Producteurs

Je suis allé voir hier un spectacle très réjouissant : Les Producteurs au Théâtre de Paris (l’un des plus beaux théâtres privés de Paris).

L’accueil dans la salle laisse déjà augurer de la belle qualité des deux heures qui vont suivre.

Je me suis dit que c’était l’occasion ou jamais d’expliquer, expliciter cette notion de « Producteur » dans le champ de la culture et de la communication.

Radio-actifs

Commençons par la radio et les chaînes publiques (France Musique, France Culture par exemple), où le producteur/la productrice occupe une position éminente, mais dont le titre, la dénomination n’ont rien à voir avec la définition communément admise du producteur (dont on verra les variantes ci-après.

En l’occurrence le producteur de radio n’investit aucun argent personnel, n’encourt aucun risque… et ne perçoit a fortiori aucun retour sur investissement. Tout au plus anime-t-il une toute petite équipe qui prépare les émissions dont il est chargé. Et il est soumis à une hiérarchie, la direction du service, de la chaîne ou de l’entreprise qui l’emploie. Disant cela, je me remémore, avec un petit sourire, les réactions de certains producteurs de France Musique, lorsque j’arrivai à la direction des programmes de la chaîne en 1993 (Lire L’aventure France Musique). Nombre d’entre eux se considéraient comme propriétaires de leur case, et seuls maîtres du contenu de leurs émissions, et n’entendaient pas qu’un autre, fût-il le patron de la chaîne, s’en mêle. Ce n’est plus le cas depuis longtemps, en tout cas sur France Musique. Mais le titre est resté, plus noble sans doute qu' »animateur » ou « présentateur »…

Boîtes de prod

En télévision, en dehors des journaux télévisés, toutes les émissions, dans le public et a fortiori plus encore dans le privé, dépendent de producteurs, de « boîtes de prod » privées. Toutes les figures du petit écran ont leurs boîtes de prod, qui emploient parfois des dizaines de collaborateurs. Ces boîtes vendent donc des prestations all inclusive, animateurs compris, aux télévisions. Il suffit de regarder le générique des émissions pour voir apparaître la mention de ces « producteurs ». On peut trouver cela étrange s’agissant par exemple des chaînes publiques, mais le calcul est vite fait : entre toutes les obligations d’un employeur pour chaque catégorie de personnel, et un « package » tout compris même plus cher, on sait vers où penche la préférence.

On.a oublié les affaires du passé qui ont, pour certaines, coûté leur poste à des dirigeants de l’audiovisuel public : Jean-Pierre Elkabbach blanchi

« il n’y a  PAS lieu à poursuivre » : ainsi a conclu le ministère public de la cour de discipline budgétaire et financière de la Cour des comptes, à propos de l’affaire des animateurs-producteurs de France 2 dans laquelle Jean-Pierre Elkabbach, alors président de France Télévision, avait été mis en cause. Président des chaînes publiques entre 1993 et 1996, Jean-Pierre Elkabbach avait été contraint de démissionner à la suite de la campagne menée contre les contrats passés en 1994 et 1995 entre France 2 et les animateurs-producteurs (Arthur, Jean-Luc Delarue, Nagui, Mireille Dumas ou Jacques Martin). Révélés par un rapport du député (UDF) Alain Griotteray, qui avait estimé que « la redevance payée par les usagers de la télévision a assuré à quelques vedettes des rémunérations individuelles parmi les plus élevées de France », ces contrats avaient aussi été critiqués par la Cour des comptes.

Dans son rapport de 1997, celle-ci avait estimé qu’il y avait des irrégularités dans ces contrats, notamment en matière d’avances de trésorerie. Alors que celle de France 2 était déficitaire, la trésorerie de la société de Jacques Martin s’élevait en 1995 à 62,3 millions de francs, celle de Jean-Luc Delarue à 51,5 millions, celle de Michel Drucker à 50,1 millions et celle d’Arthur à 21,8 millions de francs. Les magistrats avaient transmis l’affaire à la cour de discipline budgétaire et financière, qui décide s’il y a lieu de sanctionner les fautes personnelles des dirigeants. Jean-Pierre Elkabbach avait toujours affirmé que ces contrats « n’étaient pas des cadeaux et n’avaient rien d’illégal ». (Le Monde, 12 juillet 2001).

