Je viens d’enchaîner trois soirées aussi différentes que possible, mais passionnantes parce qu’il est rare de passer d’un univers à l’autre dans un laps de temps aussi resserré.
Sauvé par Lambert
Je me rappelle avoir programmé Le Roi David d’Arthur Honegger à Liège il y a largement plus de vingt ans, déjà à l’époque je souhaitais avoir Lambert Wilson comme récitant, mais je n’avais pas son contact et je ne voulais pas passer par un intermédiaire. Par un ami commun, Paul M. j’avais obtenu son 06, il m’avait répondu très agréablement, au milieu de travaux de peinture de son appartement ! Et rappelé quelques jours plus tard pour me dire que, malheureusement, il n’était pas disponible aux dates prévues. J’attendrai 2016 et le concert d’ouverture du Festival Radio France pour travailler avec lui, et cette fois c’est lui qui m’avait sollicité !
(Montpellier, juillet 2016 : Lambert Wilson et JPR)
En choisissant de « couvrir » le concert du Chineke! Orchestra à la Philharmonie vendredi soir, je m’interrogeais sur la pertinence d’un programme censé valoriser la « diversité » – l’un de ces concepts qui servent autant qu’ils desservent la cause qu’ils sont censés défendre. J’avais acheté il y a peu un disque de cet orchestre, consacré à la compositrice Florence Price, donc je savais à quoi m’attendre quant à la qualité de la formation.
Comme je l’écris pour Bachtrack (L’éclatant succès du Chineke! Orchestra), toutes mes réserves, si j’en avais, ont été vite levées devant l’enthousiasme des interprètes et d’un public qui manifestement – il y avait beaucoup d’invitations de Télérama – était en grande partie composé de novices.
Les solistes du triple concerto de Beethoven, Tai Murray, Sheku et Isata Kanneh-Mason, le chef Roderick Cox et le Chineke! Orchestra.
Le violoncelliste anglais, très bien entouré (Benjamin Grosvenor au piano, Nicola Benedetti au violon et Santtu-Matias Rouvali à la direction) est à retrouver sur ce disque récent :
Mais le vrai choc, la surprise de la soirée, c’est cette Negro Folk Symphony de William Levi Dawson (1899-1990), empoignée avec une joie communicative par Roderick Cox
Avantage à Roderick Cox dans cette version toute récente disponible sur les sites de streaming
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Les contes de l’Opéra-Comique
Samedi, retour dans l’une de mes salles préférées de Paris, l’Opéra-Comique, pour le spectacle qui ouvre la saison, les Contes d’Hoffmann d’Offenbach.
Je n’ai pas entendu samedi dernier l’un des airs que j’aime le plus dans cet ouvrage, mais il paraît qu’il n’est pas « original ». N’empêche que José Van Dam sait faire « scintiller les diamants » d’Offenbach !
Les à-côtés, les coulisses de ces trois soirées et bien d’autres réactions à lire dans mes brèves de blog.
Depuis une semaine, pas un jour ne ressemble à l’autre. C’est une effervescence que j’aime, que j’apprécie d’autant plus que la situation de « retraité » qui est la mienne atténue inévitablement les sentiments qu’on éprouve quand on est dans la reprise, la rentrée, le retour du feu de l’action.
Conciliation
Je n’évoque pas souvent, sur ce blog, l’activité de conciliateur de justice, que j’exerce depuis juin 2021. D’abord parce que, par principe, les affaires qu’on me soumet n’ont pas à être mises sur la place publique, la confidentialité est même la condition nécessaire du succès éventuel d’une procédure de conciliation. Mais je l’évoque ici parce que c’est, à chaque fois, une plongée au coeur de l’humain, des difficultés, petites ou grandes qui pourrissent la vie des gens, des problèmes qui pourraient être résolus s’il y avait juste un peu de bon sens, d’attention à l’autre. Cela ne m’empêche pas d’être parfois surpris par le comportement de ceux qui me demandent mon aide – la conciliation est gratuite pour les demandeurs, bénévole pour le conciliateur -. Entre ceux qui ne me disent pas toute la vérité – euphémisme – et qui pensent que je ne vais pas m’en apercevoir, ceux qui espèrent trouver un avocat à bon compte, et ceux qui oublient juste de dire « merci » ou de m’informer que le litige pour lequel je me suis démené… a été résolu.
Le plus étonnant, humainement parlant, ce sont les conflits de voisinage. Combien de litiges portant sur la taille d’une haie, un droit de passage, ou l’entretien d’un mur séparatif, qui trahissent en réalité de vieilles rancoeurs mal recuites !
Un fourgon de police devant le théâtre des Champs-Elysées, c’est plutôt inhabituel !
On y reviendra, mais noter dès maintenant que les aménagements réalisés dans le hall du théâtre, à la demande du nouveau maître des lieux, Baptiste Charroing, sont particulièrement réussis et s’intègrent parfaitement dans l’esthétique originelle des lieux.
Cinéma
Un mort et une révélation : c’est l’actualité cinématographique pour moi de ces dernières heures.
