De bonne compagnie

Il me faut ajouter deux noms à ma liste de Disparus de mai : Tina Turner et Jean-Louis Murat. Mais on me pardonnera, j’espère, de n’en avoir rien à dire de mieux ou de plus que toutes les louanges qui ont été déversées par les médias et les réseaux sociaux.

En moins de 48 heures, je suis passé par toute une palette d’impressions, de sentiments, plutôt agréables, même s’ils ont été parfois troublés par les alarmes que le grand âge de ma mère (qui a fêté ses 96 ans il y a trois jours) peut engendrer.

Le bon Compagnon

Je l’avais aperçu en 2018 au festival Radio France, membre du quatuor de saxophones Zahir. Sandro Compagnon m’a invité hier à une soirée « privée », en réalité très courue, dans une galerie du centre de Paris, pour présenter son nouvel enregistrement. Prouvant avec brio que le répertoire du saxophone ne se limite pas au jazz, à quelques concertos du XXème siècle ou à quelques brillantes interventions dans Ravel, Bizet ou Berg. Je n’ai pas pu rester jusqu’à la fin, mais j’ai eu le bonheur d’entendre plusieurs pièces de l’autre héros de la soirée, le compositeur Bruno Mantovani (à gauche sur la photo).

Pourquoi le cacher ? j’ai été heureux de retrouver bien sûr Bruno Mantovani, à qui me lient tant de souvenirs – lui-même se montrait nostalgique d’une époque, sa jeunesse, Liège, où tout semblait permis. Il reste, on en a encore eu la preuve hier, l’un des compositeurs les plus originaux de notre temps. On comprend que Sandro Compagnon en ait bavé pour dire la force et la poésie de « Rondes de printemps ». Belle réussite ! Mais, en plus de Bruno Mantovani, on a aperçu, salué, Philippe Hersant, Eric Montalbetti, Marc Monnet, Marc Coppey, Michel Dalberto, Laurence Equilbey, Arnaud Merlin, j’en oublie sûrement… J’ai beau avoir quitté la « vie active » comme on dit, les amitiés, les aventures d’antan demeurent.

La reconstruction Pogorelich

La rumeur, des collègues, les réseaux sociaux m’avaient mis en garde. Un récital d’Ivo Pogorelich, la star du piano des années 80, c’était un risque, une probable déception. Comme je l’ai écrit pour Bachtrack – lire Le piano hypnotique d’Ivo Pogorelich -, je ne vais jamais à un concert chargé de préjugés. Je me mets toujours dans un état d’écoute et de disponibilité, et puis j’attends d’être entraîné, intrigué, séduit.. ou irrité par l’interprète.

Photo surprenante, prise cinq minutes avant le début du concert : Ivo Pogorelich fait les derniers réglages…

Pas vraiment orthodoxe le pianiste croate, mais tant mieux…

Il y avait déjà tout cela dans les enregistrements des jeunes années.

Dudamel s’en va

Gustavo Duhamel démissionne de son poste de directeur musical de l’Opéra de Paris, qu’il devait occuper jusqu’en 2027.

Je n’ai envie d’aucun commentaire. Et surtout pas des airs entendus – « c’était à prévoir », « on le savait d’avance » -.

J’ai juste une question, de bon sens et de principe : dès lors qu’un vaisseau amiral comme l’Opéra de Paris est très largement dépendant de la subvention publique, de l’argent de l’Etat, du nôtre donc, comment tolérer que le traitement, salaire, cachets du directeur musical soient classés « secret défense »‘. Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, la rémunération des chefs est publique, alors qu’elle dépend de subsides privés. En France, on est incapable de jouer la transparence, alors qu’il s’agit de deniers publics…Il faudra que j’y consacre bientôt un billet !

Hautes études

Mauvais souvenirs

Un mot d’abord pour rappeler la messe qui était dite en l’église Saint-Roch mardi dernier, pour commémorer le décès de Nicholas Angelich le 18 avril 2022. Je n’avais pas pu assister à ses obsèques, en raison d’une réunion – qui s’est avérée inutile ! – à Montpellier, je tenais à être présent à cette cérémonie où j’ai retrouvé quelques amis, mais malheureusement aucun des artistes qui clamaient, sur les réseaux sociaux, leur amitié indéfectible pour le pianiste disparu….Ainsi va la vie. Et Nicholas reste dans nos coeurs et dans nos mémoires.

Très mauvais souvenir encore que ce 24 avril 2020 et l’annulation forcée – et avec le recul prématurée, j’y reviendrai – du Festival Radio France (lire Le coeur lourd):

Hautes études

Ce lundi je n’ai pourtant pas envie de m’attarder sur ces mauvais souvenirs.