Producteur de musique

Evidemment le sujet que je connais le mieux est celui des producteurs de musique classique. C’est une espèce rare, de plus en plus rare. On les trouve dans des organisations, des festivals, qui ont dépassé les quarante ans d’âge : Janine Roze, André Furno, Pascal Escande, pour ne citer que quelques exemples de passionnés qui ont révélé au public des générations de musiciens. On doit ajouter à la liste l’incontournable René Martin qui, pour être dans les affres de procédures accusatoires, ne doit pas être oublié comme le fondateur et/ou l’âme de la Folle journée de Nantes, du festival de La Roque d’Anthéron ou de Fontevraud. Les uns et les autres ont bénéficié de subventions directes ou indirectes, mais sans leur ardeur, leur envie initiales, leurs entreprises eussent été vaines ou très brèves.

Comme responsable durant quinze ans d’un orchestre et d’une salle de concert, j’ai aussi été un « producteur » de centaines d’événements, de concerts (lire Merci Liège). Certes je bénéficiais de subventions publiques mais, comme je ne cessai de l’expliquer aux ministres et politiques que je rencontrais, les subsides perçus par l’Orchestre philharmonique royal de Liège couvraient tout juste les salaires de l’orchestre, mais jamais l’activité, les concerts, les festivals qu’il fallait financer par des recettes propres, essentiellement la billetterie. De ce point de vue, on était sur le même plan qu’un producteur privé. Un mauvais choix de programme et/ou d’artistes et c’était une billetterie médiocre, un programme et des interprètes qui attiraient l’attention, et c’était une recette appréciable. Je suis bien placé pour savoir que c’était la condition nécessaire mais jamais suffisante du soutien des pouvoirs publics.

Mais j’ajoute surtout la fierté, le bonheur qui furent les miens de pouvoir révéler des répertoires et des interprètes aux publics de Liège, Paris, Montpellier.

je suis toujours bouleversé de revoir, réentendre Nicholas Angelich, que j’ai si souvent entendu, et invité à Liège, ici à la grange de Meslay (lire L’ombre de Richter) un an avant que la maladie de lui interdise la scène avant de l’emporter…

Au cinéma comme au théâtre ou dans la comédie musicale, les producteurs, à l’instar de ceux que décrit Mel Brooks revu et corrigé par Alexis Michalik, sont bien sûr les financiers qui prennent les risques, misent sur tel ou tel talent, se plantent parfois, gagnent le gros lot – rarement – mais sont surtout des détecteurs et des promoteurs de talents.

Et toujours mes brèves de blog où je parlerai bientôt des 30 ans d’un festival, du courage d’un directeur, et de quelques autres sujets d’actualité

Pépites suisses

Alain Lompech postait il y a quelques jours sur Facebook une vidéo qu’il trouve à juste titre extra-ordinaire : Nelson Freire jouant le 2ème concerto de Saint-Saëns avec l’orchestre de la Suisse italienne.

Cela m’a rappelé que j’ai dans ma DVDthèque un coffret de 10 DVD (avec des suppléments audio sur chacun), sans doute acheté un jour en Allemagne pour un prix dérisoire, et que j’avais sans doute négligé de regarder plus avant.

Ce ne sont que des pépites, de véritables trésors, des captations faites par la télévision suisse italienne dans son grand studio de Lugano dans les années 70 et 80.

Je viens de vérifier sur les sites de la FNAC et d’Amazon, le dit coffret plat est disponible chez des revendeurs chevronnés à des prix dérisoires.

Le contenu est incroyablement alléchant. A chaque fois c’est l’Orchestra della Svizzera italiana (Orchestre de la Suisse italienne) qui joue. La plupart des solistes invités sont dans leurs jeunes années. Qu’on en juge :

DVD 1 Beethoven concerto n°5 (Homero Francesch, piano), Brahms symphonie n°3 / Dir. Serge Baudo

DVD 2 Chopin concerto n°1 (Tzimon Barto, piano), Beethoven symph.n°3 / Dir. Roderick Brydon

DVD 3 Fauré Masques et bergamasques, Franck Variations symphoniques (Nelson Freire), Bizet Jeux d’enfants, Saint-Saëns Concerto n°2 (Nelson Freire, piano) / Dir. David Shallon. David Shallon était un chef israélien, incroyablement doué, qui avait dirigé notamment l’orchestre de Jérusalem et le philharmonique du Luxembourg, mort à 50 ans, en l’an 2000, dans des conditions atroces d’une crise d’asthme foudroyante sous les yeux impuissants de son épouse d’alors, l’altiste Tabea Zimmermann.

