Une chute sans gravité, mais une entorse douloureuse à un pied, et ce sont deux villes que je n’ai visitées que partiellement: Modène et Parme La première doit son renom à son vinaigre balsamique, le vrai, l’authentique paraît-il, à ses voitures de luxe – Ferrari, Lamborghini, Maserati, rien que ça ! – et à un ténor que le monde entier a pleuré lorsqu’il a disparu à 71 ans des suites d’un cancer du pancréas, Luciano Pavarotti né à Modènele 12 octobre 1935, mort dans sa ville natale le 6 septembre 2007.
Une statue assez laide trône à côté du Teatro comunale qui a pris le nom de l’enfant du pays.
Pour les mélomanes, un autre nom, et pas n’importe lequel, est associé à Modène. Née quelques mois avant Pavarotti, le 27 février 1935, morte, comme lui dans sa ville natale, le 9 février dernier, la grande, magnifique Mirella Freni(lire Mimi è Morta). Sa disparition est sans doute trop récente pour qu’on ait déjà donné son nom à une place, une rue ou une maison.
Plus encore que pour Pavarotti – dont il serait du dernier ridicule de nier l’incroyable talent, la voix solaire, magnétique, mais dont les grands shows de ses dernières années m’ont laissé plus qu’indifférent, j’ai toujours eu et je garde pour Mirella Freni une admiration, une affection, une tendresse même, profondes.
Karajan a eu le très bon goût de les rassembler dans des Puccini gravés pour l’éternité, La Bohème et Madame Butterfly
On imagine que cet extrait de La Bohème a été capté à Modène, l’un et l’autre n’avaient pas 30 ans, l’âge de leurs rôles. Malgré l’image défaillante, quelle émotion !
Mais la Mirella Freni, qui enregistre sa première Bohème à 28 ans, sous la direction si sensuelle de Thomas Schippers, me bouleverse plus encore. Aux côtés d’un autre géant, Nicolai Gedda
La douceur de vivre
Le peu de temps que j’ai passé à Modène, centre ville fermé aux voitures, j’ai aussitôt aimé cette cité harmonieuse, où la vie semble douce, aimable, ordonnée autour de sa magnifique cathédrale, de son impressionnant palais ducal. On comprend que les deux chanteurs n’aient jamais quitté leur port d’attache.
Joseph Macé-Scaron – une amitié de plus de 40 ans ! – écrivait, il y a quelques heures, sur Facebook :
« Il y a toujours dans l’Histoire, des lieux protégés. Ce fut le cas du duché d’Urbino, ce confetti de principauté, joyau de la Renaissance qui fut l’Athènes de l’Italie. Le grand Bélisaire a conquis la ville, Montaigne l’a visitée… Elle est la capitale secrète de la péninsule, bien davantage que Sienne, Rome, Florence etc. Et puis, c’est à Urbino que Castiglione, plus utile à lire que Machiavel (là aussi travers français), nous dit ce que doit être un gentilhomme »
Et d’apostropher les intellectuels français, Debray, Sollers, qui ne jurent que par Naples ou Venise !
Je n’ai passé que quelques heures à Urbino, sur le chemin de Pesaro (lire Rossini à Pesaro) Assez pour ressentir cette intense impression d’être dans une cité – modeste par la taille – où tous les murs, les palais, les églises disent l’intelligence, la science, l’art qui les ont vu éclore.
On confirme les termes de Montaigne – dans son Journal de voyage en Italie (1581) – qu’ Urbin est.sur le haut d’une montagne de moyenne hauteur, mais se couchant de toutes parts selon les pentes du lieu, de façon qu’elle n’a rien d’égal, et partout il y a à monter et à descendre.
L’arrivée au pied du monumental Palazzo Ducale, l’ascension par une scala en pente douce pour déboucher sur la place principale, constituent une expérience fascinante pour le visiteur.
Malheureusement, le jour de notre visite, cathédrale et palais ducal étaient fermés pour cause de fêtes traditionnelles dans la ville.
Quand on visite Urbino, le nom qui vient en premier à l’esprit est celui du peintre Raphaël, né le 6 avril 1483 à Urbino, mort le 6 avril 1520 à Rome, Raffaele da Urbino. On se console de n’avoir pu visiter le musée du palais ducal, l’essentiel des oeuvres de Raphaël ayant été dispersées dans les grands musées du monde.
On se rappelle notamment le choc et les longues minutes passées à Dresde(voir Les musées de Dresde) devant la Madone Sixtine, et les deux angelots les plus célèbres du monde.
En revanche, la fermeture du musée nous a privés de quelques-unes des toiles célèbres de celui qui a travaillé plus de quatre ans au service du maître d’Urbino, Federico III da Montefeltro, seigneur de la cité de 1444 à 1482, grand protecteur des arts, des lettres et de la science. Piero della Francesca(lire Les fresques de Piero) réalise un double portrait fameux du seigneur et de son épouse Battista Sforza, visible au musée des Offices à Florence.
Deux toiles du maître d’Arezzo sont conservées à Urbino, dont cette exceptionnelle Flagellation du Christ qui révèle une maîtrise absolue de la perspective et de la complexité géométrique de la part de son auteur.
Au début du XVIème siècle, Baldassare Castiglione(1478-1529) fréquente la cour d’Urbino, la plus brillante et raffinée d’Europe.
(Le portrait de Castiglione réalisé en 1519 par Raphaël – Musée du Louvre)
C’est très certainement à partir des joutes intellectuelles, des « discussions » entre les habitués et les visiteurs de la cour d’Urbino, que Castiglione va concevoir son Livre du courtisan, qui, dès sa parution en 1528, et sa traduction en français en 1537, est un bestseller dans toute l’Europe !
Le Livre du courtisan n’est pas un livre théorique. C’est une conversation pleine d’esprit, de grâce et de désinvolture (les trois plus grandes qualités de l’homme de cour selon Castiglione), de poésie aussi, qu’échangent des amis dans le cadre de la cour du palais ducal d’Urbino, une des plus raffinées d’Italie à l’aube du XVIe siècle. Pendant quatre soirées, on danse, on écoute de la musique, on plaisante, et surtout on discute des « manières », bonnes ou mauvaises, des princes, dont il faut attirer les faveurs, des femmes, de l’amour.
Le château des chevaliers du Temple de Tomar a été construit par Gualdim Pais, maître provincial de l’ordre du Temple, vers 1160. Quelques années après, le château fut choisi comme siège de l’ordre au Portugal. Durant la Reconquista, le château de Tomar faisait partie du système de défense créé par les Templiers pour sécuriser la frontière du jeune royaume chrétien contre les Maures, frontière qui, au milieu du xiie siècle, correspondait à peu près aux rives du fleuve Tage.
L’église ronde (rotunda) du château de Tomar a été construite durant la deuxième moitié du xiie siècle. L’église, comme quelques autres églises du Temple en Europe, aurait été bâtie sur le modèle de la mosquée d’Omar à Jérusalem, que les croisés ont cru, à tort, être un vestige du Temple de Salomon. La Basilique du Saint-Sépulcre à Jérusalem pourrait également avoir servi de modèle.
