Jodie dans les étoiles

J’étais en train d’écrire quelques lignes sur la mort, à 93 ans, le 11 juin dernier, du ténor suisse Eric Tappy, lorsqu’un ami belge m’envoie la terrible nouvelle de la brutale disparition de Jodie Devos à 35 ans, des suites d’un cancer foudroyant (RTBF)

Non la mort n’est pas toujours une douce compagnie, comme je l’écrivais il y a peu. Elle est injuste, injustifiable, quand elle frappe, brutale, inattendue.

J’ai raconté cette soirée si particulière à Montpellier, le 21 juillet 2022, où Jodie avait accepté de remplacer Lucy Crowe dans la 1ere symphonie de Vaughan Williams, avec l’Orchestre national de France, dirigé par Cristian Macelaru (lire Festival d’inconnus)

De gauche à droite, Sibyle Veil, JPR, Jodie Devos, Gerald Finley, Cristian Macelaru

Je me rappelle comme si c’était hier, ce moment précis où je vis Jodie pourtant assise sur une chaise haute commencer à trembler, puis verser d’un coup sur le côté droit de sa chaise au pied du premier violon. Ces quelques secondes de sidération qui paralysent tout le monde, sauf le directeur du festival qui rejoint sur la scène le pompier de service qui a immédiatement le bon réflexe, puis deux autres personnes, un homme, une femme, qui se présentent à moi comme médecins. La chanteuse n’est pas inconsciente, elle fait même mine de vouloir se relever, pompiers et médecins l’en dissuadent, tout comme le chef d’orchestre et moi. Nous la faisons transporter dans sa loge, sous étroite surveillance médicale. Nous sommes vite rassurés, sa vie n’est pas en danger, du repos et des médicaments devraient améliorer son état. Mais sans aucune garantie qu’elle puisse revenir chanter ce soir.

Cristian Macelaru et moi décidons de poursuivre l’exécution de la longue symphonie de Vaughan Williams, avec les parties où la soprano ne chante pas, puis de refaire une pause et envisager alors de jouer la dernière partie où soprano et baryton chantent ensemble.

Je rejoins alors Jodie dans sa loge. Elle est effondrée, se confond en excuses, pleure à chaudes larmes. Je la supplie de ne pas se flageller ainsi, je parviens à la faire sourire et même rire, jusqu’à ce qu’elle me regarde droit dans les yeux, en se levant de sa banquette : « Maintenant je suis prête ». Elle reviendra chaleureusement applaudie sur la scène du Corum, non sans être convenue avec le pompier en coulisses d’un signe à lui faire si elle devait de nouveau se sentir mal. Comme l’a raconté Remy Louis dans Diapason.(Une mer agitée à Montpellier)

Six jours avant Vaughan Williams, Jodie Devos avait triomphé en Ophélie dans la version de concert d’Hamlet d’Ambroise Thomas, donnée en ouverture de l’édition 2022 du Festival Radio France : le rédacteur de Forumopera n’avait pas assez de superlatifs pour qualifier ce que Jodie Devos nous offrit ce soir-là…(la captation audio est toujours disponible sur le site de France Musique)

Chère Jodie, tu vas désormais enchanter les étoiles…

Festivals et surprises

L’imposture Molière et Cyrano

J’avais fini par penser que Jean-Baptiste Poquelin alias Molière avait un lien de terre ou de sang avec la ville de Pézenas qui, depuis des lustres, l’honore et le célèbre. Et puis non, si Boby Lapointe est bien originaire de cette charmante cité de l’Hérault, Molière, en dehors de séjours attestés et d’amitiés scellées ici n’a strictement aucun lien familial ou officiel avec Pézenas.

Mais du théâtre il y a dans cette ville, durant tout l’été, et c’est tout l’avantage de ma nouvelle position de retraité sans contrainte que de pouvoir au dernier moment, visiter une sorte de festival de théâtre, qui propose chaque soir une pièce du répertoire. Dimanche soir, c’était Cyrano de Bergerac par l’Illustre Théâtre. Et ce fut plus qu’honorable, du très bon théâtre, et un comédien, dont j’ignorais le nom, Gérard Mascot qui a fait mieux qu’endosser le rôle de Cyrano, il l’a incarné de belle manière du début jusqu’à la fin.

