Beethoven 250 (XIII) : Une « étoile » centenaire, Isaac Stern

Isaac Stern est né, il y a cent ans, le 21 juillet 1920 à Kremenets (dans l’actuelle Ukraine) et mort en 2001 à New York. Sa famille s’installe à San Francisco lorsque le petit Isaac a un an. Il y étudie au Conservatoire de la ville avec Louis Persinger et Nahum Blinder et donne son premier concert, à 16 ans, avec Pierre Monteux qui dirige alors le San Francisco Symphony. Il joue le 3ème concerto pour violon de Saint-Saëns, qu’il enregistrera plus tard avec Daniel Barenboim et l’Orchestre de Paris.

Sony qui avait déjà réalisé dans les années 90 plusieurs rééditions, compilations des enregistrements du violoniste américain (A Life in Music) propose, pour célébrer ce centenaire, un coffret de 75 CD, copieux mais incomplet.

81OkDclXcXL._SL1500_

Certes le coffret annonce « The Complete Columbia analogue recordings ».  Mais où sont passées par exemple les sonates pour violon et piano de Beethoven avec Eugene Istomin certes déjà rééditées en un boîtier « super éco » ? Alors que les trios du même Ludwig avec le violoncelle de Leonard Rose figurent en juste et bonne place !

https://www.youtube.com/watch?v=ST5kUY03WG4

71lw93-XryL._SL1500_

Où sont passés les « premiers enregistrements mondiaux » des concertos de Peter Maxwell Davies et Henri Dutilleux (l’Arbre des songes) ? Eliminés parce qu’ils ne sont pas analogiques ?

61vNu8hSJtL

Deux souvenirs me reviennent d’Isaac Stern :

Le premier justement à propos du concerto de Dutilleux, créé le 5 novembre 1985 à Paris par son dédicatoire… Isaac Stern et l’Orchestre National de France dirigé par Lorin Maazel. Le 2 décembre 1987, Stern en donnait la première suisse à Genève avec l’Orchestre de la Suisse romande dirigé par David Zinman. J’y étais, et comme producteur à la Radio suisse romande j’avais évidemment décidé de diffuser ce concert en direct. Je savais que le violoniste s’était enquis plusieurs fois auprès des techniciens de la radio des conditions de diffusion du concert, ceux-ci étaient restés dans le flou. Je voulais éviter d’entrer dans d’interminables discussions, connaissant le caractère de « dur en affaires » d’Isaac Stern. Le soir du concert l’événement était considérable au Victoria Hall. Surtout grâce à la star du violon, qu’on n’avait plus reçue à Genève depuis longtemps.

Le moins qu’on puisse dire était que cette « création » m’est apparue bien approximative, balbutiante même, décevante pour tout dire. Stern et Zinman sont néanmoins applaudis comme il se doit. Au troisième rappel, Isaac Stern s’adresse au public et lui dit : « Comme vous avez aimé cette oeuvre, nous allons la bisser« …  Cette seconde version fut incomparablement meilleure, plus assurée, plus rayonnante, comme s’il avait fallu au violoniste un tour de chauffe pour entrer pleinement dans l’oeuvre et entraîner le public.

À l’issue de cette double performance, à l’entracte, je m’en fus saluer Isaac Stern dans sa loge, et me présenter à lui : « Vous n’étiez pas en direct ce soir n’est-ce pas? – Si, bien sûr, pour un tel événement, mais je vous rassure, lui répondis-je, nous ne garderons que la seconde version après les montages éventuels. »

Je rencontrerai Isaac Stern quelques années plus tard dans les studios de France MusiqueIl participait à une émission aujourd’hui disparue, Le matin des musiciens, où le violoniste américain s’exprimait dans un français parfait. J’étais descendu dans le studio pour le saluer, il m’avait remercié de m’être « dérangé » pour cela. Puis me dévisageant, me dit que ma tête lui disait quelque chose. Je lui rappelai alors l’épisode genevois, et c’est alors qu’il me confia la raison de ses questions sur les conditions de diffusion du concert de décembre 1987. Ce n’était pas tant à cause de la première de Dutilleux que d’une mésaventure survenue une décennie plus tôt.

On sait qu’Isaac Stern avait posé comme principe de ne jamais jouer en Allemagne, ni avec un chef allemand après la Seconde Guerre mondiale. Or, à Genève, où il avait souvent joué à l’invitation de l’Orchestre de la Suisse romande et de son administrateur Ron Golan, il lui était arrivé de jouer sous la direction de Wolfgang Sawallisch, directeur musical de l’OSR de 1970 à 1980. Le concert avait, bien entendu, été enregistré par la Radio suisse romande… et proposé aux radios membres de l’UER (Union européenne de Radio-Télévision). C’est ainsi qu’un jour, dans une chambre d’hôtel londonienne, Isaac Stern entendit le présentateur de la BBC annoncer avec un peu d’ironie que le célèbre violoniste avait rompu sa promesse de ne jamais jouer avec un chef allemand, puisque le concert diffusé ce soir-là était dirigé par… un chef allemand !

Emouvante vidéo captée en 2000, un an avant sa mort, lors de la remise du Polar Music Prize qu’Isaac Stern avait reçu conjointement avec Bob Dylan.

Détails du coffret Sony (enregistrements réalisés de 1947 à 1980)

CD 1: Tchaikovsky · Wieniawski: Violin Concertos I Hilsberg · Kurtz

CD 2: Mozart: Violin Sonata No. 26 · Mendelssohn: Violin Concerto I Zakin · Ormandy

CD 3: Violin Favorites I Zakin · Levant · Waxman

CD 4: Prades Festival – Bach I Tabuteau · Schneider · Casals · Wummer · Istomin

CD 5: Mozart: Violin Concerto No. 3 · Beethoven: Violin Sonata No. 7 I Zakin

CD 6: Bartók: Violin Sonata No. 1 · Franck: Violin Sonata I Zakin

CD 7: Brahms · Sibelius: Violin Concertos I Royal Philharmonic Orchestra · Beecham