DVD 4 Haydn Symphonie n°103, Mozart concerto n°20 (Maria Tipo, piano) / Dir. Peter Maag

DVD 5 Lebrun concerto hautbois n°1 (Omar Zoboli), Mozart Symphonie 35 / Dir. Frans Brüggen

DVD 6 Mozart La Clemenza di Tito ouv., Concerto n°21 (Mikhail Rudy, piano), Schubert Symph.n°3 / Dir. Christof Escher

DVD 7 R.Strauss Der Rosenkavalier suite valses, Burlesque (Bernd Glemser, piano), Brahms Symph n°2 / Dir. Nicolas Carthy

DVD 8 Récital Zoltan Kocsis (Mozart, Beethoven sonate 32, Schubert sonate D 960

DVD 9 Roland de Lassus Les larmes de Saint-Pierre, Ockeghem Missa pro defunctis / Hilliard Ensemble, Consort of Musicke

DVD 101 Récital Marilyn Horne (Gluck, Meyerbeer, Saint-Saëns, Rossini, Bizet) / Dir. Martin Katz

Un chef russe Mikhail Jurowski (1945-2022)

Un grand chef russe est mort le 19 mars dernier, mais on en a peu parlé, puisque tout ce qui, de près ou de (très)loin rappelle la guerre menée par la Russie en Ukraine, est sujet à caution. Il est vrai aussi que Mikhail JurowskiМихаил Владимирович Юровский -(prononcer You-rov-ski) n’a jamais occupé le devant de la scène. Et pourtant c’est un nom que les mélomanes, les discophiles curieux, ont souvent vu à l’affiche d’enregistrements qui révèlent l’originalité et l’importance du répertoire que le chef russo-allemand a abordé tout au long de sa carrière.

C’est peu de dire que la famille Jurowski est musicienne. Commençons par le père de Mikhaïl, le compositeur…ukrainien Vladimir Mikhailovitch Jurowski (1915-1972), surtout connu comme compositeur de musiques de film, mais pas que… comme en témoigne ce disque :

Mais la descendance du chef récemment décédé est aussi spectaculaire : deux fils, Vladimir (né en 1972), à la carrière éblouissante, patron du London Philharmonic de 2007 à 2020, aujourd’hui directeur de l’Opéra de Bavière, et Dmitri (né en 1979), que j’ai invité naguère à Liège et qui a été, entre autres, directeur musical de l’opéra des Flandres en Belgique.

Mikhaïl Jurowski étudie au Conservatoire de Moscou, travaille ensuite au théâtre Stanislavski et au Bolchoi, il est notamment l’assistant de Guennadi Rojdestvenski. Son père est un proche de Chostakovitch, le jeune Mikhaïl va ainsi côtoyer un compositeur qu’il ne cessera de servir. Créant notamment l’opéra inachevé Les Joueurs d’après Gogol, complété par Krzysztof Meyer en 1981.

Mikhail Jurowski et sa famille quittent l’URSS en 1989 pour s’installer en Allemagne orientale, où le chef qui sera naturalisé allemand, fera l’essentiel de sa carrière, occupant des fonctions de direction musicale pour de brèves périodes, mais laissant une discographie et de nombreux témoignages de concert qui méritent une écoute attentive.

Pour ceux qui comprennent le russe et lisent l’anglais, une interview passionnante de Mikhail Jurowski, ses souvenirs d’enfance et de jeunesse :

On a l’embarras du choix dans une discographie très vaste et ouverte, où les Russes ne sont pas en reste.

La grande porte de Kiev (VI) : Unis pour l’Ukraine

J’ai participé hier à la grande soirée organisée par France 2 et Radio France à la Maison de la Radio et de la Musique en solidarité avec le peuple ukrainien, Unis pour l’Ukraine

Radio France aux couleurs de l’Ukraine

Comme souvent, dans ce type de soirée organisée en dernière minute, il y a eu du bon, du très bon, et du moins bon, voire contestable. On eût aimé, autant le dire d’emblée, que Nagui n’accaparât pas la parole toute la soirée, Leila Kaddour en étant réduite à essayer d’exister, et surtout ne confonde pas cet hommage aux victimes de la guerre en Ukraine avec un Téléthon. Son appel systématique aux dons à la Croix Rouge, son verbiage dégoulinant de bons sentiments qui omettait soigneusement de prononcer le mot « guerre » pour s’apitoyer sur le sort des « réfugiés où qu’il soient dans le monde », ses questions ridicules aux artistes, bref une prestation de bateleur à contre-temps et à contresens qui n’a, heureusement, pas réussi à gâcher une soirée trop longue.

Les invités à cette soirée avaient été priés de choisir de prendre place au studio 104 ou à l’Auditorium, la chanson d’un côté, le classique de l’autre.