Selon les chroniqueurs chrétiens, le château de Tomar a résisté, en 1190, aux attaques du calife Abu Yusuf Yaqub al-Mansur, qui avait auparavant pris d’autres forteresses portugaises dans le sud du pays.
L’ordre du Temple a été supprimé dans la plupart des pays d’Europe en 1312. Au Portugal, ses membres, ses capitaux et une partie de sa vocation ont été transmis à l’ordre du Christ, créé en 1319 par le roi Denis Ier de Portugal. L’ordre du Christ s’est installé, en 1357, à Tomar, qui est devenue son siège.
L’un des plus grands maîtres de l’ordre était le prince Henri le Navigateur, qui a régné sur l’ordre de 1417 jusqu’à sa mort en 1460. Le Prince Henri a donné une grande impulsion aux expéditions portugaises pendant la période des Grandes découvertes. Dans le couvent, le prince Henri a commandé la construction de divers cloîtres et autres bâtiments. Il est également à l’initiative des améliorations urbaines de la ville de Tomar.
Une autre personnalité importante liée à l’ordre du Christ était Manuel Ier de Portugal, qui est devenu maître de l’ordre en 1484 et roi du Portugal en 1492. Sous son règne, le Couvent a connu plusieurs améliorations importantes, notamment l’ajout d’une nouvelle nef dans l’église et de décorations intérieures composées de peintures et sculptures.
Le successeur de Manuel Ier, Jean III de Portugal, a démilitarisé l’ordre, le transformant en un ordre plus religieux suivant les préceptes de Bernard de Clairvaux. Il a également commandé la construction d’un nouveau cloître, en 1557, qui est l’un des meilleurs exemples de l’architecture Renaissance au Portugal.
En 1581, après une lutte pour la succession au trône, la noblesse portugaise s’est réunie dans le couvent de l’ordre du Christ à Tomar et a officiellement reconnu Philippe II d’Espagne comme roi (Philippe Ier de Portugal). C’est le commencement de l’union ibérique (1581-1640), pendant laquelle les royaumes du Portugal et de l’Espagne ont été unis. L’aqueduc des Pegões a été construit pendant le règne espagnol.
Claustro da Lavagem (cloître de lavage) : ce cloître gothique de deux étages a été construit vers 1433, sous le règne de Henri le navigateur. Les vêtements des moines y étaient lavés, d’où son nom. Construit sur plan carré, il comporte deux étages et deux réservoirs et un puits-citerne destiné à recueillir l’eau de pluie.
Claustro do Cemitério (cloître du cimetière) : également construit sous Henri le navigateur, ce cloître gothique était le lieu de sépulture des chevaliers et des moines de l’ordre. Les élégantes colonnes jumelles des voûtes comportent de beaux chapiteaux avec des motifs végétaux, et les murs du déambulatoire sont décorés avec des tuiles du xvie siècle. Dans un tombeau de style manuélin repose Diogo de Gama, le frère du navigateur Vasco de Gama.
Claustro de Santa Bárbara (cloître de Saint Barbara) : il a été construit au xvie siècle. La fenêtre de la Chambre du chapitre et la façade occidentale de la nef de l’église sont visibles de ce cloître. Il comporte deux niveaux dont l’inférieur surbaissé et construits de 12 colonnes au chapiteau renaissance porte le niveau supérieur en terrasse.
Claustro de D. João III (cloître de Jean III) : commencé sous le règne du roi Jean III de Portugal, il a été achevé pendant le règne de Philippe Ier de Portugal (qui était également roi d’Espagne sous le nom de Philippe II). Le premier architecte à avoir travaillé sur le bâtiment, à partir de 1557, était l’Espagnol Diogo de Torralva et c’est seulement en 1591 que les travaux ont été achevés par l’architecte de Philippe II, l’italien Filippo Terzi. Ce magnifique cloître de deux étages relie le dortoir des moines à l’église et il est considéré comme l’un des exemples les plus représentatifs de l’architecture maniériste au Portugal. Les étages sont reliés entre eux par quatre élégants escaliers hélicoïdaux, situés à chaque coin du cloître.
Claustro da Hospedaria (cloître de l’Hôtellerie) : construit entre 1541 et 1542, il comporte deux niveaux et un supplémentaire au Nord. Il était destiné à accueillir les visiteurs nobles.
Claustro da Micha
Cloître des nécessaires (claustro das necessárias): où se trouve la bouche du réservoir d’eau, et aussi le puisard souterrain des installations sanitaires du couvent.
Cloître des corbeaux
Dans l’une des capitales de l’Alentejo, Évora, on allait éprouver d’autres émotions aussi fortes, dans une cité qui a su préserver non seulement son centre historique, mais aussi ses abords, ce qui est loin d’être toujours le cas !
Le nom portugais d’Évora provient du latin Eburobrittium, nom probablement lié à la divinité celte Eburianus. Ce nom aurait pour racine celte *eburos, l’if commun.
Évora était, à l’époque préromaine, une ville fortifiée (oppidum). Elle portait, sous la Rébublique, le nom d’Ebora Cerealis. Durant la guerre civile opposant César à Pompée, elle resta fidèle au premier et en fut récompensée par le titre honorifique de Liberalitas Iulia.
Un autre monument romain, un arc de triomphe orné de quatre statues et de nombreuses colonnes, fut démoli en 1570, afin de permettre la construction de l’église de Santo Antão.
La cité est intégrée à l’éphémère seigneurie musulmane d’Ahmad ibn Qasi au milieu du xiie siècle. Elle est reprise aux Maures en 1165 par Geraldo sem Pavor(pt), date à laquelle le diocèse est restauré. La ville est résidence royale pendant une longue période, essentiellement sous les règnes de Jean II, Manuel Ier et Jean III. Son prestige atteint son sommet au xvie siècle, quand elle est élevée au rang de métropole ecclésiastique. L’université d’Évora, qui se développe à partir d’un collège jésuite, est fondée à l’instigation du cardinal Henri, premier archevêque d’Évora.
Le , Évora est le siège d’une des plus sanglantes batailles de la première invasion napoléonienne. La ville est pillée, de nombreux habitants ayant pris les armes sont massacrés.
Conseil à ceux qui veulent visiter Évora et qui sont en voiture, un hôtel « écologique » à l’extérieur de la ville très vivement recommandé : le Tivoli EcoResort. Où les voisins de chambre ne sont pas ceux qu’on pense !
Je ne me suis pas attardé dans mon précédent Journal du Portugal(Lisbonne et Porto) sur les attractions touristiques, richesses monumentales et autres particularités qu’on trouve excellemment décrites dans tous les guides.
Le Portugal – que j’ai vu jusqu’à maintenant – ce sont des dizaines d’églises, d’anciens couvents, des cloîtres, la plupart du temps richement décorés, chapelles, autels dorés à l’or du Brésil, tapissés d’azulejos, et souvent dotés de très jolis orgues anciens.
Avant une petite revue de détail, vraiment pas exhaustive, passage obligé par Fatima. Un jour gris de semaine, sans fête religieuse ni pèlerinage.