Berlioz, Gardiner et Kantorow

C’est très agréable d’assister en simple spectateur à la soirée d’ouverture d’un festival qu’on a dirigé pendant huit ans. De retrouver quantité de figures amies et de n’avoir rien d’autre à faire que d’être pleinement à l’écoute de ce qui se passe, sans devoir être aux aguets

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Alexandre Kantorow et John Eliot Gardiner

Le programme du concert d’ouverture du Festival Radio France, le 17 juillet, n’avait rien de très original, mais les interprètes valaient le déplacement : le quatrième concerto de Beethoven, joué par Alexandre Kantorow, et la Symphonie fantastique de Berlioz, avec l’orchestre philharmonique de Radio France dirigé par John Eliot Gardiner.

Un concert à réécouter avec bonheur sur France Musique.

Dans la Symphonie fantastique, Gardiner avait demandé la présence des quatre harpes requises par Berlioz dans le deuxième mouvement Un bal. Présence évidemment spectaculaire sur la scène de l’Opéra Berlioz de Montpellier

Le lendemain, mardi, Alexandre Kantorow donnait un récital dans une salle Pasteur comble, sur le thème du Wanderer. Partant de la fougueuse et virtuose 1ère sonate de Brahms, en passant par plusieurs des Lieder de Schubert « arrangés » par Liszt, pour l’achever par une Wanderer Fantasie de Schubert gagnée par une inépuisable frénésie. Et en bis une Litanei de Schubert/Liszt à pleurer. Le jeune homme de 19 ans que le Festival avait reçu en 2016 comme « jeune soliste » – un concert à l’époque enregistré par France Musique ! – confirme, sept ans plus tard, l’artiste exceptionnel, le virtuose inspiré, le doux poète qu’il était déjà.

Le coeur léger

Je pars le coeur léger et le bagage pas si mince* que ça, chargé de souvenirs heureux. C’est ce que je disais hier soir, dans la nuit étoilée du jardin de la Maison des relations internationales de Montpellier, à toutes les équipes du Festival Radio France, à la fin du dernier concert de l’édition 2022.

(Photo Luc Jennepin/Festival Radio France)

Le coeur léger, bien sûr par allusion à l’incident de novembre dernier, mais aussi parce que, pour la première fois depuis que j’ai commencé à travailler (à 17 ans !), je suis déchargé du fardeau des responsabilités inhérentes aux fonctions que j’ai occupées.

Mais trève de considérations. Dès aujourd’hui je suis en vacances. Ce blog en épousera le rythme. Il sera toujours temps de revenir sur le passé récent ou plus lointain.

Marianne, Serge et Gabriel

Dans mon dernier billet j’annonçais un bouquet final – Semaine 3 et fin . On n’a pas été déçu !

Mardi soir, Marianne Crebassa triomphait, toujours à l’Opéra Comédie de Montpellier, dans un récital proche de l’idéal, comme le soulignait Pierre Gangiobbe sur Ôlyrix

Ces deux récitals seront diffusés sur France Musique le week-end prochain, ce qui ne sera malheureusement pas le cas des trois dernières soirées du Festival. Je n’ai pas bien compris pour quelle raison les équipes techniques de Radio France avaient plié bagage en milieu de semaine. Les fameuses restrictions budgétaires ?

Dommage en tout cas que n’ait pas été capté le très singulier concert de mercredi, où le compositeur britannique Gabriel Prokofiev (1975) faisait entendre deux de ses oeuvres – le concerto pour platines n°2 avec le DJ Mr. Switch, et Beethoven9 Remix – et réservait aux spectateurs de Montpellier la surprise de dire, dans un français qui parfois lui résistait, le texte du célébrissime conte pour enfants de son grand-père Serge, Pierre et le Loup. Dernière prestation aussi pour l’Orchestre national de Montpellier, très sollicité cet été, élégamment dirigé par Christopher Warren-Green.