On peut revoir cette soirée : Unis pour l’Ukraine

Je ne veux que retenir que quelques moments très forts, très justes (le programme complet de la soirée ici)

Sublime Göttingen chanté par Carla Bruni accompagnée par Katia Buniatishvili

La force d’une chanson, même si la voix déraille…

Mais, installé à l’Auditorium, j’ai vécu plus de moments forts avec les formations de Radio France, la merveilleuse Maîtrise dirigée par Sofi Jeannin, le Choeur de Radio France dans un bouleversant Va pensiero, et bien sûr l’Orchestre National de France, dirigé par Cristian Macelaru, dont le nom n’a été cité qu’une seule fois de toute la soirée…

Andrei Bondarenko et Benjamin Bernheim

Benjamin Bernheim bouleverse l’auditoire avec l’Ingemisco du requiem de Verdi, et plus encore, en duo avec le baryton ukrainien Andrei Bondarenko, dans Dio, Che Nell’alma Infondere Amor de Don Carlo.

Mais l’émotion est à son comble, lorsque, bien après minuit, le Choeur de Radio France, l’Orchestre National de France, Cristian Macelaru entonnent l’hymne national ukrainien chanté par Andrei Bondarenko :

On est reparti de la Maison de la Radio le coeur lourd, en totale communion de pensée avec les victimes de cette guerre atroce.

Régime de fête (IV) : un oratorio pour Noël

L’oratorio de Noël est une oeuvre composée à Leipzig en 1734 par Jean-Sébastien Bach « pour le temps de Noël »

Je ne connais pas meilleure manière de célébrer la joie de Noël, une fête et une oeuvre qui revêtent pour moi un caractère un peu particulier.

D’abord parce que, sans le secours d’une magnifique chaîne humaine (Une expérience singulière), je ne serais peut-être plus là pour fêter ce jour en famille. Durant ma convalescence, j’ai eu et j’ai encore l’occasion d’échanger avec des personnes, connues ou inconnues de moi, qui ont traversé la même épreuve, le même sentiment d’être passé très près d’une issue fatale, et qui ont décidé de voir et de vivre leur vie autrement.

Mais aussi parce que l’Oratorio de Noël est lié à mon premier grand souvenir de radio (lire Une naissance) : la première, le 22 décembre 1987, d’une émission de critique de disques – Disques en Lice – aujourd’hui arrêtée. Le producteur, François Hudry, avait choisi une oeuvre qui allait de soi à cette date-là et invité notamment notre cher Michel Corboz, disparu au début de septembre dernier.

(de g. à d. François Hudry, JPR, Chiara Banchini, Michel Corboz, Pierre Gorjat)

Et si j’ai ouvert cet article par une vidéo de Peter Schreier, c’est évidemment pour rendre hommage à cet immense interprète, chanteur d’opéra et de Lieder, excellent chef, disparu il y a exactement deux ans, le jour de Noël 2019 (Le chanteur de l’Est), mais aussi parce que les invités de Disques en lice avaient placé sa version en tête d’une discographie qui n’est pourtant pas pauvre en réussites.

Tendresse infinie pour la si belle et joyeuse version de Michel Corboz.

Il y a quatre ans, j’avais passé l’entre-deux-fêtes à Leipzig et Dresde. Je revois avec émotion les photos que j’avais prises notamment dans l’église Saint-Thomas de Leipzig, où repose Jean-Sébastien Bach (lire Leipzig ville musique).

Je souhaite à mes lecteurs un Noël placé sous le signe de la fête, de la joie et de l’espérance.

Les sans-grade (XIII) : les Roumains Georgescu, Conta, Andreescu

La célébrité d’un Sergiu Celibidache (prononcer Tché-li-bi-da-ké) a occulté tous les autres chefs roumains, comme Constantin Silvestri, à qui j’avais déjà consacré un article dans cette série (Les sans-grade: Constantin Silvestri)

Il en est de même pour le violoniste/compositeur Enesco ou le pianiste Lipatti. On ne connaît qu’eux, leur notoriété a éclipsé, dans la mémoire collective, tous les autres violonistes, compositeurs, pianistes roumains.

