Un bouquet de Strauss (II) : sang viennois

#JohannStrauss200

Le compositeur le plus écouté au monde, grâce au concert du Nouvel an diffusé chaque année en direct de Vienne, Johann Strauss, est né le 25 octobre 1825. Après une revue de valses, qu’en est-il de ses ouvrages lyriques, de ses opérettes, qu’il n’a composées que sur le tard, après avoir vu l’incroyable succès d’Offenbach à Vienne ?

Die Fledermaus / La Chauve-Souris

Je n’ai quasiment rien à changer à l’article que j’écrivais ici il y a une dizaine d’années : Revue de chauves-souris. Personne n’a jamais égalé la version si viennoise de Karajan en 1959

(Ackermann 1959, Böhm 1969, Boskovsky 1971, Danon 1963, Fricsay 1949, Haider, Harnoncourt, Karajan Vienne 1959, Karajan Philharmonia 1955, Carlos Kleiber, Krauss 1950)

Quatre versions en DVD, à commencer par celle de Carlos Kleiber qui dispose du meilleur Orlofsky qui soit, Brigitte Fassbaender, alors que la version CD est plombée par la présence ridicule d’Ivan Rebroff !

Quant à Rosalinde travestie en fausse comtesse hongroise, on craque toujours pour Gundula Janowitz (et la version Böhm en CD et DVD)

Der Zigeunerbaron / Le Baron tzigane

Du Baron tzigane, c’est étrangement une version quasiment inconnue, jamais distribuée en France, qui tient le haut du pavé. Distribution parfaite, direction idéale d’un chef admirable et bien oublié, Heinrich Hollreiser (1913-2006).

Une belle alternative à cette version introuvable est celle de Willi Boskovsky, avec un cast exceptionnel :

(Ackermann 1953, Allers 1969, Boskovsky 1977, Harnoncourt, Hollreiser 1959, Jordan 2004)

J’ai évidemment une tendresse pour cette dernière version. J’étais dans la salle du Corum à Montpellier le 11 juillet 2004 dans le cadre du festival Radio France. Armin Jordan dirigeait l’Orchestre national de France, avec une équipe de chanteurs assez inégale, mais le chef transcendait musiciens et chanteurs.

3. Eine Nacht in Venedig / Une nuit à Venise

Je renvoie à l’article – Une nuit à Venise -que j’avais consacré à cette opérette créée en 1883, l’année de la mort de Wagner… à Venise, après avoir vu un merveilleux spectacle à l’Opéra de Lyon en 2016, dirigé par un jeune chef qui débutait alors dans la maison et qui a depuis fait la carrière que l’on sait, Daniele Rustioni.

Je renvoie aussi à mon précédent article (Un bouquet de Strauss : dix valses) où j’évoque la valse de la lagune qui reprend les principaux thèmes de l’opérette, et en particulier ce merveilleux air de ténor :

Et encore cet extrait qui donnera raison à ceux qui ne supportent pas l’extrême sophistication que met Elisabeth Schwarzkopf dans un rôle de…poissonnière !

(Ackermann 1953, Allers 1969, Märzendorfer 1964)

4. Wiener Blut / Sang viennois

Pour une fois, c’est une valse qui donne naissance à une opérette : Wiener Blut (que j’aurais pu placer parmi mes dix valses favorites) est une pièce composée en 1873, et ce sera une opérette reconstituée par Adolf Müller à partir de partitions de Johann Strauss, créée à Vienne quatre mois après la disparition du compositeur, le 26 octobre 1899.

Ici aucune contestation possible quant à « la » version de référence.

J’ai déjà raconté ici (France Musique, fortes têtes), lorsque j’ai appris le décès de Jean-Michel Damian, ce moment inoubliable de radio que fut la journée du 23 décembre 1995 pour les 80 ans d’Elisabeth Schwarzkopf : la cantatrice avait avoué devant une salle comble (le studio 104 ancienne manière de Radio France) que son enregistrement préféré était justement ce Wiener Blut, et ce duo avec Nicolai Gedda (fait en une seule prise miraculeuse). Frissons garantis à 1’17 »

On retrouve le même fabuleux Nicolai Gedda une vingtaine d’années plus tard dans l’équipe rassemblée par Willi Boskovsky

(Ackermann 1953, Bibl, Boskovsky 1975)

On conseille vivement un coffret de belle qualité :

Voix du printemps

Comme on le précisait dans le premier volet de cette série (Dix valses), beaucoup des valses de Johann Strauss étaient destinées à être chantées soit par un choeur, soit par une chanteuse en vue. Nulle n’a mieux incarné l’esprit viennois qu’ Hilde Gueden (1917-1988)

Même si ce n’est pas de Johann, mais de Josef Strauss, on ne résiste pas à ces Hirondelles d’Autriche

On ne peut en dire autant du seul concert de Nouvel an que dirigea Karajan, le 1er janvier 1987.

Humeurs et bonheurs du jour à lire sur brèves de blog

Les miracles de La Chaise-Dieu

Sacrée Arielle

Je ne me rappelais plus exactement quand j’étais venu la dernière fois à La Chaise-Dieu. J’avais été invité, dans ce qui était alors le fief de Jacques Barrot, par le président du festival, à un concert présenté comme « extraordinaire » et au dîner qui le précédait. Grâce aux archives de l’INA, j’ai retrouvé la date – août 1994 ! et un extrait éloquent de la prestation d’ Arielle Dombasle (à voir ici) puisque c’était elle l’invitée exceptionnelle ! Ce fut la seule fois où je l’entendis sur une scène, la seule aussi je partageai la table de son mari, Bernard-Henri Lévy, arrivé de Paris dans sa Rolls…

Retour à La Chaise-Dieu

C’est dire si j’étais impatient de revenir à La Chaise Dieu, version 2025, pour deux jours et quatre concerts dont je pressentais qu’ils ne me laisseraient pas indifférent.

Je ne me rappelais plus l’ampleur de l’Abbatiale Saint-Robert, encore moins ses qualités acoustiques plutôt exceptionnelles.

Première soirée : un programme Mozart particulièrement copieux, mais tout à fait dans la veine de ce que Julien Chauvin et son Concert de la Loge ont coutume d’oser.

