Les sans-grade (XIII) : les Roumains Georgescu, Conta, Andreescu

La célébrité d’un Sergiu Celibidache (prononcer Tché-li-bi-da-ké) a occulté tous les autres chefs roumains, comme Constantin Silvestri, à qui j’avais déjà consacré un article dans cette série (Les sans-grade: Constantin Silvestri)

Il en est de même pour le violoniste/compositeur Enesco ou le pianiste Lipatti. On ne connaît qu’eux, leur notoriété a éclipsé, dans la mémoire collective, tous les autres violonistes, compositeurs, pianistes roumains.

C’est une réflexion que je me fais à chaque fois que je visite la Roumanie, et que j’en rapporte des CD (lire Retour de Bucarest). Lors de mon voyage précédent, j’avais découvert le compositeur maudit Ciprian Porumbescu, que j’ai retrouvé sur cette compilation

où, à part Dinicu, Ivanovici et… Porumbescu, je ne connaissais aucun nom :

1. Porumbescu/Rogalski
Ballad for violin and orchestra
2. Scarlatescu/Rogalski
Bagatelle
3. Ivanovici/Bobescu
The Waves of the Danube
4. Dinicu/Vladigherov
Hora Staccato
5. Dimitrescu
Peasant Dance
6. Porumbescu
Romanian Rhapsody for orchestra
7. Constantinescu
Three Romanian Symphonic Dances
8. Capoianu
Five folk songs from Transylvania

Trois chefs roumains

Quarante ans après les mémorables prestations de Sergiu Celibidache à la tête de l’Orchestre national de France, c’est un autre grand chef roumain, Cristian Măcelaru, qui préside désormais aux destinées du vaisseau amiral de Radio France.

(En juillet dernier au Festival Radio France Occitanie Montpellier)

George Georgescu (1887-1964)

Contemporain d’un Ernest Ansermet, le légendaire fondateur de l’Orchestre de la Suisse romande, Georgescu a un peu joué le même rôle en Roumanie. Une carrière mouvementée, commencée sous les auspices d’Arthur Nikisch à Berlin, puis après la Première guerre mondiale, poursuivie comme chef. charismatique de l’orchestre philharmonique de Bucarest, compromise durant la Seconde guerre par des tournées dans l’Allemagne nazie, et finalement rétablie en 1947 à la tête du nouvel orchestre national de la Radio roumaine (lire l’excellente notice en anglais de Wikipedia)

Georgescu a notamment gravé une intégrale des symphonies de Beethoven. J’ai trouvé à Bucarest un CD – gravé en 1961 – de la Troisième symphonie.

Qualité médiocre de l’orchestre et de la prise de son (ici en mono), je n’ai pas été convaincu. Mais d’autres documents disponibles donnent une meilleure idée du chef.

Iosif Conta (1924-2006)

Iosif Conta c’est mon premier disque roumain, le premier 33 tours acheté en Roumanie au cours de l’été 1973 (lire La découverte de la musique : été 1973)

Cette première rhapsodie roumaine d’Enesco, écrite en 1901, est restée son oeuvre la plus populaire, sinon la seule jouée encore par les orchestres internationaux. Elle s’inspire de plusieurs mélodies populaires, dont cette Ciocarla / L’alouette, un des tubes du virtuose du nai, la flûte de Pan roumaine, Gheorghe Zamfir, que j’avais entendu par hasard sur la plage de Mamaia en 1973 !

Pour en revenir à Iosif Conta, cet élève de Georgescu, fera toute sa carrière à l’abri du régime communiste, comme chef et directeur adjoint de la Radio roumaine dès 1954. Il dirige la création roumaine en 1964 (neuf ans après sa mort !) de la cantate Vox Maris d’Enesco.

