La découverte de Bologne (III) : Rossini, Respighi, Pasolini et tutti quanti…

Pour prolonger la visite du Musée international et bibliothèque de la Musique de Bologne, et de quelques autres lieux chargés de musique de la capitale de l’Emilie-Romagne – avant une grande surprise demain pour le dernier jour de l’année – évoquons quelques célébrités locales ou assimilées.

La salle du Stabat Mater

Pour les fétichistes de Rossini, cette robe de chambre et ces objets pieusement conservés au musée de la musique valent le détour.

Ils pourront être plus surpris encore en visitant l’Archiginnasio, siège de l’Université de Bologne depuis le XVIe siècle, et la salle dite Stabat Mater parce qu’y fut donnée la création italienne de l’oeuvre éponyme de Rossini en 1842 sous la direction de Donizetti, un an après la première parisienne. Le succès est tel qu’on raconte que plus de 500 personnes envahirent les rues de Bologne pour raccompagner Rossini à son hôtel.

Je n’ai pas une passion dévorante pour l’oeuvre, mais je ne déteste pas la seule version que j’ai dans ma discothèque : Pavarotti ça ne se refuse pas !

Natifs de Bologne

Il paraît qu’on peut voir une plaque sur la maison natale de Pier-Paolo Pasolini – je ne l’ai pas cherchée – tandis que j’ai fait le détour pour voir celle d’Ottorino Respighi (lire L’axe Rome-Rio)

A quelques mètres, une autre plaque rappelant la mémoire d’un grand chef d’opéra italien, Francesco Molinari-Pradelli, né en 1911 et mort en 1996 à Bologne !

Je trouve sur YouTube cette absolue rareté qu’est l’opéra La Fiamma de Respighi, dirigée en 1955 par son voisin de rue !

Les souvenirs de Martucci

Dans la dernière – petite -salle du Musée de la musique, à côté de quelques photos de Respighi, un portrait moustachu intrigue :

Je connais bien le compositeur, mais je n’en avais jamais vu de portrait : Giuseppe Martucci (1856-1909) a été le professeur de Respighi, le directeur du Liceo Musicale de Bologne de 1886 à 1902, et présente la particularité rare pour un Italien de n’avoir jamais composé d’opéra alors qu’il en a souvent dirigé – c’est lui la création italienne de Tristan et Isolde en 1888 ! – mais il a écrit de la musique d’orchestre et de chambre d’un raffinement inouï. Des artistes comme Riccardo Muti ou Mirella Freni n’ont pas été les derniers à le promouvoir !

Les achèvements de Philippe Jordan

L’ancienneté de la relation quasi-familiale, la permanence de l’admiration, n’empêchent pas l’écoute critique. C’est pourquoi j’avais accepté de faire, pour Bachtrack, le compte-rendu des tout récents concerts de Philippe Jordan à la tête de l’Orchestre de Paris : Vers la lumière : Philippe Jordan avec l’Orchestre de Paris.

On peut heureusement réécouter le concert du 29 novembre sur francemusique.fr.

Comme on peut le lire sur Bachtrack, autant j’ai été emporté littéralement par une ‘Inachevée idéale, autant je ne me suis pas complètement retrouvé dans une Neuvième de Bruckner certes creusée, admirablement conduite, mais trop statique pour quelqu’un qui, comme moi, s’est nourri aux ardeurs d’un Jochum.

Mais Philippe Jordan fait partie de ces interprètes qui ne se livrent pas sur un coup d’éclat, à la séduction immédiate. Ni même à la première écoute. J’ai assisté à bien des concerts dirigés par lui, j’ai dans ma discothèque la quasi-totalité de ses enregistrements, et quand j’ai parfois eu des réserves au premier abord, j’ai remis l’ouvrage sur le métier, j’ai réécouté, et toujours découvert de nouvelles richesses.

