2890 jours : ils ont fait Montpellier (I) en blanc et noir

J’ai quitté la direction du festival Radio France à la fin de l’été 2022, j’y avais été nommé il y a dix ans en juillet 2014. Mais je n’avais pas eu le temps jusqu’à maintenant de remercier tous les artistes que j’ai eu le bonheur d’inviter à Montpellier et dans la région Occitanie entre 2015 et 2022 pour les huit éditions que j’ai organisées.

Mon outil statistique comme ma mémoire n’étant pas infaillibles, je prie par avance ceux que j’aurais oubliés de me pardonner. Je rectifierai autant que possible !

Les claviers – piano, clavecin, orgue – se sont logiquement taillés la part du lion. Avec quelques fidélités assumées à des artistes qui, très souvent, ont fait leurs débuts au festival. Et des absences tout aussi assumées, sachant que je ne me suis jamais laissé imposer qui que ce soit.

En blanc et noir

Behzod Abduraimov (21)

Benjamin Alard (15)

Magda Amara (15)

Piotr Anderszewski (15)

Deux pianistes surpris en pleine conversation : Piotr Anderszewski et François-Frédéric Guy (Montpellier 2015)

Kristina Balanas (16)

Margarita Balanas (18)

Guillaume Bellom (17, 18)

Boris Berezovsky (17)

Beatrice Berrut (22)

Gabriel Bianco (21)

David Bismuth (15, 21)

Florent Boffard (17, 19)

Florian Caroubi (18)

Philippe Cassard (16)

Bertrand Chamayou (16, 18, 19, 21)

Emmanuel Christien (16)

Geoffroy Couteau (19)

Michel Dalberto (16, 18, 21)

Lucas Debargue (16)

Romain Descharmes (21)

Barry Douglas (22)

François Dumont (17, 18, 21)

Frank Dupree (19)

Nicolas Elmer (21)

Thomas Enhco (16, 19)

Yuri Favorin (15)

Theo Fouchenneret (19)

Lukas Geniušas (16, 17, 19)

Filippo Gamba (15)

Jean-Paul Gasparian (17, 18)

Nelson Goerner (15, 18)

Jorge Emilio Gonzalez-Buajasan (19)

Véronique Goudin-Léger (15)

Nathanael Gouin (18, 21)

Benjamin Grosvenor (21, 22)

Alexander Gurning (21)

François-Frédéric Guy (15)

Judith Jaurégui (15)

Paavali Jumpannen (19)

David Kadouch (15, 18)

Alexandre Kantorów (16, 21)

(Bien avant sa victoire spectaculaire au Concours Tchaikovski de Moscou en 2019, Alexandre Kantorow donnait son premier récital au festival, à 19 ans, le 25 juillet 2016)

Nikolai Khoziaynov (15)

Irina Kirpicheva (22)

Evgueni Kissin (19)

Andrei Korobeinikov (15, 17)

Paloma Kouider (17)

Lukas Krupinski (19)

Natacha Kudritskaia (19)

Katia et Marielle Labèque (15, 17)

Avec David Chalmin, Katia et Marielle Labèque

Olivier Latry (22)

Florian Lattuga (22)

Ingmar Lazar (20)

Eric Le Sage (16)

Yoav Levanon (21)

Yoav Levanon, 17 ans, joue Gershwin (Montpellier 2021)

Jan Liesicki (19)

Magnus Lindberg (19)

David Lively (18)

Lily Maisky (21)

Ismael Margain (17)

Denis Matsuev (16)

Selim Mazari (21)

Rodolphe Menguy (22)

Dominique Merlet (15)

Natalia Milstein (17)

François Moschetta (19)

Vincent Mussat (19, 21)

Nicolas Namoradze (22)

Florian Noack (16)

Marie-Ange Nguci (19, 21)

Maki Okada (19)

Ferhan & Ferzan Önder (16)

(Les pianistes jumelles Ferhan et Ferzan Önder, les percussionnistes Alex Georgiev, et Martin Grubinger père et fils)

Aimo Pagin (19)

Alexander Paley (15)

Alexander Panfilov (19)

Janos Palojtay (17)

Cédric Pescia (15)

Cédric Pescia, Philippe Cassard, Nelson Goerner (2015)

Aline Piboule (18,22)

Alain Planès (22)

Menahem Pressler (16)

Annabelle Weidenfeld, Menahem Pressler, JPR, Michel Dalberto (18 juillet 2016)

Gabriel Prokofiev (22)

Beatrice Rana (16, 18)