Une immensité qui me laisse une impression étrange. Je respecte la ferveur des pèlerins qui viennent ici, je ne la partage pas. Je n’aime pas la foule, encore moins ici qu’ailleurs.
A Coimbra, on revient aux sources d’un glorieux passé universitaire… et religieux.
Premier de ces superbes orgues d’église aperçu au Portugal, je me demande – et je le demande à mes lecteurs plus spécialisés que moi – pourquoi ces instruments sont installés à gauche près du fond de la nef.
La richesse ornementale des autels contraste avec l’austère simplicité des cloîtres qui les jouxtent.
Arrivé à Porto, on visite évidemment la cathédralequi domine la vieille ville, son cloître à étages recouvert d’azulejos
Pour fuir Porto, la foule et la grisaille, on pousse au nord vers Braga, où le soleil fera de timides apparitions.
Beau patrimoine religieux, une cathédrale qui réunit un ensemble inouï dans le fond de sa nef : deux orgues qui se font face, une tribune centrale et une voûte qui concentre la plus grande quantité de bois précieux et d’or du Brésil en Europe. Surcharge d’ornements, de sculptures, d’angelots joufflus, le baroque dans toute sa démesure.
On garde pour de prochains billets des étapes magnifiques dans l’Alentejo, Tomar, Evora, et dans l’Algarve, Faro et Lagos, où les ors et les orgues ne brillent pas moins !
Lorsque j’ai annoncé à mes proches que j’avais choisi le Portugal pour mes vacances d’été, j’ai vu nombre de sourires s’afficher : « Vous n’allez pas être seuls »…
Il faut croire, en effet, que les Français en particulier s’y sont précipités en masse. Qu’on parcoure les rues de Lisbonne ou Porto, voire les cités plus petites de l’Alentejo, on constate vite cette présence qui n’est pas toujours – euphémisme – ni la plus discrète, ni la plus raffinée. Pourquoi faut-il que mes compatriotes, dès qu’ils sont plus de trois ou quatre, se fassent remarquer en parlant fort et mal à propos, pensant que personne ne les comprend ?
Un souvenir me revient d’un lointain voyage (1973) en Roumanie. Je visitais, avec un cousin, un monument de la ville d’Alba Iulia, un seul petit bar s’y trouvait, avec bien peu de choses à proposer. Le lieu était désert. À une autre table étaient assis deux garçons qui parlaient fort, apostrophaient le serveur en le traitant de tous les noms… en français. Nous avons vite commandé et bu un breuvage approximatif, et en partant je n’ai pu m’empêcher d’aller « féliciter » les deux autres consommateurs de l’excellente image qu’ils venaient de donner de notre pays. Ils détalèrent vite fait le rouge au front.
Lisbonne donc semble être à 75 % française durant l’été. Mais j’avais déjà observé le phénomène lors d’un précédent voyage à l’automne 2016 (Lisboa mer amor).
Quelques bonnes surprises culinaires : le soir de notre arrivée (un dimanche soir) nous arrivons un peu par hasard dans un nouvel établissement… français, ouvert au mois de mai sur une ravissante placette de l’Alfama (Grenache),
le lendemain nous trouverons dans le quartier du Barrio Alto une petite adresse à l’écart de « la » rue des restaurants de fado, Fado ao Carmo
Porto nous réservera d’autres surprises, d’abord météorologiques, trois jours sous les nuages et la pluie… et un afflux proportionnel de touristes obligés de quitter bord de mer et plages. La ville est conforme à l’image qu’on en a, toute en escarpements et ruelles obscures côté vieux Porto, et sur l’autre rive du Douro, côté Vila Nova de Gaia, les chais et caves de porto, et pour les relier le fameux pont Eiffel (qui n’est pas de Gustave Eiffel lui-même mais de l’un de ses disciples).
Au chapitre restauration, en dehors de l’inévitable porto consommé sur la place de la Ribeira, on a exploré des quartiers moins fréquentés. N’eût été un service invraisemblablement long, on eût conseillé l’Artesão Bistrô– mais une heure entre chaque plat a de quoi dissuader le plus patient des gastronomes. Explication : le chef est seul en cuisine, et veut tout faire et contrôler lui-même ! A l’écart du centre, la très bonne surprise est venue de 4 Royal,cuisine portugaise de très belle venue, impeccablement servie, jolie carte de vins du pays, le tout à prix très modérés. Plus « authentique » encore, dans un cadre qui semble n’avoir pas bougé depuis cinquante ans, le restaurant Ritoqui affiche la couleur – Cozinha Regional – plats simples en quantités plus que généreuses, service exclusivement masculin.
Et puis on quitte Porto et ses froideurs humides, pour gagner l’est du Portugal, et la capitale du nord de l’Alentejo, Evora. De magnifiques découvertes nous attendent…
Déjà il y a plus de 25 ans, quand je dirigeais France Musique – avec, comme directeur de la musique, quelqu’un qui s’était fait un nom dans ce domaine, Claude Samuel – j’avais proscrit l’usage du terme « musique contemporaine » sur l’antenne. On savait, même sans les sondages d’écoute, que cette seule expression faisait fuir les auditeurs. Réflexe stupide sans doute, mais réalité incontestable.
Du bruit inaudible ?
Parce que « musique contemporaine » signifiait – et signifie encore aujourd’hui pour un certain public – : musique inaudible, faite de bruits désarticulés, sans repères harmoniques, profondément déstabilisante.
Je ne résiste pas au plaisir de reciter une anecdote qui remonte à mes années suisses : « Depuis trois ans nous subissons une directrice dont l’incompétence fait le bonheur des gazetiers et le malheur des producteurs. Sans doute consciente de ses faiblesses, elle laisse à ses adjoints – dont je suis – une latitude certaine, quoique surveillée. Ainsi, au retour d’un déjeuner, elle me téléphone pour s’inquiéter que, dans l’émission de midi, on ait diffusé du Boulez. Elle n’a pas entendu elle-même l’œuvre incriminée mais on le lui a rapporté. Je vérifie auprès de la productrice qui, amusée, finit par trouver le coupable : un extrait de Ma Mère l’Oye de Ravel dirigé par…Pierre Boulez ! » (extrait de mon billet du 23 août 2018)
Aussi inculte que fût cette directrice, elle savait que Boulez signifiait « musique contemporaine »… donc indiffusable à une heure de grande écoute même sur « sa » chaîne culturelle !
Faire confiance au public
J’ai souvent dit, partout où j’ai eu la responsabilité de programmer de la musique d’aujourdhui, donc « contemporaine », comme producteur ou patron de chaîne, mais plus encore comme organisateur de concerts en tant que directeur d’orchestre et maintenant de festival: le public est seul juge, et bon juge.
D’emblée il distingue et reconnaît l’oeuvre factice, artificielle, de la pièce inspirée, qui ne lâche pas l’auditeur, le captive, l’interpelle, retient jusqu’au bout son attention. Ce n’est pas démagogie que d’affurmer que le public a toujours raison. Son instinct le trompe rarement.