La dernière fois que j’avais entendu Philippe à la tête d’un orchestre – avec l’Orchestre de Paris mercredi c’était une première – c’était avec l’Orchestre national de France (lire Le monde d’hier) il y a un an. J’avais manqué sa venue à Radio France le 14 octobre dernier. Rien à changer à ce que j’avais écrit, rien non plus aux éloges de Tristan Labouret sur Bachtrack : Philippe Jordan fait renaître l’Orchestre national.

En attendant, Philippe Jordan est toujours en activité – heureux Viennois ! – à l’opéra de Vienne.

Trouvailles et retrouvailles

Juste pour mémoire les suites de ma visite à Louis Langrée à Cincinnati : l’entretien que le chef français, directeur de l’Opéra Comique depuis deux ans, m’avait accordé est maintenant publié sur Bachtrack : « Le chef providentiel n’existe pas ».

J’invite, en particulier, à lire ce que Louis Langrée dit de la vie musicale américaine et du poids de la cancel culture qui a conduit, par exemple, les responsables du Lincoln Center de New York à supprimer Mozart de leur vocabulaire, parce que le nom même est jugé élitiste !! Heureusement la contamination reste limitée en Europe, et le travail exemplaire que font les équipes de l’Opéra Comique est de nature à nous rassurer !

(Louis Langrée dans son bureau de directeur général à l’Opéra Comique devant une affiche-programme de 1950)

L’actualité du chef est aussi ce nouveau disque dont le soliste est Alexandre Tharaud. Pour ne blesser personne, je me contenterai de remarquer que Louis Langrée trouve, dans Ravel et plus encore dans Falla, des couleurs admirables grâce à un Orchestre national en grande forme. Bravo pour le couplage inédit au disque !

Solti suite et fin

Il y a deux ans, j’avais reçu juste avant un séjour involontaire à l’hôpital, le deuxième des coffrets que Decca a consacrés à son chef star, Georg Solti (1912-1997) : Solti à Londres. Après un premier fort volume regroupant les enregistrements faits à Chicago durant un quart de siècle. Cette fois la boucle est bouclée avec un troisième coffret regroupant tout ce que le chef britannique a enregistré ailleurs qu’à Londres ou Chicago, pour la plupart à Vienne. Et ce sont, pour moi, de loin les meilleurs disques de Solti.

Les chauvins y retrouvent le seul disque enregistré avec l’Orchestre de Paris – dont Solti fut brièvement le « conseiller musical », des poèmes symphoniques de Liszt… et les 2e et 5e symphonies de Tchaikovski avec l’ancêtre de l’Orchestre de Paris, la société des Concerts du Conservatoire.

Je ne résiste pas au plaisir de citer encore la version la plus hallucinée des célèbres ouvertures de Suppé, captées en 1957 avec des Wiener Philharmoniker complètement survoltés : ici une Cavalerie légère au triple galop !

Braderie russe

Sur le site allemand jpc.de, je trouve régulièrement, à tout petit prix soldé, des disques dont j’ignorais même l’existence, parce qu’ils n’ont jamais ou très inégalement été distribués en Europe occidentale, publiés par le label Melodia, jadis le seul et unique éditeur officiel de l’URSS. Je viens de recevoir – et d’écouter – quatre albums assez incroyables.

D’abord Evgueni Svetlanov (1928-2002) dont on sait qu’il ne limitait pas son horizon à la seule musique russe, dont il a pourtant enregistré une quasi-intégrale symphonique. Ici c’est Ravel, et beaucoup moins attendu, le grand oratorio d’Elgar, The Dream of Gerontius. Grandiose vraiment !

Autres surprises, un double album consacré à Wagner (édité en 2013 à l’occasion du bicentenaire de sa naissance) et un époustouflant « live » de 1965 où Charles Munch dirige l’orchestre de Svetlanov (le symphonique d’URSS) dans une Mer de Debussy absolument déchaînée (au même programme: la 2e symphonie d’Honegger, la suite de Dardanus de Rameau et la 2e suite de Bacchus et Ariane de Roussel)

(Debussy, la Mer extrait, Charles Munch, Orchestre symphonique de l’URSS, Moscou 1965)

Le bonheur de Mahler

Passant avant-hier chez le libraire de la rue de Bretagne à Paris, je tombe sur un livre de poche au rayon « Musique ». Jamais entendu parler du bouquin à sa sortie en 2021, encore moins de son auteur, Évelyne Bloch-Dano.

