Jonas et les coffrets de juin

Jonas 55

On ne sait si c’est pour célébrer son 55e anniversaire le 10 juillet prochain ou pour clore un partenariat de plusieurs lustres* entre Decca et le ténor star Jonas Kaufmann, toujours est-il que paraît un coffret de 15 CD à prix très doux qui récapitule les grandes années du chanteur, avec quelques pépites qui méritent d’être signalées.

Je ne sais qui a choisi la photo de couverture, légèrement too much non ? Mais le fan club ne sera pas déçu !

CD 1 Sehnsucht Mozart, Schubert, Beethoven, Wagner (Claudio Abbado / Mahler Chamber Orchestra)

CD 2 Verismo Arias (Antonio Pappano / Accademia Nazionale di Santa Cecilia)

CD 3 Romantic Arias (Marco Amiliato / Prague Philharmonic Orchestra)

CD 4-5 Wagner Airs d’opéras + commentaires de J.K.

CD 6 Schubert, Die schöne Müllerin (Helmut Deutsch)

CD 7-8 Weber Oberon (en anglais) (John Eliot Gardiner, Orchestre révolutionnaire et romantique, Hillevi Martinpelto, Steve Davislim)

CD 9-10 Beethoven Fidelio (Claudio Abbado, Lucerne Festival Orchestra, Nina Stemme)

CD 11-13 Humperdinck Königskinder (Armin Jordan, Orchestre national Montpellier)

CD 14-15 Verdi Requiem (Daniel Barenboim, Scala, Anje Harteros, Elina Garanca, René Pape)

J’éprouve un attachement particulier pour le dernier enregistrement d’Armin Jordan un an avant sa mort en 2006. C’était à Montpellier, du temps où le Festival Radio France faisait, chaque année, découvrir au moins un ouvrage lyrique inconnu ou oublié. Un ténor de 35 ans, qui était encore loin d’être la star qu’il est devenu, participait à l’aventure de ces Königskinder / Les enfants du roi d’un compositeur qui n’est resté dans les mémoires que pour son « tube » Hänsel et Gretel, Engelbert Humperdinck (1854-1921).

Souvenir amusant à propos de ce « live ». En contact avec les responsables de la branche française (Accor) d’Universal – pour les disques réalisés avec l’OPRL et Louis Langrée – je leur avais suggéré, au moment où la notoriété de Kaufmann montait en puissance, de mettre en valeur la participation de ce dernier à ces Enfants du roi. Quelques mois plus tard on voyait ressortir l’enregistrement dans un nouvel habillage (lire la critique qu’en fit Forumopera). Le coffret Decca a repris la pochette d’origine.

(*lustre = période de cinq ans)

Le piano des antipodes

Je n’ai pas évoqué ici les résultats du dernier Concours Reine Elisabeth de Belgique : j’ai, en son temps, écrit tout ce que je pensais de ce concours en particulier, et plus généralement des concours pour jeunes musiciens : De l’utilité des concours. Mon ami Michel Stockhem qui ne peut pas être suspecté d’être défavorable au CMIREB (acronyme de Concours Musical International Reine Elisabeth de Belgique) a écrit le 1er juin sur Facebook un billet que je pourrais signer et que j’invite vivement à lire.

Jiaxin Min, éliminée du palmarès final !

Apparemment les résultats du dernier Concours Van Cliburn ont été plus convaincants. Le nom du vainqueur, Aristo Cham, me fait irrésistiblement penser aux… Aristochats et à cette séquence

Je veux évoquer ici un coffret de 11 CD proposé à moins de 50 € sur le site anglais prestomusic.com, qui dresse un passionnant panorama d’un concours de piano, qui est l’un des plus importants de l’hémisphère sud, celui de Sydney. L’édition de ce coffret est due au responsable de la collection Eloquence, lui-même australien, Cyrus Meher-Homji (lire Des chefs éloquents) La plupart des noms de lauréats me sont inconnus, et c’est justement l’occasion de sortir de « l’européocentrisme » dénoncé par Michel Stockhem, Et en regardant la liste, on a la surprise d’y retrouver le 1er prix du concours Reine Elisabeth 1999, le pianiste ukrainien Vitaly Samoshko, que j’ai eu le bonheur d’inviter plusieurs fois à Liège. Le monde est petit !