(C’est à Montpellier, en ouverture du festival 2016, que Beatrice Rana joue pour la première fois en public les Variations Goldberg avant de les enregistrer pour un disque qui sera multi-récompensé)

Mūza Rubackytė (15, 16, 19)

Kärt Rüubel (19)

Carlos Sanchis (19)

Nima Sarkechik (15)

Fazil Say (15, 17, 18)

Herbert Schuch (17)

Louis Schwizgebel (15, 18)

Dmitri Shishkin (21)

Edna Stern (15)

Gabriel Stern (21)

Frederik Steenbrink (17)

Emmanuel Strosser (15)

Dania Tchalik (16)

Cédric Tiberghien (21)

Simon Trpčeski (17)

Mikhail Turpanov (16)

Varvara (18)

Vassilis Varvaresos (16, 19)

Lukáš Vondráček (17)

Tanguy de Williencourt (16, 21)

À suivre : la folle aventure Scarlatti 555

Les disparus de mai

J’essaie, autant que possible, d’éviter que ce blog se transforme en obituaire, Il y a des disparitions qui me touchent, d’autres qui m’indiffèrent, ou plus exactement qui ne m’inspirent aucun commentaire.

Menahem ou l’art du chant

Mon cher Menahem Pressler est mort le jour où Charles III se faisait couronner, à quelques mois de son centième anniversaire. Je l’ai souvent évoqué sur ce blog. Souvenirs toujours vivaces de merveilleuses soirées à Liège, à Vienne, à Saint-Pétersbourg, à Berlin et à Montpellier. Je réécoute sans m’en lasser le précieux legs qu’il nous a laissé avec le Beaux-Arts Trio. Et je redécouvre des enregistrements plus récents, qui sont autant de témoignages d’un art du chant si éloquent.

Je découvre aussi ce documentaire si émouvant.

Me revient un souvenir très particulier, parmi tant d’autres. J’étais à Saint-Pétersbourg à la fin décembre 2013, pensant y célébrer le passage de l’an neuf sous la neige et dans le froid – il n’y eut ni neige ni froid ! –

mais j’avais pris des places pour trois opéras et un concert au Marinski, tous dirigés par Valery Gergiev (j’y vis Anna Netrebko y faire ses débuts dans Le Trouvère). Le concert, donné un après-midi, était entièrement voué à Mozart, avec notamment le 17ème concerto joué par…Menahem Pressler. Le jour dit, on nous prévint que le concert commencerait avec une heure de retard, les répétitions n’étant pas terminées. Mozart vu par Gergiev, c’était a priori exotique, ce fut plus que réussi (une Jupiter de haut vol !). Quelques mois plus tard, Menahem Pressler me rappela les circonstances de ce concert qui faillit avoir lieu sans lui. Les répétitions du concerto étaient laissées à l’initiative du premier violon et de l’orchestre qui, selon le pianiste, n’avaient aucune idée du phrasé, du style mozartien. Pressler fit savoir qu’il renonçait à jouer avec des partenaires aussi obtus et rentra à son hôtel. Coup de fil de Gergiev, qui s’excusa platement et lui promit une nouvelle répétition (avec lui bien sûr). C’est à cette répétition in extremis que nous dûmes le début différé du concert… et une exécution peut-être pas mémorable mais au moins convaincante du concerto de Mozart !

Ingrid Haebler ou l’ennui distingué

La pianiste autrichienne Ingrid Haebler, née le 20 juin 1929, est morte le 14 mai dernier. Je m’aperçois que je ne lui ai encore jamais consacré un billet. Alors que j’avais acquis il y a quelques années un coffret édité par la branche coréenne d’Universal, comportant toutes ses gravures de Schubert et Mozart, coffret republié il y a peu par Decca avec quelques ajouts.

Je me rappelle Armin Jordan qui aimait bien jouer avec elle, parce que, me disait-il, elle était toujours « juste » stylistiquement.

Mais Dieu que tout cela est propre et ennuyeux ! Désolé, je n’y arrive pas, j’ai écouté ses sonates de Schubert et de Mozart, ses concertos aussi. Il n’est que de comparer Pressler et Haebler dans le même 27ème concerto de Mozart,.. L’un chante (avec les moyens techniques de son âge), l’autre tricote aimablement.

Je peux comprendre que certains aiment ce jeu aussi ordonné que la coiffure de l’interprète. Tant dans Mozart que dans Schubert j’ai besoin de plus de vie, de sang, de rires et de larmes.