Compte-rendu tout frais sur Bachtrack : La métaphysique des tubes par Julien Chauvin à La Chaise-Dieu

Dès le lendemain, jeudi après-midi, les mêmes remettaient le couvert – un peu moins nombreux que la veille – pour un programme tout Vivaldi, avec même Les Quatre saisons ! (cf. mon papier pour Bachtrack)

Ce jeudi, j’enchaînais à 17h30 avec un concert de musique de chambre, dans l’écrin parfait du petit Auditorium Cziffra – c’est en effet le pianiste français d’origine hongroise qui est à l’origine du festival de La Chaise-Dieu – dont j’ai renoncé à rendre compte. Non pas que le programme et les artistes ne présentassent pas d’intérêt, mais j’ai eu, tout le long, un sentiment d’inabouti, parfois d’impréparation, en tout cas de disparité tant dans le jeu que même dans la conception. C’étaient pourtant tous d’excellents musiciens, mais voilà ça n’a pas « fonctionné » comme je l’aurais souhaité. Il y avait un septuor de Rita Strohl, pas désagréable mais vraiment court d’inspiration, le célèbre quintette avec piano « La truite » de Schubert – annoncé dans le programme comme « quintette à cordes » (!) qui manquait d’à peu près tout ce qui est nécessaire pour faire passer les longueurs et les redites de l’oeuvre. Et la sublime Fantaisie en fa mineur pour piano à 4 mains, mais si séparément on aime le piano de Romain Descharmes et celui de Theo Fouchenneret, leur duo ici n’a jamais trouvé le chemin d’une communion de jeu et de pensée. Rien de grave, c’est cela aussi le risque du concert.

Le temps de casser une croûte très sympathique au Blizart, on se préparait à un programme comme on les aime, avec un chef, un chanteur et un orchestre qu’on aime depuis longtemps, depuis 1998 précisément et toute une semaine de France Musique organisée dans la capitale des Gaules (Lire 30 ans ont passé).

Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, Poème de l’amour et de la mer de Chausson, Valse et Boléro de Ravel. Une suite de merveilles, comme je l’ai écrit pour Bachtrack : Un concert référence.

Humeurs et impressions au jour le jour dans mes brèves de blog

Comment naît-on à la musique ?

Sur ce blog j’ai consacré toute une série d’articles à ma/mes découverte(s) de la musique (La découverte de la musique de I à XVI), aux concerts, aux rencontres, aux disques qui m’ont fait aimer la musique et les musiciens.

Mais la vraie question, qu’on me pose d’ailleurs fréquemment – à moi qui serais devenu (sourire) quelqu’un d’important dans la musique classique (re-sourire !) – est : comment suis-je venu à la musique ? comment et pourquoi ma mémoire a-t-elle emmagasiné autant de sons, autant de notes ?

Naissance à la musique

Dans un article consacré aux chefs d’orchestre (Pères et fils) mais que j’aurais pu étendre aux musiciens en général, je relevais une évidence : quand on naît dans une famille de musiciens, on a mécaniquement plus de chances de développer une appétence pour la musique. Dans la chanson, la musique classique, plus rarement à l’opéra, on connaît des générations de musiciens. Mais il y a quantité de contre-exemples, où le milieu social ou familial n’a eu aucune influence sur le développement du goût voire de la pratique de la musique. On se rappelle cette séquence de l’émission « La France a un incroyable talent » où un adolescent de 15 ans, hébergé dans un foyer, avait surpris et ému tout le jury en répondant d’abord que ses idoles étaient Liszt et Beethoven et en jouant le finale de la sonate « au clair de lune » de Beethoven : Rayane Hechmi.

Je ne sais pas si ce garçon qui s’est depuis inscrit au Conservatoire Paul Dukas à Paris fera ou non une carrière de pianiste concertiste. Mais pour lui et sans doute pour beaucoup de ceux qui l’ont regardé à la télévision ou écouté dans les gares où il jouait, la musique est devenue indispensable, vitale.

Education et intérêt pour la musique

Je suis en revanche beaucoup plus circonspect quant à la relation éducation à la musique => goût pour la musique. Je ne sais pas moi-même si mon goût puis ma passion pour la musique ont pour origine mes années au Conservatoire de Poitiers (solfège, piano, trois ans de violon, ensemble vocal), alors que mes deux soeurs, elles aussi inscrites dans le même établissement, ont choisi d’autres voies, même si elles sont comme on dit « sensibles » à la musique.

Parenthèse, j’ai été ému de retrouver dans les archives numérisées de l’INA les deux émissions de France Musique « Les jeunes Français sont musiciens » qui avaient été enregistrées fin mars et diffusées en avril 1973 à Poitiers. J’aimerais bien récupérer une copie…

Au fil des années et de mes responsabilités dans le domaine musical, je suis allé de surprise en déception en constatant chez nombre de professionnels, en particulier les musiciens d’orchestre, un manque de culture musicale, une absence d’intérêt pour la substance même de leur métier. Comment peut-on étudier dur pendant des années, passer des concours très difficiles pour accéder à des postes de titulaires, et rester indifférent, voire ignorant, aux répertoires joués, à la vie musicale, aux artistes invités ? Il y a heureusement beaucoup d’exceptions, mais c’est resté pour moi une énigme.

Je me rappelle aussi avoir dû, tout au long de ma vie professionnelle, rechercher, recruter des collaborateurs, pour travailler, qui dans une chaîne de radio musicale, qui dans un orchestre, qui dans un festival ou la direction de la Musique de la radio… Quand je posais comme pré-requis au moins une connaissance certaine de la musique classique, je voyais parfois/souvent poindre l’étonnement chez les DRH et lorsque nous en arrivions à l’entretien avec des candidats pré-sélectionnés d’après leur CV, nous n’étions pas toujours au bout de nos surprises… J’ai en revanche un souvenir encore très vivace de l’expérience que j’avais proposée à la direction de la chaîne culturelle de la Radio Suisse romande – Espace 2 – en 1991, pour faire face à la pénurie de producteurs/animateurs : un recrutement complètement ouvert ! En deux temps : après inscription, les candidats étaient soumis à une épreuve écrite destinée à cerner leurs connaissances musicales et leurs goûts. Des questions à choix multiples, presque conçus comme des jeux. Puis, à partir de ces réponses, des entretiens individuels. Il en résulta l’engagement de six producteurs. Quatre d’entre eux ont depuis lors été des voix reconnues et admirées de la radio suisse, jusqu’à leur retraite récente, comme l’ami Charles Sigel, l’une des meilleures plumes de Forumopera.