Horia Andreescu (1946-)

À 75 ans, Horia Andreescu fait partie de ces chefs dont la notoriété n’a jamais franchi les frontières du bloc de l’Est, où semble s’être déroulée toute sa carrière, même si la « bio » fournie par son agent indique des invitations régulières à Amsterdam, Paris ou Vienne. Il a le mérite d’avoir gravé l’intégrale de l’oeuvre d’orchestre de Georges Enesco, avec des bonheurs divers si j’en juge par ce que j’ai déjà entendu des CD rapportés de Bucarest

Mais on a aussi trouvé, à tout petit prix, ce Requiem de Verdi capté en public à Leipzig, avec des solistes tous roumains

Retour de Bucarest

J’aurais bien prolongé mon trop bref séjour à Bucarest. À propos de la Roumanie, j’ai employé l’expression de « pays cousin », c’est flagrant à Bucarest, où pourtant plus personne ne parle le français.

La langue roumaine est une langue… romaine, latine, pour l’essentiel, même si lexicalement elle emprunte beaucoup au russe.

Douceur de vivre

On ne peut pas – ce serait ridicule et déplacé – porter un jugement sur la qualité de vie d’une ville après y avoir passé quelques jours. Je constate simplement que Bucarest, que j’ai vue pour la première fois il y a 46 ans, puis deux mois après la révolution de décembre 1989 qui a destitué Ceaucescu, puis à nouveau en 2003 et en 2017, est une ville extrêmement attachante, où la douceur de vivre semble naturelle. Les nombreux parcs, jardins, étangs, promenades au coeur de la cité, des pistes cyclables parfaitement aménagées sur toutes les grandes avenues (la maire de Paris et ses adjoints responsables des « mobilités » pourraient utilement s’en inspirer), une jeunesse omniprésente, des terrasses de cafés accueillantes, confortent cette image.

La gastronomie a retrouvé tous ses droits dans une capitale qu’on a connue très pauvre en bonnes tables. Dans le restaurant « L’Atelier » installé dans l’hôtel Belle époque, j’ai pu déguster les meilleures cuisses de grenouille que j’aie jamais mangées depuis… 1973 et une très longue et silencieuse balade en barque dans le delta du Danube avec un pêcheur de grenouilles qui s’était conclue par une succulente fricassée préparée par la femme du pêcheur !
Le Théâtre National

Il ne faut pas redouter les contrastes architecturaux, l’héritage des années communistes, mais aussi celui de l’entre-deux-guerres où Bucarest était surnommée le Petit Paris.

Le palais du Parlement ou Maison du Peuple

On peut continuer de se désoler du projet pharaonique conçu par Ceaucescu qui abrite aujourd’hui le Parlement et nombre d’institutions démocratiques roumaines. On peut regretter que plusieurs quartiers, qui n’étaient pas forcément les plus anciens ni les plus agréables de Bucarest aient été rasés pour édifier ce palais mégalomaniaque et le quartier qui l’entoure. On peut aussi – ce qui est mon cas – trouver que l’ensemble a de l’allure et que les aménagements sont plutôt réussis.

Et contrairement à ce qui a pu être dit, les églises sont restées nombreuses, bien préservées ou restaurées, dans la capitale roumaine.

L’élégante église Kretzulescu qui a été aux premières loges de la Révolution de décembre 1989.

Une ville-musique

L’Athenaeum de Bucarest est une salle de concert mythique, construite en 1889.

Mais, comme je l’ai écrit – Bucarest en fête – c’est pour la musique, et le Festival Enesco, que je suis venu en ce mois de septembre.

C’était assez émouvant, pour lui, pour le public, de revoir l’enfant du pays, Cristian Măcelaru, diriger deux concerts de l’Orchestre national de France.

Sarah Nemtanu, premier violon de l’ONF, est d’origine roumaine par son père Vladimir, né et formé à Bucarest.
Maxim Vengerov en forme éblouissante, soliste du concert du 13 septembre.

Et Bucarest est une ville où on trouve encore des disques : dans le hall de la Sala Palatului, pas moins de trois stands mieux garnis que n’importe quel rayon classique d’une FNAC parisienne. Et à l’extérieur, j’ai repéré au moins deux magasins bien fournis.

Electrecord était – je pense devoir en parler au passé – le grand label classique roumain (un peu à l’instar de Medodia en Russie), et cela faisait des années qu’on ne trouvait que très partiellement ses galettes. La radio roumaine a ses propres éditions. C’est évidemment avec bonheur que j’ai trouvé, et acheté, ceci :

Enregistrements introuvables en France ou sur les sites de téléchargement ! Soit dit en passant, le CD a encore du bon !