Grace pour l’éternité

Je n’ai jamais eu la chance d’entendre Grace Bumbry ni en concert ni sur scène. Née le 4 janvier 1937 à St Louis aux Etats-Unis, elle est morte le 7 mai dernier à Vienne où elle s’était retirée. Il y a heureusement nombre d’enregistrements audio et vidéo qui attestent de la flamboyance de son chant, de sa rigueur stylistique aussi.

Je n’évoquerai pas ici les disparitions de Philippe Sollers, qui porte son maoïsme militant comme une tache indélébile, quelles qu’aient été ses qualités littéraires ou mondaines. Je n’ai jamais lu Martin Amis – c’est sans doute un grand tort – et de celui qu’on a décrit comme le rival en beauté d’Alain Delon, Helmut Berger, je ne peux que répéter ce qui a été partout écrit – les rôles sur mesure que lui avait servis Visconti -. Je l’avais trouvé émouvant en Saint-Laurent décrépit dans le film de Bertrand Bonello, aussi parce que c’était le très regretté Gaspard Ulliel qui incarnait le couturier jeune.

Couronnement

Puisque que, grâce à France 2, puis France 3, dans les journaux télévisés du 4 mai,

nul n’ignore plus que j’ai passé ce week-end à Londres avec mon petit-fils, je me sens comme une obligation de raconter comment nous avons vécu l’événement du couronnement de Sa Majesté le roi Charles III et de son épouse la reine consort Camilla.

La décision de Londres a été prise au dernier moment, je pensais que cela plairait à mon petit-fils en vacances de découvrir Londres à l’âge auquel je l’avais moi-même fait, et dans une circonstance ô combien exceptionnelle.

Outre la surprise de la télévision française nous cueillant à la sortie de l’Eurostar, nous eûmes le même soir celle de croiser sur le trottoir devant l’hôtel le Français le plus anonyme de Londres et le plus célèbre de France, l’invisible Jean-Jacques Goldman. Oui le vrai !

Décalage

On nous avait tellement annoncé l’effervescence qui s’emparait de la capitale britannique, des flots de touristes qui allaient s’y déverser, que j’ai été le premier surpris, d’abord de la facilité à trouver des places dans l’Eurostar, puis dans un hôtel de moyenne catégorie près de St.Pancras, et surtout du peu de cas qu’on semblait faire du couronnement de Charles III, en dehors de quelques artères très centrales de Londres (comme ci-dessous Regent Street)

Je me rappelle, tant pour les jubilés d’Elizabeth II que pour les mariages de William et Harry, la frénésie qui s’était emparée de tous les magasins de souvenirs. Rien de tel ici, j’ai même eu de la peine à trouver pour mon petit-fils un mug souvenir de cette journée.

Aucun d’entre nous, sauf peut-être ma mère qui a assisté, à Londres, au couronnement d’Elizabeth en 1953, n’a d’élément de comparaison quant à la cérémonie elle-même, censée être plus courte pour Charles que pour sa mère. N’eût été une partie musicale d’une exceptionnelle qualité, on se serait royalement ennuyé à ce cérémonial d’un âge vraiment révolu, même si les commentaires, brefs, concis et informés, des chaînes anglaises sur lesquelles on a regardé le couronnement, étaient de nature à informer le téléspectateur de 2023.

À mon petit-fils qui me demandait pourquoi Harry n’était pas avec son père, placé plusieurs rangs derrière son frère William, je fus bien incapable de donner une réponse convaincante. Au moins Charles aurait-il pu réunir ses deux fils sur le balcon de Buckingham, ça aurait eu de la gueule !

L’un des célèbres Coronation Anthems de Handel, Zadok the Priest, retentit tandis que Charles était oint des huiles saintes à l’abri des regards.

Nous étions allés faire quelques repérages vendredi après-midi – il faisait encore beau temps ! – dans les alentours du Mall et de Buckingham Palace, nous avons été enfermés une heure durant dans le parc de St James, les milliers de piétons que nous étions étant empêchés de traverser aux rares points de passage, puisque la priorité semblait être de laisser passer les quelques voitures, officielles ou non, qui pouvaient circuler dans le secteur. Je préfère ne pas me demander ce qui se serait passé si la foule avait été plus pressante ou si un fou s’y était baladé avec un couteau (puisque personne n’était contrôlé). Bizarre conception de la gestion de foule…

Mais j’aime l’Angleterre, où je n’étais plus revenu depuis 2014. Et j’ai éprouvé beaucoup de plaisir à montrer à celui que France 2 a appelé Gabriel, des lieux qui me sont familiers

J’ai aussi constaté les ravages du Brexit, l’inflation galopante. Quelques discussions avec des vendeurs, des serveurs de restaurant, des employés de monuments historiques ou d’attractions, m’ont confirmé que le Royaume-Uni traverse une très mauvaise passe et que les temps sont très durs pour tout le monde. Tout est incroyablement cher, l’entrée d’un musée, un simple repas… Il est très loin le temps où on venait faire ses emplettes du côté de Jermyn Street ou de Covent Garden.