Liste des pianistes représentés dans ce coffret :

Albright · Arimori · Bogdanov · Bolla · Broberg · Cazal · John Chen · Moye Chen · Cominati · Cyba · Del Pino · Deng · Fung · Fushiki · Gifford · Gillham · Gortler · Goto · Gough · Grigortsevich · Gugnin · Ham · Hill · Janssen · Joamets · Jurinic · Kameneva · Khairutdinov · Kim · Kitamura · Kolesova · Kolomiitseva · Jianing Kong · Xiang-Dong Kong · Kudo · Kurbatov · Kuzmin · Lakissova · Lee · Leske · Li · Liu · Lopatynskiy · Malikova · Malmgren · Masliouk · Melnikov · O’Callaghan · Owen · Pegoraro · Rashkovsky · Samoshko · Samossoueva · Sato · Scott · Shamray · Sim · Soo Rhee · Takada · Takao · Tarasevich-Nikolaev · Tarasov · Tsvetkov · Uehara · Ukhanov · Urassin · Vetruccio · Volodin · Wallisch · Wisniewski · Wright · Xie · Yemtsov · Young · Yu · Zabaleta · Zheng

Le Beethoven des Lindsay

Autre coffret proposé par prestomusic.com, l’intégrale des quatuors de Beethoven par les Britanniques du quatuor Lindsay (1966-2005). Il ne va pas dépareiller ma discothèque où se trouvent déjà, sans ordre de préférence, les Amadeus, Artemis, Hongrois, Italiano, Berg, Cleveland, Emerson, Ysaye, pour ne citer que les intégrales.



Et toujours mes brèves de blog, comme ce beau souvenir de ma soirée du 12 juin :

Sonya Yoncheva et Jean Pierre Rousseau / Auvers-sur-Oise / 12 juin 2025 / @Bachtrack

18 mai : Arming, François, Bâle

Le centenaire de Samson

Je l’avais anticipé le 17 mars dernier – Rédécouvrir Samson – c’est aujourd’hui le centenaire de la naissance du pianiste Samson François. On ne manquera pas le nouveau Portrait de famille que Philippe Cassard lui consacre aujourd’hui sur France Musique

Il y a dix ans (II) : halte à Bâle

Comme je le rappelais dans le premier épisode de la série Il y a dix ans, l’Orchestre philharmonique royal de Liège entreprenait au printemps 2014 une nouvelle tournée en Suisse et en Autriche, qui avait commencé à Bâle le 18 mai.

A propos de cette belle ville frontalière de la France et de l’Allemagne, je ne peux m’empêcher de raconter à nouveau une anecdote vécue sur l’antenne de France Musique, il y a heureusement bien longtemps. Un présentateur devait annoncer puis désannoncer un disque enregistré par Armin Jordan dirigeant l’orchestre symphonique de la ville suisse. En anglais comme en allemand, Bâle se dit Basel. Et la dénomination allemande de l’orchestre est : Basler Sinfonie-Orchester. Ce qui donna sur France Musique : « Armin Jordan(e) dirige l’orchestre Basler » ! Rien de grave franchement, juste amusant.

Donc, le 18 mai 2014, l’OPRL était à Bâle, et j’en avais profité pour dresser le portrait d’une personnalité exceptionnelle liée à l’industrie pharmaceutique qui a fait la fortune de la cité suisse, Paul Sacher. Lire Le mécène musicien.

On pourrait suggérer à Warner de rééditer le legs discographique passionnant de ce monument du XXe siècle :

La fidélité à un chef

Il y a cinq ans, j’avais assisté à Liège au dernier concert de Christian Arming en sa qualité de directeur musical de l’OPRL (lire Fidélité). C’est lui qui très logiquement dirigeait la tournée de l’orchestre au printemps 2014, j’en reparlerai dans quelques jours à propos de l’étape viennoise.

C’est encore Christian Arming que j’accueillerais plusieurs fois à Montpellier (voir Ils ont fait Montpellier : Top chefs), notamment en 2018 avec les Liégeois et en ouverture de programme le chef-d’oeuvre du compositeur Guillaume Lekeu (1870-1894)

Il y a dix ans (I) : l’annonce

J’entreprends cette nouvelle série d’articles dix ans après une année – 2014 – qui a été un tournant dans ma vie professionnelle, et donc dans ma vie tout court. Pour y raconter des souvenirs personnels que le temps a tamisés, rétablir parfois certaines vérités, dire sans fard mon opinion sur les gens que j’ai côtoyés. Mais qu’on ne s’attende pas à un grand déballage, je n’ai aucun compte à régler, j’ai toujours l’admiration plus active que l’inimitié.