Et puis aussi ceci, l’intégrale de l’œuvre orchestrale d’Enesco par un chef aujourd’hui septuagénaire, Horia Andreescu qui n’a pas, en Europe de l’Ouest, la notoriété que son talent devrait lui valoir.

Bucarest en fête

C’est ma cinquième venue à Bucarest (voir les images de ma précédente visite ici : Bucarest).

J’ai raconté les premiers voyages (dès 1973 !) dans Retour à Bucarest.

Mais c’est la première fois que j’assiste à ce qui est parfaitement exposé dans cette vidéo, le premier festival de musique classique d’Europe, le festival Enesco, du nom du plus célèbre compositeur/pianiste/violoniste roumain George Enescu (ou Georges Enesco comme on l’appelait à Paris)

C’est bien le directeur d’un festival qui rassemble, hors pandémie, plus de 100000 spectateurs chaque été, en plus de 150 concerts – l’auteur de ces lignes !- qui l’affirme : le Festival Enesco, qui fête ses 25 ans cette année sous la houlette de son infatigable directeur Mihai Constantinescu, n’a pas d’équivalent ni en Europe ni dans le monde. Les plus grands orchestres, solistes, chefs, s’y donnent rendez-vous en un tourbillon incessant de concerts.

En ce dimanche 12 septembre, pas moins de cinq propositions, trois à Bucarest, deux dans d’autres villes de Roumanie.

Les concerts du soir sont radiodiffusés, télévisés par la radio-télévision publique roumaine.. et disponibles gratuitement en streaming ! De ce point de vue là aussi, le Festival Enesco est unique !

Cela n’empêche pas le public de se presser en nombre au concert dans la gigantesque Sala Palatului, construite en 1960 et d’abord destinée aux grands congrès communistes. Un public de tous âges, qui s’habille encore, sans ostentation mais avec goût – pas de shorts, de baskets ou de sandales ici ! -, qui ne ménage pas ses applaudissements aux artistes qui le font vibrer.



Ce dimanche 12 septembre, c’était l’Orchestre philharmonique de Rotterdam, son nouveau chef Lahav Shani (32 ans)- découvert il y a cinq ans déjà à la Maison de la Radio à Paris (lire Le classique c’est jeune) et un pianiste – Yefim Bronfman – que je n’avais encore jamais entendu en concert !

Programme peu aventureux : Troisième concerto de Rachmaninov et Les Tableaux d’une exposition de Moussorgski/Ravel.

Mais de là où j’étais placé, j’ai enfin pu comprendre, voir, entendre, la complexité du piano de Rachmaninov… et le talent qu’il faut à l’interprète pour maîtriser une matière aussi dense et en tirer la substance poétique au-delà de la performance virtuose. C’est peu dire que Yefim Bronfman – dont je connaissais les Rachmaninov qu’ils a gravés avec Esa-Pekka Salonen – y parvient, sans aucun sentimentalisme ni esbroufe tapageuse.

Ce n’est pas non plus un hasard si on entend aussi bien l’orchestre de Rachmaninov et l’osmose entre chef et soliste, Lahav Shani est aussi pianiste ! Les deux en feront la démonstration après que Bronfman, ovationné, nous aura donné un nocturne de Chopin en bis, d’une simplicité, d’une pureté de ligne (qui font penser à Rachmaninov jouant Chopin), en jouant à quatre mains une joyeuse Danse hongroise n°5 de Brahms.

Ce soir c’est l’enfant du pays qui joue à domicile : Cristian Măcelaru dirige l’Orchestre national de France, avec en soliste Maxime Vengerov (que je n’ai plus entendu depuis des lustres).

Retour aux sources, suite inattendue

Il y a une semaine, j’avais fait un rapide retour aux sources de ma famille paternelle, dans le sud de la Vendée (Retour aux sources). Ce week-end c’était une fête prévue, attendue, le 94ème anniversaire de ma mère, à Nîmes.