«  »On ne connaît pas Natalie Bauer-Lechner. Et pour cause : le nom de cette talentueuse altiste a été effacé par l’entourage de Mahler. Avant-gardiste, membre d’un quatuor de femmes réputé, c’est aussi elle qui, la première, a cru en Gustav Mahler. Jusqu’au mariage du compositeur, elle fut sa confidente, la première lectrice de ses compositions… son âme sœur, dans une Vienne aux codes étouffants, ivre d’art et de musique. Évelyne Bloch-Dano nous emmène à la rencontre de trois personnages, un génie, une artiste et une ville, dans une époque euphorique et impitoyable que balaya la Première Guerre mondiale. Le récit d’une intimité hors normes qui a le souffle d’un roman ». (Présentation de l’éditeur)

Un feuilletage rapide donne l’impression d’un ouvrage sérieux, même si écrit comme une biographie romancée. En tout cas, l’idée n’est pas mauvaise de raconter Mahler par le biais de cette amitié particulière avec une authentique féministe, la musicienne Natalie Bauer-Lechner

Quand Rachmaninov rime avec Trifonov (la suite)

Il y a cinq ans déjà, je consacrais tout un billet à l’intégrale des concertos de Rachmaninov que venaient de publier le pianiste russe Daniil Trifonov, le chef québécois Yannick Nezet-Seguin et le plus « rachmaninovien » des orchestres, celui de Philadelphie.

Ce 30 octobre, je retrouvais les mêmes en concert à la Philharmonie de Paris, et comme l’a écrit Alain Lompech pour Bachtrack, Philadelphie et Trifonov ont fait chavirer la Philharmonie. Après l’avoir entendu à New York dans le concerto de Schumann, j’étais évidemment impatient d’entendre Daniil Trifonov dans ce kaléidoscope que forment les 24 variations sur le 24ème caprice de Paganini – la Rhapsodie sur un thème de Paganini – de Rachmaninov.

Une chose est d’avoir entendu cette équipe dans un disque magnifique, une autre est de les entendre « en vrai ». D’être submergé par la somptuosité d’un orchestre unique au monde – le Philadelphia Sound si amoureusement construit par Eugene Ormandy au long de presque un demi-siècle de règne, si jalousement conservé, entretenu par des générations de musiciens exceptionnels et des chefs comme Riccardo Muti, Wolfgang Sawallisch et, depuis quinze ans, Yannick Nézet-Seguin, ce Philadelphia Sound n’est décidément pas une légende.

Le chef québécois qui ne m’a pas toujours séduit en concert (ni dans certains de ses disques d’ailleurs) m’a ici subjugué par sa vision de la Première symphonie de Rachmaninov, l’injustement mal-aimée. Je vais écouter plus attentivement l’intégrale des symphonies qu’il vient de publier chez Deutsche Grammophon.

Les morts de Diapason

Dans la liturgie catholique, on célèbre le 1er novembre tous les saints de l’Eglise, c’est une fête de joie. Mais depuis belle lurette on confond la Toussaint et le 2 novembre le jour des morts. Ce que fait Diapason aujourd’hui en consacrant un article passionnant aux sépultures des grands musiciens : Où voir les tombes des grands compositeurs ?

Au hasard de mes voyages, j’ai pu m’arrêter sur les tombes de certains d’entre eux, le plus souvent sans l’avoir cherché.

Claudio Monteverdi est inhumé à Venise dans l’immense nef de Santa Maria Gloriosa dei Frari

C’est à Venise, dans le cimetière de l’île San Michele, que sont également enterrés Igor et Vera Stravinsky (lire Sonate d’automne), tout près du fondateur des Ballets Russes, Serge Diaghilev

Bien sûr c’est dans le choeur de l’église Saint-Thomas de Leipzig dont il fut le Cantor que repose Jean-Sébastien Bach

Durant l’été 2022, j’avais visité les lieux chers à Puccini, à Lucques et à Torre del Lago.