L’attente

Dans les premières semaines de 2014, j »avais été mis en contact avec un homme jeune, qui avait défrayé la chronique audiovisuelle en étant nommé, en 2010, président de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) à 33 ans seulement, par Nicolas Sarkozy sur proposition du ministre de la Culture de l’époque, Frédéric Mitterrand. Mathieu Gallet était candidat, dans un secret qui a été très bien gardé, à la présidence de Radio France. Des amis communs avaient pensé que je pourrais l’aider à « porter » (je déteste vraiment ce terme mis à toutes les sauces) sa candidature sur ses aspects musicaux, le devenir des formations musicales de Radio France, etc. J’étais à vrai dire un peu surpris qu’on songe à moi, parti à Liège depuis bientôt quinze ans, même si j’avais, semble-t-il, laissé quelques bons souvenirs de mon passage à la direction de France Musique (lire L’aventure France Musique)

Le contact se fit d’abord par téléphone, puis nous convînmes d’un déjeuner le 5 mars à Paris. Tout le monde fut pris de court par la décision du Conseil supérieur de l’Audiovisuel (CSA) prise le 27 février : Mathieu Gallet le choix du CSA. (Le Monde, 27 février 2014).

(Photo AFP BERTRAND LANGLOIS)

J’envoyai un message de félicitations au nouvel élu, qui me confirma le rendez-vous prévu. Au cours de ce déjeuner, le premier d’une série de rencontres qui allaient jalonner les semaines suivantes, j’explicitai ma vision des choses, et Mathieu Gallet me fit comprendre qu’il pourrait envisager de me nommer à la direction de la Musique de Radio France. A vrai dire, je n’y croyais pas trop – comme d’ailleurs je n’y avais pas cru lors de ma nomination à France Musique – parce que ce jeune président serait inévitablement sollicité de toutes parts par des candidats disposant de réseaux puissants, bien implantés dans les rouages politico-administratifs de la capitale. J’aurais quelques mois plus tard la confirmation du mépris que nourrissaient un des chefs de la place et sa clique (*) pour le provincial venu de Liège (quelle horreur !) que j’étais. Nous nous revîmes plusieurs fois dans le salon de thé d’un grand hôtel parisien, je le mis à l’aise en lui disant que je comprendrais qu’il choisisse finalement quelqu’un d’autre, mais Mathieu Gallet tint bon. Et le secret fut bien gardé. Le nouveau PDG prit ses fonctions le 12 mai 2014 dans la Maison ronde.

L’annonce

Il se trouve que le 14 mai, je devais annoncer à Liège, d’une part la nouvelle saison de l’Orchestre philharmonique royal de Liège, d’autre part le renouvellement du contrat de Christian Arming comme directeur musical. Il était impossible que je ne parle pas de Radio France… J’avais prévenu le président de l’Orchestre, le jour même avant la conférence de presse, j’avais réuni les collaborateurs et les musiciens de l’orchestre pour leur dire… ce que j’allais annoncer.

Il fallait bien sûr que, à Paris, la communication du côté de Radio France soit concomitante. J’eus une petite idée de ce qui m’attendrait une fois en poste, en mesurant la complexité des circuits de décision et de validation pour la seule rédaction du communiqué de presse annonçant ma nomination. Je passe sur les allers-retours, les coups de téléphone qui furent nécessaires… Jusqu’à ce sorte « le » communiqué : Jean-Pierre Rousseau nommé à la direction de la Musique de Radio France

Le matin même ma boîte Messenger et ma page Facebook avaient été envahis de messages de félicitations, Mathieu Gallet ayant vendu la mèche en visitant les bureaux de la direction de la musique et de France Musique.

Et Liège ?

Comme les médias belges allaient le relater – Le directeur de l’OPRL part à Radio France – la surprise de mon départ de Liège fut totale et en partie source d’inquiétude. J’étais convenu avec mon nouvel employeur comme avec le conseil d’administration de l’Orchestre que j’assumerais mes responsabilités jusqu’à ce que mon successeur soit trouvé. Ce fut fait en novembre.

(*) J’ai pris le parti de ne jamais nommer ce personnage. Le devoir de réserve auquel je suis tenu m’interdit d’en dire plus à son sujet, et pourtant…

Piazzolla à Liège

Astor Piazzolla est né, il y a cent ans, le 11 mars 1921 à Mar Del Plata au sud de Buenos Aires.

Ce centenaire sera célébré dans le monde entier, et ce n’est que justice pour un artiste, interprète, compositeur, tout à fait singulier dans le monde de la musique du XXème siècle (il le sera, en particulier, au Festival Radio France le 21 juillet) Je renvoie à la notice Wikipedia – très bien faite – qui lui est consacrée.

Je veux rappeler une date importante dans sa création, et une présence qui est restée dans la mémoire d’une ville et d’un orchestre qui me sont chers : Liège.