Il y a quatre ans, une grande partie de la famille s’était retrouvée pour fêter son passage dans le club des nonagénaires. La fête, alors, était inespérée, tant les mois précédents nous avaient inquiétés (lire L’eau vive). Depuis lors, il y eut quelques alertes, une mobilité plus réduite, mais rien de ce qui assombrit souvent la fin de vie de nos aînés: le cerveau, la vue, l’ouïe, la mémoire, restent vaillants. Et les fous rires aussi…

Mais cet anniversaire a été pour moi la source d’une émotion considérable. J’ai découvert fortuitement, au fil d’une conversation où surgissaient des souvenirs de famille heureux, que les 33 tours de la discothèque familiale, et nombre de mes premières acquisitions, que je pensais perdus – ma mère ayant déménagé en 1982, et moi quitté la maison familiale de Poitiers dès 1978 – j’ai découvert que ces disques étaient toujours là, rangés depuis des lustres dans un coin fermé de la bibliothèque de ma mère. Etrangement, je n’avais jamais songé à lui demander ce qu’elle avait fait de ces disques.

A mon prochain voyage en voiture, je viendrai récupérer ces précieuses galettes, celles déjà évoquées dans ces billets – La découverte de la musique I

dans La découverte de la musique II

Dans cette évocation de mon été 73La découverte de la musique III – j’avais complètement oublié ce vinyle 25 cm, contenant les deux rhapsodies roumaines d’Enesco, un cadeau dédicacé de mon « correspondant » roumain.

Le chef roumain George Georgescu (1887-1964) y dirige la Philharmonie d’Etat George Enescu. Quelle saveur dans les timbres, quel naturel dans l’énoncé des thèmes populaires…

J’ai souvent évoqué ici le choc que j’avais éprouvé en voyant le film de François Reichenbach – L’Amour de la vie – consacré à Artur Rubinstein et, bien sûr, ma découverte de Chopin.

Je ne pensais pas retrouver ce tout premier album à avoir figuré dans ma discothèque :

J’avais naguère évoqué brièvement mes études au modeste Conservatoire de région de Poitiers (lire Les jeunes Français sont musiciens. Je me rappelle en particulier les épreuves de fin d’études de piano- et le Diplôme à la clé ! et un jury composé de brillantes jeunes stars du piano – Michel Béroff, Jean-Bernard Pommier et André Gorog !

J’ai retrouvé hier un 33 tours que j’avais complètement oublié, l’un des premiers pourtant que j’aie achetés à petit prix, dans la collection Musidisc, le concerto n°5 L’Empereur de Beethoven, sous les doigts précisément de Jean-Bernard Pommier, un enregistrement probablement réalisé, en 1962, dans la foulée du concours Tchaikovski de Moscou dont le pianiste français fut le plus jeune lauréat (il avait 17 ans !). C’est le chef d’origine grecque Dimitri Chorafas (1918-2004) qui dirige l’orchestre de la Société du Conservatoire.

On l’a compris, il y aura d’autres séquences nostalgie, une fois que j’aurai récupéré une cinquantaine de galettes qui, pour certaines, sont devenues des collectors

Festival d’orchestres (III) : Cincinnati/Järvi, Londres/Jurowski

Paavo Järvi (lire La famille Järvi) a précédé Louis Langrée à la direction musicale de l’Orchestre symphonique de Cincinnati pendant dix ans, de 2001 à 2011.

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Il y a enregistré une très belle série de disques, aux programmes plus originaux que le mainstream de la production américaine. Pour le label Telarc qui a malheureusement disparu, en 2009, comme producteur classique indépendant, réputé pour ses prises de son. Il était devenu difficile, sauf dans certains magasins ou certains sites spécialisés, de trouver les disques de l’orchestre.

Un généreux coffret de 16 CD nous permet de retrouver l’intégralité des enregistrements de Paavo Järvi à Cincinnati (on signale une offre très intéressante sur jpc.de … à moins de 33 € !)