Sauf si le mot « études » évoque, pour les apprentis musiciens que nous fûmes, des exercices pénibles, souvent peu gratifiants, mais nécessaires.

Pourtant quand Chopin, Liszt, Debussy s’en mêlent, pour ne citer que les plus illustres, les Études deviennent des chefs-d’oeuvre.

Le numéro de mai du magazine Gramophone consacre un article passionnant aux deux cahiers d’Etudes de Chopin, signé Jed Distler. Passionnant et un peu surprenant dans le choix des versions proposées. Avec quelques oublis étonnants, et, pour moi, la découverte d’inconnues !

J’ignorais- honte à moi ! – jusqu’aux noms de la pianiste française Véronique Bonnecaze

de la pianiste Juana Zayas, née à La Havane le 25 décembre 1940, formée au Conservatoire de Paris, puis aux Etats-Unis où elle semble s’être établie, selon les très maigres informations que j’ai pu recueillir sur Internet.

Sa version des deux cahiers, enregistrée en 1983, est d’ailleurs le Top Choice de Gramophone !

Autre inconnue pour moi, la Japonaise Yuki Matsuzawa, dont Distler loue tout à la fois « technical mastery, tasteful nuance, impeccable timed phrasing » et recommande la version en téléchargement.

Sans dévoiler le contenu de l’article de Gramophone, on retrouve dans l’article de Jed Distler des noms attendus, d’Alfred Cortot à Jan Lisiecki, de Ruth Slenczynska à Maurizio Pollini, pour ne citer que des versions souvent signalées par la critique et qui ne convainquent pas toujours – euphémisme – l’auteur de l’article.

Heureux, à l’inverse, d’y lire des noms comme Dinorah Varsi (lire La révélation Dinorah)

ou de Georges Cziffra (qualifié de « The Acrobat »)

ou encore d’Abbey Simon (lire Le pianiste oublié) :

Et puis il y a plusieurs oublis dans la liste de Gramophone, comme le merveilleux Geza Anda, dont la version de l’opus 25 en récital à Locarno en 1965 reste la plus chère à mon coeur.

ou encore le tout jeune Boris Berezovsky

Jed Distler aurait pu (dû?) rappeler la récente réédition de l’un des tout premiers disques du si regretté Rafael Orozco (1946-1996) – lire Le Chopin de Rafael

Le mépris du public

Je crois n’avoir aucune preuve à donner de ce qui a constitué la colonne vertébrale non seulement de mes activités professionnelles mais aussi de tous mes engagements publics : le respect du public.

Or le simple fait, pour des grands médias, de ressasser que la musique classique est « élitiste », qu’elle doit être « dépoussiérée » est déjà le signe d’un profond mépris du public. Ce « grand public » ( mon article de septembre 2015 Le grand public n’a malheureusement rien perdu de sa pertinence) que ceux qui en parlent le plus sont incapables de définir, pour la bonne raison qu’ils ignorent ce qu’est, ce qu’attend ce public qui n’est pas composé d’imbéciles !

Quand on voit l’étalage médiatique que de grandes chaînes TV et radio de service public réservent à des « artistes », à des prestations, qui sont des insultes vivantes à des milliers de musiciens qui ont fait de longues et dures études, qui affrontent les incertitudes et les affres d’une vie professionnelle, sans même parler de carrière, toujours aléatoire.

Je ne connaissais pas, jusqu’à ce que France 2 nous abreuve d’une pub aussi ridicule qu’insistante, le dénommé Riopy,

Il paraît qu’il en est à son quatrième « album » chez Warner ! Faut-il insister ?

Son « confrère » Sofiane Pamart a bénéficié, lui, de toutes les attentions d’Arte Concert.

On se demande bien pourquoi Alexandre Kantorow s’est évertué à gagner le Grand Prix du concours Tchaikovski à Moscou, pourquoi Beatrice Rana s’est présentée au concours Van Cliburn, pourquoi Yuja Wang a travaillé avec autant d’acharnement au Curtis Institute, pour ne citer que les plus beaux exemples d’immenses talents de la jeune génération. Question look, cette dernière n’a rien à redouter de la comparaison avec M. Pamart, sauf qu’elle, elle sait jouer du piano !

et n’imite pas la pianiste sino-américaine qui veut. Cette trouvaille sur YouTube vaut le détour, mais Chopin n’est-il pas un peu has been sous des doigts aussi glamour ? Admirez la posture !

Je fais, pour ma part, le pari du public,

Cela me rappelle, toutes proportions gardées, ces « crooners » qu’on a essayé de nous vendre comme les nouveaux Sinatra ou Dean Martin, qui à force de pubs ont sans doute vendu beaucoup de disques, dont la « carrière » a duré ce que vivent les roses, dont les noms sont aujourd’hui complètement oubliés. L’absence de talent finit toujours par se remarquer.