Encyclopédisme et gourmandise

J’ai longtemps fait un complexe – que certains appellent le syndrome de l’imposteur – du fait que, dans les fonctions qui m’ont été successivement confiées, je ne me sentais pas à ma place, parce que je n’avais pas le savoir musicologique, les diplômes, voire le « niveau » a priori requis pour la fonction, ou parce que je côtoyais des personnages infiniment plus cultivés et/ou expérimentés que moi. Je me rappellerai jusqu’à mon dernier souffle mon premier contact avec l’Orchestre de la Suisse romande, dont j’allais être le producteur à la Radio suisse romande, de 1986 à 1993. Totalement inconnu dans le milieu musical genevois, je succédais à quelqu’un qui était lui-même musicien, sorti d’un conservatoire romand, organisateur de concerts, etc. Je n’étais rien de tout cela (et c’est peut-être pour cela qu’on m’avait choisi comme « outsider »). Je jouai la franchise, en leur disant que j’allais apprendre à leurs côtés et que je m’efforcerais de les servir de mon mieux. J’ai la faiblesse de penser qu’ils n’ont pas gardé un trop mauvais souvenir de mon passage à la RSR…

J’ai beaucoup d’admiration pour les musicologues, les spécialistes qui savent faire partager non seulement leur science mais surtout leur passion, leur gourmandise. Ce sont en général d’excellents pédagogues, des « transmetteurs » recherchés (je me rappelle deux rencontres avec le célèbre musicologue américain H.C. Robbins Landon, dont les travaux sur Haydn et Mozart ont fait date. C’était l’incarnation de l’honnête homme du XVIIIe siècle, infatigable narrateur et pourvoyeur d’histoires, petites et grandes, et surtout bon vivant). J’ai plus de réticences – euphémisme – à l’égard de professeurs – je ne citerai pas de noms – qui sont de bien piètres communicants.

Aujourd’hui heureusement, on est sorti de ces vieux clivages. Nos Conservatoires produisent non seulement d’excellents musiciens, qui pourront être d’excellents enseignants, mais aussi de formidables médiateurs – puisque c’est le terme usité -, je les nommerais plutôt « passeurs ». Pendant quelques années, nous avions noué, avec le Festival Radio France et le Conservatoire supérieur de Lyon, des contrats permettant à quelques étudiants du CNSMDL de participer au festival notamment pour y animer des séances avec le public – présentation d’oeuvres, d’artistes, entretiens, etc. – J’allais moi-même à Lyon animer des échanges avec ces étudiants, pour les inciter à se former, se perfectionner à cet exercice indispensable. Ils sont plusieurs à avoir poursuivi dans cette voie avec succès, le plus connu d’entre eux étant Max Dozolme qui officie sur France Musique.

Enfin, pour grandir dans l’amour de la musique, il y a la critique, les critiques – cf. les articles que j’ai consacrés au sujet -, ceux qui, sans être nécessairement ni spécialistes ni musicologues, ont le don de donner envie, de donner à aimer.

Je l’ai cité une seule fois il y a longtemps (Les arbitres des élégances). J’ai repris ces jours derniers un ouvrage qu’on déguste comme un merveilleux livre de souvenirs : Jacques Lonchampt

Une mine d’or !

Et dans mes brèves de blog à découvrir quelques pépites (Argerich, Barenboim, Maria Tipo, etc.)

Lola, Casanova et le requiem de Fauré

Décidément, l’obituaire se remplit sans désemparer ces jours-ci. Aux articles récents de ce blog (La douce compagnie de la mort, Jodie dans les étoiles), il me faut ajouter celui-ci, à propos de stars du cinéma, que nous n’avons pas de raisons personnelles de pleurer, mais dont la disparition peut toucher ceux qui voient leur jeunesse s’enfuir avec elles.

Anouk Aimée = Lola

J’avoue que je n’aurais peut-être pas consacré un article à Anouk Aimée, morte le 18 juin dernier, non pas que je ne l’admire pas, que je n’aie pas été troublé par sa beauté, mais simplement parce que je n’ai rien à dire de plus que toutes les louanges qui lui ont été tressées. Pour tout dire, je connais mal sa filmographie, en dehors bien sûr des Lelouch.

Et puis avant-hier soir, je suis tombé par hasard sur ARTE sur la rediffusion du film de Jacques Demy, Lola, que je n’avais jamais vu, piètre cinéphile que je suis ! Je me suis laissé embarquer jusqu’au bout par ce petit bijou.

Je ne connaissais pas ce Demy là, cette manière si tendre, si empathique, de filmer des personnages qui semblent ignorer les noirceurs de la vie. Les tourments de l’âme, les amours impossibles, les réminiscences du passé ne semblent jamais départir ces derniers d’une sorte de résignation douce à leur sort. Anouk Aimée illumine, c’est peu de le dire, son rôle de danseuse de cabaret qui prend l’amour comme il vient. Les personnages masculins qui l’entourent n’ont rien de brutes épaisses. Tout le film est porté par une grâce qui fait un bien fou.

Eternel Casanova

Lorsque j’ai appris hier soir le décès de Donald Sutherland, une image a immédiatement surgi dans ma mémoire: celle du Casanova de Fellini

Pourquoi ce film en particulier, alors que Sutherland a marqué de son empreinte tant de rôles différents au cinéma comme à la télévision ? J’emprunte à un ami, lui cinéphile absolu, Michel Stockhem, sur Facebook ces quelques lignes :

« Les premiers obituaires paraissent, et déjà me font peur quant à la vraie mesure de la perte.

Oui, oui, il y a Hunger Games, mais dans les années 70, outre l’incontournable M.A.S.H., il y a des chefs-d’œuvre qui expliquent totalement le triomphe d’un jeune Canadien à Hollywood et à Londres, et non la valeur d’un beau grand vieillard classieux.

Jetez-vous sur « Klute », d’Alan J. Pakula (1971, avec Jane Fonda) et surtout sur « Don’t Look Now » (Ne vous retournez pas) de Nicholas Roeg (1973, avec Julie Christie – argh, la plus belle scène d’amour de toute l’histoire du cinéma), et vous comprendrez l’impact qu’a eu ce grand échalas sur le cinéma anglo-saxon.

Ses mémoires paraîtront en novembre. »

Je note que Michel Stockhem ne met dans sa liste – très provisoire – le film de Fellini. Mais je vais suivre ses conseils et revoir Klute et découvrir Don’t look now.

Le Requiem de Fauré

La dernière fois que j’ai entendu le Requiem de Fauré en concert, je crois bien que cela remonte à presque dix ans, lors de l’inauguration de la Philharmonie de Paris (lire Philharmonie), quelques jours après les attentats de janvier 2015. J’avais repéré le programme, plutôt original, que donnait hier soir l’Orchestre national de France à la Maison de la radio et de la musique : une création de Martin Matalon, le 2e concerto de Liszt et le requiem de Fauré. La pianiste Alice Sara Ott ayant déclaré forfait lors de la générale – on veut saluer ici le courage de cette jeune artiste qui affronte, comme d’autres avant elle, une terrible maladie – le concert a été raccourci d’autant, ce dont on ne s’est pas plaint.