Mort des suites d’une opération d’un cancer de la gorge à Bruxelles, le corps de Puccini avait d’abord été rapatrié à Milan avant d’être finalement inhumé dans la petite chapelle de sa maison de Torre del Lago.

Coup de chapeau à Domingo Hindoyan pour ce très beau disque de préludes et d’intermezzos d’opéras de Puccini en particulier :

L’été 23 (XI) : Colin Davis aux Prom’s

Tout mélomane devrait, au moins une fois dans sa vie, participer aux fameux concerts d’été londoniens, les BBC Prom’s. J’ai eu cette chance à quelques reprises, jamais cependant pour la fameuse Last Night of the Prom’s qui se tient à la mi-septembre. Mais l’ambiance dans l’immense Royal Albert Hall (5000 places !) est toujours mémorable.

Je ne sais plus quelle année, j’avais pu assister à un concert-fleuve dirigé par mon ami Paul Daniel, l’un des meilleurs chefs britanniques. Ce jour-là ce n’était pas cette pièce célèbre du fondateur des Prom’s

J’ai très vite eu dans ma discothèque un CD dont j’étais très fier

Finalement dans la collection Eloquence Decca a réédité en un double album des extraits de ces soirées de fête des Prom’s dirigées par Colin Davis. Précision : comme il s’agit d’un festival organisé par la BBC, les chefs qui dirigent la dernière nuit sont toujours les chefs attitrés du BBC Symphony. Ces années-là c’était Colin Davis (1927-2013)

!

Impossible d’imaginer une nuit des Prom’s sans cet « hymne » d’Hubert Parry (1848-1918)

And did those feet in ancient time
Walk upon England’s mountain green?
And was the holy Lamb of God
On England’s pleasant pastures seen?
And did the countenance divine
Shine forth upon our clouded hills?
And was Jerusalem builded here
Among those dark satanic mills?

Bring me my bow of burning gold!
Bring me my arrows of desire!
Bring me my spear! O clouds, unfold!
Bring me my chariot of fire!
I will not cease from mental fight,
Nor shall my sword sleep in my hand,
Till we have built Jerusalem
In England’s green an

Ni sans cet autre hymne de Thomas Arne, Rule Britannia

On frémit à l’idée que la voix immense de Jessye Norman a pu emplir le vaisseau du Royal Albert Hall avec cet extrait des Wesendonck Lieder de Wagner

Evidemment pas de Last Night qui ne termine par la version chantée de la première des marches Pomp and Circonstance d’Elgar : Land of Hope and Glory

L’été 23 (IX) : Abbado à Lucerne

Petite série estivale pendant que ce blog prend quelques distances avec l’actualité, quelques disques enregistrés en été, tirés de ma discothèque : épisode 9.

Lucerne et son festival au coeur de la Suisse ont sans doute compté pour beaucoup dans ma destinée professionnelle, sans que j’en aie rien deviné quand j’y ai travaillé à l’été 1974 (lire : La découverte de la musique)

Ce fut aussi le dernier refuge musical de Claudio Abbado (1933-2014), là où il livra ses dernières forces dans des interprétations épurées, comme déjà détachées des souffrances terrestres. Comme cette Première symphonie de Bruckner, captée le 17 août 2012, quelques mois avant la mort du chef italien.

Intéressant de noter que cette première symphonie, pas si fréquente ni au concert ni au disque, a été l’un des premiers enregistrements du tout jeune Abbado avec l’orchestre philharmonique de Vienne en 1970

La musique pour rire (X) : quand ils se détestent

Je suis friand de mémoires de musiciens, de compositeurs, de leurs témoignages, de leurs lettres : Mozart, Berlioz, Debussy, Honegger, liste non limitative

Dans le numéro de juillet de Diapason, Ivan Alexandre et François Laurent se sont amusés à sélectionner quelques-uns de ces écrits dont la première caractéristique n’est pas vraiment la bienveillance. Quand les compositeurs ne s’aimaient pas, ils ne l’envoyaient pas dire, et quand ils avaient un talent de plume, ça donne des formules parfois assassines, toujours réjouissantes.Et révèle souvent les aspects cachés de certaines personnalités.

