès lors, tout redevient possible y compris le pire. Pascal Lamy rappelle ce message de François Mitterrand : « Le nationalisme, c’est la guerre ».

Voilà pourquoi je plaide pour toi, Europe, et suis décidé à combattre avec toute mon énergie ceux qui veulent, en le disant ou sans le dire, te déconstruire.

La meilleure manière de te défendre, c’est évidemment de te réformer. Et Dieu sait si tu as besoin de réformes.

L’urgence, c’est de doter ton cœur battant, c’est-à-dire la zone euro, d’une gouvernance efficace. Des progrès ont été récemment accomplis en ce sens, souvent à l’initiative de la France. Il faut aller plus loin et doter le Conseil Européen des moyens d’assurer le pilotage qui lui revient : une présidence forte qui devrait incomber à l’une des principales économies de l’union, un secrétariat performant qui veille à la mise en œuvre des décisions prises.

Mon choix de gouvernance, on le voit, est plutôt de nature inter-gouvernementale parce que c’est là qu’existe la légitimité démocratique.

Mais pour éviter les blocages, il faudra bien progresser vers plus d’intégration et si l’on veut notamment une réelle harmonisation fiscale, cesser de faire de l’unanimité une règle intangible.

Tout le monde ne voudra pas suivre.

L’idée que la zone euro est le cercle de solidarité maximum et qu’au-delà, la souplesse est de règle pour tous ceux qui se contentent de moins, finit peu à peu par s’imposer.

La gouvernance n’est pas tout. Ce que les Européens attendent, c’est certes une Europe qui fonctionne mais surtout une Europe qui réalise.

Il faut, dès lors, que tu choisisses. Tu ne pourras pas tout faire. Il faut abandonner ton ambition de tout régenter.

Il faut te concentrer sur quelques objectifs prioritaires.

En voici trois, qui n’épuisent pas la question :

  • une politique de stimulation de la croissance par le soutien à l’innovation sous ses diverses formes. Une suggestion : le « programme des investissements d’avenir » que la France a lancé en 2010/2011 et qui commence à produire ses premiers effets pourrait inspirer une initiative européenne.
  • une politique de l’éducation qui favorise la circulation mais aussi la compréhension mutuelle de nos jeunesses. Je préconise depuis longtemps l’apprentissage obligatoire d’au moins 2 langues vivantes étrangères dans tous nos systèmes éducatifs.
  • une politique énergétique qui semble aujourd’hui hors de portée compte tenu des choix divergents faits par la France et l’Allemagne mais que l’urgence climatique et l’urgence diplomatique -je pense au desserrement de notre dépendance vis-à-vis du gaz russe- peuvent demain rendre possible.

Suis-je en train, mon Europe, de te faire rêver, de te raconter une belle histoire, de te promettre la lune ?

Beaucoup le pensent.

Mais je l’assume…

Peut-être est-il utopique de rêver d’une Europe politique, acteur à part entière de la scène mondiale, dotée des moyens de se défendre, capable de conduire une action diplomatique cohérente. Une Europe puissance, expression taboue.

C’est pourtant bien le but où nous conduit le chemin sur lequel je te propose d’avancer.

Y sommes-nous seuls ?

Sans doute aujourd’hui.

Est-il utopique de rassembler des partenaires prêts à partager notre espérance ? Peut-être.

Mais peut-on vivre sans utopie ?

J’ai deux raisons de penser que ce rêve n’est pas illusoire.

D’abord la France et l’Allemagne. C’est la clef. L’Allemagne hésite. Aujourd’hui, la France n’a pas la capacité de la convaincre parce qu’elle a perdu sa crédibilité. Si nous reprenons force et influence, nous pouvons redevenir un partenaire attractif et convaincant.

Tout en dépend.

Et puis, tu existes ma belle Europe.

Il suffit de voyager à travers le vaste monde, en Asie, en Afrique, en Amérique… pour prendre conscience d’une réalité que nous apercevons mal en vision rapprochée : tu existes. Nous, Européens, nous avons un bien commun, nous partageons une culture commune, des valeurs, des idées sur le monde.

Loin de moi de sous-estimer nos différences… ni de vouloir les effacer ; elles font notre richesse.

Mais il existe un socle commun. Démocratie, liberté, dignité de la personne humaine… où donc ces valeurs s’épanouissent-elles mieux qu’en Europe ?

Philosophie, littérature, musique, arts… n’existe-t-il pas une « marque » européenne ?

Il serait prétentieux, de ma part, de vouloir m’essayer à la définir en quelques lignes. D’autres, plus savants ou plus profonds, l’ont fait et le feront. Mais je ressens en moi-même tous les sentiments qui m’ont donné envie de te faire cette déclaration.