CD 8: Mozart: Sinfonia concertante · Piano Quartet I Primrose · Casals · Istomin

CD 9: Vignettes for Violin I Zakin

CD 10: Casals Festival at Prades I Schneider · Katims · Thomas · Tortelier · Hess

CD 11: Casals Festival at Prades I Schneider · Katims · Thomas · Foley · Casals

CD 12: Casals Festival at Prades I Schneider · Katims · Tortelier · Casals

CD 13: Casals Festival at Prades I Hess · Casals

CD 14: Prokofiev: Violin Sonatas I Zakin

CD 15: C. P. E. Bach · J. S. Bach · Handel · Tartini: Violin Sonatas I Zakin

CD 16: /17 Brahms: Violin Sonatas Nos. 1, 2 & 3 · F.A.E Sonata I Zakin

CD 18: Vivaldi · Bach: Violin Concertos I Oistrakh · Ormandy

CD 19: Lalo: Symphonie espagnole · Bruch: Violin Concerto No. 1 I Ormandy

CD 20: Bernstein: Serenade I Symphony of the Air · Bernstein

CD 21: Wieniawski: Violin Concerto No. 2 · Saint-Saëns · Ravel I Ormandy

CD 22: Prokofiev: Violin Concertos I Mitropoulos · Bernstein

CD 23: Bartók: Violin Concerto No. 2 I New York Philharmonic · Bernstein

CD 24: Tchaikovsky · Mendelssohn: Violin Concertos I Ormandy

CD 25: Beethoven: Violin Concerto I New York Philharmonic · Bernstein

CD 26: Franck · Debussy: Violin Sonatas I Zakin

CD 27: Brahms: Violin Concerto · Double Concerto I Rose · Ormandy · Walter

CD 28: Vivaldi: Concertos for 2 Violins I Oistrakh · Ormandy

CD 29: Bartók: Violin Concerto No. 1 · Viotti: Violin Concerto No. 22 I Ormandy

CD 30: Stravinsky: Concerto in D · Symphony in 3 Movements I Stravinsky

CD 31: Bartók: Rhapsodies Nos. 1 & 2 · Berg: Violin Concerto I Bernstein

CD 32: None but the Lonely Heart I Columbia Symphony Orchestra · Katims

CD 33: Brahms: Violin Sonatas Nos. 1 & 3 I Zakin

CD 34: Mozart: Violin Concertos Nos. 1 & 5 “Turkish” I Szell

CD 35: Prokofiev: Violin Concertos I The Philadelphia Orchestra · Ormandy

CD 36: Barber · Hindemith: Violin Concertos I New York Philharmonic · Bernstein

CD 37: Schubert: Piano Trio No. 1 I Istomin · Rose

CD 38: Bloch: Baal Shem · Violin Sonata No. 1 I Zakin

CD 39: Brahms: Double Concerto · Beethoven: Triple Concerto I Rose · Istomin · Ormandy

CD 40: Dvořák: Violin Concerto · Romance I The Philadelphia Orchestra · Ormandy

CD 41: Bach: Violin Concertos · Concerto for Oboe and Violin I Gomberg · Bernstein

CD 42: /43 Brahms: Piano Trios Nos. 1, 2 & 3 I Istomin · Rose

CD 44: Lalo: Symphonie espagnole · Bruch: Violin Concerto No. 1 I Ormandy

CD 45: haTikvah on Mt. Scopus I Friedland · Davrath · Tourel · Bernstein

CD 46: Mozart: Violin Concerto No. 3 · Sinfonia concertante I Trampler · Szell

CD 47: Schubert: Piano Trio No. 2 · Haydn: Piano Trio No. 10 I Istomin · Rose

CD 48-51 Beethoven: The Complete Piano Trios I Istomin · Rose

CD 52: Sibelius: Violin Concerto · Karelia Suite I Ormandy

CD 53: Mozart: Flute Quartets I Rampal · Schneider · Rose

CD 54: Bartók: Violin Sonatas · Webern: 4 Pieces I Zakin · Rosen

CD 55: Isaac Stern – Romance I Columbia Symphony Orchestra · Brieff

CD 56: Mozart · Stamitz: Sinfonias concertantes I Zukerman · Barenboim

CD 57: Brahms: Violin Sonata No. 2 · Clarinet (Violin) Sonata No. 2 I Zakin

CD 58: Copland: Violin Sonata · Duo · Nonet I Copland · Columbia String Ensemble

CD 59: Enescu: Violin Sonata No. 3 · Dvořák: 4 Romantic Pieces · F.A.E. Sonata I Zakin

CD 60: Mozart: Concertone · Pleyel: Symphonie concertante I Zukerman · Barenboim

CD 61: Mozart: Divertimento for Violin, Viola and Cello I Zukerman · Rose

CD 62: Beethoven: Violin Concerto I New York Philharmonic · Barenboim

CD 63-64 Concert of the Century I Bernstein · Rostropovich · Horowitz · Fischer-Dieskau

CD 65: Saint-Saëns: Violin Concerto No. 3 · Chausson: Poème I Barenboim

CD 66: Vivaldi: Le quattro stagioni · Concertos for Violin and Flute I Rampal

CD 67: Mozart: Violin Concertos Nos. 2 & 4 I English Chamber Orchestra · Schneider

CD 68: Tchaikovsky: Violin Concerto · Méditation I Rostropovich

CD 69: Brahms: Violin Concerto I New York Philharmonic · Mehta

CD70: Rochberg: Violin Concerto I Pittsburgh Symphony Orchestra · Previn

CD 71: Penderecki: Violin Concerto I Minnesota Orchestra · Skrowaczewski

CD 72: Mendelssohn: Piano Trios I Istomin · Rose

CD 73: The Classic Melodies of Japan I Yamamoto · Hayakawa · Fuju · Naitoh

CD 74: Isaac Stern – 60th Anniversary Celebration I New York Philharmonic · Perlman · Zukerman · Mehta

CD 75: Tchaikovsky: Violin Concerto · Bach: Violin Concertos I Bernstein · Schneider

La musique pour rire (VII) : Peter Ustinov

#Confinement Jour 47

Dans la galerie de portraits qu’on a déjà dessinés de ceux qu’on pourrait désigner comme « humoristes » de la musique – Victor BorgeDudley Moore, Gérard Hoffnungil manque encore quelques personnages hauts en couleur, comme le génial touche-à-tout Peter Ustinov.