C’est une réflexion que je me fais à chaque fois que je visite la Roumanie, et que j’en rapporte des CD (lire Retour de Bucarest). Lors de mon voyage précédent, j’avais découvert le compositeur maudit Ciprian Porumbescu, que j’ai retrouvé sur cette compilation

où, à part Dinicu, Ivanovici et… Porumbescu, je ne connaissais aucun nom :

1. Porumbescu/Rogalski
Ballad for violin and orchestra
2. Scarlatescu/Rogalski
Bagatelle
3. Ivanovici/Bobescu
The Waves of the Danube
4. Dinicu/Vladigherov
Hora Staccato
5. Dimitrescu
Peasant Dance
6. Porumbescu
Romanian Rhapsody for orchestra
7. Constantinescu
Three Romanian Symphonic Dances
8. Capoianu
Five folk songs from Transylvania

Trois chefs roumains

Quarante ans après les mémorables prestations de Sergiu Celibidache à la tête de l’Orchestre national de France, c’est un autre grand chef roumain, Cristian Măcelaru, qui préside désormais aux destinées du vaisseau amiral de Radio France.

(En juillet dernier au Festival Radio France Occitanie Montpellier)

George Georgescu (1887-1964)

Contemporain d’un Ernest Ansermet, le légendaire fondateur de l’Orchestre de la Suisse romande, Georgescu a un peu joué le même rôle en Roumanie. Une carrière mouvementée, commencée sous les auspices d’Arthur Nikisch à Berlin, puis après la Première guerre mondiale, poursuivie comme chef. charismatique de l’orchestre philharmonique de Bucarest, compromise durant la Seconde guerre par des tournées dans l’Allemagne nazie, et finalement rétablie en 1947 à la tête du nouvel orchestre national de la Radio roumaine (lire l’excellente notice en anglais de Wikipedia)

Georgescu a notamment gravé une intégrale des symphonies de Beethoven. J’ai trouvé à Bucarest un CD – gravé en 1961 – de la Troisième symphonie.

Qualité médiocre de l’orchestre et de la prise de son (ici en mono), je n’ai pas été convaincu. Mais d’autres documents disponibles donnent une meilleure idée du chef.

Iosif Conta (1924-2006)

Iosif Conta c’est mon premier disque roumain, le premier 33 tours acheté en Roumanie au cours de l’été 1973 (lire La découverte de la musique : été 1973)

Cette première rhapsodie roumaine d’Enesco, écrite en 1901, est restée son oeuvre la plus populaire, sinon la seule jouée encore par les orchestres internationaux. Elle s’inspire de plusieurs mélodies populaires, dont cette Ciocarla / L’alouette, un des tubes du virtuose du nai, la flûte de Pan roumaine, Gheorghe Zamfir, que j’avais entendu par hasard sur la plage de Mamaia en 1973 !

Pour en revenir à Iosif Conta, cet élève de Georgescu, fera toute sa carrière à l’abri du régime communiste, comme chef et directeur adjoint de la Radio roumaine dès 1954. Il dirige la création roumaine en 1964 (neuf ans après sa mort !) de la cantate Vox Maris d’Enesco.

Horia Andreescu (1946-)

À 75 ans, Horia Andreescu fait partie de ces chefs dont la notoriété n’a jamais franchi les frontières du bloc de l’Est, où semble s’être déroulée toute sa carrière, même si la « bio » fournie par son agent indique des invitations régulières à Amsterdam, Paris ou Vienne. Il a le mérite d’avoir gravé l’intégrale de l’oeuvre d’orchestre de Georges Enesco, avec des bonheurs divers si j’en juge par ce que j’ai déjà entendu des CD rapportés de Bucarest

Mais on a aussi trouvé, à tout petit prix, ce Requiem de Verdi capté en public à Leipzig, avec des solistes tous roumains

La découverte de la musique (XV) : Hans Schmidt-Isserstedt

C’était un nom qui plaisait à l’apprenti germaniste que j’étais, quelque chose de bien allemand, et d’imprononçable pour un francophone : Hans Schmidt-Isserstedt (= Isseur-chtett) 1900-1973.

Les danses hongroises de Brahms

Du temps où je fréquentais l’arrière-boutique de la Librairie des Etudiants, rue Gambetta à Poitiers, où se trouvait un excellent rayon de disques classiques (et un disquaire en blouse grise, comme déjà on n’en faisait plus, qui chuintait, et déformait à l’envi les noms illustres qu’il lisait sur les pochettes : Giulini devenait Gü-y-lini !), je me repliais presque toujours sur les collections très bon marché – ou j’attendais les soldes – pour assouvir ma soif de disques avec le bien maigre budget dont je disposais. C’est ainsi que, plus par hasard que par choix, j’acquis ma première intégrale des Danses hongroises de Brahms sous la baguette du fameux Hans Schmidt-Isserstedt dirigeant un orchestre encore mystérieux pour moi à l’époque, le North German Radio symphony orchestra, autrement dit l’orchestre de la radio du nord de l’Allemagne (Norddeutscher Rundfunk), à Hamburg, fondé en 1945, que H S-I. dirigea jusqu’en 1971.