714jbCFTHBL._SL1000_(Détails du coffret ici : Järvi à Cincinnati)

Ce sont aussi 10 ans de collaboration que célèbre un coffret de 7 CD qui vient de paraître (de nouveau les prix sont très variables d’un pays à l’autre, du simple au double ! on recommande amazon.de

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Cela fait dix ans en effet qu’un autre grand chef, comme Paavo Järvi inscrit dans une illustre lignée, Vladimir Jurowski, est le patron assez peu orthodoxe du London Philharmonic.

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L’intérêt de ce coffret, c’est qu’au lieu de compiler une discographie déjà bien fournie, essentiellement Tchaikovski, Rachmaninov, mais aussi les symphonies de Brahms (que j’avais beaucoup aimées), il ne propose que des inédits qui illustrent la variété des répertoires qu’aborde le jeune chef russe avec son orchestre londonien.

Deux coffrets, deux belles illustrations de ce que donne une collaboration artistique au plus haut niveau entre un orchestre et son chef.

Et puisque j’évoque Cincinnati – souvenir encore vif de leurs concerts à la Seine Musicale début septembre : La fête de l’orchestre -, un salut amical à celui qui préside aux destinées de cette belle phalange américaine depuis 2013, Louis Langrée, et cette vidéo qui m’avait échappé. Et comme l’impression que ce devait être la création en Amérique de l’Hymne à la justice d’Albéric Magnard ?

Le compositeur maudit

Je l’écrivais hier (La maison de Georgeles magasins de disques semblent avoir disparu de Roumanie, à moins que je les aie mal cherchés. Dans l’une des boutiques du château de Bran (L’horreur Draculaj’ai trouvé un seul et unique CD du label roumain Electrecord d’un compositeur dont j’ignorais le nom comme l’oeuvre : Ciprian Porumbescu

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La photo de couverture n’a rien de très séduisant, le détail des plages et des interprètes m’interpellait déjà plus favorablement. Ce Ciprian Porumbescu a toutes les caractéristiques du compositeur maudit, romantique et romanesque.

Né en 1853, il meurt la même année que Wagner (1883) à 29 ans d’une tuberculose qu’une santé fragile dès l’enfance et une vie mouvementée sur le plan personnel et politique n’ont évidemment pas arrangée.

Ciprian a cependant laissé près de 250 oeuvres. Né en Bucovine ukrainienne, il étudie à Suceava et Cernăuți (aujourd’hui Tchernivtsi en Ukraine, arrosée par une rivière au doux nom de Prout!). Mais c’est à Vienne auprès d’Anton Bruckner et Franz Krenn que le jeune homme se perfectionne en même temps qu’il étudie la philosophie. Il enseignera brièvement le chant choral à BrașovÀ Vienne il observe avec intérêt le succès des opérettes d’Offenbach, Strauss, Suppé, Porumbescu écrit la première opérette roumaine, sur des thèmes moins frivoles que celles qu’il a entendues à Vienne, la création à Brasov en 1882 de Crai Nou/La Nouvelle lune est un triomphe. Ci-dessous un extrait délicieusement vintage d’un film à la gloire du jeune compositeur.

Mélodies et rythmes traditionnels roumains font revivre la légende populaire de la fête de la Nouvelle Lune censée exaucer les voeux de bonheur des amoureux.

L’inspiration populaire est tout aussi évidente dans cette charmante Ballade pour violon et orchestre datant de 1880.

(Stefan Ruha est accompagné par l’orchestre symphonique de Cluj-Napoca – la ville des débuts de Julia Varady – dirigé par Emil Simon)

Lorsque la version orchestrale de sa Rhapsodie roumaine – initialement écrite pour piano – fut créée, sous sa direction, en 1882, on ne manqua pas de trouver des parentés avec le Liszt des Rhapsodies hongroises.

Porumbescu est un fervent nationaliste, membre d’une assemblée d’étudiants en pointe dans la résistance à la domination austro-hongroise, Arboros. En 1877, pour avoir soutenu publiquement une manifestation à la mémoire du prince Ghica, exécuté un siècle plus tôt par l’occupant ottoman, le jeune compositeur subit trois mois de cachot, qui seront fatals à sa santé.