Je reviendrai une autre fois sur les musiques jouées pendant ce couronnement. Notons tout de même qu’il n’y a que les Britanniques qui soient capables d’aligner autant de talents, de parer leurs cérémonies d’autant de musique.

Stephen Hough

Je me réjouissais d’entendre Stephen Hough jouer, jeudi soir, au Royal Festival Hall, le 3ème concerto de Beethoven, aux côtés du Philharmonia, dirigé par un chef que je ne connaissais pas, Ryan Bancroft.

Disons pudiquement que je n’ai guère été convaincu par le chef, un peu surpris, sans aller jusqu’à la déception, par le jeu et les partis-pris du pianiste. Pas grave, mon petit-fils aura apprécié le grand son du Philharmonia et l’acoustique idéale du Royal Festival Hall.

Menahem Pressler (1923-2023)

Au moment de boucler cet article, j’apprends la disparition de Menahem Pressler, à quelques mois de son centenaire. J’y reviendrai bien sûr, mais j’ai déjà beaucoup écrit sur le fondateur du légendaire Beaux-Arts Trio. Dernier grand souvenir, partagé par le public du Festival Radio France à Montpellier, en juillet 2016, deux jours après l’épouvantable attentat de Nice : La réponse de la musique

Leon Fleisher : le pianiste aimé

Je n’ai jamais eu la chance ni de l’entendre en concert ni a fortiori d’assister à l’une de ses masterclasses, encore moins d’être son élève… Mais quand je vois ces extraits d’un atelier d’interprétation, je me dis que je regretterai longtemps de n’avoir pu fréquenter le pianiste Leon Fleisher né le 23 juillet 1928 à San Francisco, mort hier à 92 ans à Baltimore.

Quand je vois et lis tous les témoignages de ceux qui l’ont connu, approché, de ceux qui ont bénéficié de son enseignement, de ses conseils, je mesure la réalité de l’émotion que suscite sa disparition.

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Ici aux côtés de son aîné Menahem Pressler (né en 1923 !).

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Ici avec François-Frédéric Guy qui dit avoir perdu son deuxième père.

Roselyne Bachelot, la ministre française de la Culture, n’a pas attendu que son cabinet lui ponde l’une de ces réactions ministérielles si souvent banales et convenues, pour saluer ce grand musicien, confronté, à l’acmé de sa carrière en 1964, à une paralysie de la main droite – ce qu’en des termes choisis on appelle une dystonie focale – ,condamné à jouer le répertoire pour la main gauche qu’avait suscité le pianiste autrichien Paul Wittgenstein amputé du bras droit au cours de la Première Guerre mondiale, et à force de travail et d’obstination revenu à la pratique des deux mains : « Hommage à Leon Fleisher, pianiste et chef d’orchestre américain mort hier. Il perd l’usage de sa main droite à 36 ans, réussit à en retrouver l’usage après plusieurs années et célèbre ce retour par un enregistrement baptisé Two hands. Sa leçon de vie : ne jamais s’avouer vaincu. »

Restent heureusement de si beaux disques, notamment un admirable coffret, dont je m’étonne de ne jamais avoir parlé ici…. alors que j’y reviens régulièrement, pour y entendre notamment ces concertos de Mozart, Beethoven ou Brahms gravés pour l’éternité avec George Szell.

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Ou si l’on ne veut que les concertos :

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https://www.youtube.com/watch?v=Jgj6jScPWK8

 

Beethoven 250 (VIII) : l’Archiduc

Je ne ferai preuve d’aucune originalité, en disant que l’une de mes oeuvres préférées de Beethoven est son Trio op.97 surnommé « l’Archiduc » en raison de sa dédicace à l’archiduc Rodolphe d’Autriche.

Le confinement auquel nous sommes astreints me donne l’occasion de revisiter ma discothèque.. et de redécouvrir sur YouTube quelques belles interprétations.

J’aime particulièrement ce trio, parce que, instinctivement, sans l’avoir analysé, je lui ai trouvé une sorte de perfection formelle, comme le 3ème concerto pour piano ou la 5ème symphonie, ou encore le premier des quatuors dédiés au prince Razumovsky.