En attendant, j’ai replongé dans ma discothèque, à l’écoute de magnifiques artistes, que j’avais un peu négligés ces derniers temps. C’est mon choix de la semaine !

J’avais eu le privilège d’entendre Elisabeth Leonskaja jouer ce 3ème concerto de Beethoven à Toulouse en janvier 2018…

J’ai réécouté le contenu de deux coffrets Chopin jadis publiés par Teldec, qui n’était pas encore Warner.

Comme les valses de Chopin sous les doigts si poétiques de Maria Joao Pires

les deux cahiers d’Etudes de Chopin où éclate le génie d’un jeune pianiste, aujourd’hui malheureusement fourvoyé dans les pires errements.

ou encore les sonates 2 et 3 avec le merveilleux György Sebök, à qui Warner serait bien inspiré de consacrer un coffret réhabilitateur.

PS On conseille vivement à ceux qui l’auraient manquée l’émission « Portraits de famille » de Philippe Cassard du 1er avril dernier sur France Musique

Inconnus à connaître

Un bel inconnu qui a vieilli

S’il y a bien un lieu à Paris où l’on n’est jamais déçu, un gracieux écrin dans le quartier de l’Opéra, c’est bien le théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet. Jusqu’à ce dimanche 16 avril, on y donne la comédie musicale Ô mon bel inconnu de Sacha Guitry pour le livret et Reynaldo Hahn pour la musique, une production du Palazzetto Bru Zane qui avait déjà publié le disque il y a deux ans.

Je suis d’ordinaire très bon public pour ces « vieilleries » d’un répertoire si longtemps oublié ou négligé. Nombre de mes articles ici en témoignent (lire par exemple Le mois de l’opérette). Mercredi soir j’ai été plutôt déçu non pas par la mise en scène (bravo Emeline Bayart !) ou les interprètes, mais par la faiblesse du texte comme de la musique, comme je l’ai écrit dans Bachtrack : Le bel inconnu a pris un coup de vieux

Quand Luisada fait son cinéma

Comme tous ceux qui connaissent un peu le pianiste français, je savais de longue date la passion de Jean-Marc Luisada pour le cinéma, sa connaissance encyclopédique du 7ème art. On n’est donc pas surpris qu’enfin il ose en faire l’aveu par un disque magnifique (enregistré, de surcroît, dans un lieu qui m’est cher, la Salle philharmonique de Liège !).

J’imagine, même s’il ne m’en a rien dit, la difficulté pour Jean-Marc Luisada, de choisir ce programme, qui ressemble à tout sauf à un « best of ». Dans le beau livret qui nourrit ce disque, le pianiste cinéphile donne quelques clés. On appréciera le clin d’oeil de l’interprète au label qui le publie (Dolce Volta) puisqu’il ouvre son programme avec le thème de La dolce Vita !

Un bon conseil : précipitez-vous sur cet album, et si vous êtes à Paris mercredi prochain, allez écouter Luisada à la Salle Gaveau.

Méconnues mélodies

Ce n’est pas la première fois que je parle ici des bonnes affaires que propose le site allemand jpc.de (cf. mon dernier billet Inspirations).

Ne pas se fier à la photo de couverture de ce double album, mais constater la qualité de cette compilation : pour moi quelques découvertes (Bloch, Wellesz) et non des moindres.

Magnifique Sophie Koch dans les Poèmes d’automne d’Ernest Bloch :

Somptueux cycle des Symphonische Gesänge de Zemlinsky :

Qui aime bien châtie bien

Trois raisons ce matin d’illustrer le proverbe médiéval Qui bene amat, bene castigat. À propos de trois pianistes.

Fazil Say l’intranquille

Ici même j’écrivais ce billet : Mes préférés : Fazil Say quelques semaines avant d’entendre, en juillet 2017, le récital du pianiste turc à Montpellier. Je lui avais demandé un programme tout Mozart, ce qui l’avait d’abord surpris (parce qu’on ne remplit pas une salle avec des sonates de Mozart ?), pour changer aussi les habitudes d’un public – celui du Festival Radio France – acquis d’avance depuis les débuts du pianiste vingt ans plus tôt.

J’assistais mercredi dernier à son récital au théâtre des Champs-Elysées. J’en ai fait le compte-rendu dans et pour Bachtrack : Au Théâtre des Champs-Elysées, Fazil Say l’intranquille.

La déception que j’ai éprouvée est à la mesure de l’admiration que je porte à l’artiste.