(Une courte danse, la hora de Brașov)

La maison de George

En 1973, j’y étais passé avec mon cousin (lire Le violon d’avant guerre). Je n’avais gardé aucun souvenir marquant de cette maison, ni de son intérieur, mais les partitions que m’avait offertes le gardien, je les ai toujours. Je suis retourné dans la maison de Georges Enesco ou George Enescu comme on dit en roumain, à Sinaia au pied des monts Bucegi. la villa Luminiș.

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C’est un sentiment qui peut sembler risible, voire ridicule, mais c’est une émotion particulière qui vous gagne lorsqu’on entre dans l’intimité d’un artiste, violoniste, pianiste, pédagogue, compositeur aussi génial qu’Enesco. J’avais ressenti la même chose en visitant la maison de Sibelius à Ainola en 2006.

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La maison n’est pas immense, le jardin alentour très modeste. On est accueilli par deux dames charmantes, d’un âge certain, qui pour l’une s’exprime dans un français  très vieille école – c’est le privilège d’une génération (lire Bienvenue Monsieur le Président). 

Dans l’entrée étroite, un portrait du maître des lieux par Corneliu Baba.

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On nous donne des audio-guides pour visiter le seul premier étage, bien distribué.

IMG_1785Une agréable terrasse inspirante et un salon de réception modestement décoré.

 

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Puis la pièce de musique, un escalier en colimaçon qui monte à l’étage malheureusement pas ouvert à la visite !

 

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IMG_1795 2Sur le piano la partition du seul opéra – en français – d’Enesco, Oedipe.

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A l’arrière, la chambre sans chichi de Maruca, l’épouse, la fantasque princesse Marie Cantacuzène (Maria Cantacuzino)

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IMG_1802Et la chambre d’Enesco, à peine plus grande qu’une cellule de moine…

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On ressort de cette visite ému mais frustré. Pas même un simple comptoir où l’on pourrait trouver, acheter, documents, biographies, disques, livres ou partitions. Rien. Et comme les magasins de disques ont disparu – on a eu beau les chercher à Bucarest, Brasov ou Constanta, on les a manqués s’ils existent encore !, aucune chance de rapporter quelques CD « maison ». Comme j’avais fait une razzia lors de mon précédent voyage en 2003, je me console à la perspective de retrouver ma discothèque dès mon retour.

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Pour la plus célèbre des oeuvres d’Enesco, sa Rhapsodie roumaine n°1ma version de chevet est définitivement celle, libre, improvisée, « native », du grand Constantin Silvestri – le même qui assura la création de la version roumaine d’Oedipe en 1958 -.

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Au moment de terminer cet article, et de quitter ce cher pays de Roumanie, je tombe sur ce prodigieux document, une version spectaculaire et virtuose de cette Rhapsodie roumaine due à cette immense pianiste native de Brașov, tragiquement disparue à l’âge de 33 ans, Mihaela Ursuleasa

 

 

 

 

La découverte de la musique (IV) : l’été 73 suite

Après Munich, Salzbourg, Vienne, Budapest (L’été 73), la Roumanie final destination de mon périple estival. On peut encore circuler librement dans le pays dirigé par le sinistre « génie des Carpathes » Nicolae Ceaușescu, moyennant l’obligation de se signaler à la police locale à chacune de nos étapes. L’année suivante les voyages individuels seront interdits. Partout où s’arrête notre Peugeot flanquée de son F (qui nous sera finalement volé), c’est la sensation. Paris, la France, c’est quelque chose pour un peuple si voisin par la langue et la culture… et l’admiration pour le général de Gaulle !