Doublé final : Benjamin, Maxim et les Ecossais

Vraiment il y a de quoi râler sur l’absence de micros pour les deux concerts finaux: une affiche pourtant exceptionnelle, le Scottish Chamber Orchestra venu tout exprès à Montpellier, Maxim Emelyanychev qui réinvente tout ce qu’il dirige, sans céder aux excès de certains de ses contemporains plus médiatisés (Prétention) et Benjamin Grosvenor qui, dans les 4ème (jeudi) et 3ème (vendredi) concertos de Beethoven, nous fait rendre les armes. Dans le 4ème, il jouait de surcroît les cadences de Saint-Saëns, plutôt inattendues.

Extraits du 3ème concerto pour piano de Beethoven : Benjamin Grosvenor, le Scottish Chamber Orchestra dirigé par Maxim Emelyanychev

En bis, Benjamin Grosvenor annonçait un « Irish song », le très célèbre – au Royaume Uni ! – O Danny Boy transcrit par Percy Grainger.

Une conclusion en beauté du Festival 2022 : Bilan à la hausse (le détail ici)

* Les premiers mots de la chanson de Charles Aznavour « Je m’voyais déjà« 

En attendant Borne I

Qu’est-ce que c’est agaçant ce président, cette nouvelle première Ministre, qui s’obstinent à faire durer le supplice ! Que, dans les pays voisins – Belgique, Allemagne – il ait fallu plusieurs semaines voire mois pour constituer le gouvernement fédéral, peu nous chaut à nous les Français.

Qu’accessoirement l’on tienne compte des erreurs du passé – des ministres obligés de démissionner sitôt nommés, parce que en délicatesse avec les règles de transparence de la vie publique ou avec les impôts, voire cités dans des procédures – qu’on prenne donc du temps pour vérifier que les nouvelles/nouveaux ministres sont blancs comme neige, et voilà que la machine médiatique s’emballe et reproche à l’exécutif tout à la fois indécision, procrastination, voire mépris pour le peuple français !

Mais, à l’heure où j’écris ces lignes, on nous annonce cela pour cet après-midi !

Les chariots de Vangelis

Peut-être moins célèbre que son contemporain Jean-Michel Jarre, Vangelis Papathanassiou est mort hier à 79 ans. J’ai comme beaucoup d’autres écouté sans déplaisir ses bandes son de films comme Les Chariots de feu ou 1492, qui sont la signature d’une époque, ce qui n’est déjà pas si mal pour laisser une trace dans l’histoire !

Une demoiselle rajeunie

Heureux de saluer, sur Forumopera, un disque bienvenu, qui témoigne d’affinités électives évidentes entre Debussy et le chef finlandais de l’Orchestre philharmonique de Radio France : Lignes claires

Le piano irlandais

Je n’encombre pas mon blog de pub pour le prochain Festival Radio France, ça viendra peut-être ! Pourtant je suis fier que, pour parler comme les techno, dans un contexte budgétaire contraint, on offre au public une édition 2022 très British : lefestival.eu

Fier en particulier du récital qu’y donne l’un des pianistes les plus intéressants, l’Irlandais Barry Douglas, le 16 juillet prochain.

La fête heureuse

On n’échappe pas à l’exercice obligé du bilan quand approche la fin d’un festival : La fête malgré tout c’est le titre que j’ai donné à celui de l’édition 2021 du Festival Radio France Occitanie Montpellier qui s’est achevé vendredi soir par le triomphe de Sonya Yoncheva dans un opéra Berlioz comble qui ne voulait plus la laisser partir.

On va laisser décanter les beaux souvenirs (et oublier les quelques mauvais) de ce festival pas comme les autres.

Comme cet époustouflant récital de Benjamin Grosvenor le 28 juillet. Et ce dîner avec un musicien heureux, simple, bon vivant, à l’éternelle tête d’enfant.

Ici avec François-Xavier Szymczak qui a présenté pour France Musique les derniers concerts du Festival.

NarboVia à Narbonne

Le dernier-né des grands musées de la région Occitanie, NarboVia, à Narbonne, accueillait mercredi le quatuor de saxophones Ellipsos devant un public familial ravi.