Pour le concerto pour orchestre de Martin Matalon, il y avait dans le public quelques figures parisiennes de la musique contemporaine, l’ancien (Laurent Bayle) et l’actuel (Frank Madlener) directeurs de l’IRCAM, quelques artistes amis du compositeur. Comme je n’ai pas à faire de papier pour Bachtrack (c’est bien agréable parfois d’être un « auditeur libre » !), je n’en ferai pas plus ici, sauf à dire que l’oeuvre de Matalon est aussi accessible d’écoute que facile à oublier. Au moins il sait écrire pour grand orchestre et valoriser les solistes du National. Pour se faire une idée, rien de mieux que réécouter le concert diffusé hier en direct sur France Musique.

On conseillera de même pour le Requiem de Fauré.

Dans ma discothèque, les versions de ce requiem ne manquent pas. J’ai déjà évoqué ici celles d’Armin Jordan et de Michel Corboz. Mais jamais, je crois, deux versions, rarement citées, dont la première est celle avec laquelle j’ai découvert l’oeuvre au disque.

Daniel Barenboim et l’Orchestre de Paris

Je profite de cette allusion à l’Orchestre de Paris pour saluer un musicien que j’avais eu la chance de recruter à Liège, puis retrouvé à l’Orchestre national de France, aujourd’hui alto solo de l’Orchestre de Paris, Corentin Bordelot.

Colin Davis et la Staatskapelle de Dresde

Rien de ce que nous a légué Colin Davis (1927-2013) n’est négligeable. Quant à moi je n’en finis pas de redécouvrir et réécouter les disques du grand chef anglais, dont j’ai eu la chance d’applaudir le dernier concert à la tête du London Symphony quelques mois avant sa mort…

Ceinture pour la culture

Dans le bilan que je tirais de la dernière édition du Festival Radio France que j’ai organisée à Montpellier, en 2022, j’écrivais, pour commenter les bons résultats de ce cru, qui ne retrouvaient cependant pas l’étiage de 2019 de l’avant-COVID :

« On n’a pas fini de mesurer les changements profonds que la pandémie a engendrés pour les artistes comme pour le public. »

« Il y a bien un avant et un après et il ne faudra pas se contenter de généralités approximatives si l’on veut comprendre les nouvelles attentes d’un public qui s’est déjà largement renouvelé ».

J’ai appris depuis longtemps qu’il ne fait pas bon jouer les Cassandre. Je n’ai jamais, pour autant, restreint ma liberté de parole (cf. L’Absente), et ce n’est pas maintenant que je ne suis plus « en responsabilité » que je vais changer.

On lit depuis quelques jours des articles alarmistes sur les restrictions imposées aux grands établissements culturels (voir l’article du Monde daté du 4 avril) le gouvernement, après sa période de prodigalité – qui a tout de même sauvé des pans entiers de notre économie, dont la culture – étant contraint de serrer la ceinture budgétaire à tout le monde. Et voici que, dans Le Monde de ce week-end, Michel Guerrin balance quelques vérités très bonnes à dire… et confirme deux ans après ce que je pressentais en 2022. :

« Les 3 milliards d’euros injectés pour sauver la culture lors de la crise liée au Covid-19 n’ont pas été l’occasion de réformer un secteur marqué notamment par une offre surabondante. Au point que le monde du spectacle, déjà mal en point avant la pandémie, se retrouve dans une situation pire depuis »

« L’Etat a sauvé la culture sans vraiment évaluer les besoins ni jauger les résultats. Il a piloté à vue, provoquant quelques beaux gâchis, et continue de naviguer dans le brouillard.

Le constat, développé par la Cour des comptes dans un rapport publié en mars, est d’autant plus douloureux que l’Etat cherche 10 milliards d’euros d’économies et vient de « piquer » 200 millions d’euros à la culture« 

Je fais une incise pour rappeler que je ne suis pas un grand fan de la Cour des comptes en matière de culture. Je me rappelle quelques entretiens surréalistes, lorsque j’étais à Radio France, avec des inspecteurs de la rue Cambon (siège de la Cour des Comptes), qui démontraient de leur part une méconnaissance totale de la matière qu’ils étaient censés contrôler… J’invite à relire l’article que j’avais consacré à ce sujet il y a un an : Trop de musique ? où je rappelais que « si le général de Gaulle affirmait en 1966, à propos de la Bourse : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille », on renverrait bien la formule aux magistrats de la rue Cambon : « La politique culturelle de la France ne se fait pas à la Cour des Comptes«

Mais je suis – malheureusement – d’accord avec la Cour des comptes et surtout Michel Guerrin lorsque ce dernier écrit :

L’essentiel des griefs est à venir. L’argent ne devait pas servir seulement à sauver le secteur culturel, mais à le moderniser en profondeur : estimer ce qui marche ou pas, définir des priorités. Il ne s’est rien passé, ou presque, déplorent les magistrats. Pire, de l’argent a été investi dans des programmes en dépit du bon sens. L’Etat n’a pas fait la différence entre un théâtre qui allait mal à cause de la crise liée au Covid-19 et un autre, déjà malade auparavant en raison de dysfonctionnements profonds. Des lieux se sont retrouvés avec plus d’argent que le ministère ne leur en donnait en temps normal.

Le résultat ? L’argent du Covid-19 a fait grossir l’offre culturelle. C’est effarant, car aujourd’hui, alors que la pandémie semble loin, le monde du spectacle, déjà mal en point auparavant, se retrouve dans une situation pire. Des théâtres et des opéras n’ont plus l’argent nécessaire pour produire une saison pleine ; ils suppriment une pièce ou une chorégraphie, écartent de jeunes artistes au profit de noms qui font remplir la salle. » (Michel Guerrin, Le Monde 6/7 avril 2024)

Je ne connais pas le détail des arbitrages de la ministre de la Culture, et surtout de Bercy : Rachida Dati affirme qu’elle a tapé dans le porte-monnaie des gros pour préserver les petits, notamment en province (oups, pardon, « les territoires »).