Les versions sont nombreuses. Sans souci d’exhaustivité, quelques-unes de mes préférées  :

Le Beaux Arts Trio, en 1962, formé à l’époque de Daniel Guilet (violon), Bernard Greenhouse (violoncelle) et Menahem Pressler (piano) me semble proche de l’idéal, dans chacun des quatre mouvements et pour la construction de l’ensemble.

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Tout aussi admirable, dans la rigueur toute classique qu’imprime le pianiste dès l’entame, le trio formé dans les années 50 par Emile Guilels, Leonide Kogan et Mstislav Rostropovitch est d’une simplicité, d’un naturel confondants

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En 1974, pour le 25ème anniversaire du Conseil international de la Musique, un « machin » créé dans le cadre de l’UNESCO, le président dudit Conseil, Yehudi Menuhin avait réuni à Paris ses amis Wilhelm Kempff… et Rostropovitch.

Je ne sais qui – on espère que ce n’est pas l’artiste lui-même ! – avait eu l’idée complètement saugrenue de placer Rostropovitch sur un praticable (ce qu’on ne fait d’ordinaire que lorsque le violoncelliste joue en soliste devant un orchestre), mais, guidé d’une main sûre – et si poétique – par un Kempff presque octogénaire, ce trio d’un soir nous bouleverse plus d’une fois.

J’ai, comme beaucoup, été initié aux trios de Beethoven par l’ensemble formé du violoniste Isaac Stern, du violoncelliste Leonard Rose et du pianiste Eugene Istomin (lire la passionnante histoire de ce trio sur le site du pianiste : Le trio Istomin/Stern/Rose

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A la réécoute, je trouve tout cela bien raide, sérieux, sans rebond (le scherzo !!)

https://www.youtube.com/watch?v=-BCcJIxiFX0

Quel contraste avec le trio d’occasion rassemblé par Deutsche Grammophon pour le bicentenaire de la naissance de Beethoven, en 1970 : Wilhelm Kempff impérial, le violoncelle admirablement chantant de Pierre Fournier et la pureté stylistique de Szeryng. Peut-être la plus belle version du 2ème mouvement, ce Scherzo si rétif à d’autres ensembles !

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https://www.youtube.com/watch?v=9–XjhqHf8o

Et puis clin d’oeil à l’un des très beaux concerts que j’eus naguère la chance d’organiser à la Salle Philharmonique de Liège. C’était en 2011 avec mes amis Nelson Goerner, Tedi Papavrami et Marc Coppey

Les musiciens en peinture

C’est peu de dire que les musiciens sont partout à Berlin, et bien entendu dans les musées. Petite galerie de portraits rassemblée au gré de mes visites à la Alte Nationalgalerie, à la Gemälde-Galerie, au Musée des instruments de musique qui jouxte la Philharmonie.

IMG_0701Portrait à 14 ans du pianiste Josef Hofmann (1876-1957) par Anna Bilinska, Varsovie 1890.

Josef Hofmann fut un interprète virtuose considérable, admiré, adulé même (c’est à lui que Rachmaninov a dédié son Troisième concerto), pédagogue exceptionnel (de 1924 à 1938 il dirige le département piano du Curtis Institute de Philadelphie).

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IMG_0730Le harpiste et compositeur Jean-Baptiste Krumpholtz né en Bohème en 1742, mort à Paris en 1790.

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Buste de Gluck

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Wanda Landowska (1879-1959)  la première « star » du clavecin

IMG_0717Le célèbre portrait de Carl-Maria von Weber (1786-1826) par Caroline Bardua

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IMG_0703Richard Strauss (1864-1949) par Max Liebermann

IMG_0670Diego Velazquez(1599-1660) Les trois musiciens

IMG_0662Gerard ter Borch (1617-1681) Le concert

1024px-Adolph_Menzel_-_Flötenkonzert_Friedrichs_des_Großen_in_Sanssouci_-_Google_Art_ProjectLe fameux tableau d’Adolf von Menzel représentant le roi de Prusse, Frédéric II, jouant de la flûte dans son château de Sans Souci.

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La cathédrale Ste Edwige (à l’arrière de la Staatsoper) : le choeur de Ste Edwige, dirigé par Karl Forster (1904-1963) a été le partenaire de tant d’enregistrements de la fin des années 50, début 60. Mes premiers disques sacrés de Mozart, Haydn, Brahms…

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La toute nouvelle salle Pierre Boulez, à l’arrière du bâtiment de la Staatsoper, voulue par Daniel Barenboim, conçue par Frank Gehry, inaugurée en mars 2017.