Né en 1921 à Londres, de double ascendance russe par sa mère et son père, mort en Suisse en 2004, la vie et la carrière de Sir Peter sont aussi romanesques que les multiples personnages qu’il a incarnés sur scène comme à l’écran. Il reste, dans la mémoire collective, comme le savoureux Hercule Poirot dans des films tirés des romans d’Agatha Christie, qui, à défaut d’être des chefs-d’oeuvre de cinéma, rassemblaient de brillants castings.

Très cultivé, polyglotte, Peter Ustinov ne détestait pas se produire dans des émissions populaires de télévision où sa verve gentiment caustique rendait hommage à la musique classique

Qui a pu oublier cette prodigieuse imitation de la légendaire Tribune des critiques de disques qui réunissait jadis sur France Musique Antoine Goléa et Jacques Bourgeois autour d’Armand Panigel ?

La comparaison avec l’original ne manque pas de piquant !

Le talent comique de Peter Ustinov, ses capacités d’imitation des styles et des instruments, se sont exprimés en diverses langues et circonstances…

Mais Peter Ustinov était aussi capable d’une authentique pédagogie dans le domaine de la musique classique, plusieurs séries en témoignent, malheureusement jamais en France !

Rien d’étonnant à ce que Peter Ustinov ait été un récitant de choix, dans de nombreux idiomes, du Pierre et le Loup de Prokofiev

41MDHWWW8DL

Des nuances de noir et blanc

#Confinement Jour 45

Le flou continue

Rien de neuf depuis mon dernier billet Déconfinementle flou, l’incertitude, l’absence comme seules perspectives…

Dans Le Monde du week-end, un appel – peu de musiciens parmi les signataires – : Monsieur le Président, cet oubli de l’art et de la culture, réparez-le !Je le signe. Sans illusion.

Le violoncelle en deuil

Je ne les connaissais ni l’un ni l’autre autrement que par le disque. Mais la pluie d’hommages de leurs collègues, disciples, partenaires, dit assez la place que Lynn Harrell et Martin Lovett tenaient dans nos coeurs de mélomanes.

Le dernier survivant, le pilier du légendaire quatuor Amadeus, Martin Lovett, est mort hier à 93 ans.

600x337_gettyimages-524769173

Mais nous n’aurons jamais fini d’écouter et réécouter Martin Lovett et ses compagnons.

https://www.youtube.com/watch?v=WKY43du5xSo

61K5HfrG5fL._SL1400_

Ses amis en ont dit tellement de bien, sa figure est si sympathique, qu’on regrettera longtemps de ne pas avoir connu personnellement le violoncelliste américain Lynn Harrell disparu lundi dernier.

Deux témoignages émouvants de ce bel artiste : le premier lorsqu’à 16 ans, il est invité par Leonard Bernstein dans cette fantastique série de concerts – les Young People’s concerts – du New York Philharmonic, un extrait trop court du concerto pour violoncelle de Dvorak…

Et en 2012, à Santa Fe, une rencontre qui a durablement marqué la pianiste chinoise Yuja Wang, 25 ans à l’époque, et une leçon de style dans la sonate pour violoncelle et piano de Rachmaninov.

 

Embarras du choix dans l’abondante discographie de Lynn Harrell. Une tendresse pour ce double album des trios à cordes de Beethoven, et quels partenaires !

51xli58tmOL

Deux coffrets de piano

Le confinement laisse du temps pour redécouvrir les rayons d’une discothèque où sont rangés des disques qu’on a écoutés trop vite, ou parfois pas eu le temps d’approfondir. Alpha a eu la bonne idée de mettre en deux coffrets des enregistrements pourtant récents de son catalogue.

71AMKJrCnPL._SL1500_

Beaucoup de merveilles dans ce boîtier sorti il y a quelques mois ! On n’avait pas tout de suite compris ce que Schumann, Liszt, Chopin et même Schubert et Beethoven venaient faire dans une compilation intitulée Early Piano. Le titre s’applique évidemment aux instruments utilisés ici, superbement captés.

71vVbo15vGL._SL1200_

Un autre coffret, tout récent, au titre plus banal, Les Maîtres du piano, nous propose un contenu qui, une fois n’est pas toujours coutume, correspond à l’annonce. 71iK3YxTdaL._SL1200_

Qu’on est heureux de retrouver François-Frédéric Guy dans Beethoven et Liszt, Eric Le Sage dans des Schumann plutôt rares, Edna Stern dans Bach, Nelson Goerner impérial dans Chopin et Debussy – des disques justement primés à leur parution – et ma chère Anna Vinnitskaia dans Brahms et surtout Chostakovitch et Rachmaninov. Et de découvrir une magnifique ultime sonate de Schubert sous les doigts d’Alexander Lonquich. Une aubaine.

71Nl72WvwGL._SL1200_

Un peu de douceur, de romantisme même, à la veille d’une fête du travail.. confinée :

Obituaire

Derniers jours chargés en tristes nouvelles.

Peter Serkin

Le pianiste américain Peter Serkin est mort le 1er février, à l’âge de 72 ans. Fils de Rudolf Serkin, petit-fils d’Adolf Busch, c’est un artiste nourri aux meilleures sources classiques en même temps qu’un aventurier curieux des musiques de son temps qui disparaît.

Tom Deacon : « Ses concertos de Mozart sont parmi mes préférés de tous les enregistrements des concertos de Mozart. Le nec plus ultra. »

71SlLTsIbhL._AC_SL1500_

Superbe bouquet de concertos de Mozart, où le piano vif-argent de Peter Serkin est en osmose avec la direction de feu d’Alexander Schneider.

61ijq1HgNGL._AC_

51oQI45RpVL._AC_

Un coffret reprenant tous les enregistrements de Peter Serkin pour RCA devrait être publié imminemment.