L’Orchestre philharmonique royal de Liège n’a pas manqué de célébrer l’événement le 6 mars dernier, sans public, mais disponible sur le site Livestream OPRL.

L’événement ce fut d’abord la présence à Liège d’Astor Piazzolla lui-même pour une série de concerts, et le 15 mars 1985 la création de son double concerto pour bandonéon et guitare – qui porte depuis le titre Homenaje a Liège – le compositeur étant au bandoneon, Cacho Tirao (1941-2007) à la guitare, l’Orchestre philharmonique de Liège et de la Communauté française – comme on l’appelait alors ! – étant dirigé par le grand guitariste, compositeur et chef d’orchestre cubain Leo Brouwer.

Les beaux jours

Je ne vis pas dans le passé, ni la nostalgie d’un temps que le souvenir embellirait. Mais j’aime parfois à me remémorer les jours heureux, pour y retrouver des permanences qui inspirent l’aujourd’hui et le demain, vérifier que le chemin parcouru n’était pas si mal choisi, que les idéaux d’hier ont tracé leur sillon.

Il y a neuf ans, nous avions célébré les 50 ans d’une phalange à laquelle j’ai consacré quinze années de passion professionnelle, l’Orchestre philharmonique royal de LiègeJe classais ces jours-ci des partitions que je n’avais pas encore eu le temps de ranger depuis mon déménagement de la Cité ardente il y a cinq ans.

J’ai retrouvé l’une d’elles avec une émotion particulière : la Symphonie en trois mouvements que nous avions commandée à Pierre Bartholomée, qu’il allait créer le décembre 2010 à la tête de l’orchestre dont il avait été le directeur musical de 1977 à 1999, et qu’il a eu la délicate attention de me dédicacer. 

J’ai voulu retrouver la trace de ce moment particulier de l’histoire de la phalange belge. L’excellent film réalisé par Laurent Stine – L’accord parfait – est disponible en quatre parties. C’est l’occasion d’y revivre nombre de moments forts – Pierre Bartholomée de retour devant « son » orchestre.

Louis Langrée, Pascal Rophé, tant de visages familiers de musiciens…

et dans ce deuxième « épisode », outre Pierre Bartholomée, un autre personnage considérable, le compositeur Philippe Boesmans, qui évoque le concerto pour violon qu’il écrivit en 1980 pour Richard Piéta et l’orchestre de Liège

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ainsi que le Capriccio pour deux pianos, une commande de l’OPRL, qu’il terminait d’écrire pour les soeurs Labèque. Les trois oeuvres concertantes que Philippe Boesmans a écrites pour l’OPRL ont été enregistrées tout récemment, un disque salué par la critique unanime à sa sortie.

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Au hasard de ce documentaire, répondant à des questions sur l’orchestre, son répertoire, la musique contemporaine, le public, l’accès à la musique classique, j’exprimais un point de vue, des convictions, je relatais une expérience, qui n’ont, je le crois, rien perdu de leur force ni de leur actualité.

 

Etoiles du nord

J’ai aimé retrouver l’atmosphère si particulière de la Finlande (lire Au coeur de la Finlande), tout ce que j’avais découvert en décembre 2005, lorsque, à l’invitation du gouvernement finlandais, j’avais pu passer une semaine à Helsinki à l’occasion du Concours Sibelius (dont la lauréate, cette année-là, fut la jeune violoniste russe Alina Pogostkinaque j’aurais le bonheur d’inviter à trois reprises à Liège : en 2008 avec Paul Daniel, Beethoven et Vaughan Williams « The Lark ascending », en janvier 2011 pour les 50 ans de l’OPRL, et en novembre 2011 avec Domingo Hindoyan et le concerto de Korngold)

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Helsinki en décembre, c’est tout au plus quatre heures de lumière du jour, nuit noire dès 15 h, dîner de très bonne heure, et plus personne dehors le soir venu. Le fonctionnaire du ministère des affaires étrangères qui me « pilotait », avait organisé mon planning de rencontres et de visites, me disait, pince-sans-rire : « Vous pouvez constater que les distractions sont rares ici : si on ne veut pas boire de la bière, il nous reste le chant choral. Dans mon bâtiment au ministère, il y a une chorale par étage ».