Les abominations dont tu as été le théâtre au siècle dernier ont certes ébranlé nos certitudes et nourri une vaste entreprise de déconstruction de l’humanisme dont nous nous enorgueillissions et qui a failli.

Mais je te sens capable, Europe, de reconstruire un humanisme du XXIème siècle, lucide et exigeant.

Tu en as les moyens. Tu dois en avoir la volonté.

Alain Juppé

(http://www.al1jup.com/europe-mon-amour/)

La dictée verte de Cendrillon

J’aime m’amuser avec les subtilités de la langue française (lire : https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/01/17/au-courant/). C’est en lisant sur le mur Facebook d’un ami cette faute malheureusement très fréquente – la pantoufle de verre de Cendrillon – que j’ai eu l’idée de cette nouvelle dictée… écologiste, puisque le Vert et tous ses homonymes y sont à l’honneur !

La poupée de verre

Lors de ma mise au vert, n’ayant ni le physique d’un vert Adam ni l’aura d’un ver luisant, j’ai fait des vers pour séduire la poupée de verre qui représente Cendrillon derrière la façade toute en verre de l’Opéra Bastille. Des vers, de la poésie quoi, pas des vers de terre, ni des vers solitaires, ni des verres à double foyer…

J’adore Cendrillon et son soulier de vair. J’aime quand elle s’habille de vert, envers et contre toutes les traditions du théâtre. Le vert porte malheur sur une scène, paraît-il, mais on dit bien : « Un vert ça va, trois verts bonjour les dégâts! » Mais je m’égare, ça c’était une plaisanterie d’un ancien ministre à propos des écologistes…

Charles Perrault, le père de Cendrillon, n’était ni d’Auvers, ni d’Anvers, pas plus d’ailleurs que de Vers (dans le Lot ou en Bourgogne), de Vers-sur-Méouge, de Vers-en-Montagne ou de Vers-sur-Selles, j’ai vérifié, il n’a visité ni l’imposant château de Vayres en Dordogne

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ni celui qui m’était beaucoup plus familier, tout près de Poitiers, le château de… Vayres !

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Je me consolerai d’avoir perdu la trace de Cendrillon et de son géniteur en buvant un bon verre de graves-de-vayres. Nu comme un ver, comme il se doit (pour un vert Adam)…

Et je reverrai avec bonheur la chorégraphie de Noureiev et réécouterai l’enregistrement d’Ashkenazy de la célèbre Cendrillon de Prokofiev !

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Le ressuscité de New York

Comme certains opéras ou certains compositeurs ( lire https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/04/20/lopera-honteux/), certains chefs d’orchestre ont mauvaise presse, ou ne sont pas considérés par une partie de la critique comme de grands chefs.

C’est le sort de James Levine, patron incontesté et adulé du Met (le Metropolitan Operade New York) depuis 40 ans, qui n’a jamais été vraiment reconnu en Europe. Trop américain, pas assez « old fashion » ou « Mittel Europa » pour avoir ses lettres de noblesse dans le répertoire classique ou romantique !

Emblématique de cette forme de mépris, le peu de cas, voire le passage sous silence, de l’intégrale des Symphonies de Mozart que Levine avait réalisées avec le Philharmonique de Vienne (la seule et unique à ce jour de cette prestigieuse phalange qui sait son Mozart mieux que personne), intégrale qui a été rééditée dans le gros coffret consacré à cet orchestre par Deutsche Grammophon :

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Moi j’ai écouté cette intégrale, et je la trouve passionnante par l’élan, la jeunesse, le souffle qui animent la baguette de James Levine.

Et j’ai eu la même impression, et le même bonheur, en écoutant les intégrales des Symphonies de Brahms et de Schumann que DGG avait fait graver au jeune chef à Berlin et à Vienne. Des intégrales qui sont presque devenues des « collectons » tant elles sont parcimonieusement distribuées…

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On trouve plus facilement des enregistrements antérieurs de ces symphonies chez RCA, du coup plus clinquantes, plus « américaines » en somme. Ici la préférence va nettement à Levine l’Européen !

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Un gros coffret souvenir de son passage à la tête des Münchner Philharmoniker (où il avait succédé à Celibidache !) ne fait que confirmer mon jugement favorable surtout dans les oeuvres de grande ampleur (Schönberg, Mahler)

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Il se trouve que pendant mon voyage en Croatie, j’ai trouvé dans un magasin de disques de Split – oui il en existe encore dans ces pays-là ! – le double CD qui a marqué le triomphal retour de James Levine devant son cher orchestre du Met, il y a un an, pour son 70ème anniversaire, après une terrible série d’épreuves de santé, qui l’ont obligé à démissionner de son poste à Boston et à laisser la direction de l’opéra new yorkais à de plus jeunes collègues qui guignaient la place avec aussi peu de retenue que de talent (je pense à  Fabio Luisi)

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Il n’est que d’écouter ce « live » capté au printemps 2013 au Carnegie Hall – un programme très classique, une ouverture de Wagner, le 4e concerto de Beethoven avec un Kissin impérial, la 9e symphonie de Schubert – pour balayer toutes les réserves émises sur le compte de ce chef si attachant.