81v5dhFIBCL._AC_SL1500_

Philippe Andriot

Il est parti, le 27 janvier, aussi discrètement qu’il l’avait toujours été dans la vie. Philippe Andriot, j’avais eu le bonheur de faire sa connaissance il y a plus de trente ans, et je l’avais quelque peu perdu de vue ces derniers mois, alors que je le voyais jadis régulièrement au concert ou à l’opéra avec sa compagne, la merveilleuse pianiste Teresa LlacunaInstallés près de Lyon, leur curiosité était insatiable. Nombre d’entre nous se rappellent les parfaites notices de bon nombre de disques EMI, les interventions au micro lyonnais des antennes de Radio France de Philippe Andriot. La chaleur de sa voix, son érudition, sa vraie gentillesse transparaissent dans ce sourire qu’on n’est pas près d’oublier…

84624142_10216174234408954_7959129910558064640_n

David Kessler

J’ai rarement lu pareille pluie d’hommages sur un homme de l’ombre. David Kessler  est mort ce 3 février à 60 ans. « Fin, cultivé, exquis, grand esprit, grand commis de l’Etat, David Kessler est parti trop tôt… On pleure un ami délicieux, amoureux du cinéma, un type bien », a notamment déclaré Gilles Jacob, ancien président du Festival de Cannes (Le Monde).

591d962_Z_pKmYSWjRRCTnM_hb4tdmJ4

J’ai parfois croisé David Kessler, mais n’ai jamais eu à faire à lui dans le cadre professionnel. Un parcours impressionnant, des vies multiples, publiques, exposées et pourtant, sans doute, des fêlures intimes que la mort emporte.

Nello Santi

Le vieux chef italien est mort hier à Zurich, à 88 ans.

xl_avatar

Que dire de ce chef qu’un de ses proches collègues (côtoyé à Bâle et à Zurich), Armin Jordan, citait souvent comme « le » musicien par excellence, celui qui pouvait tout diriger d’expérience et d’instinct, en premier lieu le répertoire lyrique italien qui n’avait guère de secrets pour lui ?

51VJOJQsoiL

813Bshiy1wL._SL1500_

71gBGFBHmZL._SL1095_

La collection Eloquence de Decca ressortait il y a quelques mois des extraits d’ouvrages d’Ermanno Wolf-Ferrari dirigés par Nello Santi.

512eNc17jPL

Cadeaux de Noël

Je suis, au choix, ou resté un enfant ou devenu un vieux ronchon, mais je ne supporte plus la marchandisation, qui me paraît chaque année plus accentuée, de la fête de Noël. Début novembre, le rayon « décos de Noël » était déjà installé chez mon pépiniériste, et à la mi-novembre, la plupart des villes étaient déjà « enguirlandées » !

IMG_7015

IMG_7353(Place de la Comédie à Montpellier)

J’aime me rappeler que, dans ma famille – avant le sinistre hiver 1972 (Dernière demeure)  le sapin de Noël et la crèche n’étaient installés, décorés, qu’au tout dernier moment, pour la veillée du 24 décembre, et que mes soeurs et moi les découvrions émerveillés, avec l’odeur des bougies et un disque de Christmas carols sur l’électrophone du salon.

Mais c’était il y a longtemps…

À un ami qui m’interrogeait il y a une semaine sur mes courses de Noël, je répondis que, comme chaque année, j’avais refusé de me prêter à cette course à la surconsommation dans des magasins bondés, et que je trouverais en temps utile les petits cadeaux qui feraient plaisir à mes proches.

Ce que j’ai fait avec un peu d’anticipation ce samedi pour mes petits-enfants, qui avaient émis le voeu – par écrit ! – d’assister à une représentation du Lac des cygnes.

Billets réservés depuis quelques semaines, au prix (très) fort – les organisateurs de spectacles de fin d’année « pour enfants » savent très bien comment plumer les parents et grands-parents ! – pour un spectacle décevant.

IMG_7646

Mon premier Lac des cygnes au théâtre Mogador à Paris est présenté comme « un spectacle conté et dansé en deux actes de 40 minutes entrecoupés par un entracte, où l’histoire du « Lac des Cygnes » a été simplifiée pour devenir accessible aux plus jeunes.
Il est interprété par une troupe de danseurs professionnels emmenée par Karl Paquette, ancien danseur étoile de l’Opéra National de Paris. » 

Spectacle conté ? En voix off (!!) le comédien-français Clément Hervieu-Léger fait une très brève introduction au début de chaque partie, sans aucune explication du déroulement de l’histoire et des scènes qui vont se succéder. Ma petite-fille, 4 ans et demi, qui, elle, connaît par coeur l’histoire du Lac des cygnes, faisait remarquer qu’on s’était moqué de nous !

Quant aux danseuses et danseurs, emmenés par Karl Paquettedanseur étoile tout frais retraité de l’Opéra de Paris, on ne peut pas dire qu’ils se signalaient par leurs qualités d’ensemble et leur homogénéité. Je ne sais ce que l’ancienne directrice de la danse de l’Opéra de Paris qui était dans la salle en a pensé…

IMG_7672Pour oublier ce Lac médiocre, nous nous en fûmes découvrir les Champs-Elysées (question du garçon « Il n’y a pas de gilets jaunes aujourd’hui? » « Ils font grève? »).

IMG_7677

Alors quid des cadeaux de Noël cette année ?

Je veux d’abord signaler l’initiative du Festival Radio France Occitanie Montpellier qui met en vente dès maintenant des places – les meilleures ! – pour deux des événements  lyriques de son édition 2020, via le site de la FNAC (les billets sont donc accessibles partout !).

D’abord Fedora, l’opéra de Giordano, en version de concert, le 17 juillet 2020, qui marquera le retour à Montpellier de Sonya Yoncheva et de son mari, le chef Domingo Hindoyan (billets en vente ici)

I-FRFM-2016-309(Domingo Hindoyan eSonya Yoncheva en juillet 2017 à Montpellier après Siberia de Giordano)

Et comme c’est la spécialité du festival depuis l’origine, une résurrection, l’un des derniers ouvrages de Massenet, son opéra Bacchus (1909), le 25 juillet 2020, sous la houlette de Michael Schonwandt, avec, en tête de distribution, Catherine Hunold et Jean-François Borras (billets en vente ici)

BACCHUS_4315026168097205333

Si vous êtes encore en panne d’idées, quelques conseils de livres ou de disques qui ne devraient pas décevoir…

717Pl-m4g7L

Ils sont de retour. Encore mieux habillés, encore plus déconnectés. Mais attention : «  Tu crois que je suis à côté de la plaque mais ce n’est pas toi qui décides où est la plaque  »  ! Les poètes du hors-sol. Les timbrés du premier rang des défilés de mode. Tout un monde souvent parisien, toujours à la pointe, jamais épuisés. Loïc Prigent revient avec le dernier bulletin de santé de ses petits camarades du monde de la mode. 