Une intégrale que j’ai longtemps désespéré voir rééditée en CD, et qui le fut il y a une dizaine d’années par Universal Accord : indispensable !

La sérénade pour cordes de Dvořák 

Comme je l’ai déjà raconté (lire : La découverte de la musique : Georges et Christian)

ma bonne ville de Poitiers au début des années 70 c’était morne plaine en matière de musique classique – à l’exception très notable de la formidable activité des Jeunesses Musicales de France -. C’est au cours d’un concert des premières « Rencontres musicales de Poitiers » que j’entendis pour la première fois la Sérénade pour cordes de Dvořák avec l’Orchestre de chambre de Prague dirigé de son premier violon par Josef Vlach !

Quelques années plus tard, je trouverai en Allemagne un 33 tours en collection « économique » de cette Sérénade pour cordes qui m’avait tellement séduit. Rebelote : à nouveau Hans Schmidt-Isserstedt !

Les deux sérénades de Dvořák ont fait l’objet d’une superbe réédition récente dans la collection Eloquence :

On note que les sept Danses hongroises de Brahms qui figurent sur le CD 1 ne font pas partie de l’enregistrement de 1961 cité plus haut, elles ont été captées – en mono – en 1953.

La Pastorale

C’est toujours en Allemagne que j’aborderai le Beethoven de Schmidt-Isserstedt.

Prélude à l’acquisition d’une intégrale qui ne quittera plus le premier rayon de ma discothèque : Beethoven 250 Schmidt-Isserstedt

Le compagnonnage discographique avec ce chef ne cessera plus. On en reparlera !

Jean Cluzel (1923-2020)

Ces jours-ci, mon blog ressemble décidément à un obituaire, que chaque jour vient compléter d’une nouvelle disparition.

Je n’ai appris qu’aujourd’hui le décès, à l’âge très respectable de 97 ans, de Jean Cluzel, ancien sénateur, président du conseil général de l’Allier, redouté rapporteur du budget de la radio-télévision au Sénat.

Jean Cluzel c’est d’abord, pour moi, mon premier employeur, la première personne avec qui j’ai signé, à 22 ans, un contrat de travail à durée indéterminée, mon premier poste d’assistant parlementaire (comme je l’ai raconté dans deux billets : Attaché parlementaire, Réhabilitation)

Nègre

Je me rappelle très bien, un garçon de mon âge, dans ma voiture, boulevard Saint-Germain à Paris, sous une pluie battante. Nous sommes en janvier 1978. J’ai fait la connaissance de Jean-Yves en août 1976, lors d’une université politique d’été. Il me dit, tout à trac, que son père cherche quelqu’un – son père est un monsieur très connu dans le monde de la politique de l’époque, un sénateur dont on parle, Jean Cluzel – ! J’ai beau penser que je n’ai aucune des qualités requises pour travailler auprès d’un tel personnage, il m’incite à le rencontrer et organise le rendez-vous. Le sénateur de l’Allier est très clair : il a besoin de quelqu’un qui sache faire des recherches et qui sache écrire. Il a plusieurs ouvrages en préparation, je serai son « nègre »durant deux ans (1978-1980)

Ainsi à 22 ans j’entre dans l’un des plus beaux palais de la République, le Sénat, j’ai pour moi un grand bureau dans l’annexe – bureau que n’occupe pas le sénateur puisqu’en tant que rapporteur spécial, il bénéficie d’un bureau encore plus vaste au sein même du palais du Luxembourg. Et pendant deux ans, je vais préparer des fiches, des notes, faire des recherches, écrire des pages entières pour un personnage très conscient de son importance, d’autres diraient imbu de lui-même, infatué, considérant autrui, à commencer par sa propre famille, son épouse, comme étant à son service exclusif.

Je voyais peu Jean Cluzel, nous correspondions par notes. Je me rappelle une fois – ce ne fut pas la seule – où il me renvoya un texte annoté d’un simple et définitif « nul ». À quoi je lui répondis par retour de courrier, du haut de mes 23 ans : « Qui se ressemble s’assemble » ! Il ne me gratifia plus jamais d’aussi péjoratifs qualificatifs.