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Et puis un beau souvenir d’une soirée d’octobre 2015 à Berlin, avec mon très cher Menahem Pressler (à l’arrière-plan, on aperçoit Jonas Kaufmann et Daniel Hope qui vont venir saluer le vieux pianiste, d’autres photos à voir ici : Les échos de la fête)

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La musique nocive

Parmi les horreurs de l’actualité que je découvre à mon retour de Cuba – le terrible bilan humain et culturel du tremblement de terre en Ombrie, la prolifération des candidatures d’envergure (!!) aux différentes primaires – je tombe au moins sur une nouvelle réjouissante : La musique aussi nocive que le tabac

Je le concède, je fais un raccourci malhonnête dans mon titre. Mais c’est ainsi, paraît-il, qu’on suscite l’intérêt du lecteur, qu’on fait le buzz comme on dit.

Plus sérieusement, le combat de Nigel Rodgers est légitime et nécessaire. Et couvre évidemment un champ beaucoup plus large que les seuls grands magasins. Tous les lieux de convivialité, bars, cafés, restaurants, devraient aussi être interdits de musique enregistrée.

Combien de fois ai-je dû demander, avec insistance souvent, à un restaurateur de baisser, voire de supprimer la musique qu’il diffusait dans son établissement… Je me rappelle plusieurs anecdotes savoureuses avec Armin Jordan, après des concerts qu’il venait de diriger : il ne supportait pas non plus de dîner avec un fond musical quel qu’il soit (il interpellait le serveur en lui disant soit qu’il détestait la musique, soit que son état de santé ne lui permettait pas d’en entendre….On imagine la tête du serveur !). Un ami restaurateur m’a un jour confié qu’il était certes bien d’accord avec moi mais qu’il se sentait obligé de « meubler » le vide abyssal des conversations de ses hôtes, surtout en couples ! Il est vrai que, pour qui s’est trouvé un jour à dîner au restaurant un soir de Saint-Valentin, le constat est réaliste !

La pollution sonore est souvent aussi le propre des pays qui découvrent une certaine liberté d’écouter des musiques étrangères, non locales. Dans ces cas-là on ne mégote pas sur les décibels, sur de mauvaises installations, dans des conditions parfois totalement incongrues. Je me rappelle une plage au bord de la Mer Noire en Roumanie, il y a une douzaine d’années, ou tout récemment dans un complexe hôtelier à l’est de La Havane, où il était tout simplement impossible de se reposer au bord de la piscine, tant un haut-parleur crachait toutes sortes de musiques sans aucun rapport avec l’ambiance lounge qu’on est censé espérer en un tel endroit (même si le silence me paraît toujours préférable). J’ai eu beau expliquer à la responsable de l’établissement que sa programmation faisait fuir sa clientèle (heureusement la plage de sable blond n’était pas loin !), la sono était à fond même quand l’orage tropical inondait les lieux… Totalement incongru. Idem dans les taxis.

Mais sans aller chercher si loin, ce phénomène de pollution sonore semble s’accentuer dans les grands hôtels parisiens. Je me rappelle, il y a quelques semaines, un thé pris avec Menahem Pressler dans le lobby d’un établissement réputé du quartier Saint-Lazare. Il a fallu toute l’insistance de l’agent du pianiste pour qu’on réduise très fortement le volume d’une bande son résolument techno, complètement déplacée dans ce cadre et à cette heure. Le personnel semblait lui-même impuissant à lutter contre cet environnement…

J’ai bien évoqué l’interdiction de la musique enregistrée, parce que, bien au contraire, je suis extrêmement favorable, à de la musique vivante, lorsque les lieux et les cironstances s’y prêtent. De ce point de vue, autant j’ai été déçu par l’état de délabrement de Cuba (La Révolution décrépite), autant j’ai aimé la profusion de musique et de musiciens partout, dans le moindre café ou restaurant. En passant dans certaines rues, ou traversant certaines places de La Havane, cela pouvait donner de joyeuses cacophonies, mais au moins c’était de vrais musiciens, souvent excellents, comme ceux qui se produisent dans la célèbre Bodeguita del Medio :

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La réponse de la musique

Le seul avantage d’un agenda surchargé est d’éviter les flots de commentaires, tous médias confondus, sur l’actualité. Je ne pensais pas tout de même que ce que je prévoyais dans Emotion et impudeur serait à ce point avéré. Il y a, heureusement, des journalistes qui remettent l’actualité en perspective, comme cet éditorialiste de Ouest-France : Attentat de Nice ; un grand moment de médiocrité politique