World music days
Encore ici, à Tallinn, pendant ce festival de musique d’aujourd’hui, on perçoit immédiatement les oeuvres marquantes, celles qui vous tiennent en haleine, par cette mystérieuse alchlmie qui fait les grandes oeuvres et les grands auteurs.
Ainsi, avant-hier soir, lors du concert de l’orchestre national d’Estonie (lire Le printemps de Tallinn) figuraient au programme des oeuvres, certaines en création, de compositeurs totalement inconnus de moi, et sans doute d’une majorité du public.
EINO TAMBERG (1930–2010, Estonia)
“Avafanfaarid” / “Opening Fanfares” Op. 112 for symphony orchestra (1975/2001)
HO-CHI SO (b. 1994, Hong Kong)
“Radio Conversation” for orchestra and electronics (2018, Estonian premiere)
LOTTA WENNÄKOSKI (b. 1970, Finland)
“Susurrus” for guitar and orchestra (2016)
MAYKE NAS (b. 1972, the Netherlands)
“Down the Rabbit-Hole” for symphony orchestra (2012)
ALEX NANTE (b. 1992, Argentina)
“La Pérégrination vers l’ouest” / “Journey to the West” for orchestra (2016)
ÜLO KRIGUL (b. 1978, Estonia)
“worlds… break the soundness” for orchestra (2019, premiere)
Toutes les pièces de ce programme avaient un intérêt, dans leur diversité d’inspiration, même si l’originalité n’en était pas toujours la vertu première. Celle qui a suscité le plus d’adhésion du public – et la mienne ! – est celle de la Finlandaise Lotta Wennäkoski (en haut sur la photo avec le soliste Petri Kumela et le chef Olari Elts), Susurrus pour guitare et orchestre. Construite comme un concerto classique, en trois mouvements enchaînés vif-lent-vif, l’oeuvre captive d’abord par l’usage que la compositrice fait des cordes de la guitare soliste et du quatuor d’orchestre, toutes les variantes possibles du frotté, frappé, pincé – l’archet n’est quasi jamais utilisé ! – sont exploitées, sans que jamais on ait l’impression d’un procédé, d’une facilité. Il en résulte un univers sonore fascinant, d’où émerge un parcours mélodique, pimenté par des interventions des bois et des percussions qui enrichissent sans jamais l’alourdir, encore moins l’écraser, les textures diaphanes d’une orchestration scintillante. Je pensais, en écoutant cette oeuvre, à un jeune guitariste comme Thibaut Garcia, qui serait bien inspiré d’inscrire ce Susurrus à son répertoire.
Hier samedi on avait le choix entre plusieurs propositions de concerts vocaux ou choraux. C’est à la cathédrale Sainte-Marie, au sommet de la vieille ville, qu’avait lieu le concert d’un ensemble fondé en 2010, le choeur de chambre Collegium Musicale dirigé par Endrik Üksvärav.
Comme la veille (Le printemps de Tallinn), assis au milieu du public qui remplissait la nef de la cathédrale, Neeme Järvi et sa femme, très attentifs et sollicités à la fin du concert par les musiciens, les compositeurs..
PEETER VÄHI (b. 1955, Estonia)
“Siberian Trinity Mantra” (2019, premiere)
FRANCO PRINSLOO (b. 1987, South African Republic)
“Pula, Pula!” for mixed choir
CATHARINA PALMÉR (b. 1963, Sweden)
“Strings in the air above” for chorus (2013)
GABRIEL DHARMOO (b. 1981, Canada)
“Futile Spells” for choir (2016)
MIHYUN WOO (b. 1980, South Korea)
“Voices in Landscape” for mixed choir
BALÁZS KECSKÉS D. (b. 1993, Hungary)
“Alleluja” for mixed choir (2018)
KRISTO MATSON (b. 1980, Estonia)
“Taaveti laul nr 131” / “David’s Song No. 131” (2009)
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Cette vidéo n’existe pas
Un panel d’oeuvres très représentatif de la vivacité de la création chorale, dans des pays où le « chanter ensemble » est plus qu’une tradition, un art de vivre (Riga choeur du monde).
Comme la veille, des pièces d’inégale inspiration, longueur, originalité, mais toutes singulières… et remarquablement interprétées. Une préférence peut-être pour la dernière, la plus construite comme une dramaturgie sonore, spatiale, explorant toutes les ressources de la voix humaine.
Les spectateurs du Festival Radio Francen’ont jamais craint d’écouter les programmes du Choeur de la radio lettone, qui, chaque année depuis plus de 20 ans, non seulement participe au festival mais surtout promeut et illustre la musique et les créateurs de notre temps.
Retour sur une actualité, dont le traitement médiatique me désespère : les suites de l’incendie de Notre-Dame, la disparition deJean-Pierre Marielle.
Naguère, j’aurais encore consacré des lignes à dénoncer – en vain – les travers apparemment irrémédiables des médias de masse qui en sont réduits à s’aligner sur les réseaux sociaux : tous les points de vue se valent, on tend un micro à n’importe qui… Je n’en ai plus le goût ! Mais quand je lis l’article exceptionnel d’Elsa Freyssenet dans Les Echos, je reprends espoir et j’oublie le monceau de conneries entendu sur tous les médias le soir de l’incendie de Notre Dame : Le secret de la victoire des pompiers contre le feu. Lire l’intégralité de cet article à la fin de ce billet !
Je ne participerai pas plus au débat sur la reconstruction de la cathédrale, encore moins sur l’argent récolté à cette fin.
J’ai encore le souvenir des épreuves écrites et orales que j’avais passées, et réussies à ma grande surprise,, à Poitiers, pour être Guide-conférencier des monuments historiques. S’il est bien une ville d’une exceptionnelle richesse monumentale, et en particulier d’édifices religieux, c’est bien Poitiers. Je me rappelle avoir constamment expliqué aux visiteurs que les églises qu’ils avaient devant eux, Notre-Dame-la-Grande, la Cathédrale Saint-Pierre, Sainte-Radegonde, etc… avaient subi, au cours des siècles, nombre de transformations, d’ajouts, de reconstructions, et que plus personne n’était choqué de voir autour d’une nef romane des chapelles Renaissance ou XVIIème, encore moins du gothique flamboyant édifié au-dessus d’une première église romane (voir Revoir Poitiers).
Alors faut-il reconstruire Notre-Dame de Parisà l’identique ? mais à l’identique de quoi ? du visage que lui a donné Viollet-le-Ducau XIXème siècle (la flèche c’est lui !) ? On n’a pas fini de s’entre-déchirer sur le sujet…
J’ai quant à moi ressorti de ma discothèque ce coffret qui restitue l’art inimitable de Pierre Cochereau, notamment ses improvisations.
Quant à Jean-Pierre Marielle, je veux revenir un instant sur le formidable hommage qu’ARTE a rendu hier soir à l’acteur disparu, en diffusant un film qui a formé des générations de mélomanes, qui leur a fait découvrir un univers – et un instrument – jusqu’alors connus d’un cercle restreint d’amateurs.