J’avais adoré ce film quand il est sorti, je crois bien que je suis allé le revoir tant il m’avait ému. Et puis beaucoup d’autres. Je me rappelle une séance de cinéma à Radio France il y a pas mal d’années où Jean-Luc Hees avait présenté, avant sa sortie en France, ‘L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux ». Heureusement que j’ai comme ami, dans la vie comme sur Facebook, Jean-Marc Luisada – oui le grand pianiste ! – qui est une incroyable encyclopédie du cinéma mondial à lui seul. Fascinant…
Et ce matin, après ma lecture du Canard Enchaîné et la séquence cinéma de Télématin, j’avise une séance au cinéma Hautefeuille, aujourd’hui MK2 Odéon, pour le film Nino de Pauline Loquès.
Sur un sujet grave, la réalisatrice réussit la performance d’un film léger, sans être mièvre, toujours à bonne distance des personnages et des situations, avec un acteur formidable Théodore Pellerin. La critique, pour une fois, est unanime. Elle a raison. Courez-le voir !
Achats
A Paris évidemment les visites chez mon/mes libraires et disquaire s’imposent.
Pour une raison que j’ignore, j’avais perdu l’intégrale des concertos de Beethoven gravée par le formidable Richard Goode et Ivan Fischer. Je l’ai retrouvée d’occasion chez Gibert.
C’est Renaud Machart qui a écrit le livret de ce coffret récapitulatif des grandes années du contre-ténor Andreas Scholl. Que c’est bon de réentendre cet art si subtil !
Et puis, parce que je dois être un peu masochiste – parce que la dame Duras m’agace plus qu’à son tour – je lis à petites doses ce bouquin d’entretiens de Marguerite D.. Il y a de tout, à prendre, à laisser, avec un personnage que je ne m’attendais pas à y trouver, Antoine Livio (Lire Un baptême de radio)
Pour les humeurs et les impressions au jour le jour, voir mes brèves de blog !
Mercredi dernier, j’étais à la Philharmonie de Paris pour le concert d’ouverture de la saison de l’Orchestre de Paris et de son chef Klaus Mäkelä (cf. Paris passé présent avenir). Programme avantageux dont le clou était assurément An American in Paris, le célébrissime chef-d’oeuvre de Gershwin. Mais, comme je l’ai écrit pour Bachtrack (L’Amérique pressée et bruyante de Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris) j’ai été déçu, non pas par la prestation de l’orchestre, virtuose, éblouissant, mais précisément par l’excès de brillant, voire de clinquant, de la vision du chef. Je ne peux pas être taxé d’anti-« mäkelisme » primaire, il n’est que de lire plusieurs de mes papiers enthousiastes dans Bachtrack ! Mais il arrive à tout le monde, même aux meilleurs, de faire sinon fausse route, du moins de se méprendre sur une oeuvre.
Gershwin à Paris
George Gershwin vient à Paris au printemps 1928. Il reviendra au pays avec ce qui restera son oeuvre la plus célèbre (avec Rhapsody in blue) : An American in Paris / Un Américain à Paris. Dont le descriptif est précis comme un scénario: une balade sur les Champs-Elysées au milieu des taxis qui klaxonnent, puis dans le quartier des music-halls avant un café à une terrasse du Quartier latin. Au Jardin du Luxembourg, notre Américain a la nostalgie du pays (le superbe blues chanté à la trompette bouchée). Rencontrant un compatriote, ils échangent leurs impressions – Gershwin récapitule les épisodes de cette promenade heureuse.
Dans une oeuvre aussi descriptive, aussi imagée, le chef doit se laisser porter par les atmosphères successives, et laisser jouer ses musiciens avec une certaine liberté.
Quelques exemples de versions récentes, qui répondent à ces critères. Trois chefs français, Louis Langrée (avec l’orchestre de Cincinnati qu’il a dirigé de 2013 à 2024), Alain Altinoglu et son orchestre de la radio de Franfort, et Stéphane Denève, actuel chef du St Louis Symphony, ici à la tête de l’Orchestre national de France. Aucun d’eux ne joue la virtuosité, le super-contrôle, bien au contraire.
Dans ma discothèque personnelle, j’ai dénombré 27 versions différentes, dont pas mal qu’on peut qualifier d’exotiques, et qui sont loin d’être les moins intéressantes.
Kurt Masur / Gewandhaus de Leipzig
Je me rappelle très bien la surprise qui avait été celle des participants à la défunte émission Disques en Lice de la Radio suisse romande, lorsque nous avions élu – après écoute à l’aveugle – la meilleure version de Rhapsody in blue – Siegfried Stöckigt au piano, Kurt Masur dirigeant l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig !
Voir le long article que j’avais consacré à celui qui fut l’un des plus grands chefs du XXe siècle, Kirill Kondrachine (1914-1981) : le Russe oublié
On ne trouve malheureusement plus les disques de cette fabuleuse collection de « live »…
André Cluytens / Société des Concerts du Conservatoire (1949)
Eh oui André Cluytens, en 1949, s’encanaille avec un orchestre un peu brouillon mais plus « jazzy » si possible que des collègues américains
Felix Slatkin / Hollywood Bowl Orchestra (1960)
J’ai déjà dit ici mon admiration pour le grand Felix Slatkin (1915-1963) – on évitera par charité de comparer le père, Felix, et le fils, Leonard ! – Pas loin de mettre sa version au sommet :
Neville Marriner / orchestre de la radio de Stuttgart (SWR)
On n’associe pas spontanément Gershwin à Neville Marriner (1924-2016), et on se trompe parce que sa version captée à Stuttgart n’est pas la moins réussie de la discographie
Les Américains à Paris
Gershwin a fait une visite plutôt furtive à Paris et en a rapporté un chef-d’oeuvre. Mais bien d’autres Américains ont été captivés par la ville lumière. Cole Porter (1891-1964) y passe une dizaine d’années après la Première Guerre mondiale. Il étudie avec Vincent d’Indy, rencontre celle qui deviendra sa femme, la riche héritière Linda Lee Thomas, qu’il épouse à la mairie du 18e arrondissement le 18 décembre 1919. Le Châtelet avait donné fin 2021 un spectacle intitulé Cole Porter in Paris : ma déception avait été à la mesure de l’attente d’un spectacle bien maigre.
Autre hôte d’importance de Paris, le compositeur Aaron Copland (1900-1990), qui sera durablement marqué par sa rencontre avec Nadia Boulanger au conservatoire de Fontainebleau qu’il fréquente de 1921 à 1924. Conséquence de ce séjour parisien, la Symphonie pour orgue et orchestre de 1924 sera créée à New York le 11 janvier 1925 avec Nadia Boulanger.
À intervalles réguliers je me replonge dans un merveilleux coffret, qui récapitule la discographie d’un formidable artiste, malheureusement disparu à 42 ans des suites d’un cancer, le pianiste américain Julius Katchen. Encore un Américain devenu Parisien, de la fin des années 50 à sa mort en 1969.
Depuis longtemps, les Brahms virtuoses autant que poétiques de Julius Katchen sont une référence. Sa version du 1er concerto avec Pierre Monteux (85 ans au moment de l’enregistrement !) reste l’une des plus fameuses qui soient.
Mais l’art de Katchen ne se réduit pas à Brahms.
En 1958, il signe avec Georg Solti l’une des versions les plus électrisantes du 2e concerto de Rachmaninov.
Et toujours impressions et humeurs du jour sur mes brèves de blog
L’Orchestre de Paris est dans l’actualité (on ne parle pas d’un orchestre qui n’existe pas, sauf pour le Nouvel Obs, le « Philharmonique de Paris, cf. ma brève de blog) : son chef actuel, le futur comme le passé.
La rentrée de Klaus M.
Après avoir couvert le premier concert des Prem’s (lire Des Prom’s aux Prem’s) pour Bachtrack, j’assiste ce soir au dernier de la série, avec, comme il se doit, l’Orchestre de Paris et son chef actuel, Klaus Mäkelä.
C’est donc un compatriote de Mäkelä qui a été choisi pour lui succéder à la tête de l’Orchestre de Paris en 2027, puisqu’on sait depuis qu’il a été annoncé à Amsterdam puis à Chicago que le jeune Finlandais ne resterait pas à Paris. Le contraste générationnel est patent : Esa-Pekka Salonen aura 69 ans lorsqu’il prendra ses fonctions de « chef principal » (la nuance est d’importance, la charge est a priori moins lourde que celle de « directeur musical »).
Je me suis replongé cet été dans le coffret publié par Sony à l’occasion de son 60e anniversaire (voir le détail ici : Salonen le maître du XXe siècle)
J’y ai redécouvert un disque vraiment singulier, qui m’avait échappé, une version pour ténor et baryton du Chant de la Terre de Mahler. Et pas n’importe quels chanteurs : je connaissais l’incroyable immensité du répertoire de Placido Domingo au moins au disque, mais je me rappelais pas qu’il s’était aventuré dans Mahler. Ce n’est sans doute ma version de référence, mais cela mérite au moins d’être écouté !
Hommage à Christoph von Dohnányi
Tout a été dit et écrit – pour une fois sans erreur ni approximation – dans les médias sur la disparition du chef Christoph von Dohnányi à la veille de son 96e anniversaire. Decca annonce la parution prochaine d’un coffret des enregistrements du chef allemand avec les Viennois, après ceux de Cleveland (voir Authentiques)
Il a été rappelé que le chef allemand a été de 1998 à 2000 « conseiller musical » de l’Orchestre de Paris. Il reste quelques précieux témoignages de sa présence à Paris, en particulier le tout dernier concert qu’il y dirigea le 23 octobre 2019. que la Philharmonie a republié sur son site : https://philharmoniedeparis.fr/fr/live/concert/1104230-orchestre-de-paris-christoph-von-dohnanyi
Ici un extrait de répétition de la 3e symphonie de Brahms, avec le très regretté Philippe Aïche au premier violon.
L’année précédente c’était un programme Ligeti-Beethoven-Wagner que dirigeait le chef.
Je pense qu’elle détient le record des occurrences sur ce blog. Pas moins de 66 articles où elle est citée, et une bonne moitié qui lui est consacrée : Martha Argerich habite ce blog comme elle habite ma vie.