Première étape en Transylvanie dans le village de Blaj près de la petite ville d’Alba Iulia. Mon cousin et moi sommes reçus comme des rois dans la famille de Florin N. au point d’en être embarrassés, mon « correspondant » devenu mon ami – il l’est toujours quarante-trois ans après ! – s’empresse de nous faire visiter les environs, sur les traces de quelque colonie romaine. Beaucoup de Roumains parlent français comme une deuxième langue maternelle (lorsque j’y retournerai trente ans plus tard, il ne subsistera plus beaucoup de signes de cette francophonie/philie). La ville universitaire la plus proche est Cluj Napoca

La grande Julia Varady n’y a pas encore fait ses débuts (en 1982), et je ne suis pas alors très versé dans l’opéra. Mais je me rattraperai dans l’admiration quinze ans plus tard (Carnegie Hall)

Après Alba Iulia et Cluj, direction le nord du pays, la Bucovine, la Moldavie roumaine et ses fabuleux paysages sylvestres, ses fermes anciennes, ses églises en bois ou couvertes de fresques. Nous dormons dans un couvent de bonnes soeurs à Sucevița (prononcer Sou-ché-vi-tsa). Avant de partir, j’ai dévoré les livres de Virgil Gheorghiu.

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Après un passage à Iași (une des villes jumelées à Poitiers (Initiation), nous arrivons sur les rives du delta du Danube, non sans encombres. La carte routière  est loin d’être précise : une route qu’on croit goudronnée débouche brusquement sur un chemin à peine carrossable, là où un pont est indiqué, on tombe sur un bac qui ne fonctionne plus la nuit tombée (on en sera quittes pour dormir dans la voiture). On a lu dans un guide qu’on pouvait faire une excursion dans le delta du Danube, en compagnie d’un pêcheur de… grenouilles. On passera quatre longues heures silencieuses dans une barque au milieu de nulle part, à compter les batraciens qui se laissent appâter par les morceaux de carotte que leur tend notre pêcheur. La récompense sera à la hauteur : je ne mangerai plus jamais ensuite d’aussi succulentes et copieuses cuisses de grenouille que celles que nous fera déguster la femme de notre batelier.

Nous avons installé notre tente dans un camping proche de la station balnéaire de Mamaia, et un soir, je ne sais plus comment ni pourquoi, j’y retrouve un autre cousin suisse celui-là (j’en ai de nombreux du côté de ma famille maternelle !), nous dînons sur la plage, à quelques tables d’une immense célébrité nationale que je n’oserai aller saluer même si je l’admire beaucoup, le virtuose de la flûte de Pan Gheorghe Zamfir.

L’un de ses tubes est une mélodie populaire L’alouette (Ciocîrlia), qu’Enesco a reprise telle quelle dans sa célèbre Rhapsodie roumaine n°1

L’étape suivante est Bucarest qui n’a pas encore été défigurée par la folie des grandeurs de Ceaucescu. Cette fois nous sommes accueillis par des amis de la famille de mon cousin. Le père est, semble-t-il, proche de la nomenklatura, et reçoit avec un faste culinaire plutôt inhabituel. Sa fille ne me laisse pas indifférent, je lui conte fleurette, sans parvenir à échapper à la vigilance paternelle. Les photos que je verrai d’A. une dizaine d’années plus tard me confirmeront que les attraits de la jeunesse ne sont pas éternels… À Bucarest, on ne visite pas le palais Cantacuzène, on fait quelques photos devant l’Athénée roumain, mais pas de concert !

La route du retour empruntera les routes sinueuses des Carpathes, où nous ferons halte dans la maison de vacances d’Enesco, comme je l’ai déjà raconté (Chez Enesco à Sinaia)

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La dernière nuit passée en Roumanie, dans un vaste camping dont nous étions les seuls hôtes, est associée à un autre souvenir musical. France Inter qu’on captait (on appelait cela alors les « grandes ondes ») diffusait ce soir-là Carmen de Bizet dans la version de Maria Callas et Georges Prêtre. Je ne comprenais pas grand chose à ce que chantait la diva grecque, je me suis longtemps demandé ce qu’étaient les « deux Mansanilla » et ce que voulait dire « je l’ai mis à la portière » (avant que je ne découvre le livret en achetant la version Solti en 1977 : « du Manzanilla » et « je l’ai mis à la porte hier » !!)