J’ai eu le privilège de voir grandir et s’installer ce musée magnifique, dessiné et conçu par Norman Foster. Où soudain on a l’impression d’être dans une villa pompéienne…

Ici avec Jakub Jozef Orlinski, Ted Huffman et Philip Venables

La réussite de ce festival, de cette fête, c’est celle d’une équipe formidable, qui a franchi tous les obstacles, et fait de chaque concert… une fête !

(Photo Marc Ginot)

Que la fête commence !

Avant d’évoquer les premiers jours de fête du #FestivalRF21, une pensée amicale et solidaire pour tous mes amis de Liège et de Belgique, pour toutes les victimes des terribles inondations qui ont frappé l’est de la Belgique et la région de Cologne que je connais bien.

(La Meuse au centre de Liège il y a 3 jours / Photo G. Gilson sur Facebook)

Je sais que ni le courage ni la solidarité ne manqueront à ceux qui doivent maintenant réparer, nettoyer, restaurer…

Chaque concert est une fête

Entre une proclamation, une promesse, et la réalité, il peut parfois y avoir un fossé. Le pari que nous avions fait en annonçant le 7 avril dernier une édition complète (155 concerts) du Festival Radio France Occitanie Montpellier est très largement relevé, comme en témoignent les premiers jours du Festival.

Avant-hier matin, au micro de Clément Rochefort sur France Musique, c’est ce que j’affirmais : Chaque concert est une fête, la musique est une fête !.

Dimanche soir à Saussan, le quatuor Alborea enchantait la petite église du village pleine comme un oeuf.

Mardi matin, j’étais heureux de retrouver « en vrai » les musiciens de l’Orchestre national de Montpellier et leur chef Michael Schonwandt pour la première répétition de leur concert de ce soir

Mercredi jour de fête nationale, on y était enfin, sur la place de l’Hôtel de Ville de Montpellier, après un montage compliqué.

(Le maire de Montpellier, Michael Delafosse, ouvre le concert du 14 juillet sur le parvis de l’Hôtel de Ville)

(de gauche à droite les artistes du 14 juillet : Isabelle Georges, Roland Romanelli, Claude Salmieri, Benoît Dunoyer de Segonzac, Frederik Steenbrink)

Après le feu d’artifice républicain du 14 juillet, les Feux d’artifice royaux de Haendel tirés par un Hervé Niquet en pleine forme à la tête des choeurs et de l’orchestre du Concert spirituel.

Mais avant le concert du soir, le festival offrait, comme chaque année, deux concerts, les « Découvertes » à 12h30, « Musique ensemble » à 18 h. Honneur d’abord au Quatuor Hanson qui ouvrait le feu salle Pasteur…

et à 18h ma très chère Sophie Karthäuser, et un autre ami cher, Cédric Tiberghien, que je n’avais plus revus, l’une et l’autre, depuis quelques années déjà.

Hier soir, très attendus par le millier de spectateurs réunis à l’opéra Berlioz (la jauge maximale que nous avions retenue pour éviter le recours au pass sanitaire), Renaud Capuçon et Michel Dalberto ont donné un programme plus que rare, devant une salle impressionnante de silence et de concentration. Un concert à réécouter sur francemusique.fr

Un copieux programme attend les festivaliers ce week-end, à découvrir ici.

Surprise

La nostalgie aurait pu me gagner, lorsque Facebook me montre les photos prises et publiées il y a un an, deux ans, etc… Toujours des photos qui correspondent au début d’une édition du Festival Radio France Occitanie Montpellier.

Le 24 avril dernier j’annonçais l’annulation de l’édition 2020 (Le coeur lourdet après de longues semaines marquées par les hésitations, les atermoiements du ministère de la Culture, mais aussi par un formidable travail – à distance – d’une équipe du Festival plus motivée que jamais, le 17 juin nous évoquions un Festival Autrement.

Voici qu’aujourd’hui, à la date initialement prévue pour l’ouverture de l’édition 2020, nous ouvrons ce Festival Autrementd’abord avec une radio – la Radio du Festival – qui commence à émettre aujourd’hui à 16 h et qui sera disponible 24h/24

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Radio écoutable grâce à une appli téléchargeable.