Il avait oublié la distraction nationale : le sauna (le seul mot finnois qui a fait florès dans toutes les langues du monde). En face de mon hôtel se trouvait la magnifique piscine art déco Yrjönkatu, plusieurs bassins entourés de plusieurs saunas et hammams à différentes températures. Après les journées chargées qu’on m’avait concoctées, et avant les concerts du soir, je visitais avec plaisir l’établissement, où j’eus la surprise de retrouver, transpirant sur le même banc de sauna, le grand danseur et chorégraphe, longtemps directeur du Ballet national de Finlande, Jorma Uotinenrencontré vingt ans plus tôt à Thonon-les-Bains à l’occasion d’un concours international de Danse organisé par la regrettée Roselyne Gianola, dont il était l’hôte d’honneur. Le monde est petit…

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Et puis il y a la langue finnoise, sa musique si particulière, qui rappelle, en plus doux, le hongrois, les deux idiomes se rattachant au groupe dit des langues finno-ougriennes, qui ont leurs racines en Asie centrale, et qui ont très peu en commun avec les autres langues européennes. Impossible de comprendre une conversation simple, même de demander son chemin ou de commander un menu au restaurant (qui se dit ravintola). C’est un puissant stimulant pour apprendre, s’imprégner d’une langue…

Six mois après ce séjour hivernal à Helsinki, je revins dans ce pays, la capitale bien sûr mais surtout la Caréliel’été et ses nuits blanches, la maison et les paysages de Sibelius… J’y reviendrai.

Atterrissant jeudi à Tampere, un petit aéroport aménagé avec ce goût caractéristique des designers scandinaves, je retrouvai instantanément les sensations éprouvées treize ans plus tôt à Helsinki. Nuit noire à 16 h, ciel plombé chargé de bruine, Un hôtel moderne, une tour de 25 étages.

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La directrice générale de l’orchestre de Tampere s’excuse presque de cette triste météo, à cette époque de l’année c’est plutôt la neige et le manteau de lumière qui recouvre la ville. Après la répétition (voir Le Goncourt et la Finlande), nous partons dîner – il est plus de neuf heures du soir ! – dans un restaurant tournant resté ouvert tout exprès pour nous, au sommet de la tour Nasinneula, à 125 m de haut. Atmosphère irréelle, la ville en-dessous émerge par intermittences de la brume. Saumon, civet de renne, genièvre. Cuisine roborative, relevée. On a chaud au corps et au coeur.

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Vendredi soir, le concert est à 19 h (18 h heure de Paris), les deux soirées du 9 et du 10 novembre sont hors abonnement, elles ont été prises d’assaut. Carmina Burana fait partie de ces oeuvres si populaires qu’elles remplissent systématiquement les salles… sur un malentendu.

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IMG_0033Ce public nouveau, nombreux, très jeune ce soir dans la superbe salle de concert de Tampere, ne connaît de l’oeuvre de Carl Orff que le début et la fin.

https://www.youtube.com/watch?v=dLOk8nHimlA

Il va découvrir une oeuvre qui, sous la simplicité apparente de ses rythmes et de ses mélodies, est plus complexe et difficile qu’on ne l’imagine, en particulier pour les forces chorales – vendredi soir ils étaient près de 200 sur scène, trois choeurs et un choeur d’enfants rassemblés – et un challenge pour le chef. Avec Santtu-Matias Rouvali, j’ai eu le sentiment d’entendre d’une oreille neuve une oeuvre que le jeune chef finlandais dirigeait pour la première fois.

Autre surprise pour le public, les mélodies avec orchestre de Richard Strauss programmées en première partie, avec le baryton et la soprano solistes de Carmina Burana. Une formidable idée de Santtu-Matias Rouvali et une belle occasion d’entendre les moirures, les couleurs chaudes et la parfaite homogénéité des pupitres de l’orchestre philharmonique de Tampere. Bonheur sans mélange.

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Deux beaux doubles CD à conseiller :

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Les images de Tampere, la deuxième ville de Finlande, à voir ici : Le monde en images : Tampere

Le compositeur poitevin

Enfant je passais souvent, à vélo, par une rue sans grâce, dans un quartier pavillonnaire de Poitiers (Les maisons de mon enfance), j’ai longtemps ignoré qui était ce Louis Vierne :

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Louis Vierne naît à Poitiers le 8 octobre 1870, presque aveugle (il est atteint d’une cataracte congénitale). À l’âge de 6 ans, il est opéré et recouvre un peu de vision, ce qui est toutefois insuffisant pour qu’il puisse suivre des études dans des conditions normales. Il est placé à l’Institut national des jeunes aveugles à Paris.

En 1884, César Franck le remarque lors d’un examen de piano et l’incite à suivre des cours au Conservatoire de Paris, où Vierne est admis en 1890. Après la mort de César Franck qui survient peu après, Louis Vierne continue sa formation musicale avec Charles-Marie Widor. Il en devient par la suite le suppléant. Il est ensuite le suppléant d’Alexandre Guilmant1.