« Jean-Pierre Marielle y incarnait l’ombrageux violiste M. de Sainte-Colombe (ca. 1640-ca. 1700), sur lequel on sait assez peu de choses, sinon qu’il écrivit des pièces d’une rare profondeur pour son instrument et qu’il fut le professeur de Marin Marais (1656-1728) – interprété dans le film, pour ses jeunes années, par Guillaume Depardieu (1971-2008), et, pour celles de sa maturité, par Gérard Depardieu.
Le scénario fut adapté du court roman éponyme de Pascal Quignard, qui réinventait dans une langue choisie et goûteuse la relation conflictuelle de ces deux musiciens que tout opposait : l’austère, colérique et obstiné Sainte-Colombe, qui n’écrivit que pour son instrument ; Marin Marais le mondain qui céda aux sirènes de la gloire en écrivant des tragédies lyriques, mais qui laissa aussi ce que le répertoire français pour l’instrument compte de plus beau – avec la musique de Sainte-Colombe.
Ainsi que l’écrivait Jacques Siclier dans nos colonnes, le 19 mars 2000 : « Alain Corneau a mis en scène le mystère d’une âme et d’un art, à l’ombre austère du jansénisme, dans des images presque toujours en plans fixes évoquant les tableaux de Philippe de Champaigne et les méditations des adeptes de Port-Royal. » Ce beau film, qui donna à Jean-Pïerre Marielle un rôle grave, inquiétant jusqu’à l’effroi, rendit, dans les semaines qui suivirent sa sortie, la viole de gambe célébrissime.
Au point que de nombreux jeunes musiciens voulurent apprendre cet instrument ancien rare, à une époque où la musique baroque commençait tout juste à être reconnue par les instances pédagogiques officielles : le département de musique ancienne du Conservatoire national supérieur de musique de Lyon, pionnier en la matière, venait d’être créé, en 1988, sur le modèle de celui de la Schola Cantorum de Bâle (Suisse).
C’est là, quelques lustres plus tôt, que le violiste catalan Jordi Savall – conseiller et directeur musical du film, interprète des pièces de viole – avait fait ses études, avant de devenir le plus grand spécialiste de cet instrument. Les amateurs de musique ancienne connaissaient ses enregistrements (pour EMI puis le label français Astrée), mais son renom ne dépassait pas le cercle des initiés. Après la sortie du film, et la publication de sa bande-son (chez Auvidis, qui avait racheté Astrée) Jordi Savall est devenu une vedette internationale.
On lisait, dans Le Monde du 11 janvier 1992 : « A l’issue de sa troisième semaine d’exploitation, Tous les matins du monde, d’Alain Corneau, totalise plus de 700 000 entrées pour toute la France et vient de rafler (…) la première place au box-office. Ce n’est pas la première fois qu’un film austère trouve un large public. Mais qui aurait pu imaginer que la bande-son du film (…) entrerait au “Top 30” de RTL-Virgin ? » Ce furent 70 000 exemplaires vendus en quelques semaines, puis un disque d’or : du jamais-vu pour un tel répertoire de « niche ».
Le film est un régal pour les yeux mais aussi pour les oreilles, avec de très beaux moments musicaux, dont cet extrait de la Troisième leçon de ténèbres de François Couperin qu’on entend chantée par celle qui fut l’épouse et la muse de Jordi Savall, la si inspirante et regrettée Montserrat Figueras (1942-2011). (Renaud Machart, Le Monde, 29 avril 2019.
Notre Dame : le secret de la victoire des pompiers contre le feu
« Pour venir à bout de l’incendie de Notre-Dame de Paris, dans la nuit du 15 avril 2019, il a fallu bien plus que le courage et la ténacité des pompiers. Leur victoire contre le feu qui menaçait de détruire la cathédrale est le fruit d’une organisation millimétrée, d’une formation d’élite et d’une chaîne de commandement où la responsabilité et la confiance sont des maîtres mots.
« Qui est cet homme ? » La question a trituré les méninges des complotistes sur les réseaux sociaux. Cet homme était une silhouette sombre vêtue, pensaient-ils, d’une chasuble claire et filmée sur une coursive de Notre-Dame, la nuit de l’incendie . Un djihadiste ? Un « gilet jaune » ? La rumeur courait et les pompiers de Paris ont dû lui faire un sort : cet homme était l’un des leurs. Et pas n’importe lequel : il s’agissait du général Jean-Marie Gontier, qui commandait les opérations de secours.
Le deuxième plus haut gradé présent sur site cette nuit-là effectuait alors son « tour du feu ». C’est-à-dire qu’il allait, à proximité des flammes, vérifier l’état de l’incendie, l’efficacité de ses décisions et le risque pris par ses hommes. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître – il y a bien des professions où les grands chefs ne vont pas sur le terrain – ce « tour du feu » est une routine. Une règle à laquelle s’astreint, à chaque incendie, la personne qui commande les opérations de secours. « C’est dans notre culture, il faut se rendre compte par soi-même et c’est important pour les hommes de voir le chef », explique Gabriel Plus, le porte-parole de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP). Le général Gontier est monté au front « au moins cinq ou six fois dans la soirée ». Une semaine après l’incendie géant à Notre-Dame , il y a encore des choses à apprendre et à comprendre de la bataille victorieuse menée par les soldats du feu dans la nuit du 15 au 16 avril.
Le pays entier les a acclamés, tout ce que la France compte d’autorités leur a rendu hommage et même leurs homologues de New York ont salué leur « bravoure ». Ils le méritent. La clairvoyance des gradés et la ténacité de leurs troupes, le miracle de la volonté… Tout cela est vrai mais ne suffit pas à leur rendre justice. Les pompiers eux-mêmes se méfient du « sentiment de toute-puissance » qui peut altérer leur jugement. « Ne faites pas de nous des héros », a-t-on entendu au cours de cette enquête.
Pour venir à bout de l’incendie de Notre-Dame, il a fallu d’abord une organisation millimétrée, des gestes si souvent répétés qu’ils sont devenus des réflexes, une capacité à anticiper, une chaîne de commandement fluide et la confiance absolue des pompiers en leurs chefs qui les fait accepter de mettre leur vie en danger. Tout cela se prépare et s’entretient. La victoire de Notre-Dame n’est pas seulement le fruit d’un combat hors norme, c’est un aboutissement. Celui d’une formation et d’une expérience, un métier dans ce qu’il a de plus noble.
Dix minutes de sidération
Un métier où même les « dix minutes de sidération » qui frappent les premiers pompiers arrivés sur les lieux ont été anticipées et théorisées. « Au départ, on est un peu incrédules car on ne peut pas imaginer que la cathédrale puisse brûler, a raconté, lors d’une conférence de presse, l’adjudant-chef Jérôme Demay, patron de la caserne la plus proche de la cathédrale. Et après on revient dans un système professionnel. » Il s’assure alors que le bâtiment a été évacué, il positionne les premières lances à incendie et envoie des troupes – hommes et femmes – en haut des tours pour arroser la toiture en feu, puis il demande des renforts.