C’est dire si la une du numéro de septembre de Diapason, l’annonce d’une « interview exclusive », avaient de quoi m’allécher. Le terme « interview » est déjà impropre, puisqu’il s’agit plutôt d’une conversation enregistrée telle quelle, ce qui est sympathique et restitue assez bien ce qui se passe lorsqu’on a la chance de partager un moment avec la pianiste. Mais vraiment, est-il encore nécessaire d’aligner les clichés qui s’attachent depuis toujours à cette grande musicienne (« la lionne », la « reine », etc.) ? À 84 ans, Martha Argerich est toujours dans une forme époustouflante. On ne peut que lui/nous souhaiter que cela dure..
Cela me rappelle un heureux et cruel souvenir, que j’avais déjà raconté dans une précédente édition de ce blog. En 1987 (lire Martha Argerich à Tokyo), j’ai la chance d’accompagner l’Orchestre de la Suisse romande dans une grande tournée au Japon et en Californie. Les solistes en sont Martha Argerich et Gidon Kremer, excusez du peu. La Radio suisse romande me demande de faire régulièrement le point sur cette tournée dans les émissions d’Espace 2. On m’a dit avant de partir que Martha n’accepte aucune interview, mais n’étant pas journaliste, je me dis que je n’ai rien à risquer à lui demander si elle accepterait de me dire quelques mots, au moins pour illustrer mes billets. Elle accepte, sans hésiter, un soir de relâche, de me consacrer du temps. Elle me donne rendez-vous à minuit dans le hall de l’hôtel à Tokyo, de retour d’un dîner auquel elle doit assister. A minuit, je suis en place avec mon « nagra », je vois défiler quantité de musiciens de l’OSR, surpris de me voir là à cette heure tardive : je leur dis attendre Martha pour une interview… Je ne compte pas les sourires narquois et les allusions parfois douteuses qui me répondent… Vingt bonnes minutes plus tard, c’est Gidon Kremer qui s’avance vers moi : « Je sais que vous attendez Martha, ne vous inquiétez pas, elle arrive, nous rentrons juste de dîner ».
En effet, fraîche comme une rose, elle se pose quelques minutes plus tard de l’autre côté de la table basse. Je m’assure qu’elle accepte bien d’être enregistrée, et pour ma première interview, je me lance et lui pose toutes les questions qui me viennent à l’esprit. A 2h30, je suis obligé de mettre fin à la conversation, je n’ai plus de bande… Deux heures d’interview exclusive avec Martha Argerich, je ne suis pas peu fier de l’exploit. Le lendemain, je m’assure, avec les responsables de l’orchestre, que la bande peut être envoyée par avion à Genève, où la radio pourra choisir un extrait pour ses bulletins d’information et la matinale d’Espace 2, en attendant le traitement et le montage pour une diffusion intégrale de l’interview à mon retour de tournée. En effet, radio et télé suisses donnent un large écho à la tournée, à l’OSR et à Martha, dont il n’existait jusqu’alors aucun document « audio » de sa voix. Lorsque je rentre quelques semaines plus tard, je m’enquiers de la précieuse bande et je m’entends répondre : « Merci, on a pris les extraits qui nous intéressaient pour l’info, mais on ne l’a pas gardée ni archivée ». Voici comment 2 heures exclusives d’entretien avec Martha Argerich ont fini à la poubelle…
La dernière fois que j’ai entendu Martha Argerich en concert, c’était dans le concerto de Schumann, j’en ai rendu compte pour Bachtrack : « Devant une Philharmonie archi-comble, la légendaire pianiste s’avance à pas précautionneux, cherchant le bras du chef Antonio Pappano, adapte la hauteur de son siège. Les mains noueuses trahissent l’âge de l’interprète, on perçoit d’abord comme une hésitation devant le clavier. Et soudain le miracle opère : la pianiste argentine semble littéralement réinventer cette œuvre qu’elle fréquente pourtant depuis si longtemps, ces très subtils rubatos, cet art d’énoncer un thème, une mélodie, avec la simplicité, l’évidence qui n’est qu’aux grands. Le fabuleux équilibre des deux mains, cette manière unique de faire sonner les lignes intermédiaires, avec par-ci par-là un coup de griffe, un accent inattendu, c’est la marque Argerich.«
Paui Lecocq et Clara Haskil
Je n’avais jamais entendu parler du concours Clara Haskil dans les journaux de France Inter, mais il a suffi qu’un Français, le jeune Paul Lecocq, soit choisi comme le lauréat de la 31e édition, pour que les médias « généralistes » l’évoquent, avec les approximations d’usage- on ne remporte pas un concours grâce à un concerto (Paul Lecocq aurait gagné son prix avec le 3e concerto de Beethoven !). Peu importe,
Je ne connais pas ce garçon, mais ce que j’entends dans ce concerto de Beethoven, qui est loin d’être le plus évident pour ses interprètes, chef comme soliste, me donne envie d’en entendre plus. Parce que l’histoire du concours Clara Haskil atteste que les jurys successifs de cette compétition ont toujours privilégié les musiciens aux broyeurs d’ivoire. La liste des lauréats depuis 1963 est éclairante. Quatre Français parmi eux, Michel Dalberto (1975), Delphine Bardin (1997), Adam Laloum (2009) et maintenant Paul Lecocq au même âge (20 ans) que Michel Dalberto, cinquante ans après lui.