En 1899 Louis Vierne épouse Arlette Taskin, dont le père est chanteur à l’Opéra-Comique. Ils ont trois enfants. Mais ils se séparent en 1909, en raison de l’infidélité d’Arlette, qui le trompe avec Charles Mutin, un facteur d’orgues alors réputé… au nom prédestiné !

En 1900 Louis Vierne remporte devant 50 autres candidats, avec les félicitations du jury, le concours organisé pour la place de titulaire des grandes orgues de Notre-Dame de Paris.  Il conservera ce poste jusqu’à sa mort en 1937.

En 1911, à la mort de Guilmant, Louis Vierne souhaite lui succéder dans sa classe d’orgue au Conservatoire de Paris, mais il se heurte à une opposition, à la suite d’une dispute entre Widor et Gabriel Fauré, alors directeur du Conservatoire. Il prend donc en 1912 une classe d’orgue à la Schola Cantorum1, établissement créé par son ami Vincent d’Indy.

En 1916, Louis Vierne part quelque temps en Suisse pour soigner un glaucome. Revenu à Paris en 1920, il fait ensuite des tournées dans toute l’Europe et aux États-Unis (en 1927). En 1932, il inaugure avec Widor le nouvel orgue de Notre-Dame, restauré à sa demande.

Louis Vierne perd deux de ses trois fils : André meurt de la tuberculose en 1913, à l’âge de 10 ans, et Jacques, engagé volontaire à l’âge de 17 ans, meurt en 1917. Trop jeune pour pouvoir s’engager, il avait dû obtenir une dispense signée de la main de son père. Jacques se suicide le 12 novembre 1917. La nouvelle de cette mort parvient à Vienne à Lausanne, où il est en traitement pour son glaucome qui menace de le rendre définitivement aveugle. Profondément touché, révolté parla guerre qui dure depuis près de quatre ans et torturé par un sentiment de culpabilité pour avoir autorisé l’engagement volontaire de son fils, il compose son Quintette pour piano et cordes, op.42, qu’il dédie « à la mémoire de mon fils Jacques ». Il confie à son ami Maurice Blazy, le 10 février 1918 :

« J’édifie en ex-voto un Quintette de vastes proportions dans lequel circulera largement le souffle de ma tendresse et la tragique destinée de mon enfant. Je mènerai cette œuvre à bout avec une énergie aussi farouche et furieuse que ma douleur est terrible, et je ferai quelque chose de puissant, de grandiose et de fort, qui remuera au fond du cœur des pères les fibres les plus profondes de l’amour d’un fils mort… Moi, le dernier de mon nom, je l’enterrerai dans un rugissement de tonnerre et non dans un bêlement plaintif de mouton résigné et béat. »

C’est une pièce magnifique, un chef-d’oeuvre, dont il existe une version remarquée et remarquable, celle de la pianiste lituanienne Mūza Rubackytė et du quatuor Terpsychordes.

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La même pianiste a gravé les pièces pour piano de Louis Vierne

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Rare dans la musique de chambre, Vierne l’est encore plus dans le registre symphonique, une unique symphonie, deux pièces concertantes. Une version au disque – que je connais bien, et pour cause ! – :

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Un disque qui fait partie du coffret anniversaire publié à l’occasion des 50 ans de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège.

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Mais c’est évidemment à l’orgue qu’on attend le plus celui qui fut, 37 ans durant, le titulaire des grandes orgues de Notre Dame de Paris.

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On a parlé – à juste titre – d’orgue symphonique pour cette glorieuse compagnie d’organistes-compositeurs, de Franck à Widor, en passant par Vierne et Guilmant. Louis Vierne a eu de grands successeurs à la tribune de Notre-Dame, Pierre Cochereau bien sûr et l’actuel titulaire, le formidable Olivier Latry.

 

L’esprit Auber

Tous les Parisiens… et les touristes connaissent le nom de la plus grande station d’échange métropolitaine intra muros Auber voisine de l’Opéra Garnier. Mais savent-ils qui est cet Auber ? nettement moins sûr !

Daniel François Esprit Auber aurait sans doute tenu les premières places si les sondages de popularité ou de notoriété avaient existé au XIXème siècle. Né en 1782 il est mort, à 89 ans, en 1871, il incarne le genre et l’esprit de l’opéra-comique français.

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On retrouvait hier soir la Salle Favart, l’Opéra-Comique, où Auber connut ses succès les plus éclatants et les plus durables, avec un spectacle déjà donné le mois dernier à l’Opéra royal de Wallonie, Le Domino noir. 