On avait adoré le précédent opuscule, dont Catherine Deneuve avait donné un savoureux aperçu sur scène.

71BXBxTTVvL

https://www.youtube.com/watch?v=jj1ZllA6yUw

Deux ans après sa mort, on lira avec gourmandise le portrait nuancé, fourmillant d’anecdotes, que Sophie des Déserts avait dressé de Jean d’Ormesson. Qui vient de paraître en poche.

81FZ+zmUKlL

Pendant près de trois ans, « le dernier roi soleil » ouvre ses portes à la journaliste Sophie des Déserts. Elle s’approche. Il s’habitue. Ils s’apprivoisent. Une amitié
se noue, dans la vérité des derniers temps. Sophie des Déserts voit aussi ses amis, son majordome, sa famille, les femmes de sa vie. Avec l’approbation de
« Jean », tous lui parlent. Se livrent. Racontent. Ainsi apparaît Jean d’Ormesson, dans toutes ses facettes, au fil de ces pages lumineuses et sombres parfois,
piquantes, drôles, tendres, où se révèle enfin l’homme.

On se précipitera aussi sur le dernier Plantu.

614pcrfm1ML

On reste fidèle à Blake et Mortimer et à leurs dernières aventures :

91Wutjn5tVL

Quant à offrir de la musique, deux propositions qui sortent des sentiers battus.

81wle9MjcnL._SL1500_

Le Point du 19 décembre fait, sous la plume du vétéran André Tubeuf, l’éloge d’un musicien de 23 ans, Valentin Tournet, « beau et grand garçon, d’un blond tirant sur le roux, qui déjà, de sa taille (1m94) domine le champ de bataille où son arrivée fait quelque bruit ». Laurent Brunner lui a ouvert grand l’opéra et la chapelle de Versailles, et ça donne un premier disque enthousiasmant !

Avant que le deux-cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Beethoven ne déferle sur 2020empressez-vous d’acquérir ou d’offrir la moins chère (env. 20 €) des intégrales des symphonies du maître de Bonn, due au plus méconnu des grands chefs est-allemands du XXème siècle, Herbert Kegel.

61BV0a6kxYL._SL1200_

61f2KW9XvTL._SL1200_

La reine Beatrice

Alain Lompech (sur Facebook) : Beatrice Rana vient de publier un disque fabuleux… Perlemuterorichtérogilelsien… Elle sait tout de l’art du piano et de la musique… On s’incline… et on applaudit à tout rompre…

81JUJOcyRIL._SL1500_

Jean-Charles Hoffelé (sur FB aussi, bientôt dans Classica) : Fabuleux et renversant.

Alain Lompech, encore : Elle est incroyable : la science de l’alchimie sonore et la perfection de l’analyse  plus la domination totale du clavier – alla Richter ou dans un genre différent Lipatti -, plus le son rond, ample, profond qui fait entrer tout le piano en transe sonore…
Ses Goldberg m’avaient bien sûr beaucoup plu, mais beaucoup moins que celles récentes de Gabriel Stern, je l’avais entendue en concert – malheureusement bridée par Krivine dans le 3ème de Prokofiev, entendue en récital… mais là d’un coup, elle ouvre grand ses ailes et, sans jamais faire l’intéressante, se hisse aux premiers rangs des pianistes de son temps…

J’ai téléchargé ce nouveau disque dès vendredi. Je serais bien incapable d’user de tous les qualificatifs que lui attribue Alain Lompech, je les partage complètement. Il faut aussi, et peut-être d’abord, ajouter que le programme de ce CD est d’une intelligence rare, et que c’est, à ma connaissance, la première fois que se côtoient Ravel et Stravinsky dans un disque de piano solo. Oui, tout ici est miraculeux. Finalement conforme à ce que j’ai aimé chez cette pianiste (tout juste 26 ans!) dès que je l’ai entendue en concert.

Le dimanche 26 janvier 2014, Beatrice Rana était la soliste d’un de ces concerts dominicaux qui font la joie d’un public familial à Paris. Fayçal Karoui dirigeait les Concerts Lamoureux et la jeune pianiste italienne jouait le 2ème concerto de Saint-Saëns. Subjugué, je fus immédiatement subjugué : la simplicité, l’absence de posture de la pianiste devant son clavier, une virtuosité et une maîtrise confondantes, sans esbroufe, le chic, l’allure qu’il faut dans cette oeuvre (qui commence comme Bach et finit comme Offenbach selon le bon mot de George Bernard Shaw).

Quelques mois plus tard, je retrouvais Beatrice Rana, complice du Quatuor Modigliani, au Festival d’Auvers-sur-Oise (Une fête de la musique) :

img_286711

« En seconde partie… le quintette pour piano et cordes de Schumann – on manque de superlatifs pour le qualifier ! et l’entrée en lice de Beatrice Rana, une musicienne de 22 ans dont j’ai déjà dit et écrit qu’elle a déjà tout ce qui fait d’elle une grande, une très grande artiste. Qui n’a besoin ni d’esbroufe ni de look savamment étudié pour imposer une présence. Au début du Schumann, on la trouvait presque effacée, trop discrète, face à ses compères du Modigliani, et puis on a vite compris que, mine de rien, c’est elle qui menait le train de ces quatre mouvements sublimes et suspendus de musique pure »

Il fallait absolument que j’invite Beatrice Rana au Festival Radio France à Montpellier. Elle y était déjà venue dans la série des jeunes solistes en 2012, mais cette fois je voulais qu’elle ouvre le festival dans la grande salle Berlioz du Corum. Le 11 juillet 2016. Et avec une première pour elle ! Rien moins que les Variations Goldberg de BachC’est à Montpellier qu’elle les donnerait pour la première fois en public, avant une tournée de récitals qui allait déboucher sur le premier disque de l’artiste italienne chez Warner.