Dès lundi 13 juillet, c’est au tour de France Musique d’entrer dans la danse pour deux semaines, avec chaque jour ou presque à 16h et 20 h la rediffusion des grandes heures du Festival.

Mais il y aura d’abord, pour les Montpelliérains – et les auditeurs de la Radio du Festival – la surprise de deux concerts en public de l’Orchestre National Montpellier Occitanie, le pilier, le partenaire historique du Festival, ce soir et demain à l’Opéra Berlioz.

Et le week-end prochain une dizaine de concerts en plein air avec des artistes déjà engagés pour l’édition « normale ».  On passera sur la complexité de la mise en place de ces concerts, pour ne retenir que la joie qui sera celle du public, des musiciens… et de l’équipe du Festival.

 

 

Carmen(s)

Je ne voulais pas manquer le spectacle que proposait Montpellier Danse cette semaine, à l’Opéra Berlioz à Montpellier : Carmen(s)  de José Montalvo.

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Succès public assuré pour ce Carmen(s) qui tourne sur les scènes de France depuis sa création il y a deux ans au théâtre national de Chaillot

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Un peu plus d’une heure totalement jouissive, avec des interprètes, danseurs/chanteurs/diseurs, exceptionnels d’énergie, de virtuosité, de grâce.

Comme Emmanuelle Bouchez l’écrivait dans Télérama, il y a deux ans : Le chorégraphe décline Carmen au pluriel et la figure mythique se multiplie selon les interprètes. Sa quête de la mixité chorégraphique ne semble jamais s’être aussi bien illustrée qu’ici, dans une exigence conjointe d’art populaire et d’art tout court.

La danseuse classique d’origine japonaise Chika Nakayama toise le public dans la majesté de sa tenue rouge (composée d’une culotte et d’un soutien-gorge !). La frappe des pieds de la bouillante Beatriz Santiago en impose avec panache et humour. La Coréenne Ji-Eun Park chante un air célèbre en jouant de l’éventail, technique traditionnelle pour elle aussi. Ce bouquet d’artistes pour un seul rôle est la première réussite du spectacle.

La seconde trouvaille est de ne pas vraiment nous faire entendre l’opéra. Mais d’en envoyer les thèmes musicaux sous tous les modes (rap, jazz ou électro). Entre toutes ces déclinaisons amusant l’oreille des connaisseurs (que les néophytes pourront apprécier telles quelles), chaque danseuse livre sur grand écran sa lecture du mythe. Ainsi les interprètes écrivent-elles elle-mêmes le livret : en voyageant d’une langue à l’autre, Carmen rayonne.

Les jupes (rouges) tournent, les chemises nouées sur jean serré autorisent toutes les figures. Sur talons bobines, sur pointes ou pieds nus, l’intrigue avance. L’énergie file de corps en corps ou s’arrête net sur des variations d’une grande douceur. Les garçons (tous des Don José, l’amoureux trahi) rôdent ou quémandent. Ils ont beau faire des démonstrations de cabri, les Carmen(s) ont pris le pouvoir sur scène ! On n’imagine même plus que la belle meure à la fin.

Le genre de spectacle que j’aime sans réserve, me laissant surprendre, émouvoir, amuser  sans complexe. Il y a des ficelles, parfois un peu grosses, des facilités, mais tout concourt ici à faire aimer, par toutes les générations et tous les publics, ce personnage universel et toujours si actuel qu’est la Carmen dessinée par Mérimée et transfigurée par Bizet.

L’opéra français le plus joué au monde, justement. J’en ai écouté et vu beaucoup de versions, et je reviens toujours à deux enregistrements légendaires, inaltérables, celui de Thomas Beecham 

https://www.youtube.com/watch?v=0swv2KCnG04

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et celui de Georges Prêtre, 

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où l’étonnante Maria Callas est entourée du meilleur Escamillo et de la meilleure Micaela de la discographie.