Le gentil Mendelssohn

De qui l’élégant et aimable Felix Mendelssohn peut-il parler dans une lettre du 28 mars 1831 :

« Il est d’une vanité incommensurable et traite avec un superbe dédain Mozart et Haydn, de sorte que tout son enthousiasme m’est suspect/…./ Cet enthousiasme purement extérieur, ces airs désespérés qu’on prend auprès des dames, ces génies qui s’affichent en grosses lettres, tout cela m’est parfaitement insupportable » ?

Réponse ci-dessous *1

Il faut croire que l’orchestre dont Felix Mendelssohn fut le premier directeur musical, celui du Gewandhaus de Leipzig, n’a plus à l’égard de ce compositeur d’une « vanité incommensurable » les préventions de son chef, comme en témoigne cette étonnante captation de la Symphonie fantastique, réalisée en 2018, où pour une noble cause des musiciens de Dresde et de Leipzig avaient été réunis sous la houlette d’Herbert Blomstedt.

Le haineux Wagner

Sans aucune référence à un récent épisode politique, comment ne pas trouver complètement injuste et déplacé ce commentaire :

« Dans la musique instrumentale de Haydn, nous croyons voir le démon enchaîné de la musique jouer devant nous avec la puérilité sénile d’un vieillard de naissance » (1870)

C’est peu dire qu’on ne partage absolument pas ce jugement qui n’honore pas son auteur… Richard Wagner !

Rappelons tout le bien qu’on a dit de la réédition du legs discographique du quatuor Pražák :

Pauvre Boris

De qui cette réflexion ? : « J’ai étudié à fond Boris Godounov… Je méprise sincèrement la musique de Moussorgski : c’est la parodie la plus méchante et la plus vulgaire de l’art musical »

L’auteur de ce jugement a-t-il été dérouté par la modernité de Boris ? Qu’aurait-il pensé de cette mise en scène (qui date de 2018) filmée à Saint-Pétersbourg et qui résonne étrangement avec l’actualité russe de ces dernières semaines ?

Réponse *2

Bruckner le détraqué

« La musique de Bruckner n’a ni queue ni tête et cela ne souffre aucune discussion, pas plus que sa personne. C’est un pauvre détraqué que les moines de Saint-Florian ont sur la conscience » (12 janvier 1885)

Ce n’était manifestement pas l’avis de Karajan qui s’est rendu plusieurs fois à l’abbaye bénédictine de St.Florian. Ici une captation réalisée en 1979 de la Huitième symphonie – la plus longue – de Bruckner

Réponse *3

Encore une dernière, la plus célèbre sans doute de ces « vacheries » que la petite histoire de la musique a retenues :

« Monsieur Ravel refuse la Légion d’honneur, mais toute sa musique l’accepte »

Pierre Boulez est lui-même cité à plusieurs reprises dans l’article de Diapason. Il est très présent dans ce remarquable et dejà ancien ouvrage de l’ami Alain Surrans, l’actuel directeur de l’opéra de Nantes et Angers.

Réponse *1 : Mendelssohn parle de… Berlioz qui lui-même n’a jamais été avare d’une vacherie à l’égard de ses contemporains

Réponse *2 : Celui qui parle de vulgarité à propos de Moussorgski n’est autre que son contemporain Tchaikovski

Réponse *3 : On savait que Bruckner avait subi plus de quolibets que d’encouragements de la part du monde musical, on ignorait que Brahms eût la dent aussi dure contre lui !