Responsabilité collective

Mais ces réductions venant de l’Etat ne doivent pas masquer un phénomène beaucoup plus large et nettement plus préoccupant. Puisque la plupart des structures culturelles ne dépendent que marginalement du ministère de la Culture, tout ce qui est spectacle vivant, diffusion et production de l’activité culturelle, est directement touché par les décisions des collectivités territoriales. On en sait quelque chose dans les villes gérées depuis 2020 par les écologistes (Lyon, Strasbourg) ou certaines régions gérées par la droite (comme Auvergne-Rhône-Alpes). Mais, de manière moins visible, il n’est pas une région française, de gauche ou de droite, qui n’ait sensiblement réduit sa contribution aux structures culturelles, tout en proclamant le contraire.

J’ai, tout au long de ma carrière dans les médias comme à la tête d’entreprises culturelles, connu les budgets « contraints », les restrictions annoncées ou brutales. Et toujours pensé que cette contrainte devait produire un sursaut d’imagination, de créativité, et non le repli sur soi. J’aurai l’occasion d’en faire état dans une série que je consacrerai prochainement à mes années liégeoises… non pour donner des leçons à quiconque mais pour faire état d’expériences réussies !

France Musique : 30 ans ont passé, les souvenirs restent

J’ai déjà raconté ici – L’aventure France Musique – les raisons et les circonstances de mon arrivée à France Musique le 23 août 1993, il y a donc exactement 30 ans !

J’invite ceux que cela intéresse à relire mon article d’il y a cinq ans…

J’ai découvert un peu par hasard que le 6e épisode du podcast La Maison de la Radio : 60 ans de musique et de partage évoque cette période et le rôle que j’ai pu jouer (à écouter ici ou en direct le 26 août à 9 h sur France Musique)

Je garde de précieux souvenirs des presque six années que j’ai passées à la tête de la station, mais je n’éprouve ni nostalgie ni regrets. Encore moins ce qui malheureusement alimente souvent les souvenirs de ceux qui ont été « en responsabilité », l’aigreur ou la rancoeur. Ce sont des sentiments qui me sont, qui m’ont toujours été étrangers.

Oui il m’arrive de penser que j’aurais pu faire plus, mieux, plus longtemps dans les fonctions qui m’ont été confiées, mais j’éprouve plus souvent la satisfaction de voir que les projets qu’on a lancés, les transformations qu’on a opérées – et il y en a eu beaucoup à France Musique – sans heurts, sans atteinte à la dignité des personnes, sont ancrés dans l’histoire de la chaîne et dans la mémoire de ceux qui ont participé à l’aventure, et qui pour beaucoup en font encore partie.

Deux grilles etc.

Anne-Charlotte Rémond évoque dans cet épisode la grille que j’étais chargé de préparer pour janvier 1994 (sous la supervision de Claude Samuel). Elle aurait pu ajouter ma pleine et entière responsabilité dans celle qui a été établie, cette fois avec Pascal Dumay, pour la rentrée 1997. Les principes sont restés les mêmes, mais – il y a prescription – je voudrais raconter une anecdote qui illustre l’état de tension, d’incertitude que génère inévitablement l’exercice de la refonte d’une grille de programme chez les producteurs. Dumay et moi nous étions isolés pendant un week-end à l’écart de Paris pour « finaliser » le dispositif et bien entendu nous étions convenus, au moins implicitement, que nos discussions resteraient secrètes, tant que la grille ne serait pas validée, sachant que tous guettaient le moindre signe. Dans la semaine qui suivit, mon cher assistant, Sylvain Lopez (tragiquement disparu dans un accident de voiture à l’été 1999), me rapporta des « bruits » de couloir alarmistes, forcément alarmistes, sur nos travaux du week-end! Je parvins à identifier la source de ces bruits, une jeune productrice dont on me dit qu’elle était très proche du directeur de la musique…Je me retrouvai dans la très délicate situation de devoir dire innocemment (!) à ce dernier mon incompréhension quant aux fuites qu’on me rapportait. Penaud, il me promit de mettre fin à cette situation ! Finalement, « notre » grille fut très bien accueillie tant par la « maison » que par la presse.

J’ai précieusement gardé l’article de Christian Leblé paru dans Libération en janvier 1996, quelques mois avant que Claude Samuel ne soit remplacé par Pascal Dumay à la direction de la musique de Radio France : France Musique mue et remonte. Les problématiques qui se posaient demeurent peu ou prou et la nécessité de faire une « radio à l’écoute de ses auditeurs » plus évidente que jamais.

Mémoire retrouvée

Ainsi à l’occasion du récent décès de Renata Scotto, France Musique a rediffusé quelques épisodes d’une série « Mémoire retrouvée » que j’avais lancée dès l’été 1994, sur un principe simple. En radio, la plupart des personnes interviewées le sont parce qu’elles sont dans l’actualité ou parce qu’elles ont une « promo » à faire. Mais quid de celles et ceux qui ont quitté les feux de la rampe, et qui ont des tas de souvenirs à livrer… et qu’on interroge rarement ? J’avais donc proposé à tous les producteurs de la chaîne une formule et un format inédits (j’avoue que j’ai eu un peu de mal à convaincre la structure de production, déstabilisée par la liberté que je tenais à laisser aux équipes) : j’ai demandé à chacun(e) une liste de personnalités qu’il/elle souhaiterait interroger. Une fois d’accord, les producteurs prenaient contact avec elles et nous ne fixions la durée de l’émission qu’après que la rencontre entre interviewés et producteurs avait eu lieu. Ainsi, par exemple, la même productrice fit face à deux cas de figure opposés : après avoir rendu visite à un célèbre ténor (Alain V.), elle me dit qu’avec le matériau récolté, elle tiendrait tout juste une heure. En revanche, avant même d’en avoir terminé avec la grande Renata T., elle m’annonça qu’elle en aurait bien pour cinq émissions, toute une semaine. Je ne voulais surtout pas enfermer les uns et les autres dans un format.

C’est ainsi qu’avec Renata Scotto, en 1997, Mildred Clary put réaliser trois émissions : Mémoire retrouvée de Renata Scotto, à réécouter ici

Je regrette que mon successeur Pierre Bouteiller ait interrompu une série qui constitue, encore aujourd’hui, une formidable source d’archives exclusives sur le monde musical de la fin du XXème siècle.

Directs de New York et de Lyon.

Parmi les réalisations dont je reste fier, deux semaines vraiment exceptionnelles à l’automne 1998 ont marqué l’histoire de la chaîne. Anne-Charlotte Rémond évoque dans son podcast l’incroyable semaine en direct de New York avec Renaud Machart et Claude Carrière : je l’ai racontée ici lorsque Claude Carrière est mort (lire La belle carrière de Claude). Avec un incident dont je n’ai pas lieu d’être fier…

Quelques mois après l’expédition new-yorkaise, France Musique installait ses micros à l’Opéra de Lyon, pour une semaine de directs de l’amphithéâtre de la scène complètement refaite par Jean Nouvel en 1993.