« La phase de sidération sert à constater que la situation est anormale, qu’il faut mobiliser toute la cavalerie et que cela va durer longtemps. C’est aussi la phase des actes réflexes », explique Gabriel Plus. Le porte-parole de la BSPP va nous aider à décrypter les décisions prises, les choix techniques et humains faits cette nuit-là.
La machine est lancée autour de 19 heures, lorsque la demande de renforts arrive au QG des sapeurs-pompiers de Paris, porte de Champerret. L’heure est grave car la charpente de la cathédrale, en flammes, est vieille de huit cents ans et construite d’un seul tenant, sans séparation coupe-feu pour contenir la propagation. Et la fin du message laisse augurer du pire : « Poursuivons reconnaissance. »C’est un code pour dire que la situation est à ce moment-là hors de contrôle.
REUTERS/Gonzalo Fuentes – RC1F535EA560REUTERS
Comme les bouches à incendie ne sont pas si nombreuses sur l’île de la Cité, décision est prise au QG de faire venir deux bateaux-pompes qui puiseront l’eau de la Seine. Les rues sont étroites autour de Notre-Dame et seuls 18 bras élévateurs pourront être positionnés : ils viennent des casernes parisiennes mais aussi de la grande couronne (dont une vingtaine de pompiers se joindront aux forces de la BSPP). La jonction est faite avec la police pour acheminer le matériel au plus vite, puis organiser un périmètre de sécurité autour de l’église. Les employés du gaz et de l’électricité sont mobilisés (pour veiller à la résistance des réseaux).
Plan d’évacuation de l’Hôtel-Dieu
Une formidable opération multidimensionnelle, à laquelle se joignent la Croix-Rouge et la protection civile. Cela n’a pas été dit jusqu’à présent mais la BSPP avait préparé, s’il y avait eu propagation du sinistre aux bâtiments alentour, un plan d’évacuation partielle de l’Hôtel-Dieu concernant les 50 lits situés dans l’aile la plus exposée. « La première demi-heure est cruciale car il faut demander tout de suite tout ce dont on peut avoir besoin »,souligne Gabriel Plus.
Les sapeurs-pompiers de Paris ne sont pas des militaires pour rien. La première brigade a été créée par Napoléon en 1811 à partir d’une troupe de fantassins. Depuis, ils envisagent un incendie comme un champ de bataille où il faut anticiper les mouvements de l’ennemi, le feu, dont ils parlent comme d’un corps vivant.
Tradition militaire
A Notre-Dame, le poste de commandement est d’apparence sommaire : une tente adossée à un camion équipé de liaisons radio. Mais il est organisé comme un état-major de campagne : on y voit un plan de Notre-Dame divisé en quatre secteurs, des colonels expérimentés sont en lien avec chaque responsable de secteur et notent l’évolution de la situation et des besoins en temps réel, un capitaine synthétise les informations et les communique au commandant des opérations de secours.
S’y ajoutent un expert du bâtiment, le lieutenant-colonel José Vaz de Matos (pompier détaché au ministère de la Culture), un « dessinateur opérationnel » (un pompier qui parcourt le site et ramène des croquis des points névralgiques) et le porte-parole, Gabriel Plus. Tous doivent aider le commandant des opérations à visualiser au mieux le champ de bataille, à enrichir (voire à les suppléer, en cas de panne) les images fournies par le drone de la police qui survole la cathédrale.
Notre Dame de Paris, CSTC POISB. Moser/BSPP
Tandem de commandement
Cette douzaine de personnes est placée, cette nuit-là, sous la direction d’un tandem : le général Jean-Claude Gallet, commandant de la BSPP, et son adjoint, le général Jean-Marie Gontier. Compte tenu de l’enjeu, les deux hommes se sont partagé le travail : Jean-Marie Gontier dirige les opérations, indique les endroits à attaquer en priorité et analyse les mouvements du feu. Il établit un plan pour les contrer qu’il propose à Jean-Claude Gallet, seul responsable et décisionnaire en dernier ressort. Ce dernier fait aussi le lien avec les autorités, préfet de police, maire de Paris, Premier ministre et président de la République.
Les deux hommes se connaissent depuis longtemps. Ils se disent les choses clairement et se comprennent d’une phrase, ils sont en confiance. Mais durant la première heure, ils sont en proie au doute, graves et économes de leurs mots, les traits marqués par l’amertume : les lances crachent de l’eau à plein régime mais le feu ne cesse de s’intensifier, poussé vers les tours par un fort vent d’est. « Il faut sauver Notre-Dame », répète Jean-Marie Gontier, comme pour se convaincre que c’est possible.
Les attentats du 13 novembre en mémoire
Le moment est suffisamment traumatisant pour que plusieurs gradés fassent la comparaison avec les attentats du 13 novembre 2015 (même s’il n’y a finalement pas eu de victimes à Notre-Dame). Les pompiers en première ligne ne cessent de reculer. Ils sont environ 150 à attaquer les flammes à l’intérieur de la nef et depuis les tours.
« On a entendu un gros bruit, on ne voyait pas ce qui se passait à l’extérieur et apparemment c’était la flèche qui était tombée », a raconté à Brut la caporale-chef Myriam Chudzinski, présente dans les tours à ce moment-là. La flèche, haute de 93 mètres, constituée de 500 tonnes de bois et 250 tonnes de plomb, vient effectivement de s’abattre, perçant la toiture dans sa chute. Tous ceux qui combattent le feu à l’intérieur de l’édifice ont ordre de sortir et tous le font, sauf les dix pompiers partis en éclaireurs à la recherche des reliques. Ils sont dans la salle du trésor. Le temps se suspend quelques minutes… jusqu’à ce qu’ils réapparaissent, sains et saufs.
En tombant, la flèche a déplacé le feu de la toiture à l’intérieur de la nef. Du métal en fusion tombe du toit. Le robot Colossus prend le relais pour asperger l’intérieur de la cathédrale, tandis qu’une centaine d’hommes vont chercher les oeuvres d’art.
Deux exercices à Notre-Dame en 2018
Beaucoup a été écrit sur ce sauvetage. Et l’histoire est belle de ces pompiers qui extraient la couronne d’épines du coffre et récupèrent la tunique de Saint-Louis, de cette incroyable chaîne humaine composée de soldats du feu, de religieux, de fonctionnaires de la Ville de Paris et du ministère de la Culture qui, toute la nuit, transportent les trésors vers une salle de l’Hôtel de Ville, de l’aumônier catholique des pompiers enfin qui tient à emmener les hosties hors du brasier. Et pourtant, là n’est pas l’action la plus mise en valeur par les pompiers eux-mêmes : il y avait du danger, certes, mais les pompiers des casernes alentour avaient exécuté deux exercices dans la cathédrale en 2018, ils connaissaient les passages.