Remarque à l’attention des responsables du Théâtre des Champs-Elysées (mais cela vaut pour quasiment toutes les salles de concert que je fréquente !) : les minutages indiqués sont toujours faux pour le public. Si l’on en croit le panneau électronique dans le hall du théâtre mercredi dernier, la première partie se terminait au bout de 35 minutes. Or ces 35 minutes ne sont que l’addition – approximative d’ailleurs – des durées des trois oeuvres, et ne tiennent évidemment pas compte de ce qui se passe sur scène, des allers-retours du pianiste, des applaudissements, etc… Mieux encore, le minutage de la seconde partie fait l’impasse sur les bis. Résultat, un récital qui devait s’achever selon cette annonce à 21h35, s’est achevé à 21h55 !

J’avais coutume de demander, à Liège ou à Montpellier, où le public voulait surtout savoir vers quelle heure s’achèverait le concert, qu’on rajoute 20 minutes au minutage strict du programme. Et ça tombait toujours juste !

Les petits marteaux de Gavrilov

Je me réjouissais de retrouver la totalité des enregistrements réalisés par le pianiste suisse d’origine russe Andrei Gavrilov, mon quasi contemporain, pour Deutsche Grammophon, republiés dans la collection Eloquence (petit conseil en passant : le site anglais Prestomusic propose le coffret de 10 CD à 25 € de moins que la FNAC !)

CD 1

JOHANN SEBASTIAN BACH (1685–1750)
Goldberg Variations, BWV 988                                                                                                                                         

CDs 2–3
JOHANN SEBASTIAN BACH (1685–1750)
French Suites Nos. 1–6                                                                                                                                                        

CD 4
FRANZ SCHUBERT (1797–1828)
Impromptus, D.899 & 935                                                                                                                                                  

CD 5
FRÉDÉRIC CHOPIN (1810–1849)
Piano Sonata No. 2 in B flat minor, Op. 35
Four Ballades 

CD 6
EDVARD GRIEG (1843–1907)
Lyric Pieces (selection)

CD 7
SERGEI PROKOFIEV (1891–1953)
Piano Sonata No. 3 in A minor, Op. 28
Piano Sonata No. 7 in B flat major, Op. 83
Piano Sonata No. 8 in B flat major, Op. 84

CD 8
SERGEI PROKOFIEV (1891–1953)
Ten Pieces for Piano from Romeo and Juliet, Op. 75                                                                                              
Suggestion diabolique, Op. 4 No. 4                                                                                                                                
Prelude in C major, Op. 12 No. 7                                                                                                                                     

MAURICE RAVEL (1875–1937)
Gaspard de la nuit                                                                                                                                                                           
Pavane pour une infante défunte                                                                                                                                   

CD 9
BENJAMIN BRITTEN (1913–1976)
Friday Afternoons, Op. 7
Sailing, Op. 5 No. 2 (Holiday Diary)
The Ballad of Little Musgrave and Lady Barnard                                                                                                      
Night, Op. 5 No. 4 (Holiday Diary)
The Golden Vanity, Op. 78                                                                                                                                                 
Gernot Fuhrmann, Mark Bittermann, Michael Matzner, trebles
Thomas Weinhappel, Wolfgang Wieringer, boy altos
Wiener Sängerknaben · Jaume Miranda, chorus master
Chorus Viennensis · Peter Marschik, chorus master

CD 10
IGOR STRAVINSKY 
(1882–1971)
Scherzo à la Russe                                                                                                                                                                 
Concerto for Two Pianos                                                                                                                                                     
Sonata for Two Pianos
Le Sacre du printemps
Vladimir Ashkenazy, piano (II)

La quasi totalité de ces gravures date du tournant des années 90, à une époque où le jeune virtuose flamboyait, impressionnait par sa technique d’acier.

C’est peu dire qu’on est surpris par des Bach qui semblent singer Glenn Gould, des petits marteaux sans âme. Mais le même phénomène se retrouve dans une oeuvre où, a priori, le pianiste moscovite devrait être plus à son aise, le Roméo et Juliette de Prokofiev. C’est mieux, beaucoup mieux même, dans Chopin, Grieg, les sonates de Prokofiev, le duo avec Ashkenazy dans Stravinsky et cette étrangeté Britten.

J’ai retrouvé sur YouTube un récital donné par Gavrilov à la même époque, dans une rue d’Amsterdam (!) : Chopin et Prokofiev au programme :

J’avais évoqué ici l’étrange bouquin – autobiographie ? mémoires ? – publié à compte d’auteur (Tchaikovski, Fira et moi, Scènes de la vie d’un artiste) où Gavrilov raconte sa jeunesse moscovite et l’amitié particulière qui le lia à Sviastolav Richter.