Les pianistes musiciens
La seule question qui vaille, on l’a déjà posée ici à maintes reprises (Le piano qu’on aime), est : pourquoi retient-on, écoute-t-on tel pianiste plutôt que tel autre? Et on ajoute, avec ce qu’il faut de nostalgie : pourquoi y a-t-il aujourd’hui si peu d’artistes, de musiciens, qui osent l’originalité, l’affirmation d’une personnalité ? C’est vrai dans toutes les disciplines. Affaire d’enseignement ? de transmission ? de temps pour se développer, apprendre, se cultiver tout simplement ?
Un exemple : j’ai cité récemment le dernier disque d’Aurélien Pontier (lire Une journée à Paris) qui regroupe des pièces que les grands pianistes du siècle passé aimaient jouer en bis, pour épater le public qui en redemandait, d’une virtuosité qui n’existe que pour être transcendée. On peut féliciter le pianiste français de son audace et de l’originalité de son programme, remarquer aussi que tout cela est bien joué, très bien joué même, mais qu’il manque ce quelque chose d’impalpable, d’ineffable qu’y mettait par exemple un Shura Cherkassky.
J’ai plusieurs fois évoqué ici un pianiste que j’ai découvert un peu par hasard et qui ne m’a plus lâché depuis que j’ai acquis tout ce que j’ai pu trouver de et sur lui, Sergio Fiorentino (1927-1998) – lire L’autre pianiste italien.
L’éditeur Brilliant Classics a eu la formidable idée de regrouper dans un coffret unique ce legs inestimable, précieux, indispensable :
Pour les acheteurs éventuels, je signale que le site anglais prestomusic propose le coffret à 71,25 € alors que la FNAC l’annonce à 91€… Mystère toujours que ces différences de prix d’un pays à l’autre (même en tenant compte des frais de port)
On ne m’en voudra pas de remettre ici la version que je chéris entre toutes de la sonate D 960 de Schubert, l’absolue perfection de ce dernier mouvement sous les doigts de Sergio Fiorentino
Et, comme toujours, humeurs et réactions à lire sur mes brèves de blog
Olivier Mantei, le patron de la Philharmonie de Paris, peut être fier de son nouveau « bébé ». Comme une réplique aux célèbres Prom’s de Londres – le festival géant qui, tout l’été jusqu’à mi-septembre, rassemble chaque soir près de 5000 spectateurs au Royal Albert Hall – ses Prem’s ont, dès le premier soir (le 2 septembre) remporté un succès phénoménal (lire sur Bachtrack : Succès total pour la première des Prem’s à la Philharmonie).
L’opération est d’autant mieux venue que ce mini-festival propose une affiche extraordinaire : le Gewandhaus de Leipzig et Andris Nelsons les 2 et 3 septembre, le 5 rien moins que le Philharmonique de Berlin et Kirill Petrenko, le 7 la Scala de Milan et Riccardo Chailly et les 10 et 11 (on y sera) l’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä).
Le nouveau Nelsons
Sauf erreur de ma part, je n’avais pas revu le chef letton à Paris depuis trois ans et le concert qu’il avait dirigé, à la tête du Philharmonique de Vienne.
Je l’avais déjà repéré cet été en regardant quelques extraits vidéo, mais son entrée sur la scène de la Philharmonie mardi soir nous a tous impressionnés… par la transformation physique qui s’est opérée sur le chef. L’embonpoint du pope orthodoxe a laissé place à une sveltesse de mannequin
En 2020, lors du concert de Nouvel an à Vienne
juin 2022Septembre 2025
Et cela se voit et se ressent dans la manière d’Andris Nelsons de s’investir, de faire corps avec son orchestre.
Ici en mai dernier le concert d’hommage à Chostakovitch (mort il y a 50 ans) à Leipzig :
Leipzig éternel
Je ne suis allé qu’une seule fois à Leipzig à la fin de l’année 2017. Ce n’est pas dans sa salle moderne, construite en 1981 – et dont l’intérieur rappelle furieusement la Philharmonie de Berlin – que j’ai entendu le plus vieil orchestre européen, le Gewandhaus, mais à l’opéra.
Je collectionne depuis longtemps les enregistrements de l’orchestre du Gewandhaus, en particulier tous ceux qui furent réalisés sur place par l’entreprise d’Etat est-allemande VEB Deutsche Schallplatten dans des conditions de prise de son inégalées (sous les labels Eterna ou Berlin Classics)
On recherchera évidemment des raretés comme ce disque Markevitch
Et bien sûr la cohorte des chefs principaux, directeurs musicaux qui s’y sont succédé depuis les années 50 : Konwitschny, Neumann, Masur, Blomstedt, Chailly, et tous les invités réguliers comme Kurt Sanderling
Quant à Andris Nelsons, il profite de sa double casquette Leipzig/Boston pour graver des quasi-intégrales qui ne sont pas toutes du même niveau – on est plutôt déçu par ses Bruckner.
Humeurs et réactions du jour sur mes brèves de blog : aujourd’hui j’y évoque justement l’Orchestre de Paris, des nominations (Salonen) et autres transferts…
Dmitri Chostakovitch est mort le 9 août 1975, épuisé, usé par 69 années d’une vie qui se sera faufilée comme elle pouvait parmi toutes les horreurs de son pays natal, la Russie devenue Union Soviétique.