Pour écrire son chef-d’oeuvre – une étude comparée des télévisions européennes – auquel je ne suis pas peu fier d’avoir apporté mon concours (!), il décida de se rendre dans différentes capitales européennes pour regarder la télévision. C’est ainsi que le 28 septembre 1978, Jean Cluzel se trouvait à Rome. Une fois n’était pas coutume, je l’appelai à son hôtel pour vérifier qu’il avait eu la nouvelle qui était tombée sur les téléscripteurs du monde entier ce matin-là : la disparition brutale du pape Jean-Paul 1er. Il me répondit qu’il savait bien que le pape Paul VI était mort (le 26 août 1978) et qu’il ne comprenait pas que je le dérange pour lui rappeler cette nouvelle. En fait, il n’avait pas ouvert sa télévision ni lu les journaux ni n’était même sorti dans les rues de Rome, puisque c’est moi qui lui appris la mort du successeur de Paul VI !

Télémanie

« Le » livre qui avait été le principal objet de mon contrat d’assistant parlementaire, était enfin sorti chez Plon – le célèbre éditeur n’était qu’à quelques dizaines de mètres du Sénat ! – sous l’affriolant titre de Télémanie

Voici comment l’éditeur présentait l’ouvrage :

« Qu’est-ce que la télévision française ? Un énorme budget qui a augmenté de 79 % en cinq ans ; trois chaînes ; près de 10 000 heures de programmes et — avec la radio — plus de 15 000 personnes. C’est aussi la vitrine de la France et le porte-voix de sa culture. C’est, enfin, une machine à laquelle la majorité des Français consacre une quantité croissante d’heures de loisirs, près d’un millier par an, en succombant dès l’enfance à ce qu’il faut bien appeler la télémanie. Est-il, dans la France d’aujourd’hui, sur les différents plans politique, moral et culturel, une question plus grave pour l’avenir ? Pour y voir clair, il est bon d’aller chez nos voisins pour observer comment, par exemple, ils parviennent à concilier le contrôle de l’État avec les exigences diverses des téléspectateurs. C’est ce que Jean Cluzel a fait ; il raconte ce qu’il a vu et entendu ; puis, à la lumière de cette expérience, il analyse la façon dont notre télévision assure sa triple mission d’information, de culture et de divertissement. Ce livre où vibrent les accents du pamphlet marque l’attachement de l’auteur pour cette merveilleuse machine ; il fait suite à « Télé-violence » et à « l’Argent de la télévision », rapport fait au nom d’une commission sénatoriale d’enquête. L’auteur suggère en conclusion que les Français — aussi bien hommes de télévision que simples usagers — s’interrogent sur leurs responsabilités pour que demain les choses aillent mieux.« 

L’ouvrage ne présentait qu’un intérêt modéré, et je ne suis pas sûr qu’il ait passionné ses quelques courageux lecteurs.

Un rapporteur craint

Mais le sénateur Jean Cluzel était le très redouté rapporteur spécial de la commission des Finances de la Chambre haute, chargé du budget de la Radio Télévision française ! Il ne se contentait pas d’aligner bilans et chiffres, il écrivait un rapport qui faisait trembler chaque année patrons de chaînes et gouvernement.

Quand le rapporteur Cluzel sortait un livre, et je pus en témoigner pour Télémanie, son statut lui ouvrait toutes les portes, toutes les émissions, une couverture médiatique dont peu d’auteurs, écrivains ou essayistes même renommés eussent rêvé. Je me rappelle ainsi avoir accompagné Jean Cluzel au 13 h de TF1, animé par Yves Mourousi (dont j’ai surpris quelques minutes avant le début du JT un aparté avec le rédacteur en chef qu’il engueulait pour lui avoir imposé la présence de Cluzel pour un bouquin qu’il n’avait pas lu!), sur le plateau d’Apostrophes chez Bernard Pivot, et quantité d’autres émissions de radio et de télévision. Il les avait à peu près toutes faites.

Je conserve finalement un bon souvenir de ces années d’apprentissage. Jamais je n’aurais alors imaginé faire carrière dans la radio, et en particulier à Radio France… quelques années plus tard (lire L’aventure France Musique)! Ironie de l’histoire.

La nostalgie des météores

Allez savoir pourquoi, cette semaine se termine dans la mélancolie…

Une visite à ma vieille mère à Nîmes, qui suivait un coup de téléphone où s’entendait toute la lucidité déprimée d’une tête parfaitement alerte dans un corps que les forces abandonnent lentement mais inexorablement ? L’évocation de mon passage dans le berceau familial (lire L’été 69), la vue de la maison abandonnée, mais aussi le rappel de cette amitié d’enfance – presque 90 ans ! – avec Hildegard, la fille de l’hôtel d’en face qui existe toujours ! Quelques heures, un thé, des tartes aux fraises, et une brève escapade en fauteuil roulant au Carrefour Market d’à côté, et tout sembla aller mieux… Jusqu’à la prochaine fois.