Je n’ai personnellement jamais entendu Gavrilov en concert, je pensais même qu’il avait renoncé à jouer en public. Et puis j’ai trouvé ce récital récent, il y a deux ans au Japon. Le jeune chien fou des débuts est devenu poète, malgré des moyens affaiblis mais encore impressionnants.

Le piano d’un dandy

Piano Classics ressort en 4 CD l’intégrale de l’oeuvre pour piano de Reynaldo Hahn (1874-1947) gravée il y a une dizaine d’années par un jeune pianiste italien, 35 ans, Alessandro Deljavan, demi-finaliste du concours Van Cliburn en 2013.

Je n’ai pas le souvenir d’avoir jamais vu son nom à l’affiche des salles de concert françaises.. malgré nombre de critiques favorables à propos de ses disques, notamment des Chopin très intéressants.

J’ai chroniqué pour un site de vente en ligne cette réédition Reynaldo Hahn, une somme de petites pièces d’un goût toujours sûr, même si elles ne sont pas essentielles. Lire ici

Enchanteurs

Reçu avant-hier deux coffrets commandés en Grande-Bretagne (parce que nettement moins chers qu’en France). C’est peu dire que j’attendais l’un d’eux avec impatience

Dmitri Hvorostovsky (1962-2017)

Il aurait dû fêter son soixantième anniversaire dans quelques jours. Le cancer l’a emporté il y a cinq ans en pleine gloire. Lire Le combat perdu de Dmitri H.

La collection Eloquence réédite tous les enregistrements réalisés par l’immense baryton russe Dmitri Hvorostovsky pour Philips dans ses jeunes années. Rien d’inédit, mais plusieurs de ces disques étaient devenus rares. 11 CD (voir détails ici)

Je ne vais pas répéter ici l’admiration sans borne que je portais à cette voix d’or et de bronze.

Comment ne pas être bouleversé par cette « dernière fois » sur la scène de l’opéra de Vienne, dans l’un de ses plus rôles, quelques mois avant sa mort. La canne sur laquelle il s’appuyait n’était pas dans la mise en scène… le chanteur au physique de colosse était atteint d’une tumeur au cerveau qui lui causait des vertiges et qui l’avait contraint à plusieurs interruptions (Dmitri Hvorostovsky, sans exhibitionnisme, tenait sur les réseaux sociaux une sorte de journal de bord les dernières années de sa vie)

Ecouter aussi Hvorostovsky dans le répertoire mélodique et lyrique russe, et même dans des chansons populaires ou sacrées, pour ne pas oublier que la Russie, les Russes, c’est une culture, une langue, une civilisation immémoriales qu’un sinistre dictateur est en train de détruire en prétendant le contraire (Poutine signe l’annexion de quatre régions d’Ukraine)

Bella Davidovitch, la pianiste soviétique devenue américaine

Elle n’est pas morte, même si elle a l’âge respectable de 94 ans. Née à Bakou en 1928, Bella Davidovitch épouse en 1950 le grand violoniste Julian Sitkovetsky qui meurt d’un cancer en 1958. Entre temps est né Dmitri, qui va suivre les traces de son père, en devenant l’un des plus brillants violonistes de notre temps. Le fils émigre aux Etats-Unis en 1977, la maman pianiste le suit en 1978, et devient citoyenne des Etats-Unis en 1984.

Etrangement, Bella Davidovitch n’a pas fait en Europe la carrière que d’autres de ses collègues y ont faite (on pense à Elisabeth Leonskaia par exemple). Ses disques n’ont pas connu un rayonnement important.

Le coffret qu’Eloquence publie aujourd’hui rattrape, de ce point de vue, une injustice, même si, à la réécoute, certains enregistrements que je connaissais, comme le 2ème concerto de Saint-Saëns, enregistré à Amsterdam sous la baguette de Neeme Järvi, se révèlent bien décevants. S’il fallait une démonstration que la perfection d’un jeu pianistique n’est pas toujours synonyme de perfection stylistique, qu’on écoute le presto de ce concerto. Toutes les notes, mais rien de l’esprit léger, aérien qu’y met Saint-Saëns.

On est beaucoup plus gâtés du côté de Chopin, où l’absolue maîtrise technique sert une fantaisie, une poésie, un art du chant remarquables (contenu du coffret ici)

En rédigeant cet article, je découvre ce « live » du second concerto de Chopin donné en 1990 aux Nations Unies à New York, l’orchestre philharmonique tchèque étant dirigé par Jiri Belohlavek. Malgré la précarité de l’image et de la restitution sonore, on voit et on entend une grande musicienne.

