Le service des abonnements de Diapason s’avérant incapable de servir ses abonnés (ce qui fut mon cas) j’ai dû attendre deux semaines pour consulter le numéro de mars à mon bureau.
La couverture de ce numéro ne laisse pas d’interpeller – c’était bien l’objectif recherché !
Alors, bien sûr, on se précipite sur l’interview – excellente – de ce chef « qui casse les codes ».
Je précise, par honnêteté, que je n’ai jamais entendu Teodor Currentzis en concert ou à l’opéra. Je voulais me rattraper en assistant au concert prévu lundi dernier à la Philharmonie de Paris, où le nouveau chef de l’orchestre de la radio de Stuttgart devait diriger Richard Strauss et Mahler. Loupé ! annulé pour cause de coronavirus ! Mais grâce à Youtube on peut entendre le même programme joué à Stuttgart il y a quelques jours :
Aux questions pertinentes, parfois impertinentes, de Vincent Agrech, Currentzis fait des réponses pour le moins surprenantes.
Eloge de Poutine : « La Russie est devenue plus autoritaire en réaction aux attaques venues de l’Ouest/…./ L’obsession de faire de la Russie un mauvais voisin, voilà le fait historique. Ce temps où elle était le pays le plus libre d’Europe me manque terriblement. Je déplore le tournant autoritaire, mais il se produit à chaque fois que nous devons défendre notre sécurité. Tout dirigeant refusant de vendre son pays à l’étranger adorerait la même attitude que Poutine/…./ Je ne trouve pas la vie plus contrainte en Russie qu’en Allemagne, qui reste un pays anti-démocratique.
Voilà qui est clair : les employeurs actuels de M. Currentzis, la radio publique allemande (le Südwestrundfunk) apprécieront ! On ignorait que la Russie fût à ce point menacée par ses voisins, on avait plutôt le souvenir, encore tout récent, de l’annexion de la Crimée, de la guerre du Donbass, d’interventions musclées en Tchétchénie, sans parler de la Syrie !
Saint-Pétersbourg et Gergiev : Teodor Currentzis a quitté Perm l’an dernier, au terme d’un clash avec les autorités de la ville (Vincent Agrech relate l’aventure artistique et musicale exceptionnelle du chef gréco-russe de 2011 à 2019). Il s’est installé, avec son ensemble MusicAeterna, à Saint-Pétersbourg.
« Vous surestimez beaucoup Saint-Pétersbourg, à bien des égards plus provinciale que Perm aujourd’hui. Des institutions de répertoire exceptionnelles assurément. Mais la musique ancienne ? la création ? la rencontre entre les disciplines ? l’invention d’un nouveau rapport au public ? Le sommeil de cette cité merveilleuse mais incapable d’innovation sociale semble inscrit dans son ADN/…./Valery Gergiev et moi ne faisons pas le même métier. Il est l’un des plus grands patrons de maison que l’histoire musicale ait connus, un héritier de Karajan. Moi, je suis un chef de troupe, j’entraîne les interprètes et le public, dans ma passion pour les compositeurs vivants ou morts, l’expérimentation, l’underground. »
Et voilà donc Gergiev et l’ancienne capitale des tsars habillés pour l’hiver !
Je ne vais pas citer toute l’interview, notamment les développements autour du projet de festival Diaghilev au théâtre du Châtelet à partir de la saison 20-21.
Beethoven réinventé ?
Dans sa dernière question, Vincent Agrech interroge Teodor Currentzis sur l’intégrale des symphonies de Beethoven en cours de parution chez Sony.
V.A. « Abordez-vous la Cinquième de Beethoven avec la confiance donnée par votre parcours musical… ou l’angoisse d’ajouter votre nom à une discographie monumentale ?
T.C. Discographie riche de grandes personnalités qui avaient souvent davantage de respect envers elles-mêmes qu’à l’égard du compositeur/…./ Mon ambition est de construire cet édifice selon les proportions exactes voulues par Beethoven. Dès cette 5ème, j’espère faire entendre certains éléments pour la première fois – certains croiront que nous avons réorchestré ! Je serai satisfait qui l’on considère qu’il ne s’agit pas de détails, mais d’une vision renouvelée de la structure qui en magnifie la beauté! »
Harnoncourt, Gardiner, Norrington, aux oubliettes ! Beethoven a son nouveau héraut, qu’on se le dise !
J’avoue être passablement agacé par ce discours et cette posture. Je ne doute pas du talent, évident, réel, de ce chef d’orchestre, mais pour quelqu’un qui fait la leçon à ses collègues et à ses illustres aînés, qui se targue de respecter les compositeurs qu’il interprète, je trouve, dans ses enregistrements, au contraire, une recherche permanente de l’effet, du choc, qui font dresser l’oreille, plus que suivre la partition. Ainsi sa 1ère de Mahler (cf. vidéo ci-dessus) se révèle-t-elle un festival de trucs et de tics, qui vont jusqu’à dénaturer le propos du compositeur, or s’il y a un compositeur qui était extrêmement rigoureux, précis et disert dans ses annotations, c’est bien Mahler !
Currentzis ….
oui il faut de temps en temps des interprètes iconoclastes remettant en cause les attitudes chroniques d’un monde de la musique classique trop souvent compassé.
TC que je ne connais que par l’enregistrement et un docu d’ARTE en fait partie .
Se rappeler des premiers Brandebourgeois d’Harnoncourt ou Goebel ou de la polémique des indes galantes de Rameau dans les années 70 ( JF Paillard vs Malgoire ) ou plus recemment de l’arrivée des « baroqueux » dans la musique du XIX ème siècle.
Alors TC fait partie de ces empécheurs de tourner en rond en relancant la dynamique de l’interprétation et c’est bien .
S première de Mahler ne me choque pas et il faut se rappeler des problèmes rencontrés par Mahler lors de ses débuts de directeur musical de l’opéra de Vienne .
Quant à l’aspect géopolitique dans l’interview de DIAPASON ( reçu ici en temps et en heure !!) on conçoit que TC soit laudatif vis à vis de la Russie et critique vis à vis de l’Europe non russe : travaillant régulièrement dans ces 2 secteurs il est plus aisé de critiquer l’Allemagne ou la France que la Russie de Poutine; pads grand chose à craindre ( heureusement de coté de l’Europe ) et lAllemagne de la SWR sera « bonne fille » alors qu’à Moscou il est impossible de mettre en cause la ligne directrice du nouveau tsar Poutine . Posture un peu lache mais la civilisation russe reste si riche et si attirante ….
Merci du lien permettant l’écoute d’un concert fantastique montrant que TC certes très « up to date » dans ses propos ( volontairement )choquants reste un extraordinaire musicien.
Très belles images d’un orchestre ( fort pourcentage asiatique comme souvent ) manifestement subjugué par leur jeune directeur musical nageant avec eux au sein d’un fascinant océan symphonique .