On avait encore dans les yeux et les oreilles la réussite du Comte Ory de Rossini – direction de Louis Langrée, mise en scène de Denis Podalydès – fin décembre. Intéressant pour prendre la mesure de ce qu’Auber doit au compositeur italien installé à Paris depuis 1825 et de son émancipation par rapport à son prestigieux modèle.

Je vais donc répéter ce qui a été écrit à peu près partout – rare unanimité critique ! -.

Ce Domino noir est un pur régal pour les yeux comme pour les oreilles.

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Dans la fosse, Patrick Davin prouve, une nouvelle fois, qu’il est aussi à l’aise dans la création (Philippe Boesmans), dans le grand répertoire symphonique – combien de belles soirées à l’Orchestre philharmonique royal de Liège ! – que dans les ouvrages lyriques plutôt rares (c’est lui qui avait redonné vie à La Jacquerie de Lalo lors du Festival Radio France 2015).

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La mise en scène du Comédien-Français Christian Hecq – décidément c’est une spécialité de l’Opéra-comique ! – est brillante, virtuose, drôle, pétillante, jamais vulgaire. Et le plateau est composé à la perfection : Anne-Catherine Gillet, Cyrille Dubois, Marie Lenormand – impayable Jacinthe – Laurent Kubla, François Rougier, il faudrait tous les citer. Tous francophones.

29790068_10156239756783194_4593135319425646022_n(la Jacinthe de Marie Lenormand… qui me faisait penser, allez savoir pourquoi, à Montserrat Caballé !)

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Je signale qu’on retrouvera Anne-Catherine Gillet et Cyrille Dubois le 21 juillet prochain, dans le cadre du Festival Radio France Occitanie Montpellierpour la création – en version de concert – de l’opéra Kassya laissé inachevé par Delibes et complété par Massenet.

Quant au Domino noir, on ne peut pas dire que la discographie soit à la mesure du succès de l’ouvrage jusqu’au début du XXème siècle.

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On espère qu’une captation de ce spectacle aura été faite soit à Liège, soit à Paris, et sera bientôt disponible pour tous ceux qui n’ont pas eu la chance ou la possibilité d’y assister.

 

 

Une journée particulière

Un jeudi d’une intensité particulière, un concentré d’émotions singulières, ce 5 octobre a été une journée rare.

Beaucoup de rendez-vous professionnels, en plusieurs lieux familiers de la capitale : projets, souvenirs, marques d’amitié. A l’heure du déjeuner, j’avais choisi Le BalzarIl n’est pas rare d’y côtoyer des habitués, intellectuels, écrivains – on est à côté de la Sorbonne ! –

Hier mes voisins de table avaient nom Roland Dumas portant encore beau malgré ses 95 ans (lire Roland Dumas, l’amoraliste), à ses côtés l’incontournable spécialiste de Napoléon et… du cinéma Jean Tulard, et contre la fenêtre Costa GavrasPas vraiment un rassemblement de la jeunesse branchée !

Et c’est pendant ce déjeuner au Balzar qu’on apprenait la disparition, à 70 ans, de l’héroïne du dernier film de Michel Hazanavicius, Le Redoutable (lire L’insupportable Jean-Luc G.)  Anne Wiazemsky.

Extrait de ce que j’écrivais ici le 29 août 2015

Rappel enfin de trois livres qui ont parcouru mon été et qui, pour le dernier, a pour cadre les lieux mêmes où Barthes officiait et a trouvé la mort, la rue des Ecoles, le Collège de France, la brasserie Balzar, la Sorbonne… Qualité d’écriture, finesse du récit, évocation tendre et aimante du mitan des années 60 et des figures de Robert Bresson, Jean-Luc Godard, du grand-père François Mauriac, Mai 68. Anne Wiazemsky sait écrire !

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Le soir j’avais rendez-vous avec une légende. Une légende bien vivante. Il y a très exactement trente ans, à l’automne 1987,  j’avais eu la chance incroyable de pouvoir la suivre dans une tournée de cinq semaines au Japon et en Californie, de l’Orchestre de la Suisse romande dirigé par Armin Jordan.