Le beau chant

Enfin je voudrais signaler cette nouveauté chez DGG, un chanteur qui n’est pas encore très connu, le ténor chilien Jonathan Tetelman, 34 ans.

Il y a trois ans, j’avais vu et entendu, à Montpellier, une Madame Butterfly qui m’avait beaucoup séduit. De celui qui incarnait Pinkerton, j’avais écrit : Le Pinkerton du jeune ténor chilien Jonathan Tetelman a toutes les séductions, la voix n’est pas très puissante, mais le timbre est solaire et la prestance admirable.

Ce disque le confirme.

Le piano qu’on aime

Crise du disque ? crise du classique ? pas pour le piano semble-t-il.

Quelques pépites repérées dans les dernières sorties, des pianistes, des amis que j’admire depuis longtemps.

Benjamin et Chopin

Faut-il que je redise ici tout le bien que j’entends, pense et écris de Benjamin Grosvenor ? Le pianiste anglais, qui fête ses 30 ans le 8 juillet, revient à Montpellier les 28 et 29 juillet, dans le cadre du #FestivalRF22, jouer les 3ème et 4ème concertos de Beethoven (il est recommandé de réserver au plus vite : lefestival.eu) avec ses complices du Scottish Chamber Orchestra.

J’ai profité du week-end dernier pour écouter un disque remarqué évidemment dès sa sortie il y a un an, dont je remettais l’écoute à des moments plus favorables. Et, comme toujours, avec ce diable d’artiste, le choc. Ces deux concertos de Chopin qu’on croit connaître par coeur, sous les doigts de Rubinstein, Clara Haskil (pour le second), Martha Argerich, et tant d’autres illustres, je les ai redécouverts avec Benjamin Grosvenor.

Foin d’un romantisme de jeune fille phtisique, du piano puissant, charnel, éloquent, virtuose mais une liberté souveraine dans le choix des tempi, des phrasés, un nuancier sans limite, une jeunesse enivrante.

Et puis la découverte, pour moi, d’une jeune cheffe d’orchestre chinoise, Elim Chan, qui ne se contente pas du service minimum, loin de là, pour accompagner son génial soliste.

Cédric et Ravel

Gramophone en a fait son « disque du mois » de juin. Alain Lompech ne tarit pas d’éloges sur les réseaux sociaux. C’est le dernier disque de Cédric Tiberghien et de François-Xavier Roth (je n’oublie pas la présence de Stéphane Degout, j’y reviendrai plus loin) :

« Ecouté, réécouté avec une attention soutenue, chaque fois plus soutenue devrais-je dire, ce disque est une merveille à laquelle je ne fais qu’un reproche : le choix d’un grand patron Pleyel de 1892 en lieu et place du Erard qui s’imposait ici : c’était l’instrument de Ravel, celui dont son imaginaire sonore s’est nourri, et le grand Erard cordes parallèles 90 notes en cadre serrurerie ou le rarissime cordes parallèles avec cadre en fonte s’imposaient ici d’un point de vue historique et musical.
Ceci dit, le Pleyel joué par Cédric Tiberghien est une merveille et joué par lui une splendeur dont bénéficient les mélodies qu’il accompagne de façon magistrale, et je pèse mes mots, à Stéphane Degout qui chante d’une façon directe, sans apprêt, d’une façon qui vise juste en chaque mot, chaque accent…
Les deux concertos se hissent tout en haut de mon panthéon en raison de la façon si précise, si fulgurante parfois dont Thibergien les joue, en raison aussi de la sensibilité sans la moindre sollicitation dont il fait preuve: le deuxième mouvement du concerto en sol est à couper le souffle tant il sait le tenir en apesanteur, comme sa joie conquérante dans le finale et son allant si swinguant dans le premier mouvement. Le même pianiste réussit le Concerto de la main gauche au-delà de toute espérance, car il n’est pas si fréquent que le même pianiste réussisse les deux de façon également convaincante. Tiberghien joue dents serrées, taille dans le vif du clavier et chante sa cadence finale admirablement sur un piano qui tient le choc et rend les textures plus transparentes… François Xavier Roth et les Siècles sont vraiment exemplaires : la saveur des couleurs des instruments d’hier et le caractère précis, analytique et inspiré de la direction apportent vraiment beaucoup à ces deux oeuvres…
(Alain Lompech sur Facebook, 27 juin 2022).

L’une des merveilles de ce disque est la présence de plusieurs mélodies de Ravel, où l’on retrouve Stéphane Degout et Cédric Tiberghien.