C’est sans doute l’un des compositeurs qui comptent le plus d’occurrences dans ce blog (cf. les deux articles les plus récents Encore Chostakovitch et La vérité Chostakovitch). Je ne vais donc pas répéter ce que j’ai écrit à de multiples reprises, sauf peut-être que « Chosta » est un compositeur qui, pour moi, supporte mal le studio, le disque même, et nécessite le concert, le « live ». C’est particulièrement vrai pour ses opéras, mais ça l’est plus encore dans ses grandes symphonies, où l’impact purement physique du son sur l’auditeur/spectateur est une donnée indispensable pour la bonne perception de l’oeuvre.
J’ai tant de souvenirs de ces concerts qui m’ont laissé anéanti, interdit, sans voix. La fin de la 11e symphonie et le glas des cloches dans la magnifique salle de Saragosse (Espagne), dirigée par Louis Langrée à la tête de l’Orchestre philharmonique de Liège, lorsque tout l’auditoire attend près d’une minute avant d’applaudir. La 13e symphonie dirigée par Neeme Järvi avec le choeur de la radio bulgare, l’Orchestre de la Suisse romande, lorsque de vieilles abonnées du Victoria Hall – qui craignaient cette oeuvre trop moderne.. chantée en russe – étaient en larmes à la fin. Plus récemment, le finale du 1er concerto pour violon à Montpellier, qui n’a pas été pour rien dans le choix du jury de décerner le Grand Prix de l’Eurovision jeunes musiciens au jeune Daniel Matejca;
Alors, puisque le sujet de cette série est de faire entendre quelques secrets de ma discothèque, je ne propose évidemment ici que des « live ».
Concertino pour 2 pianos
L’oeuvre est courte (8 minutes), date de 1953 et est dédiée au fils de Chostakovitch, Maxime, comme le sera le 2e concerto pour piano en 1957
Martha Argerich a eu, au moins deux fois, Lilia Zylberstein comme partenaire pour ce Concertino pour 2 pianos
Concerto pour piano n°1 et trompette
Martha Argerich, toujours elle, a laissé plusieurs aérions « live » du 1er concerto qui date de 1933, créé par le compositeur lui-même au piano. Son complice à la trompette est le toujours étonnant Sergei Nakariakov, jadis enfant prodige.
Pour les symphonies, il faut évidemment repérer les concerts d’ Evgueni Mravinski, dédicatoire et créateur de plusieurs des symphonies de Chostakovitch..
Symphonie n°5
Symphonie n°15
Kurt Sanderling, peut-être mieux que d’autres, a trouvé la clé de cette ultime 15e symphonie de Chostakovitch, qui peut dérouter autant les auditeurs que les chefs d’orchestre… Ici un précieux enregeistrement de concert avec l’orchestre de Cleveland
Symphonie n°10
La 10e symphonie qui suit de quelques mois la mort de Staline en 1953 est certainement l’oeuvre emblématique de Chostakovitch, et au concert celle qui produit l’effet le plus déterminant sur l’auditoire. Il peut y avoir des exceptions, comme en octobre 2024 (lire ma critique pour Bachtrack du concert de Daniele Gatti avec les Wiener Philharmoniker )
Karajan a enregistré deux fois la 10e symphonie. C’est peut-être à Moscou, lorsqu’il y est invité avec l’orchestre philharmonique de Berlin, en 1969, que le choc, l’étincelle, sont les plus forts
L’humour qui sauve
Chez Chostakovitch, il y a toute une production de musiques de film, de ballet (l’exemple le plus célèbre étant la valse tirée d’une pseudo « suite de jazz » n°2), de divertissement pur, qui permettait aussi bien au compositeur qu’aux interprètes et aux auditeurs d’échapper à la tragédie des temps.
J’éprouve toujours autant de plaisir à écouter « les aventures de Korzinkine«
ou une suite comme « Le boulon » si exemplative d’une période où tout semblait permis : » Le Boulon » (en russe : Болт, Bolt) est un ballet en trois actes de Dmitri Chostakovitch, créé en 1931 à Léningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg). Il s’agit d’une œuvre satirique qui dépeint la vie dans une usine soviétique, avec une intrigue centrée sur un sabotage et ses conséquences. Le ballet est connu pour son humour corrosif, sa musique entraînante et son exploration des relations complexes entre les ouvriers et le pouvoir soviétique.
Comme me le disait le rédacteur en chef de Bachtrack (édition française) au début de l’été : « Les vacances ça fait du bien aussi ». Donc je fais une sorte de diète de festivals cette année. Avant Montpellier jusqu’en 2022, je faisais un tour à Avignon, Aix-en-Provence, Orange, et après Montpellier j’étais comme vidé de toute envie de spectacle ou de concert. C’est ainsi que j’ai délaissé depuis longtemps La Roque d’Anthéron ou Salon-de-Provence, où j’ai pourtant de merveilleux souvenirs
Ma nouvelle fonction de reviewer (je préfère finalement le terme anglais au prétentieux « critique musical » français) m’a permis depuis deux ans de visiter des festivals que je ne connaissais pas ou mal.