Retour aussi à Montpellier, équipe réduite mais à la tâche, heureuse de lire ce qu’Alain Lompech a écrit dans le Classica de septembre à propos des festivals, et de celui de Radio France en particulier :

« Le Festival Radio France Occitanie Montpellier qui avait été l’un des derniers à annuler le 24 avril, sera l’un des premiers à organiser un « festival autrement », plus léger, plus inventif avec la création d’une radio faite par le festival pour commencer puis l’organisation de concerts en plein air dès la sortie du confinement. Pas moins de treize concerts ont ainsi été captés, pas moins de 30 heures de direct ont été diffusées, et pas moins de 60 heures d »émissions originales ont été produites pour pas moins de 480 heures de diffusion ! Voilà qui nous a ramenés aux origines d’une manifestation dont les premières éditions, voici bientôt 40 ans, étaient d’une originalité qui tenait en une formule – faire jouer les tubes du répertoire par les jeunes et les oeuvres oubliées par des grands noms – et doublaient les concerts par des journées entières d’émissions en direct sur l’antenne de France Musique. Heureux temps où l’argent et les moyens techniques coulaient à flots ! Mais la crise nous démontre que, sans grands moyens, un grand festival décentralisé dans la métropole occitane peut inventer de nouvelles méthodes de travail, reprendre une programmation de zéro… Tope là ! » Merci Alain !

Et puis, comme s’il fallait alimenter cette mélancolie, la réécoute, la redécouverte même de deux musiciens, de ceux qu’on porte dans son coeur plus encore que dans sa mémoire, destins brisés, météores qui continuent de briller longtemps après que ces poètes ont disparu : Youri Egorov (1954-1988) et Rafael Orozco (1946-1996)

Sur l’un et l’autre j’ai déjà écrit, tenté d’établir une discographie (Eternels présents, Un grand d’Espagne)

Dans le dernier numéro de BBC Music Magazine, un article rappelle qui était ce pianiste russe, passé à l’Ouest en 1976, mort du SIDA à Amsterdam à 34 ans. Et les enregistrements miraculeux qu’il a laissés pour EMI et dans les archives des radios hollandaises.

Ce Carnaval de Schumann, un remède à la mélancolie ?

Pour ce qui est de Rafael Orozco, la situation discographique n’a guère évolué depuis mon article d’août 2015 !

La bonne surprise – signalée par Alain Lompech (!) et quelques autres mordus sur Facebook – c’est la réédition digitale d’un disque Brahms réalisé pour EMI en 1970, avec la 3ème sonate et quelques intermezzi. Lompech compare le jeune Orozco à Nelson Freire ou Bruno Leonardo Gelber dans la même oeuvre. C’est exactement ça !

Magnifique prise de son (que les sites de téléchargement comme Qobuz ou Idagio restituent parfaitement)

Un festival malgré tout

Rappelons les épisodes précédents : l’annulation de l’édition 2020 du Festival Radio France Occitanie Montpellier – Le coeur lourd (le 24 avril) et, puisqu’il m’était impossible de me résigner à un désert musical et culturel, la conception, l’envie d’Un festival autrement (le 17 juin).

Finalement, le Festival 2020 a bien eu lieu du 10 au 30 juillet, et ce fut une fantastique aventure collective d’une équipe mobilisée comme jamais pour réussir ce qui relevait, il y a encore quelques semaines, du pari impossible.

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On est évidemment loin des records d’audience des années passées – plus de 104000 spectateurs pour plus de 150 concerts ! – mais on est tout de même fiers d’avoir permis à 5000 personnes d’assister à 13 concerts à Montpellier, dans le strict respect des normes de sécurité sanitaire.

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IMG_1378(Visite des représentants des très fidèles soutiens du Festival : de gauche à droite Michel Orier, directeur de la Musique et de la création de Radio France, Michaël Delafosse, nouveau Maire et président de la Métropole de Montpellier, Eric Penso, nouveau maire de Clapiers et Vice-président Culture de la Métropole de Montpellier, Renaud Calvat, Vice-président Culture du Département de l’Hérault. Manque sur la photo le fidèle entre les fidèles Hussein Bourgi, conseiller régional qui représentait Carole Delga, présidente de la Région Occitanie)

Les meilleurs moments – archives, des entretiens inédits avec de grandes figures du festival – de la Radio du Festival seront bientôt disponibles sur la chaîne YouTube du Festival Radio France. Et le bilan complet du Festival est à retrouver sur : lefestival.eu

Un festival malgré tout… au son des cigales   (voir Le Figaro du 26 juillet)

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