Pour la première fois, les auditeurs de la chaîne allaient découvrir en direct plusieurs stars d’aujourd’hui : Karine Deshayes, Stéphane Degout, Stéphanie d’Oustrac…et l’ouvrage de Paul Dukas, Ariane et Barbe-Bleue, avec lequel le nouveau directeur général, Alain Durel, et son nouveau directeur musical, Louis Langrée, inauguraient leur mandat, Françoise Pollet incarnant glorieusement le rôle réputé inchantable d’Ariane.

Un dernier hommage à Michel Larigaudrie, disparu il y a bientôt un an, qui m’envoyait régulièrement des photos des émissions de France Musique qu’il réalisait. Je retrouve celle-ci au moment de conclure cet article : je ne reconnais pas tout le monde, sauf bien sûr à droite de la photo Rolf Liebermann (1910-1999), entre autres ancien directeur de l’Opéra de Paris, et tout à gauche Michel Larigaudrie et Olivier Morel-Maroger qui m’a lointainement succédé à la direction de la chaîne (de 2011 à 2014). Je me demande bien ce que j’étais en train de raconter à l’époque…

Voix de reines

La série n’est pas terminée… et tant mieux ! Dans la ligne de mon précédent billet (Rita, Nadia, Cécile…) les femmes sont toujours à l’honneur.

Les reines d’un soir

On était mardi soir au théâtre des Champs-Elysées pour le double récital de Marina Rebeka et Karine Deshayes. Compte-rendu complet sur Bachtrack : Les reines d’un soir

(Les deux cantatrices enregistrées pour la télévision en 2018 dans le même Théâtre des Champs-Elysées)

Jessye inédite

Ce matin je recevais un coffret commandé il y a plusieurs semaines, qui faisait déjà beaucoup parler de lui avant même sa parution. Des enregistrements inédits de la grande Jessye Norman (Les Chemins de l’amour).

L’éditeur de ce coffret, Cyrus Meher-Homji, responsable de la formidable collection Eloquence Australie – qui réédite les trésors de l’immense fonds Philips, Decca, Deutsche Grammophon – écrit à propos de ces disques sous le titre « Le fruit défendu » : « Les multiples spéculations, articles, blogs, et groupes de discussions autour des inédits de Jessye Norman trouvent aujourd’hui une réponse avec ces enregistrements réalisés entre 1989 et 1998 »« .

On va donc parcourir les 3 CD de ce coffret, sans a priori, en particulier – le 1er CD – les extraits de Tristan et Isolde captés à Leipzig du 19 au 30 mars 1998, sous la direction de Kurt Masur (avec Thomas Moser en Tristan, Hanna Schwarz en Brangäne et Ian Bostridge en jeune marin), le 2ème comporte deux cycles déjà enregistrés « officiellement » par la chanteuse, les Vier letzte Lieder de Richard Strauss en mai 1989 et les Wesendonck-Lieder de Wagner en novembre 1992, les deux fois « live » à Berlin avec James Levine à la tête des Berliner Philharmoniker. Le troisième rassemble, sous la houlette de Seiji Ozawa avec le Boston Symphony, la cantate Berenice, che fai ? de Haydn, La mort de Cléopâtre de Berlioz, et Phèdre de Britten, soit au moins deux inédits (Haydn, Britten) de la discographie de Jessye Norman. Reste la question de savoir pourquoi la chanteuse n’avait pas autorisé la sortie de ces enregistrements, et pourquoi ses héritiers sont passés outre…

Virginia Zeani (1925-2023)

La cantatrice roumaine, morte à 97 ans, n’était qu’un nom sur un CD de compilation d’airs de Puccini, jusqu’à ce que Decca réédite ce disque-récital. Elle est pour moi à jamais la Musetta de la Bohème

Un beau dimanche à Paris

Mozart, Berlioz, Stravinsky à la Bibliothèque

Le site historique de la Bibliothèque Nationale de France, établi entre les rues Vivienne et de Richelieu dans le centre de Paris, a été fermé pendant des années – la dernière fois qu’on y était venu, Jean-PierreAngrémy (Pierre-Jean Rémy de son nom de plume) en était le président (entre 1997 et 2002). Il vient de rouvrir après une complète restauration, ou plutôt une métamorphose.

Redécouverte des lieux hier dimanche.

L’entrée se fait rue Vivienne (il est recommandé de réserver à l’avance, même si la file d’attente des visiteurs n’est pas dissuasive

La fameuse « salle ovale » surprend toujours par ses proportions… et par le silence qui y règne. Ce dimanche, la salle de lecture est comble. On entend à peine la rumeur des visiteurs qui en font le tour.

A l’étage, la galerie Mazarin, elle aussi restaurée dans sa splendeur originelle, expose quelques-uns des trésors de la BNF, et notamment quelques manuscrits de partitions célèbres, qu’on savait déposés ici mais qu’on n’avait jamais vus.

Au milieu le manuscrit du Sacre du Printemps d’Igor Strawinsky, à droite la Symphonie Fantastique de Berlioz !

De gauche à droite, la sonate Appassionata de Beethoven, le Te Deum de Marc-Antoine Charpentier, le Don Giovanni de Mozart.

Il faudra revenir, revenir souvent !

En relation avec le manuscrit de Stravinsky… et une récente visite de l’exposition consacrée à Pierre Boulez dans l’autre site de la BNF (lire Découvrir Boulez), la toute première version gravée par Pierre Boulez du Sacre du printemps.

Les amis de Karine

On ne pouvait imaginer terminer mieux ce dimanche pluvieux qu’avec ce concert célébrant les 25 ans de carrière de Karine Deshayes à l’Opéra Comique.

(Ci-dessus, le 15 juillet 2017 à Montpellier, après une représentation en concert des Puritains de Bellini, avec le chef Jader Bignamini)

Je ne sais par où commencer si je dois égrener mes souvenirs d’une chanteuse, d’une musicienne sur qui l’âge semble n’avoir aucune prise – elle a fêté ses 50 ans en début d’année -. Peut-être, comme je le rappelais hier soir à l’actuel directeur de la chaîne Marc Voinchet, l’opération que nous avions menée avec France Musique, toute une semaine de directs à l’Opéra de Lyon en septembre 1998 : Karine Deshayes, Stéphane Degout et quelques autres de leurs camarades, aujourd’hui au faîte de leur carrière, y avaient fait leurs débuts radiophoniques ! Noter que la soirée d’hier sera diffusée le 26 décembre sur France Musique !