J’en profite pour rappeler que Stéphane Degout est l’un des invités de choix du prochain Festival Radio France (lefestival.eu), d’abord parce qu’il donne le 25 juillet le cycle La Belle Maguelone de Brahms, quasiment sur les lieux mêmes de la légende (lire La légende de la belle Maguelone) mais aussi parce qu’il anime une Masterclass les 26,27 et 28 juillet.

Eric et Mozart

L’ami et compagnon de tant d’aventures Eric Le Sage se lance au disque dans Mozart.

Une surprise ? Pas pour ceux qui suivent le pianiste français depuis longtemps (souvenir personnel d’un concerto de Mozart avec Armin Jordan à Liège !) Celui qui a été unanimement reconnu, et souvent récompensé, pour ses Schumann, Poulenc en solo, ses Fauré et Brahms en musique de chambre, trouve pour ces deux concertos un partenaire de choix en la personne de François Leleux et de son orchestre suédois.

Je n’ai pas encore pu entendre tout le disque – le mouvement lent du 24ème sur Idagio – et ce matin une partie du 17ème concerto sur France Musique (à réécouter ici). J’aime l’allégresse, le mouvement allant, voire très allant, qu’adoptent Eric Le Sage et François Leleux. Et la grande et belle allure de ce Mozart franco-suédois.

Quatorze ans après

J’évoquais dans mon dernier billet – Des hommes bien – la belle figure du musicien Bruce Richards, cor solo de l’Orchestre philharmonique royal de Liège, décédé le week-end dernier.

J’ai emprunté à Emilie Belaud, aujourd’hui à l’Opéra de Paris, alors violon solo de l’OPRL, cette photo prise à Rio de Janeiro (le pain de sucre !) en août 2008, où l’on voit à gauche Bruce Richards (et à droite son collègue trompettiste Philippe Ranallo)

La fête à Sao Paulo

Ce soir, l’OPRL donne le premier concert de sa tournée en Amérique du Sud, à Sao Paulo.

Les photos des musiciens, à l’aéroport et à l’hôtel (le même qu’en 2008!) ne font que raviver les souvenirs de la précédente tournée sud-américaine que j’avais eu la charge et la chance d’organiser.

Fort heureusement, les circonstances dramatiques qui avaient marqué l’arrivée de l’orchestre il y a quatorze ans ne se sont pas reproduites. Récit et photos à voir ici : Un début en catastrophe.

Les Liégeois seront en bonne compagnie, ils ont choisi le magnifique Nikolai Lugansky qui jouera le premier concerto de Chopin.

Et comme il se doit, le programme des concerts de l’OPRL s’ouvre avec un chef-d’oeuvre, l’Adagio pour quatuor d’orchestre du compositeur belge Guillaume Lekeu, emporté par la fièvre typhoïde à 24 ans..

La grande porte de Kiev (IX) : du piano d’Ukraine

Plus d’un mois après ma dernière chronique – La grande porte de Kiev – consacrée à Sviatoslav Richter, en ce 9 mai qui devrait fêter l’Europe unie, libre et pacifique, à l’heure où j’écris ces lignes, des chaînes d’info en continu s’apprêtent à satisfaire la curiosité morbide et malsaine de certains en diffusant le défilé militaire de Moscou. L’Ukraine résiste toujours à l’invasion décrétée le 24 février par Poutine, les héros ne seront pas sur la Place rouge ce matin.

L’Ukraine à Bruxelles

Au hasard de mes souvenirs et de mes écoutes, deux pianistes originaires d’Ukraine me reviennent, qui sont liés à la Belgique et à son Concours Reine Elisabeth.

Vitaly Samoshko est ce grand garçon au sourire rayonnant qui a gagné le Premier prix du concours en 1999 et dont j’ai fait la connaissance quelques semaines après ma nomination à la direction générale de l’Orchestre philharmonique de Liège. Il est né en 1973 dans cette ville tristement placée dans l’actualité de ces dernières semaines, Kharkiv, la deuxième ville d’Ukraine. Il a été de plusieurs de mes aventures liégeoises (par exemple un triple concerto de Beethoven, le 14 septembre 2002, au festival de Besançon, sous la direction de Louis. Langrée)

Sergei Edelmann est, lui, né en 1960 à Lviv. Il a figuré au palmarès du concours Reine Elisabeth en 1983 (6ème prix) et a, dans la foulée, enregistré une série de disques pour RCA à New York, un coffret jadis acheté à Tokyo !

J’avoue ne pas avoir suivi les carrières de l’un et de l’autre, que je ne vois plus guère sur les affiches des concerts ou des festivals que je suis.

L’Ukraine à La Roque

Vadym Kholodenko est né à Kiev en 1986. Il remporte en 2013 le Grand Prix du concours Van Cliburn de Fort Worth (Texas) aux Etats-Unis. Trois ans plus tard il figure à la rubrique « faits divers » de la presse à sensation, victime d’un épouvantable drame familial.