À Montpellier, nous avons choisi d’opposer à la barbarie, au massacre des innocents, la seule réponse qui vaille, celle de la Culture, et de la Musique. Même si nous avons parfois dû affronter des positions surprenantes au nom du deuil national proclamé pendant ces trois derniers jours. Les préfets avaient demandé aux collectivités locales de renoncer aux « festivités » prévues, certains, heureusement peu nombreux, ont fait pour le moins une interprétation extensive de ces consignes en supprimant les concerts, là où il n’y avait aucun risque quant à la sécurité…

Ce samedi deux beaux rendez-vous étaient prévus, s’y est rajouté un troisième décidé in extremis

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En ces temps troublés, la présence de Menahem Pressler (93 ans) revêtait une importance particulière, et le public l’a bien ressenti, qui a fait salle comble. Après que le doyen des pianistes en exercice nous eût joué, comme dans un rêve de sonorités liquides, le Rondo en la mineur de Mozart, les Estampes de Debussy et la 3ème Ballade de Chopin, ainsi qu’en bis, le nocturne en do dièse mineur et une mazurka en la mineur du même Chopin, je tentai le pari, impossible à tenir en une petite heure, de lui faire évoquer les grandes heures de sa prodigieuse existence. Une leçon de vie pour les hommes de ce temps en quête d’espérance !

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(Après le concert, rencontre impromptue entre Menahem Pressler et Michel Dalberto, qui prépare toute une journée et une soirée consacrée à Brahms ce mardi 19 juillet)

À 20 h, à l’Opéra Comédie, la Maîtrise de Radio France et Sofi Jeannin régalaient un public très familial des aventures de Marco Polo et la Princesse de Chine d’Isabelle Aboulker.

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Et à 21h30 les musiciens de l’Orchestre national de Montpellier et leur chef Paul Daniel, empêchés de se produire à Perpignan pour cause d’annulation intempestive, avaient décidé de jouer à Montpellier cette Cinquième symphonie de Beethoven qu’ils avaient donnée la veille à Mende. Toutes les équipes s’étaient mobilisées pour organiser dans les meilleures conditions ce concert imprévu, France Musique bouleversait sa grille de programmes pour le diffuser en direct, et la foule des citoyens de Montpellier et d’ailleurs emplissait la grande nef de l’opéra Berlioz du Corum. Partageant le message universel de Beethoven, de liberté et de fraternité humaines. Quelques grincheux n’ont pas compris que l’on ne joue pas des musiques tristes ou funèbres, l’affirmation beethovénienne du triomphe de la vie sur les coups du destin, ce finale éclatant de la 5ème symphonie, disaient au contraire avec force notre compassion avec les victimes de Nice et notre espérance d’un monde qui résiste à la barbarie.

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Victoires (suite)

De bons amis m’ont reproché l’enthousiasme aveugle dont j’aurais fait preuve dans mon billet d’hier (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/02/23/victoires/). Comme si j’avais perdu tout esprit critique… c’est mal me connaître.

Renaud Machart n’y va pas de main morte dans Le Monde (http://www.lemonde.fr/televisions-radio/article/2016/02/25/aux-victoires-de-la-musique-classique-la-jeune-soprano-qui-ne-voulait-remercier-personne_4871164_1655027.html#xtor=AL-32280515). Il n’a pas tort…

J’ai été triste pour mon cher Menahem Pressler. J’ai eu soudain le sentiment, après l’avoir entendu dans une miraculeuse mazurka de Chopin, que personne ne savait pourquoi il était là. Une Victoire d’Honneur ? mais alors qu’on lui consacre plus qu’une mini-interview bâclée, mal traduite, et manifestement ignorante de la carrière et du rôle de cet artiste dans la vie musicale du XXème siècle. C’était autre chose avec la cérémonie allemande, comparable à nos Victoires, la soirée Echo-Klassik à Berlin le 18 octobre dernier.

On essaiera de faire mieux à Montpellier le 16 juillet prochain…

Heureux d’avoir entendu le poète du piano, Adam Laloum, jouer le mouvement lent du 23ème concerto de Mozart. Comme jadis avec Kempff, la pure beauté naît de l’extrême simplicité.

Et puis heureux évidemment pour les amis justement distingués, Philippe Hersant, qui trace depuis des années, à l’écart des modes et des dogmes, un chemin d’une riche originalité, Bertrand Chamayou, qu’on eût aimé entendre plus longuement que dans ce bref extrait du 1er concerto de Liszt, et, last but non least, Karine Deshayes, rayonnante dans la pleine maturité de ses moyens vocaux et artistiques. Eux aussi, Bertrand et Karine, seront de la fête à Montpellier l’été prochain (tout comme l’Orchestre national du Capitole de Toulouse et Tugan Sokhiev).