Ça c’était début juillet, et à la fin du même mois, je m’étais laissé embarquer à Marvão,: « Les lieux sont spectaculaires : à 2h30 de route à l’est de Lisbonne, un promontoire rocheux culminant à 900 mètres et dominant toute la plaine de l’Alentejo, à quelques kilomètres de l’Espagne. » (lire Pépites portugaises). Dans un lieu improbable, j’avais découvert un chef – Dinis Sousa – un orchestre – l’Orquestra XXI – et entendu une formidable Cinquième de Mahler (Un grand Mahler) le 29 juillet 2023.
Je découvre sur YouTube cette captation faite le lendemain à Lisbonne :
En 2024 j’étais retourné à Colmar, cette fois pour y entendre le maître des lieux avec ses musiciens de La Monnaie et fin août, dans une ville que je connais presque par coeur et que je pensais bien peu festivalière – Nîmes – j’avais entendu la joyeuse équipe réunie autour d’Alexandre Kantorow
Mais quand au cours de mes balades – (Loin du monde), je vois des noms familiers affichés au programme de telle abbaye, de telle église, quand je lis leur actualité sur Instagram, j’ai un peu l’impression de prolonger d’abord une amitié, ensuite des souvenirs, tant de souvenirs partagés.
Thomas Ehnco était hier soir à La Romieu, que je visitais le 18 juillet dernier.
Le cloître de la Collégiale de La Romieu (Gers)
Certains souvenirs me poursuivent et me poursuivront longtemps, comme celui de Jodie Devos, ce 15 juillet 2022 à Montpellier…
Message personnel
Le 25 juillet Laurent Guimier – qui fut un éphémère mais formidable collègue à Radio France – écrivait sur un réseau social que je ne fréquente plus guère : » Il est amoureux. Tout le temps. Amoureux de la musique, de la radio, des soirs à l’Auditorium, au 104 et des festivals ensoleillés. Amoureux d’une équipe qui pense et fabrique sa radio avec passion. Alors moi j’aime @mvoinchet et tout ce qu’il fait pour @francemusique«
Le 14 juillet 2015, je voyais débarquer à Montpellier ce Marc Voinchet que je ne connaissais que de loin. Il venait d’être pressenti par Mathieu Gallet pour prendre la direction de France Musique, et nous avions passé une bonne partie de la soirée à évoquer cette chaîne qui avait tant compté pour moi (30 ans ont passé) et qui était alors en pleine crise. J’avais parié avec Marc qu’il dépasserait le score de tous ses prédécesseurs – dont la durée de vie à cette fonction n’excédait pas deux ou trois ans ! –
Marc a traversé de redoutables épreuves personnelles ces derniers mois. Je l’ai vu à Montpellier il y a quelques jours. Je sais qu’il a besoin de tous nos messages, de toute notre amitié. Je l’embrasse.
Les humeurs du moment toujours à lire sur mes brèves de blog
Après le show de Yuja W. lundi (lire Le phénomène Yuja) j’avais plusieurs raisons de revenir ce jeudi au Festival Radio France à Montpellier. Une œuvre qu’on ne vient jamais écouter d’une oreille distraite. Un chef dont j’avais chroniqué, il y a exactement deux ans pour Bachtrack les premiers pas à la tête de l’orchestre dont il est désormais le directeur musical – le Capitole de Toulouse – et parmi les deux chanteuses solistes que requiert la 2e symphonie de Mahler, une artiste que j’aime profondément, Marianne Crebassa.
Marianne était de la première édition du Festival dont j’ai eu la responsabilité – en 2015 elle ressuscitait Fantasio d’Offenbach- et de la dernière en 2022, un récital admirable et les sublimes Sea Pictures d’Elgar qu’elle chantait lors d’un concert resté fixé dans toutes les mémoires (lire Tempête en mer)
C’est tout le mystère d’une voix et tout l’art d’une grande chanteuse que de vous saisir aux tripes, au coeur, à tout ce qu’il y a de plus intime en soi. Kathleen Ferrier, Maureen Forrester ont été mes premiers éveils à ce qu’on appelle commodément la voix de « contralto ». Marianne Crebassa est sur la même liste. Et depuis dix ans que je la suis – lire ma dernière chronique à son propos sur Bachtrack (Marianne Crebassa bouleverse l’Opéra-Comique), je la retrouve plus belle encore, d’un métal vocal qui me renverse et m’étonne. Dans la 2e symphonie de Mahler, plongée au coeur de l’orchestre, son chant n’a pas fini de me hanter.
Il faut évidemment réécouter tout le concert dirigé par Tarmo Peltokoski à la tête de « son » orchestre du Capitole de Toulouse et du fabuleux choeur basque Orfeo Donostiarra (France Musique). Mention pour François-Xavier Szymczak qui présentait le concert : c’est toujours parfait !
Comme j’étais venu au concert, dégagé de toute responsabilité et de toute obligation, je ne vais pas ici faire la critique de ce que j’ai entendu. Je n’ai pas tout aimé – mais est-ce possible dans une oeuvre aussi considérable ? – j’ai toujours admiré ce que fait ce chef de 25 ans (!!) et je sais qu’avec le temps et la liberté que donne l’expérience, ses interprétations de Mahler seront de celles qui s’impriment durablement dans la mémoire.