À la différence de ses deux aînés, cités plus haut, Kholodenko poursuit une carrière active. C’est notamment un fidèle du festival de piano de La Roque d’Anthéron, où il jouera de nouveau cet été, le 24 juillet, à l’invitation de mon ami René Martin.

Marie-Aude Roux écrivait dans Le Monde du 26 juillet 2021 : Le jeu de Kholodenko est fluide et clair, profond, un toucher qui multiplie couleurs et dynamiques, de la percussion à cette ligne de legato perlé que couronne la délicatesse d’un trille. Si la ferveur et la tension de l’orchestre sont permanentes, l’absence d’efforts du pianiste est olympienne. L’Ukrainien, qui a donné son premier concert à 13 ans aux Etats-Unis, où il a remporté le prestigieux Concours international de piano Van Cliburn, en 2013, au Texas, fait sans conteste partie du superbe vivier de l’école russe, dont il a suivi l’enseignement au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou dans la classe de la réputée Vera Gornostaeva.

La grande porte de Kiev (VII) : nés à Odessa

A la fin de ma première chronique consacrée à la grande ville portuaire de la Mer Noire, Odessa, et aux musiciens qui y sont nés (La grande porte de Kiev : nés à Odessa), c’était le 14 mars dernier, j’écrivais :

D’autres pianistes nés à Odessa mériteraient d’être cités. Ce sera pour un prochain billet. Avec l’espoir que, d’ici là, la fière cité fondée par Catherine II ne soit pas, en tout ou partie, détruite par les bombes de Poutine.

A l’heure où j’écris ce nouveau billet, Odessa comme les grandes villes ukrainiennes résistent et bloquent l’envahisseur russe, même si elles vivent toujours sous la menace de bombardements et d’attaques surprises. Gardons l’espoir !

Les autres pianistes

Après Cherkassky, Barere, Feinberg, Maisenberg, Maria Grinberg, retour sur deux grandes figures du piano, l’une et l’autre nées à Odessa : Benno Moisievitch et Ania Dorfmann.

Ania Dorfmann (1899-1874)

Ania Dorfmann naît à Odessa en 1899, y fait ses premières études, et joue en public dès l’âge de 11 ans. Elle accompagne même le tout jeune Nathan Milstein, son cadet de trois ans, elle étudie avec Isidor Philipp au Conservatoire de Paris en 1916-1917, revient quelque temps au pays au plus fort de la Révolution bolchevique et quitte définitivement la Russie en 1920. Sa vie et sa carrière passeront ensuite par la Belgique, l’Angleterre et les Etats-Unis, où elle s’installe en 1938. La rencontre avec Toscanini est décisive: avec le chef italien exilé, elle joue, entre autres, les concertos de Beethoven, et enregistre le Premier.

Sony a réédité un coffret indispensable pour apprécier l’art si caractéristique de cette pianiste devenue américaine sans jamais avoir oublié ses racines.

En 1956, Ania Dorfmann rejoint le corps professoral du grand conservatoire de New York, la prestigieuse Juilliard School, où elle formera nombre de pianistes jusqu’à sa retraite en 1983.

Benno Moiseivitch (ou à l’allemande Benno Moiseiwitsch) : 1890-1963

Sans rien savoir de lui, j’avais acheté dans une éphémère collection très bon marché, qui portait bien son nom « Royal Classics » compte-tenu du nombre de pépites qu’elle contenait, un disque que j’ai immédiatement et profondément aimé comme un secret

Ce pianiste, capable de chanter éperdument sans aucune brutalité, sans démonstration de muscles, et pourtant d’une technique pianistique imparable, une source de jouvence à laquelle je ne cesserais plus de revenir, quand je voudrais retrouver le vrai Rachmaninov.

Le jeune Benno gagne, à neuf ans, à Odessa, le prix Anton Rubinstein. Il part étudier à Vienne auprès du légendaire Theodor Lechetitsky (1830-1915). Il joue une première fois à Londres en 1909 (Moiseivitch deviendra citoyen britannique en 1937), en 1919 il rencontre Rachmaninov aux Etats-Unis. Profonde admiration réciproque. Le pianiste compositeur désigne Moiseivitch comme son « héritier spirituel ».

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Moiseivitch donne de nombreux concerts et récitals pour soutenir les forces alliées. Témoin ce document très émouvant :

On aimerait une belle réédition du legs discographique de cet immense musicien, qui complète le double CD paru jadis dans la fabuleuse collection réalisée par Tom Deacon des Grands Pianistes du XXème siècle :