On peut observer que tous ces interprètes chantent dans leur arbre généalogique, dans un français parfait, que les couleurs des orchestres et des choeurs sont incomparablement françaises. Ce n’est pas le plus négligeable des atouts dans un tel chef-d’oeuvre !

J’apprends, au moment de conclure ce billet, que le blog de Claude Samuel s’interrompt : Les meilleures choses ont une fin.

 

 

Rach 3

Dans le jargon des pianistes, on a ses raccourcis pour désigner certaines oeuvres du répertoire, surtout si ce sont des must des grands concours internationaux. Ainsi le 3ème concerto pour piano de Rachmaninov est-il appelé le Rach 3 ! (On fait de même pour la Rhapsodie sur un thème de Paganini du même Rachmaninov qu’on désigne en abrégé par Rach Pag).

J’évoque aujourd’hui ce sommet de la littérature concertante pour piano parce que je viens, coup sur coup, d’en entendre deux versions extraordinaires.

La première c’était hier soir, à Montpellier, lors du concert qui célébrait le 40ème anniversaire de l’Orchestre National Montpellier Occitanie. Je retrouvais mon très cher Nelson Goerner, six ans après que je l’eus invité à Liège à jouer ce même Rach 3 dans le cadre du festival I love Rachmaninov qui présentait l’intégrale des concertos (avec Bertrand Chamayou dans le 2ème, Benedetto Lupo dans le 1er et Claire-Marie Le Guay dans le 4ème).

IMG_7200(Michael Schonwandt, Nelson Goerner et l’Orchestre National Montpellier Occitanie le 15 novembre 2019)

Ce n’est pas un hasard si, lors de plusieurs écoutes comparatives, la version, captée en concert il y a une vingtaine d’années, du pianiste genevois d’origine argentine est toujours arrivée en tête.

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Nelson Goerner y est souverain, dans cette manière supérieure de faire oublier la technique – un concentré de difficultés redoutables – pour ne donner à entendre que le chant, les élans rhapsodiques, la densité d’une partition qui n’est pas qu’un numéro d’esbroufe. Le soliste me confiait à l’entracte : « Tu es d’accord, on ne doit pas « taper » dans ce concerto ». 

On ne manquera pas d’écouter ce concert le 3 janvier sur France Musique.

Seconde version extraordinaire écoutée ce matin. Hier, Bruno Fontaine écrivait sur sa page Facebook : Ébloui…fasciné …mais surtout ému à l’écoute de ce nouveau Rach 3…
Nul besoin de s’étendre sur la fabuleuse technique de Daniel Trifon.ov .mais plutôt sur sa merveilleuse maîtrise des lignes, du contrepoint…jamais entravée par sa virtuosité …et puis…et j’allais dire, surtout…!!!
La beauté absolue de l’orchestre de Philadelphie, dirigé avec une science admirable des équilibres et des couleurs par Nézet-Séguin…!!!

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Je n’écrivais pas autre chose quand étaient parus les 2ème et 4ème concertos : Quand Rachmaninov rime avec Trifonov. « … le tandem Trifonov/Nézet-Séguin est d’une telle qualité d’écoute réciproque, de liberté poétique, qu’on accepte sans réticence leurs tempi buissonniers. Et pour le Quatrième concerto l’on tient certainement la meilleure version de la discographie rachmaninovienne (malgré les beautés du piano d’Arturo Benedetti Michelangeli, si pâlement secondé par Ettore Gracis dans la légendaire version EMI de 1957).

On imagine que le Troisième concerto suivra bientôt ». 

Voeu exaucé, ô combien. A écouter absolument ! Cette nouvelle intégrale des concertos de Rachmaninov due au trio magique que constituent Trifonov, Nézet-Séguin ET l’orchestre de Philadelphie se hisse dans le peloton de tête de la discographie pléthorique de ce corpus (où figure le légendaire tandem Peter Rösel / Kurt Sanderling)

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Un souvenir me revient, que j’avais naguère évoqué sur un précédent blog. Il y a presque trente ans j’avais été convié à un dîner à Chamonix par une relation professionnelle qui m’avait promis une surprise, quelqu’un qu’elle voulait me présenter ! Pour une surprise c’en fut une ! A peine arrivé dans le bel hôtel où se tenait ce dîner, j’eus l’impression de me trouver face à… Rachmaninov !