La décision la plus grave a consisté à tout faire pour arrêter l’incendie au niveau des tours. A ce moment-là, le feu se propage dans tous les sens, nourri par les courants d’air, les gaz chauds et les fumées inflammables. Quand la charpente du beffroi nord commence à être touchée, vers 21 heures, la voix de José Vaz de Matos résonne sous la tente de l’état-major : « Si les 8 cloches tombent, elles emporteront toute la voûte et la cathédrale s’effondrera comme un château de cartes ! » Jean-Claude Gallet et Jean-Marie Gontier pensent à la même chose : il faut renoncer à sauver la toiture pour positionner un maximum d’engins au niveau des tours et tenter de les sauver. Il s’agit de « faire la part du feu ». Gontier : « Le risque, c’est que le feu gagne en intensité, il faut l’arrêter rapidement. » Gallet : « Oui, on l’arrête au niveau des tours et on engage des gens. »
Peu de possibilités de repli
Sur le papier, c’est logique ; dans la vraie vie, cela suppose de mettre des hommes en danger. Car les bras élévateurs situés à l’extérieur de la cathédrale ne suffiront pas à créer un rideau d’eau suffisamment important. Il faut envoyer à nouveau des pompiers en haut des tours, pour renforcer le rideau d’eau et pour éteindre le feu dans le beffroi nord. Un « commando de choc » d’une vingtaine de personnes devra gravir en courant, sur 60 mètres de hauteur, des escaliers en colimaçon larges d’à peine 60 centimètres avec plus de 20 kilos d’équipement sur le dos. Et ce, sans possibilité de repli facile.
J’ai déjà perdu deux hommes sur opération au début de l’année et notre devise c’est « Sauver ou périr ».
La brigade parisienne a déjà perdu deux des siens, en janvier dernier, dans l’explosion de gaz de la rue de Trévise. Vers 21 h 30, Jean-Claude Gallet présente ainsi sa décision à Emmanuel Macron qu’il a rejoint dans les bureaux de la préfecture de police, toute proche : « J’ai déjà perdu deux hommes sur opération au début de l’année, et notre devise c’est ‘Sauver ou périr’. Je vais en réengager à l’intérieur, cela présente un risque pour eux mais il faut que je le fasse. » Selon un témoin de la scène, quelques questions sont posées – « Le risque est-il mesuré ? » – puis le président de la République acquiesce. D’autant que Jean-Claude Gallet a précisé : « Cela se joue dans la demi-heure. »
Son adjoint, Jean-Marie Gontier, a déjà réuni les chefs de secteur. Il leur a fait mesurer l’enjeu – sauver la cathédrale – et le risque : ceux qui iront dans la tour nord marcheront sur un plancher instable posé sur une charpente en flammes et ils n’auront pas le temps de s’amarrer pour amortir une chute éventuelle. Puis il a demandé : « On y va ou pas ? » Question purement rhétorique ? Oui et non. « Je n’ai jamais vu un pompier dire non mais il est important que les chefs de secteur adhèrent à la décision du commandant », explique Gabriel Plus. Afin qu’eux-mêmes évaluent sans cesse le risque pris par leurs subordonnés.
Et puis, « si le risque n’est pas consenti, il y a perte de confiance dans la hiérarchie, la peur s’installe et fait faire des erreurs techniques graves », poursuit Gabriel Plus. A Notre-Dame, le consentement est facilité par le parcours du tandem décisionnaire : « Le risque que le général demande, il l’a pris quand c’était son tour de le prendre, donc il sait de quoi il parle. » Le mérite de la promotion par le rang.
Les premières images de l’intérieur de Notre-Dame après l’incendie
Créer un pack
Au-delà de l’excellente condition physique des soldats du feu, les entraînements quotidiens dans les casernes servent à créer des réflexes de travail en commun, des gestes partagés qui accélèrent l’attaque. « Comme pour une équipe de foot », note un gradé. Tous les pompiers fonctionnent en binôme : le plus jeune, qui dirige la lance au plus près du feu et peut être aveuglé par la fumée, est guidé par un aîné qui règle le débit de la pompe. Et ce dernier reçoit les consignes de son chef de secteur qui a une vue d’ensemble. Une organisation certes pyramidale, mais où chaque niveau hiérarchique est juge de la meilleure manière d’accomplir sa mission.
Le commando rendu en haut des tours, tout s’enchaîne très vite. Au bout d’un quart d’heure, les flammes faiblissent. Jean-Marie Gontier repart faire son « tour du feu » et revient à 22 heures : « Elle est sauvée. » Elle, c’est Notre-Dame.
La relève toutes les quarante minutes
Le travail n’est pas terminé pour autant : il faut éteindre le feu de la toiture. De l’extérieur, des pompiers perchés sur des nacelles arrosent le toit. Ils sont à un mètre des murs, exposés à une chaleur de « 100 à 200 degrés ». Il faut les relever toutes les quarante minutes, le temps de vie de leur bouteille d’air (ce qui explique la mobilisation de 600 pompiers cette nuit-là).
L’usage de la lance est très technique. Un jet à haut débit a un effet mécanique d’écrasement du feu mais peut faire des dommages. Ordre est donc donné de passer au-dessus des rosaces pour les préserver. Ceux qui sont postés plus loin du centre du brasier utilisent, eux, un jet diffus destiné à inonder les parties de l’édifice encore intactes afin qu’elles résistent au feu. Mais là encore, l’eau peut faire des dégâts. Alors, une fois l’incendie circonscrit, l’arrosage est modéré afin de protéger les tableaux pas encore décrochés.
Notre Dame de Paris, CSTC POISB. Moser/BSPP
Technique de précision et facteur chance
Technique de précision, maîtrise d’un savoir-faire… Au milieu de tout cela, il a fallu aussi compter sur le facteur chance : l’échafaudage qui entourait la flèche et les deux ogives croisées qui tenaient la voûte entre la flèche et les tours ont résisté. S’ils avaient flanché, tout s’écroulait.
Alors que le feu est maîtrisé mais pas éteint, les officiels, dont Emmanuel Macron, demandent à entrer dans la cathédrale. Tous se tournent vers l’expert du ministère de la Culture, José Vaz de Matos, qui ne s’y oppose pas : il n’y a plus de risque d’effondrement.
Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a loué « l’intelligence des situations et le courage » du général Jean-Claude Gallet. Sait-il que pour acquérir cette « intelligence des situations », l’équipe de commandement de la BSPP s’entraîne chaque samedi matin à la prise de décision au cours d’un jeu de rôle sur un scénario de risque majeur ? Le samedi 20 avril, la simulation a exceptionnellement été annulée. »
C’est peu de dire que les musiciens sont partout à Berlin, et bien entendu dans les musées. Petite galerie de portraits rassemblée au gré de mes visites à la Alte Nationalgalerie, à la Gemälde-Galerie, au Musée des instruments de musique qui jouxte la Philharmonie.
Portrait à 14 ans du pianiste Josef Hofmann (1876-1957) par Anna Bilinska, Varsovie 1890.
Josef Hofmannfut un interprète virtuose considérable, admiré, adulé même (c’est à lui que Rachmaninov a dédié son Troisième concerto), pédagogue exceptionnel (de 1924 à 1938 il dirige le département piano du Curtis Institute de Philadelphie).
Le fameux tableau d’Adolf von Menzel représentant le roi de Prusse, Frédéric II, jouant de la flûte dans son château de Sans Souci.