 

Victoires

On va tenter de ne pas relancer un débat aussi vieux que ce type de cérémonies : pour ou contre les Victoires de la musique classique – qui ont lieu ce mercredi soir à Toulouse ?

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Juste un point d’histoire, donc un rappel : lorsque France Musique, dont j’avais alors la charge, avait été sollicitée pour diffuser la soirée simultanément avec France 3, il y a une vingtaine d’années, j’avais répondu oui sans hésiter, même si, dans cette grande maison qu’est Radio France, une telle décision devait être avalisée, approuvée par toute une hiérarchie. Je me rappelle les hauts-le-coeur, les mines abattues, de producteurs de la chaîne, mais aussi d’autres collaborateurs, France Musique ne pouvait décemment pas s’abaisser à participer à une opération qui ne visait qu’à soutenir le commerce et l’industrie du disque…Et dont les modalités de vote et de sélection des « nommés » étaient discutables.

Ce sont les mêmes d’ailleurs qui, à la même époque, ne comprenaient pas que je veuille envoyer France Musique (et plus tard d’autres chaînes de Radio France) couvrir un phénomène qui me semblait appelé à se développer considérablement : la Folle Journée de Nantes…

Bref, je n’ai jamais regretté d’avoir poussé la chaîne musicale du service public à s’associer avec le seul prime time de l’année dévolu à la musique classique. Et je regarderai l’émission ce mercredi soir.

Le Figaro d’aujourd’hui consacrait un beau papier à ces jeunes artistes, pour qui une distinction comme Les Victoires de la musique classique a changé la donne. (http://www.lefigaro.fr/musique/2016/02/22/03006-20160222ARTFIG00212-classiques-les-nouveaux-chemins-de-la-reconnaissance.php).

Et tous ceux qui ont été récompensés ces dernières années l’ont mérité, et pour beaucoup, ont réussi à commencer une carrière (quel mot détestable s’agissant d’art) honorable. L’avantage de la jeune génération, c’est qu’elle n’a aucune illusion sur le monde culturel et musical d’aujourd’hui – même si bien des agents sont loin d’avoir évolué dans le même sens ! – et qu’elle connaît les codes, utilise, à bon escient, les modes de communication les plus adaptés à une large diffusion de leur art.

Oui Youtube, les réseaux sociaux, ont révolutionné l’accès à la culture et l’organisation du monde musical. Plus de faux-semblant possible, plus d’entre soi, de pratiques réservées au seul petit milieu professionnel. Instantanément, tel concurrent ou lauréat d’un prestigieux concours peut se faire connaître du monde entier, tel ensemble peut acquérir la notoriété – dès lors que le talent est là – sans passer par la case disque ou tournée de lancement. D’ailleurs, l’enregistrement d’un disque, les engagements, suivent, accompagnent, et ne précèdent plus que rarement le début de carrière.

On ne fait aucun pronostic sur les lauréats de ces Victoires 2016. Parce qu’on connaît tous ces musiciens, qu’on a parfois eu la chance de les repérer, de les soutenir, de les engager au tout début de leur carrière, qu’on aime leur parcours, leur attitude à l’égard des compositeurs et du public.

Beaucoup sont passés à Montpellier dans le cadre du Festival de Radio France et Montpellier Languedoc Roussillon ou seront présents dans l’édition 2016 (comme Florian Noack ci-dessus)*.

Une mention particulière pour un très beau disque, auquel j’ai pu contribuer, celui d’un merveilleux altiste, Adrien La Marca (le grand frère Christian-Pierre, au violoncelle, n’est pas mal non plus !). Un programme qui lui tenait à coeur, enregistré finalement à la Salle philharmonique de Liège…(L’album « English Delight », hommage à l’alto et aux compositeurs anglais est un voyage sur quatre siècles, de Dowland, Purcell, Vaughan Williams, Bridge, Clarke, Britten à Jonathan Harvey Chacune de ces pièces est liée à un moment spécial du parcours artistique et musical d’Adrien La Marca)

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  • Le détail de l’édition 2016 (11-26 juillet) du Festival de Radio France Montpellier et de la Région Languedoc Roussillon Midi Pyrénées (vivement un nouveau nom pour cette grande région !) sera dévoilé le 4 mars prochain.