Evidemment, il faudrait ici dérouler l’incroyable épopée lyrique de James Levine, tous ses enregistrements d’opéras, tous les CD et DVD de ses spectacles du Met. Tout n’est sûrement pas sur les mêmes sommets, mais tout de même… qui d’autre que lui pourrait aligner pareille somme de réussites !

Des émissions de France-Musique, des articles dans Diapason, réhabilitent heureusement celui à qui on souhaite d’avoir surmonté durablement la maladie. Les géants comme lui ne courent pas les rues ni les podiums !

L’opéra honteux

En écho à mon billet d’hier, et puisque nous sommes le jour de Pâques, petit retour sur cet opéra que je suis allé entendre à l’opéra de Split (Croatie) : Cavalleria Rusticana de Mascagni  (http://fr.wikipedia.org/wiki/Cavalleria_rusticana).

J’ai été frappé de lire, sur Facebook, plusieurs commentaires d’amis, dont d’éminents spécialistes de la chose lyrique, avouant comme honteusement leur passion pour cet ouvrage, confessant l’émotion qui les étreint à l’écoute des airs de Santuzza ou Turridu. Mascagni, Leoncavallo, tous ces compositeurs « véristes« , ne seraient pas assez chic pour ceux qui tolèrent tout juste Puccini et ses drames domestiques…

Mais les goûts musicaux comme culinaires n’ont que faire de la bien-pensance.

C’est avec Karajan (tiens, comme pour la Veuve Joyeuse !) et la mythique version enregistrée à La Scala que j’ai découvert et aimé cette Cavalleria. Sur Youtube on trouve l’intégralité d’une version légèrement postérieure à voir pour les amateurs de kitsch… et de beau chant

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Je me rappelle, comme si c’était hier, le doublé magnifique réussi par José Cura sur la scène de l’Opéra royal de Wallonie à Liège (en novembre 2012) qui proposait un couplage, en tout cas fréquent au disque, de cette Cavalleria et du Pagliacci de Leoncavallo. Et José Cura, le soir de ses 50 ans, d’enchaîner les deux rôles de Turridu et de Canio… On n’est pas près d’oublier la performance d’acteur et de chanteur du ténor argentin !

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Il n’y a définitivement aucune honte à aimer tel opéra, tel genre de musique, surtout quand, en permanence, au restaurant, dans les lieux publics, on est agressé par une vague soupe sonore d’une vulgarité abyssale…

Sur les traces de Tintin

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Par bien des aspects, ce mini-périple dans les Balkans m’a donné l’impression de revivre un peu les aventures de Tintin dans le huitième album d’HergéLe Sceptre d’Ottokar. Singulièrement dans l’ancienne capitale royale du MonténégroCetinje, mais tout le long du parcours qui m’a mené de Dubrovnik à Podgorica, puis de Mostar à Split, traversant quatre pays de l’ex-Yougoslavie.

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J’ai même eu droit à une vraie Bianca Castafiore, non pas à l’opéra de Klow, mais dans le petit théâtre de Split. Une version concertante d’un ouvrage de circonstance en cette veille de Pâques, Cavalleria Rusticana de MascagniImageImage

On restera discret sur les qualités approximatives de l’orchestre, le public âgé et clairsemé, plus admiratif de la belle prestation du choeur, et carrément impressionné d’abord par la Santuzza pulpeuse et les moyens vocaux de Kristina Kolar et surtout par un ténor de 34 ans, au physique et à l’accoutrement dignes d’un candidat de The Voice, doté d’une voix absolument magnifique dans toute la tessiture du rôle redoutable entre tous de Turridu. Je ne sais pas si c’est le nouveau Jonas Kaufmann ou José Cura, mais ce Domagoj Dorotic a tout – puissance, justesse, éclat, rondeur – de l’étoffe des plus grands. Et j’ai aimé particulièrement qu’il ne tombe jamais dans les outrances et les sanglots que certains de ses illustres aînés s’autorisaient dans cet ouvrage emblématique du « vérisme ».

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 Une idée – toute récente – filmée dans des conditions précaires à Zagreb il y a moins d’un mois – de ce ténor dont le talent ne devrait pas rester confiné aux scènes croates si l’on veut m’en croire…

https://www.youtube.com/watch?v=S8BF9ZwLfsA