La cathédrale Ste Edwige(à l’arrière de la Staatsoper) : le choeur de Ste Edwige, dirigé par Karl Forster(1904-1963) a été le partenaire de tant d’enregistrements de la fin des années 50, début 60. Mes premiers disques sacrés de Mozart, Haydn, Brahms…
La toute nouvelle salle Pierre Boulez, à l’arrière du bâtiment de la Staatsoper, voulue par Daniel Barenboim, conçue par Frank Gehry, inaugurée en mars 2017.
Et puis un beau souvenir d’une soirée d’octobre 2015 à Berlin, avec mon très cher Menahem Pressler(à l’arrière-plan, on aperçoit Jonas Kaufmann et Daniel Hope qui vont venir saluer le vieux pianiste, d’autres photos à voir ici : Les échos de la fête)
On avait le souvenir de Constanța, reine des villes roumaines de la Mer Noire. Prestige lié à une histoire mouvementée, à la présence d’un port de première importance. On a retrouvé une ville en ruines, délabrée, détruite en son propre sein. Même le bâtiment emblématique de la ville, le magnifique Casino de 1910 est à l’abandon depuis un quart de siècle.
Alors que les grosses berlines allemandes et les 4X4 pullulent en ville, les pouvoirs publics, les investisseurs privés laissent le coeur de ville dans un état lamentable.
A deux pas du Casino, c’est le mythique Hotel Palace qui est fermé pour une durée indéterminée, et flanqué d’un immeuble en béton lui aussi abandonné en l’état !
L’Amirauté, siège de l’état-major de la Marine militaire roumaine, présente encore belle allure, mais on n’est pas certain que l’intérieur soit aussi reluisant que l’extérieur !
Dans les rues et places du centre historique, la consternation saisit le visiteur. Pour quelques bâtiments bien conservés, ce ne sont que ruines, béances, constructions ou rénovations interrompues…
Une réplique de la fameuse louve romaine trône face au musée d’Art de la ville. Une statue du poète des Métamorphosescontemple le désastre de la place qui porte son nom , c’est ici à Tomisqu’Ovideest mort en exil en 17 ou 18 de notre ère.
Le grand musée archéologique de Constanta et en face ceci :
à l’arrière du musée, tout un symbole
Dans la rue principale…
Deux belles églises, une mosquée, la première construite en béton en 1910.
(La cathédrale orthodoxe SS. Pierre et Paul)
(L’église grecque orthodoxe)
Et du centre historique, vue imprenable sur l’immense port de Constanța…
Vue de l’autre côté sur une mer Noire qui peut être déchaînée
A deux pas du Casino, c’est le mythique Hotel Palace qui est fermé pour une durée indéterminée, et flanqué d’un immeuble en béton lui aussi abandonné en l’état !
L’Amirauté, siège de l’état-major de la Marine militaire roumaine, présente encore belle allure, mais on n’est pas certain que l’intérieur soit aussi reluisant que l’extérieur !
Dans les rues et places du centre historique, la consternation saisit le visiteur. Pour quelques bâtiments bien conservés, ce ne sont que ruines, béances, constructions ou rénovations interrompues…
Une réplique de la fameuse louve romaine trône face au musée d’Art de la ville. Une statue du poète des Métamorphosescontemple le désastre de la place qui porte son nom , c’est ici à Tomisqu’Ovideest mort en exil en 17 ou 18 de notre ère.
Le grand musée archéologique de Constanta et en face ceci :
à l’arrière du musée, tout un symbole
Dans la rue principale…
Deux belles églises, une mosquée, la première construite en béton en 1910.
(La cathédrale orthodoxe SS. Pierre et Paul)
(L’église grecque orthodoxe)
Et du centre historique, vue imprenable sur l’immense port de Constanța…
Vue de l’autre côté sur une mer Noire qui peut être déchaînée
J’ai failli devenir organiste. Ayant grandi à Poitiers, j’avais pour copain de classe un des enfants de Jean-Albert Villard, l’organiste titulaire des grandes orgues Clicquot de la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers
Mais je n’ai jamais franchi le pas, j’avais déjà assez à faire avec mes leçons de piano, de solfège, et même de violon (trois ans non concluants !) au Conservatoire, j’ai résisté aux amicales pressions de Jean-Albert Villard, qui était par ailleurs un formidable conteur, un pédagogue historien passionné, peut-être pas le plus grand des organistes ! Mais il invitait chaque saison les meilleurs de ses collègues à la tribune de la Cathédrale. Je me rappelle très bien un récital de Xavier Darasse et ma découverte de l’orgue de Liszt, et tout autant une soirée mortelle, soporifique avec… Marie-Claire Alain, qui était alors présentée comme l’Organiste incontournable…
(Un magnifique CD jadis réédité par Erato, aujourd’hui introuvable !)
Un souvenir plus confus de Pierre Cochereau. Je ne sais plus si c’est après ou avant de l’avoir entendu que j’ai acheté un disque de « tubes », ou parce que j’avais repéré dans une cérémonie ou une autre la fameuse Toccata de la 5ème symphonie pour orgue de Widor.
(Ici la magnifique version d’Olivier Latry, successeur de Pierre Cochereau aux grandes orgues de Notre-Dame de Paris).
De là sans doute mon intérêt, ma passion même pour ce que l’on a coutume d’appeler l’orgue symphonique.
J’aurai en tout et pour tout deux occasions de jouer de l’orgue et de jouir de ce sentiment incroyable de puissance qui s’empare de celui qui, d’une simple pression sur quelques touches du clavier peut déclencher un ouragan sonore.
Pendant un été où j’étais moniteur d’une colonie de vacances musicale à Aire sur l’Adour, je profitais de mes rares moments de liberté pour monter à la tribune de l’orgue de l’église locale et improviser ce qui me passait par la tête, et qui ne devait pas être d’un grand intérêt. Mais je m’amusais bien, jusqu’au jour où j’entendis des applaudissements. Une bonne dizaine de touristes avait suivi mes élucubrations et en redemandait. Rouge de honte, je me tapis dans un recoin de la tribune, attendant que l’église soit de nouveau déserte, et sortis en jurant qu’on ne m’y prendrait plus.
Pourtant il y eut une autre prestation, la seconde et dernière. Dans l’abbatiale de Saint-Michel-de-Frigolet cette fois, lors d’une « université » politique d’été, en août 1976. Je ne me rappelle plus qui eut l’idée saugrenue de me faire jouer de l’orgue devant un parterre de ministres et sommités politiques nationales. Je tentai d’ânonner la toccata et fugue en ré mineur de Bach, puis, n’écoutant que mon inconscience, la toccata de la 5ème symphonie de Widor. J’avais beau avoir prévenu de mon amateurisme, il se trouva quelques jeunes gens bien mis, chefs ou membres de cabinets ministériels, pour me féliciter chaleureusement et bruyamment (devant leurs ministres évidemment) pour ma performance exceptionnelle. Ce jour-là je compris définitivement que le ridicule n’avait jamais tué aucun courtisan. Et que je n’embrasserais jamais le métier d’organiste…
Salut respectueux à l’un des grands organistes français, André Isoir, récemment disparu.