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Mêmes traits, même stature.

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Il s’agissait du petit-fils du compositeur, Alexandre Rachmaninoff (il tenait à cette orthographe usitée hors de Russie) – 1933-2012 – Alexandre était le fils de Tatiana Rachmaninova (1907-1961), la cadette des deux filles de Rachmaninov, Tatiana avait épousé Boris Conus (prononcer Ko-niouss), fils du violoniste et compositeur Julius Conus   (1869-1942), auteur d’un concerto pour violon jadis joué par les plus grands, aujourd’hui un peu oublié. Alexandre était né Conus et avait relevé le nom de son grand-père.

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L’air du Nord (III) : Magnus Lindberg

Il porte bien son prénom : Lindberg le grand, le généreux, le magnifique compositeur finlandais est, pour ces trois jours, l’invité d’honneur du Festival Radio France (#FestivalRF19).

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Deux concerts de musique de chambre  à la Salle Pasteur du Corum de Montpellier, et jeudi la première française (?) de son concerto pour clarinette.

Magnus Lindberg c’est d’abord une rencontre, qui m’a profondément marqué. Je connaissais certaines de ses oeuvres, l’originalité de sa personnalité créatrice. En 2001, travaillant avec Frank Madlenerà l’époque directeur du festival belge de musique contemporaine Ars Musica (depuis 2006 directeur de l’IRCAM), à renouveler l’implication de l’Orchestre philharmonique de Liège dans ce festival, je lui avais exprimé mon souhait d’inviter une forte personnalité, dont on pourrait faire un portrait en musique, et nous étions vite tombés d’accord sur le nom de Lindberg.

À l’automne 2002, Magnus Lindberg était à Liège pour deux concerts (à Liège et à Bruxelles) qui devaient présenter pour la première fois son triptyque orchestral : Cantigas, Feria, Parada, Trois pièces pour grand orchestre toutes créées séparément par Esa-Pekka Salonen. Louis Langrée avait accepté de relever le défi; au fil des répétitions, il me confiait avoir l’impression de faire l’ascension de l’Everest !

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Lors de la soirée liégeoise, diffusée en direct sur Musiq3, la chaîne classique belge, c’est le compositeur lui-même qui officiait comme présentateur, dans un français parfait ! C’est peu dire que le public de la Salle philharmonique fut impressionné, conquis, non seulement par l’oeuvre, mais aussi et surtout par l’homme, si simple, si disponible à l’entracte du concert. Et lorsque nous nous en fûmes boire quelques bières dans un bar de la place du Marché, Magnus Lindberg fit à Louis Langrée le plus beau des compliments qu’on puisse faire à un interprète : « Ce soir, j’ai entendu mes oeuvres comme je les avais rêvées, avec les couleurs, les sonorités françaises que j’imaginais ».

De cette rencontre entre le chef et le compositeur naîtra une amitié, qui se traduira le 22 août 2006, dans le cadre du festival Mostly Mozart de New York, par la création du concerto pour violon de Lindberg sous l’archet de Lisa Batiashvili et la baguette de… Louis Langrée !

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Mais l’aventure Lindberg avec Liège se poursuivra en mai 2008 avec la première belge de son concerto pour clarinette (lire Jean-Luc Votano fait triompher Magnus Lindberg). Le public fera, en effet, un nouveau triomphe au compositeur finlandais et à la clarinette virtuose du jeune soliste de l’OPRL, cette fois sous la baguette de Christian Arming (qui deviendra en 2011 le directeur musical de la phalange wallonne). En 2010, Christian Arming et Jean-Luc Votano feront la création japonaise de l’oeuvre à Tokyo !

Lorsque j’élaborai avec Santtu-Matias Rouvali le programme du concert qu’il devrait diriger ce jeudi avec son orchestre philharmonique de Tampere, il me sembla tout naturel de proposer le concerto pour clarinette de Lindberg et… Jean-Luc Votano comme soliste : Le souffle Tampere. Et cette fois, le compositeur sera dans la salle !

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