Dans Le Monde du 12 juillet 2016, Marie-Aude Roux écrit : « Beatrice Rana n’a certes rien à prouver sur le plan technique. Mais sa maturité sereine et son sens architectonique impressionnent, qui font de cette œuvre monumentale – plus d’une heure et quart de musique – une véritable pierre de Rosette. Le thème initial de l’« Aria » semble en effet se poser comme une énigme. Elégance du phrasé, fluidité du jeu, sonorité d’une rondeur charnelle, Rana prendra le temps de dévoiler une à une les solutions proposées par chacune des variations ».

91w-zWkR1BL._SL1500_

Le 16 juillet 2018, Beatrice Rana revenait à Montpellier, encore pour une première pour elle : le 4ème concerto de Beethoven (« Lorsque je joue Beethoven, je ressens une grande responsabilité. C’était le cas pour ce concert ici à Montpellier, je jouais ce concerto pour la première fois, c’était beaucoup d’adrénaline ».

Entre-temps, elle avait publié son premier disque concertant, couplage à nouveau inédit, et toutes les qualités qu’on reconnaît à Beatrice Rana.

81QtoDSGpUL._SL1447_

Merci, chère Beatrice, de démontrer que virtuosité, maîtrise époustouflante du clavier peuvent se marier à la musicalité la plus pure, et que vous n’avez besoin d’aucun artifice, de ne cultiver aucun look provocateur ou aguicheur, pour avoir le public à vos pieds. Restez ce que vous êtes, une très belle personne, une très grande artiste !

 

Doux zéphyrs

Les gros coffrets de CD semblaient être l’apanage des seules majors. Harmonia Mundi s’y était mis aussi. Voici qu’Alpha, le label amiral du groupe Outhereprend le même pli, et tire une salve magnifique.

61Jcco-ZaYL._SL1200_

Le 3 octobre dernier, France Musique consacrait toute une journée à l’ensemble Le Poème harmonique fondé il y a vingt ans par Vincent Dumestre.

71Fa+svXuDL._SL1200_

On reviendra sur cette belle aventure. On peut déjà dire que Le Poème harmonique et Vincent Dumestre seront des invités de choix du prochain Festival Radio France pour une série de concerts exceptionnels dans les plus beaux lieux d’Occitanie !

Autre proposition passionnante, ce parcours populaire et savant à et dans Naples (voir Sur les traces de Stendhal)

81rjK58zhIL._SL1200_

71VIZ0UpeyL._SL1200_

Last but not least, une formation – Zefiro – don’t j’ai peine à croire qu’elle a été fondée il y a trente ans déjà et dont j’ai suivi, avec gourmandise, le parcours musical et discographique, gorgé de couleurs et de saveurs italiennes, pulpeux, sensuel, comme le jeu de ses trois fondateurs, Alfredo Bernardini, Paolo et Alberto Grazzi.

71rsvN2gErL._SL1200_

Il y a comme un goût de trop peu dans ce parfait coffret de 10 CD.

81NTyce-rkL._SL1500_

https://www.youtube.com/watch?v=B-KfGr4mxgw

Une aubaine ! Un indispensable de toute discothèque !

Du piano de toutes les couleurs

Bien avant Debussy et son En blanc et noir,on savait que le piano ne se réduisait pas à ce simpliste contraste.

Deux formidables coffrets nous rappellent de quelles fabuleuses palettes de couleurs des musiciens inspirés peuvent revêtir leurs claviers.

51kkYIXRoRL

D’abord le fabuleux héritage de la pianiste russe Maria Grinberg(1908-1978)

Née dans une famille de l’intelligentsia juive russe, elle prend ses premières leçons de piano avec sa mère, puis David Aisberg, qui lui donne gratuitement des cours. À l’âge de 12 ans, en 1920, elle joue le Concerto de Grieg avec l’orchestre de l’Opéra d’Odessa. La famille vit pauvrement, le père ne pouvant plus exercer sa profession de professeur d’hébreu depuis la Révolution. En 1923 elle entre au Conservatoire d’Odessa, et elle joue avec David Oïstrakh, originaire comme elle d’Odessa. À 17 ans, à l’automne 1925, elle part étudier à Moscou, où elle fait une forte impression à Heinrich Neuhaus. En 1926, elle entre dans la classe de Felix Blumenfeld (qui eut aussi comme élève Vladimir Horowitz). Elle joue des sonates de Beethoven, les Rhapsodies de Liszt, les œuvres de Frank, Ravel. Après la mort de Blumenfeld, en 1931, Grinberg poursuit ses études avec Constantin Igoumnov, jusqu’en 1935, année où elle obtient le Second Prix au Concours de piano de la Grande Union. La même année, elle est profondément marquée et influencée par un concert d’Artur Schnabel, qui lui fait mesurer la profondeur de la musique de Beethoven, et dont elle dira : « Après ma rencontre avec Schnabel, j’ai été toute ma vie à la recherche de Beethoven. » Elle donne alors de nombreux concerts dans différentes villes d’Union Soviétique. En 1937, elle est sélectionnée pour le Concours Chopin à Varsovie mais ne peut s’y rendre, attendant un enfant. Elle joue en soliste, mais pratique aussi la musique de chambre avec le Quatuor Borodine et accompagne la cantatrice Nina Dorliak.

Mais les débuts de cette carrière prometteuse sont compromis par l’arrestation de son mari, le poète polonais Stanislaw Grinberg, et de son père, professeur d’hébreu, et leur exécution, comme « ennemis du peuple », en 1937, grande période des persécutions staliniennes, visant notamment – mais pas uniquement – les Juifs. À partir de cette époque, elle ne peut plus jouer dans les manifestations officielles et doit se contenter d’accompagner une petite troupe de danseurs amateurs, participant occasionnellement à des concerts à la place du timbalier. Elle est renvoyée de l’Orchestre Philharmonique de Moscou où elle travaillait depuis 1932. Au début de la guerre, elle est déplacée en Oural, à Sverdlovsk (aujourd’hui Ekaterinbourg).