Et toujours mes humeurs et bonheurs sur mes brèves de blog
Si on cherche « Yuja Wang » sur mon blog, on a des chances de tomber sur une dizaine d’articles consacrés à la pianiste chinoise, 38 ans aujourd’hui et toujours cette allure d’adolescente effrontée et joueuse.
A la sortie du concert, on n’entendait parler que de ses tenues sur la scène de l’Opéra Berlioz !
Il faut dire que pour quelqu’un qui n’avait jamais vu l’artiste sur scène, la surprise était au rendez-vous. Les avis étaient tout de même partagés, entre réprobation de la part de dames d’un certain âge, et étoiles dans les yeux pour la gent masculine !
Cela fait vingt ans que Yuja Wang balade sa plastique avantageuse sur tous les continents. Et pourtant elle ne prend pas la pose ou alors c’est pour laisser éclater sa joie, son espièglerie. Sans doute prend-elle plaisir à choquer un peu – joue-t-elle ainsi accoutrée lorsqu’elle se produit dans son pays natal ? Quelle importance !
Yuja Wang est un phénomène. Je l’avais déjà écrit il y a dix ans – Les surdouées – la comparant à Martha Argerich, ce qui m’avait valu quelques commentaires pas toujours bienveillants. Entre temps j’ai souvent écouté l’une et l’autre, au disque et surtout au concert. Dans cet article de 2015, je me disais impatient d’écouter Yuja dans les concertos de Ravel qu’elle a gravés avec Lionel Bringuier. Je l’ai entendue les jouer en concert il y a deux ans à Bucarest, et je n’ai pas caché ma déception dans mon article pour Bachtrack :
» …on est curieux d’entendre la pianiste chinoise dans le Concerto pour la main gauche . Première surprise : depuis le fond du parterre où, la veille, on entendait très distinctement le piano de Kirill Gerstein, on tend cette fois-ci l’oreille pour percevoir un clavier émacié, privé de puissance, et surtout stylistiquement complètement à côté de la plaque. Quand Ravel regarde ouvertement du côté de Gershwin, la pianiste fait du Rachmaninov ou du Scriabine, le sfumato de ses pianissimosn’a rien à faire ici/…/ dans le Concerto en sol, le premier et le dernier mouvements sont pris à un tempo d’enfer mais le piano est toujours engorgé, à l’exact opposé de la clarté solaire que demande Ravel. Le pire restera le mouvement médian, pourtant lui pris au bon tempo, où l’on n’entend tout simplement pas la soliste qui s’avère incapable d’énoncer cette simple mélodie si mozartienne d’inspiration.
Je me demande si ce n’est pas Alain Lompech qui (d)écrit le mieux ce qu’est l’art et qui est aujourd’hui Yuja Wangdans ce billet : Chopin rappelle à l’ordre Yuja Wang : « Qu’elle joue bien du piano, se dit-on immédiatement ! À ses débuts, elle éblouissait par sa virtuosité, mais une sonorité monochrome et un feeling discret semblaient la déconnecter parfois de la musique sans nous y connecter nous. Deviendrait-elle ce « néant avec des doigts au bout » raillé par Yves Nat ? Elle a au contraire acquis un répertoire encyclopédique qui lui vaut le respect et l’admiration de nombre de ses confrères qui s’inclinent devant une telle versatilité, et avec d’autant plus d’admiration qu’elle profite de sa célébrité pour présenter des œuvres anti-démagogiques au possible… tout en sachant s’amuser quand elle sort le grand jeu de la virtuosité. Et elle joue pour des maîtres. Pas pour être adoubée, puisque sa carrière surclasse souvent la leur : elle cherche, elle écoute, elle travaille. »
Lundi soir elle avait décidé de remplacer le 2e concerto de Chopin – qu’elle devait jouer en première partie avant le n°1 de Tchaikovski en seconde partie ! – par le 4e concerto de Nikolai Kapoustine (1937-2020), un compositeur russe qui n’écrivit ses oeuvres « classiques » qu’en recourant au langage du jazz, ce qui lui valut une place très singulière dans la musique russe. D’ailleurs Gershwin, ou le Bernstein de The Age of anxiety ne sont jamais loin dans une oeuvre longue et bavarde qui avait l’air d’amuser follement la pianiste et le batteur du Mahler Chamber Orchestra. On peut réécouter tout cela sur France Musique.
Mais on comprend que la pianiste ait été séduite par ce compositeur si longtemps resté dans l’ombre.
La jeune génération de pianistes paraît s’être amourachée de ce compositeur singulier
Quant au 1er concerto de Tchaikovski, Yuja Wang, qui dirige le Mahler Chamber Orchestra de son clavier, le joue sans jamais verser dans les défauts usuels dans cette oeuvre, la virtuosité tape-à-l’oeil, le romantisme à l’eau de rose. C’est époustouflant techniquement, mais toujours guidé par la musique, et c’est bien en cela que la pianiste est une grande artiste. Et puis, avouons-le, c’est tellement réjouissant de voir une musicienne de ce calibre, casser les codes, manifester, après vingt ans de carrière, toujours la même espièglerie, la même joie de jouer !