14440685_10153971486352602_5438441581969375668_n(En décembre 2001, comme un lointain écho de leur tournée japonaise de 1987, j’avais réuni à Liège Martha Argerich et Armin Jordan. Louis Langrée était venu assister à l’un des concerts et partager un déjeuner mémorable)14484592_10153971486337602_5094929010995098265_n

Martha Argerich (lire La reine dans ses oeuvrescomme il y a trente ans, jouait le Concerto en sol de Ravel avec l’Orchestre National de France dirigé par Emmanuel Krivine. Et ce fut un pur moment de musique, de grâce absolue, comme si celle qu’on a affectueusement surnommée ‘la lionne » n’avait plus besoin de montrer ses griffes. Ce concerto dont la pianiste argentine connaît tous les coins et recoins, sonnait, hier soir dans le grand auditorium de Radio France, comme du Mozart. L’extrême virtuosité, l’aisance stupéfiante du jeu de Martha Argerich s’abandonnant à la tendresse émue – sublime mouvement lent – se fondant dans les timbres de l’orchestre ravélien – un Orchestre National en osmose avec son chef et la soliste – .

Merci à France Musique de nous permettre de réécouter ce concert de légende : Martha Argerich et Emmanuel Krivine

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En bis, la pianiste se faisait d’abord accompagnatrice de la merveilleuse Sarah Nemtanu dans Schön Rosmarin de Kreisler, et finissait par céder à la frénésie d’une salle archi-comble en lui donnant « sa » sonate de Scarlatti fétiche, la K.141

et, à la différence de cette version de 2008, tout dans la douceur, presque le murmure, dans la continuité de son Ravel. Un rêve…

Mais il serait très injuste de réduire la soirée d’hier à ces retrouvailles avec Martha et Ravel. Emmanuel Krivine démontre concert après concert avec l’Orchestre National de France (La fête de l’orchestrequ’une ère nouvelle s’est ouverte à Radio France. Quelque chose a changé, et cela s’entend. Dans les variations Paganini virtuoses, un rien datées, de Boris Blacher données en ouverture – Krivine semble affectionner ces entrées de concert qui mettent les musiciens en état maximal de concentration – et surtout dans une somptueuse Shéhérazade de Rimski-Korsakov, incroyablement libre, chorégraphique et poétique. L’alchimie des timbres de l’orchestre, la souplesse des phrasés, sont à mille lieues d’un exotisme de pacotille ou d’une rutilance bruyante.

Un concert de légende assurément.

Les nouveaux modernes

Stéphane Denève c’est une vieille connaissance ! À Liègesitôt nommé à la direction de l’orchestre, je l’invite à diriger, dès le printemps 2001, un programme de musique française (Pastorale d’été d’Honegger, les Nuits d’été de Berlioz – avec une toute jeune et merveilleuse soprano belge qui a fait le chemin qu’on sait… Sophie Karthäuser – la 2ème suite de Bacchus et Ariane de Roussel). Il revient fin 2003 diriger et enregistrer tout un programme Poulenc, aujourd’hui toujours considéré comme une référence et multi-réédité, avec les pianistes Eric Le Sage et Frank Braley.

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Ce n’est donc pas tout à fait une surprise si le chef français a fait la rentrée de l’Orchestre National de France avec deux programmes emblématiques des répertoires qu’il promeut depuis ses débuts.

J’ai manqué le concert du 15 septembre, à regret, mais je ne voulais pas rater celui d’hier. Un modèle de programme : La Création du monde de Milhaud (comme un superbe écho du disque mythique de Leonard Bernstein avec ce même orchestre)

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Puis une pièce « contemporaine » – au secours fuyons ! – le Concerto pour violoncelle de Guillaume Connesson. Stéphane Denève explique, dans une interview qu’il faut absolument lire dans le dernier numéro de Classica, qu’il ne peut concevoir son rôle de chef d’orchestre sans se nourrir de la création, celle d’aujourd’hui, qui n’a plus grand chose à voir avec ce que l’expression même de « musique contemporaine » – surtout en France – a signifié pour des générations de mélomanes et de musiciens.

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Alors oui Denève défend Connesson, il le dirige, l’enregistre. Fièrement. Et hier soir, la question n’était absolument plus de savoir si cette musique répond ou non à certains codes . Une écriture extrêmement virtuose – idéalement servie par le dédicataire du concerto Jérôme Pernoo – très efficace – un traitement éblouissant de l’orchestre – et finalement très personnelle. Public enthousiaste, et on le comprend !

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La deuxième partie du concert était elle aussi emblématique de cette nouvelle saison de Radio France : Les Litanies à la Vierge noire et la version originale – avec choeurs – du ballet Les Biches de Poulenc. Stéphane Denève aime et dirige cette musique comme peu aujourd’hui, redonnant à Poulenc l’éclat de sa modernité et de sa singularité. 51fdyeosrzl

Un concert à réécouter sur francemusique.fr.

Demain je consacre mon billet à un autre « moderne », Julien Chauvin et son Concert de la Loge, en forme très olympique !