Quelques années plus tard, après la guerre, elle est réintégrée par le pouvoir et peut donner des concerts à travers l’Union soviétique. Après la mort de Staline, en 1953, le pouvoir lui permet aussi de donner des concerts à l’étranger, le premier ayant lieu à Prague en 1958, mais ses prestations hors de la Russie seront rares : 14 tournées au total, dont 12 dans les pays du bloc de l’Est, dans des programmes souvent consacrés à Beethoven, et 2 aux Pays-Bas (sa seule incursion au-delà du rideau de fer), où ses récitals sont particulièrement acclamés. Par ailleurs, elle est de nouveau frappée par le sort, car elle commence à perdre la vue ; les médecins diagnostiquent une tumeur au cerveau, dont elle est opérée avec succès en 1955. En 1959, elle commence à enseigner à l’Académie russe de musique Gnessine. Heinrich Neuhaus appuie sa candidature au poste de professeur dès 1960, mais elle ne le deviendra qu’en 1970. Elle reçoit en 1961 le titre d’« artiste émérite d’Union Soviétique » et obtient alors l’autorisation de partir en tournées dans les pays de l’Est.

À l’âge de 61 ans, elle obtient une chaire d’enseignement à l’Institut de Musique Gnessine ; ce sera sa seule reconnaissance officielle, et le Conservatoire de Moscou ne lui proposera jamais rien, comme elle ne sera jamais conviée à participer au jury du Concours International de piano Tchaïkovski. La fin de sa vie est ternie par une santé défaillante et de fréquentes annulations de concerts. Lorsque les médecins lui conseillent d’abandonner les concerts, elle déclare : « Pourquoi vivre, si je ne peux pas jouer ? » Elle meurt le 14 juillet 1978 à Tallinn, en Estonie. Elle est enterrée à Moscou.

De fait, à l’écart des milieux officiels de la musique en Union soviétique, comme sa compatriote et contemporaine Maria Yudina, mais très respectée des musiciens, voire vénérée, elle reste encore très méconnue. Heureusement, il reste tous ses enregistrements, au premier rang desquels figure la première intégrale par un pianiste russe des 32 sonates de Beethoven, son grand legs discographique, réalisé de 1960 à 1974, dont la presse musicale ne souffla pas un mot, même si elle en donna également l’exécution intégrale en concert à l’occasion de son soixantième anniversaire. On peut aussi mentionner un enregistrement exceptionnel du Troisième Concerto de Rachmaninov enregistré en 1958, à Moscou, sous la direction de Karl Eliasberg.

On connaissait déjà cette intégrale des sonates de Beethoven, publiée par Melodia.

51DYXSIeSxL

On a maintenant 34 CD qui reprennent un important corpus beethovenien, mais aussi et surtout un éventail assez exceptionnel de Bach à Medtner en passant par Mozart, Chopin, Mendelssohn, Rachmaninov, Schumann, une extraordinaire version des Variations symphoniques de Franck (voir ici les détails du coffret Scribendum)

Et puis il y a ces 52 sonates de Scarlatti confiées au piano moderne par le fantasque Lucas Debargue. Depuis que j’ai acheté le coffret de 4 CD, je déguste, je me laisse surprendre, je m’abandonne à la fantaisie du jeune pianiste.

9186ndjZorL._SL1500_

Frères

Une famille comme les Järvile père, Neeme et les deux fils, Paavo et Kristjan, chefs d’orchestre – est une absolue rareté.

IMG_4017(Kristjan Järvi derrière son père Neeme, assis – entourés des violonistes Daniel Lozakovich et Mari Samuelsen, à Montpellier le 11 juillet dernier)

La seule autre du même type que je connaisse est celle des Sanderling, Kurt le père (1912-2011), et ses trois fils, Thomas (1942-) Stefan (1964-) et Michael (1967-).

J’ai eu la chance d’entendre et de voir diriger Kurt Sanderling, deux fois à la tête de l’Orchestre de la Suisse romande (la 9ème de Beethoven… et la 9ème de Mahler) au début des années 90. Expérience inoubliable. Ou comment un très grand chef parvient à transfigurer un orchestre ! J’y reviendrai, en tentant une discographie du coeur.

J’ai eu, par la suite, le bonheur d’inviter deux des trois fils de Kurt, l’aîné Thomas et le deuxième Stefan, cette fois avec l’Orchestre philharmonique de Liège.

Thomas Sanderling avait dirigé un beau et noble Requiem allemand de Brahms, en dépit d’un contact difficile avec l’orchestre.

Stefan Sanderling était lui venu à trois reprises pour des programmes toujours originaux (deux symphonies de Haydn encadrant le 4ème concerto pour piano de Rachmaninov, joué par Michel Dalberto, une immense Huitième symphonie de Chostakovitch qui m’avait profondément bouleversé, un programme César Franck au printemps 2011 pour les 50 ans de l’orchestre).

https://www.youtube.com/watch?v=xd1Jl5sJiiw

Quant à Michael, je ne le suis que de loin et par ses disques. Il vient de réaliser deux intégrales en parallèle, les symphonies de Beethoven et celles de Chostakovitch.

Petite compilation des principaux enregistrements des frères Sanderling :

515IlZCUjDL

71nuwm8GNfL._SL1077_

51NtI4ZnGlL

71uXF+s2R6L._SL1500_

81twW6qjGYL._SL1500_

Comme les Järvi, les Sanderling ont pu se développer et faire de belles carrières sans que la stature du père leur fasse ombrage.

Ce n’est pas toujours le cas de fratries célèbres dans le passé, où la célébrité de l’un a éclipsé le talent de l’autre.
Trois exemples l’illustrent : Krips, Karajan et Jochum !

Josef Krips (1902-1974), tout le monde connaît le grand chef mozartien, qui a laissé des enregistrements de légende. Mais mon premier disque signé Krips était celui d’un dénommé Henry Krips (1912-1987) dirigeant un – à l’époque – mystérieux Philharmonia Promenade Orchestra. 