Il y avait donc foule hier, place Boieldieu, dans la salle et sur la scène. Pour un programme peut-être trop copieux, qui n’a pas laissé s’installer le côté bande de copains qu’on eût aimé, et que Karine sans aucun doute avait souhaité. Mais on ne boudera pas son plaisir, et si tout ne fut pas de la même eau, on retiendra des presque deux heures ininterrompues que dura cet « instant lyrique », des séquences émouvantes et surtout la confirmation d’un talent, d’une personnalité que l’expérience et la maturité embellissent.

Philippe Jaroussky s’étant fait porter pâle – il devait chanter le célèbre « duo des fleurs » de Lakmé – c’est l’une des plus glorieuses Lakmé de l’histoire – entendue et applaudie sur cette même scène de l’Opéra Comique en 1998 – Natalie Dessay.. qui remplaça Jaroussky !

A la fin de ce concert, tout le monde rejoint Karine Deshayes pour le nostalgique Youkali de Kurt Weill.

Mais la soirée n’était pas tout à fait terminée, puisque, à peine sorti de l’Opéra Bastille où il chantait Don José dans Carmen, Michael Spyres se transformait en Pollione pour la Norma incandescente de Karine Deshayes !

Et tout le monde cette fois de venir saluer la « Reine des bulles » comme l’a si justement surnommée Natalie Dessay, le goût pour le champagne et les bulles de Karine Deshayes n’étant pas une légende !

Générique de cette soirée :

Catégorie chanteurs : Karine Deshayes, Natalie Dessay, Delphine Haidan, Cyrille Dubois, Michael Spyres, Paul Gay

Catégorie pianistes : Antoine Palloc, Mathieu Pordoy, Bruno Fontaine, Johan Farjot

Catégorie instrumentistes : Geneviève Laurenceau (violon) , Christian-Pierre La Marca (violoncelle), Arnaud Thorette (alto), Pierre Génisson (clarinette), André Cazalet (cor)

Catégorie compositeurs : Meyerbeer, Mozart, Rossini, Massenet, Richard Strauss, Poulenc, Schubert, Verdi, Godard, Bizet, Delibes, Burwell, Gounod, Weill, Bellini.

Une joyeuse marche, Chabrier et les copains

Le hasard, ou plus exactement le projet de faire étape dans une maison d’hôtes agréable sur le chemin du retour d’Italie, m’a fait choisir comme halte l’une des quatre sous-préfectures du Puy-de-Dôme, la bien tranquille cité d’Ambert, 6600 habitants.

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IMG_3208On n’a pas remarqué beaucoup d’animation dans les rues du centre ville ancien…

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IMG_3181Originale, cette mairie ronde, ancienne halle aux grains, construite en 1816.

IMG_3182Une bonne table, le Md’une belle originalité, plats copieux, vins pour tous les goûts.

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Les copains de Jules Romains

Je ne sais pas qui lit encore Jules Romainsencore moins l’un de ses romans, publié en 1913, Les Copains :

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Au cours d’une soirée bien arrosée, une bande de copains (Broudier, Bénin, Lesueur, Omer, Huchon, Martin et Lamendin) décident de sanctionner les villes d’Ambert et d’Issoire car, à leurs yeux, elles font preuve d’insolence sur une carte de France. Après avoir consulté un somnambule en guise d’oracle pour vérifier la pertinence de leur décision, ils passent à l’action. C’est ainsi que la caserne d’Ambert recevra nuitamment une visite impromptue du ministre (en réalité Broudier), qui demande à voir des manœuvres immédiates dans la ville. Bénin se fait quant à lui passer pour un éminent théologien venu de Rome, et le curé lui laisse avec émotion la place en chaire pour le sermon : les paroissiens éberlués entendent une apologie (d’abord masquée puis débordante) de la luxure ! À Issoire, lors de l’inauguration d’une statue de Vercingétorix sur la place Sainte-Ursule, le héros gaulois (qui n’est autre que Lesueur, nu sur le cheval de bronze) répond grossièrement au discours du député.

Ces Copains donneront une chanson, et parmi les plus célèbres de son auteur, Georges Brassens

puis le film, pour lequel la chanson a été écrite, d’Yves Robert en 1965, avec une joyeuse bande d’acteurs, Noiret, Rich, Lonsdale, Bedos, Mondy...

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Emmanuel Chabrier

Mais, en choisissant Ambert comme étape, j’ignorais que c’était la ville natale d’un compositeur que j’admire profondément depuis longtemps, Emmanuel Chabrierqui, né le 18 janvier 1841, y grandit jusqu’en 1852. Encore quatre ans à Clermont-Ferrand avant que la famille ne s’installe à Paris.

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IMG_3186Le monument et le jardin dédiés à Chabrier, à Ambert.

J’aime Chabrier pour son art d’échapper aux. classifications, sa totale liberté vis-à-vis des modes, des influences, sa manière d’écrire une musique si subtilement française. Aucun label n’a encore eu l’idée d’éditer une intégrale de son oeuvre, qui tiendrait en moins d’une douzaine de CD.

Son oeuvre d’orchestre, dominée par quelques tubes comme Espana, ou la Joyeuse marche, tient en un double CD. Paul Paray en a été l’interprète le plus éclairé, Plasson le plus complet.

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Une version plutôt exotique d’Espana, dirigée par Placido Domingo lors de l’un des célèbres concerts berlinois de la Waldbühne :

Plus convaincante, cette version de la Fête polonaise dirigée par Neeme Järvi à la tête de l’orchestre symphonique de Detroit :

On aime beaucoup les Mélodies de Chabrier, tendresse, poésie, humour, et dans cette intégrale publiée par Hyperion il y a de quoi se régaler…

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L’oeuvre pianistique, que j’ai toujours beaucoup de plaisir à jouer, a trouvé en Pierre Barbizet son interprète idéal

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Deux subtiles versions des ouvrages lyriques de Chabrier à recommander :

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Troisième tour

Le 5 mars dernier, à la fin d’un long article – Élections municipales : hier et aujourd’hui – j’écrivais : « Que donneront les élections du 15 et du 22 mars prochains ? Je suis évidemment de très près les campagnes dans quelques villes où j’ai des attaches, Thonon-les-Bains bien sûr, Paris évidemment, Montpellier, et quelques autres encore…Bien malin qui pourrait faire un pronostic dans les trois villes que j’ai citées… et dans bien d’autres. L’éclatement de l’offre politique, le nombre de listes en concurrence, la perte des repères traditionnels – cause et conséquence des élections présidentielle et législative de 2017 – rendent les résultats plus qu’incertains. Les sondages ? cela fait des années qu’ils sont régulièrement démentis ou corrigés par les élections. Le suspense est entier… »

On a désormais la réponse, à l’issue d’un second tour qui n’a pas eu lieu le 22 mars, mais le 28 juin dernier !

