Disques d’été (IV) : un grand d’Espagne

On reste toute sa vie fidèle aux interprètes qui ont accompagné vos premiers pas dans la découverte de la musique classique. Une autre fois je parlerai de ce 25 cm jaune (le bandeau de Deutsche Grammophon) et pourpre (une tenture, un grand piano, un chandelier et un couple très romantique) qui m’a fait aimer Chopin et Stefan Askenase.

C’est à un autre pianiste que je pense aujourd’hui avec gratitude et nostalgie. En 1973, la critique (Diapason déjà !) avait salué unanimement une intégrale des concertos pour piano de Rachmaninov, publiée par Philips. Confiée à deux tout jeunes artistes, le pianiste Rafael Orozco – 27 ans à l’époque – et le chef Edo de Waart (32 ans).

D’abord un mot de cette publication : elles n’étaient pas si nombreuses alors les intégrales concertantes de Rachmaninov. La légendaire version Wild/Horenstein n’était connue que des spécialistes, Ashkenazy et Previn étaient en train d’achever la leur. Pour le reste morne plaine. Cette nouvelle publication fit d’autant plus figure d’événement qu’elle donnait à redécouvrir un compositeur méprisé par toute la bien-pensance musicale européenne, que les flonflons « hollywoodiens » du trop célèbre 2e concerto révulsaient.

Incroyable d’ailleurs que personne ni à l’époque, ni depuis, n’ait fait remarquer non seulement que la musique de Rachmaninov ne pouvait être assimilée à celle que l’industrie triomphante du cinéma produisait en quantités… hollywoodiennes, mais que ce fameux 2e concerto avait été écrit en Russie et datait de.. 1901, soit quelques années quand même avant le jazz, Gershwin et l’essor de Hollywood. Pour certaines tournures mélodiques, pour l’emploi de la tierce mineure, et la structure même du concerto, Rachmaninov est un précurseur, pas un épigone !

Le succès de ce coffret Philips aura une conséquence inattendue : c’est un extrait du premier mouvement du 1er concerto qui sera choisi, en 1975, comme indicatif de l’émission littéraire de Bernard Pivot Apostrophes (même si la version retenue par la télévision est celle de Byron Janis et Kirill Kondrachine) : http://www.ina.fr/video/I00018025

Après ce long détour en forme de réhabilitation – oui on aime Rachmaninov ! – retour à ce coffret aussitôt acheté, aussitôt écouté, mais adopté lentement, difficilement même.

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J’ai tout de suite aimé le son, la virtuosité, le panache du pianiste et j’allais demeurer fidèle à ce grand et fier piano, à cet incomparable mélange de virilité (pardon pour le cliché !) et de sensibilité qui est la marque de Rafael Orozco. Souvenir intact et ému d’une intégrale d’Iberia d’Albeniz au Théâtre des Champs-Elysées quelques mois avant sa mort (en 1996).

Mais les concertos de Rachmaninov, quand on n’avait dans l’oreille que le 2eme concerto – et encore à l’époque, dans cette jolie ville de Poitiers, où l’on n’avait pas encore créé les Rencontres Musicales qui allaient nous amener, enfin, les grands artistes classiques du moment, Cziffra, Menuhin, Weissenberg, Ferras, jamais entendu en concert – c’était plutôt ardu : je ne comprenais rien au 3e concerto, sauf qu’il exigeait une technique exceptionnelle, le 4e concerto me séduisait plus sans doute par ses audaces, ses libertés. Quant au 1er concerto, comment ne pas souscrire à son romantisme débridé, très ancré dans la mère patrie. En revanche, coup de foudre immédiat pour la Rhapsodie sur un thème de Paganini.

Edo de Waart ne reniera jamais ses amours de jeunesse pour Rachmaninov, puisqu’il en enregistrera à deux reprises le corpus symphonique.

Quant à Rafael Orozco, il n’aura jamais la carrière discographique que son talent et sa personnalité hors normes auraient dû lui ouvrir. On en est réduit à rechercher ici et là, sur les sites de téléchargement, des Mozart, des Chopin enregistrés pour la branche espagnole d’EMI, Albeniz et Falla gravés pour Valois/Auvidis (qui les ressort au compte-gouttes). Un conseil : dès que vous trouvez un enregistrement d’Orozco, achetez-le, écoutez et réécoutez-le. Comme ce sublime Rêve d’amour (n°3) de Liszt

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Qui nous restituera un jour le legs discographique de ce grand d’Espagne, trop tôt disparu ?

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