51NZOBfLy9L

Même patronyme, mais prénom fleurant bon son anglicité, j’ai longtemps attendu pour savoir que Henry était né Heinrich en février 1912 et que le petit frère de Josef avait émigré en Australie en 1938 pour fuir son Autriche natale annexée par Hitler.

Il n’est pas resté grand chose de son activité aux antipodes. On trouve en revanche quelques témoignages d’un art très distingué de faire sonner la musique viennoise, pas de chichis, pas d’alanguissements, mais un chic, une allure qui siéent idéalement à ces valses.

Le cas des frères Jochum est plus simple.

Eugen (1902-1987) et son petit frère Georg Ludwig (1909-1970) ont tous deux nourri une passion pour BrucknerDifférence de taille entre les deux : Georg Ludwig a adhéré en 1937 au parti nazi et a dirigé de 1940 à 1945 le Reichs-Bruckner-Orchester à Linz.

Chez les Krips et les Jochum, l’aîné a pris presque toute la lumière. C’est l’inverse qui s’est produit chez les KarajanC’est peu dire que le fils aîné d’Ernst et Martha Ritter von Karajan, Wolfgang, né à Salzbourg le 27 janvier 1906 (le même jour que Mozart, d’où son prénom ?), mort le 2 novembre 1987 dans la même ville, n’a pas eu la notoriété ni la postérité de son cadet Herbert (1908-1989).

Il semble s’être contenté d’une activité d’organiste et de musicien voué à la musique baroque. Je n’ai pas enquêté sur les liens qui unissaient, ou pas, les deux frères, pas trouvé de documents photographiques attestant d’une proximité familiale, alors qu’ils ont l’un et l’autre résidé toute leur vie dans leur ville natale.

L’aventure France Musique (VIII) : Mémoire retrouvée

Dans le cadre de la nouvelle émission  Les Trésors de France Musique de la grille de rentrée de France Musique, proposée chaque soir de 23 h à minuit, Françoise Monteil diffusait jeudi soir des extraits d’une Mémoire retrouvée consacrée au violoniste Isaac Stern.

J’évoquais le concept des grilles d’été que j’avais involontairement introduit sur France Musique à l’été 1994 (L’aventure France Musique : la séparation).

Deux pleins mois pour permettre aux producteurs réguliers de la chaîne, d’abord de prendre leurs vacances, mais aussi d’essayer de nouvelles idées, de nouveaux formats, et bien sûr pour la direction de donner leur chance à des collaborateurs extérieurs, de tester des concepts, d’ouvrir la chaîne, etc. (c’est ainsi que l’animateur de Tour de chant, l’actuelle émission dominicale vouée à la chanson, Martin Pénetétait venu me proposer une mini-série d’été).

Parmi les projets auxquels je tenais le plus, je souhaitais constituer, ou plutôt reconstituer des archives sur les grands interprètes retirés de la vie active. Déjà à l’époque (!) on invitait les artistes au micro en fonction de leur actualité, pour faire la « promo » de leur dernier disque, du concert ou du spectacle auquel ils participaient. Mais les grands entretiens comme ceux que conduisait Claude Maupomé (Comment l’entendez-vous ?) n’existaient plus.

Je me demandais tout simplement, comme beaucoup d’auditeurs, ce qu’ils étaient devenus, tous ces artistes qui nous avaient enchantés. C’était d’ailleurs le premier titre auquel j’avais pensé : « Que sont-ils devenus? ». Finalement nous nous étions arrêtés à un titre à la fois plus neutre et plus explicite : Mémoire retrouvée.

Le principe de l’émission était d’une grande simplicité. Tous les producteurs de la chaîne étaient sollicités, ils choisissaient librement celles et ceux qu’ils allaient interviewer, et, après arbitrage de ma part, on ne fixait la durée et le nombre des émissions qu’après qu’ils eussent rencontré leurs interlocuteurs. Et surtout, l’émission devait échapper au cadre classique de l’interview, questions-réponses, et laisser seulement parler le musicien, l’inviter à se livrer en toute confiance en dehors de toute préoccupation promotionnelle.

C’est peu de dire que ni les producteurs ni les chargés de réalisation n’étaient habitués à pareille liberté (en général, la direction imposait un format, un horaire), et qu’il fallut pas mal de réglages. Mais tous eurent tôt fait de constater que c’était la bonne formule.

Je  me rappelle deux cas en particulier, où cette souplesse fut bienvenue : ce producteur qui s’était rendu au domicile, une petite maison au bord de la Marne,  d’un ténor qui eut son heure (justifiée) de gloire et qui m’avoua qu’il parviendrait avec peine à construire une heure et demie d’émission avec les propos qu’il avait enregistrés (« C‘est terrible, il n’avait rien à dire! »), et à l’inverse, cette productrice qui avait obtenu un rendez-vous avec Renata Tebaldi, en était revenue enthousiaste, avec de la matière pour faire cinq émissions. Le ténor eut ainsi droit à une heure et demie, la concurrente de Maria Callas à sept heures et demie.

Sauf erreur de ma part, cette série d’émissions estivales commença en 1994 et s’acheva en 2000.

Ces Mémoire retrouvée sont, je l’imagine, toutes archivées à l’INA. Elles ont beaucoup servi à Karine Le Bail et à son émission Les Greniers de la mémoire, mais aussi, bien sûr, à chaque fois qu’est survenu le décès de ceux que les micros de France Musique étaient allés chercher au fond de leur retraite.

La grande majorité des artistes sollicités par les producteurs de France Musique avaient répondu avec enthousiasme, souvent avec émotion. Quelques refus cependant : je me rappelle Teresa Stich Randall 

61nRpxcTfOL

faisant répondre qu’elle n’avait rien à dire sur sa vie d’avant (les années Aix, erc.), ou Lisa Della Casa disant que ses disques parlaient pour elle.

51AWdpTsIcL

Je me réjouis que Françoise Monteil pioche dans ces trésors, dans ces mémoires à jamais vivantes, pour son émission vespérale.

Parmi les extraits disponibles sur le site de l’INA

Roland Petit (1998)

Pierre Schaeffer (1994)

Régine Crespin (1995)