J’aurais pu ajouter une quatrième ville, celle de mon enfance, de mon adolescence, celle aussi où je fus pour la première fois candidat sur une liste municipale en 1977, Poitiers

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Le taux d’abstention, depuis plus de dix ans, à des élections traditionnellement très suivies – présidentielles et municipales – est évidemment l’élément essentiel du dernier scrutin. Et, contrairement à la majorité des commentateurs, je ne pense pas que la crise sanitaire en soit la principale raison. La démocratie représentative a plus que du plomb dans l’aile: en témoigne éloquemment le mouvement des « Gilets jaunes » qui a établi, dans l’opinion, qu’une minorité agissante, voire violente, pouvait penser dicter sa loi à la majorité par essence silencieuse.

Mais les électeurs ont voté, et comme en 1977, ils ont « dégagé » des équipes depuis trop longtemps au pouvoir. Inutile de reprendre la liste : Bordeaux, Lyon, Marseille…

À Poitiers, la ville était PS depuis 1977, Jacques Santrot d’abord, Alain Claeyes ensuite. Rien de répréhensible dans ce long règne socialiste. De l’usure, de la lassitude, de l’envie de voir d’autres visages, politiquement proches, mais différents.

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Pour citer les trois autres villes où j’ai des attaches, c’est au contraire la constance dans la fidélité à des valeurs, à des idéaux, qui a été « récompensée » par les électeurs.

À Paris, une ville où une majorité d’habitants n’a pas de voiture, Anne Hidalgo a eu beau jeu de mettre en oeuvre, systématiquement, méthodiquement – obstinément lui reprocheront beaucoup – une politique délibérément hostile à l’automobile, favorable au vélo et autres « mobilités douces » pour reprendre l’abscons verbiage à la mode. Mais qui oserait revenir à la voie Georges Pompidou livrée à la circulation automobile ? Anne Hidalgo a fait ce qu’elle a dit, et les électeurs l’ont reconnu.

À Thonon-les-Bainsla constance d’un candidat de droite modérée a fini par payer. Après des essais infructueux en 2008 et 2014, l’avocat Christophe Arminjon a fini par triompher de l’immobilisme immobilier qui avait caractérisé son prédécesseur, élu à chaque fois à une très courte majorité depuis 1995.

À Montpellier, où l’on a localement l’habitude de dire que rien ne se passe comme ailleurs, la démonstration a été faite, au contraire, qu’il y a des invariants en politique.

Bref rappel historique : en 1977, le socialiste Georges Frêche, éminent professeur d’université, fait basculer à gauche une belle assoupie dans le giron de la droite depuis 1959. Georges Frêche meurt subitement en 2010. L’équipe qu’il avait formée et qu’il tenait d’une main de fer se disloque, et en 2014, les élections municipales voient s’affronter les amis d’hier. Philippe Saurel se présente en dissident, au milieu du quinquennat Hollande marqué par les frondes internes au PS, Philippe Saurel ex-adjoint de Georges Frêche, puis d’Hélène Mandroux qui a succédé à Frêche. Saurel profite de cette posture « dégagiste » et se fait élire maire, puis président de la Métropole de Montpellier (contrairement à ses engagements de campagne).

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(Juillet 2015: de g.à d.R.Koering, J.P.R., Jean-Noël Jeanneney, Damien Alary, Mathieu Gallet et Philippe Saurel)

Nommé en juillet 2014 directeur du Festival Radio France Occitanie Montpellier, c’est avec Philippe Saurel que j’aurai à faire dès ma prise de fonction. Etrange personnage, à qui me liera une connivence qui surmontera les divergences, les à-coups que sa pratique solitaire et versatile du pouvoir ne manquera pas de susciter au fil des ans. Comme si, ayant pris goût à la part d’absolutisme que confère le mandat de maire et surtout de président d’une métropole qui regroupe 31 communes, il s’était rêvé en lider maximo, oscillant entre Podemos en Espagne, Macron en France – il reniera sa proximité avec les « marcheurs » présidentiels dès que l’étoile du président commencera à pâlir -, s’acharnant contre ses anciens amis du PS, au point parfois d’aboutir à des situations absurdes, simplement pour s’opposer à la Région présidée par la PS Carole Delga, ou au département de l’Hérault présidé par le PS Kléber Mesquida.

Le 28 juin, Philippe Saurel a été sévèrement distancé (13 points d’écart) par son ancien collègue de la municipalité Mandroux, alors adjoint à la Culture, Michaël Delafosse. 

Le battu l’a reconnu, sans base politique, sans soutiens structurés, l’aventurier qu’il était, et qui avait forcé le destin en 2014, n’avait aucune réserve électorale, alors même que sa gestion de la crise sanitaire avait été plutôt appréciée.

Le nouveau maire de Montpellier – 43 ans – a le mérite de n’avoir jamais varié de ligne politique, même quand l’étiquette PS était au plus creux de la vague. Il a construit une majorité de projet, logique, avec les écologistes. Il a émis deux ou trois idées-force. Sa constance a payé. Il a donné le sentiment aux électeurs qu’il tiendrait ses engagements. Qu’on pouvait lui faire crédit de ses engagements en faveur de la culture, de la justice sociale, d’une gouvernance respectueuse de la démocratie.

Si l’on voulait extrapoler la situation de Montpellier, de Paris, de Lyon et d’autres, on pourrait conseiller au président de la République de prendre garde à ce qu’enseignent ces élections municipales : débâcle d’un parti qui n’a d’autre légitimité et de raison d’être que le soutien à l’épopée victorieuse d’un candidat qui, défiant (presque) toutes les lois de la politique, s’est fait élire en 2017 à la fonction suprême, débâcle d’un parti qui n’a aucune ramification avec le pays profond, d’un parti qui n’a jamais su (ou voulu ?) valoriser ses candidats, ses élus. Qui connaît aujourd’hui plus de deux ou trois ministres de l’actuel gouvernement ? Qui pourrait citer les futures élites du parti présidentiel ?

Emmanuel Macron l’a emporté en 2017 en prenant tout le monde par surprise. En 2022, il risque fort de lui manquer ce qui a toujours constitué le socle électoral des présidents de la Vème République, une base populaire, ancrée dans les territoires.