 

Le violon d’avant guerre

Avant mon escapade vacancière, j’avais commencé à dérouler le fil des Mémoires non publiés (Autour du monde en 80 années) de Robert Soëtens : https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/08/03/il-venait-davoir-18-ans/

Dès son admission au Conservatoire de Paris en 1910, le jeune Robert court les concerts, dans le cadre d’une vie musicale d’une profusion exceptionnelle. Récit :

« Je fréquentais surtout les concerts des violonistes célèbres, nouveaux pour moi, le fascinant Kreisler, dont les « tziganeries » et les viennoiseries d’un répertoire personnel n’altéraient en rien la grandeur de l’artiste, incomparable dans la tendresse mozartienne, Bronislaw Hubermann, l’idéal interprète, rêveur et confidentiel, des Sonates de Brahms, qui nous racontent son amour pour Clara Schumann, l’enchanteur Jacques Thibaud dont j’avais reçu, avant octobre 1910, lors de ses passages à Paris entre deux tournées, ainsi que durant l’été à Saint-Lunaire, des leçons de charme violonistique, auxquelles s’ajoutèrent celles du tennis, dont Thibaud était très amateur avant de se consacrer au golf. J’ai vu, ensemble sur un court de championnat, l’équipe Cortot/Casals jouant contre Thibaud et je crois le pianiste Maurice Daumesnil. Aux concerts du célèbre trio (Cortot/Thibaud/Casals) qui faisait courir le Tout-Paris, j’étais souvent le tourneur de pages de confiance, c’est-à-dire assis à la meilleure place !

Je ne manquais pas non plus un récital d’Enesco, si musicalement enrichissant; avec lui, le compositeur était l’interprète des autres, le violon n’étant qu’un moyen. Il partageait rigoureusement sa vie en deux tranches très précises et régulières annuellement – celles du violoniste et du compositeur, faisant, en octobre, une tournée de récitals en Roumanie, en novembre et décembre des tournées en France, en janvier et février aux Etats-Unis, puis en mars et avril un séjour à Paris, rue de Clichy où j’eus le privilège plus tard de le visiter et de jouer, lui étant au piano, sa 2eme sonate. Enfin, de mai à septembre, retiré dans sa résidence de Bucarest, au palais de la princesse Cantacuzène, son épouse, et à Sinaia où il possédait une villa toute blanche dans les pins, il se consacrait à la composition. »

J’interromps ici le récit de Robert Soëtens pour évoquer un souvenir personnel. Pendant l’été 1973, lors d’un voyage en Roumanie déjà évoqué ici (https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/08/12/et-la-callas/), j’ai visité cette maison de campagne d’Enesco (en réalité, Enescu, mais il faut croire que les Roumains qui fréquentaient Paris redoutaient une prononciation à la française de la fin de leur nom, et préféraient un « o » final plus raffiné et exotique, d’où Enesco, Bibesco, etc.), la Villa Luminis construite en 1926 à Sinaia.

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Il y a quarante et un ans, la maison n’était pas encore transformée en musée-mémorial, mais pouvait se visiter. Mon cousin et moi fûmes reçus par un gardien-concierge qui parlait quelques mots de français, et lorsque je lui dis que je jouais un peu de piano… il me fit cadeau de trois partitions d’Enesco pour piano, d’une difficulté telle que je ne suis jamais allé au -delà d’une tentative de déchiffrage ! Mais c’est sans doute le souvenir le plus émouvant que j’ai rapporté de cette première découverte de la Roumanie.

Suite du récit de Robert Soëtens :

« Parmi les pianistes, mon enthousiasme allait à Cortot, poète du piano, nourri d’une riche culture intellectuelle, qui s’exprimait dans son jeu; j’admirais aussi le beethovénien Risler, l’impétueux Sauer (l’un des derniers élèves de Liszt), mais restais bien déçu – par rapport à l’importance de sa renommée – des rubatos chavirants de Paderewski« 

Demain suite des souvenirs de R.Soëtens : Pelléas, Le Sacre, le Théâtre des Champs-Elysées

Quelques disques indispensables pour relayer les souvenirs de notre violoniste centenaire :81fjRDgraLL._SL1500_

Mention toute particulière et affectueuse l’âme de ce très bel enregistrement de la musique de chambre d’Enesco, la violoniste Tatiana Samouil

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Et l’unique opéra d’Enesco en français, écrit en grande partie dans la Villa Luminis :

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