Ansermet enfin

On savait par son biographe, l’ami François Hudry, que Decca avait prévu d’honorer le chef suisse Ernest Ansermet (1883-1969) par une monumentale réédition de son legs discographique à l’occasion des 50 ans de sa mort en 2019. Puis silence radio (lire mon billet de décembre 2021 Disques fantômes). Sur la foi d’une nouvelle date de parution annoncée pour avril 2022, j’avais commandé le premier et plus important coffret de cette édition – Ernest Ansermet, the Stéréo Years – chez l’éditeur allemand jpc.de. C’est finalement un an après la date annoncée que j’ai reçu le précieux coffret.

On n’a pas à regretter le retard pris sur la date initiale de publication, tant l’objet qui nous est livré est à tous égards remarquable.

A la différence d’autres éditeurs (Sony, Decca pour le récent Dorati/Detroit), on a ici des minutages très généreux… et des pochettes d’origine. Sur chaque pochette, figurent tous les détails qu’un mélomane curieux est en droit d’attendre, les interprètes bien sûr, les minutages, les dates et lieux précis d’enregistrement.. et de première publication, les équipes de prise de son, etc… Dans le livret quadrilingue (français, anglais, allemand, japonais), d’excellents, quoique trop brefs à notre goût, textes de François Hudry et Jon Tolansky. Et le tableau extrêmement détaillé de tous les enregistrements réalisés par Ansermet, de leurs dates de publication, etc. Un coffret « mono » doit suivre.

Je connaissais déjà la quasi totalité de ces enregistrements, et en admirais de longue date les prises de son, presque toutes réalisées au Victoria Hall de Genève, par les ingénieurs de Decca de la grande époque. De ce que j’ai pu entendre de ce nouveau coffret, les remastérisations sont impressionnantes, en ce qu’elles gomment les défauts des premières prises stéréo, sans altérer – au contraire – leur parfait équilibre. Et quand Decca annonce toutes les captations stéréo cela comprend aussi des enregistrements qu’on ne connaissait pas en CD, comme une 1ère et une 8ème symphonies de Beethoven captées en mai 1956 (sept ans avant l’intégrale des symphonies)

En terres germaniques

Quant au contenu, il permettra, on l’espère, d’élargir la perception qu’on a de ce grand chef, une fois pour toutes catalogué comme spécialiste de la musique française. On aime tellement enfermer les musiciens dans des cases…

Qu’on écoute seulement ce qu’Ansermet fait de la demi-douzaine de cantates de Bach qu’il a gravées, des symphonies parisiennes de Haydn (la première intégrale en stéréo !), bien sûr des symphonies de Brahms et Beethoven, si proches de conception de son contemporain Monteux

Les Weber, Mendelssohn, Schumann (magnifique 2ème symphonie) ne manquent ni d’élan ni de saveur.

Maître de ballet

Qui pourrait oublier qu’Ansermet a été, de 1915 à 1923, le chef des Ballets Russes, qu’il a, à ce titre, créé les partitions du Tricorne de Manuel de Falla, de Noces de Stravinsky, qu’il a étroitement connu ceux dont il dirigeait les oeuvres ! Ses enregistrements des trois grands ballets de Tchaikovski, de Coppélia de Delibes, de Glazounov, évidemment de Stravinsky (malgré la brouille qui les a séparés après la guerre, Ansermet refusant de jouer les partitions « révisées » par Stravinsky, qui, ce faisant, régénérait le compteur de ses droits d’auteur!). Dans Tchaikovski en particulier, les tempi d’Ansermet peuvent parfois surprendre, on ne doit jamais oublier que lui savait ce qu’était qu’accompagner des danseurs !

Une curiosité sans limite

On ne peut résumer ici ce que fut l’incroyable carrière du chef suisse, fondateur en 1918 de l’Orchestre de la Suisse Romande qu’il dirigea jusqu’en 1967, ni l’étendue de ses curiosités et de ses répertoires. Mais on en trouve, dans ce coffret, l’éclatant témoignage.

De Sibelius, il a laissé deux symphonies, dont une surprenante Quatrième :

En septembre 1968 pour l’un de ses tout derniers enregistrements, il grave la 3ème symphonie d’Albéric Magnard.

Il n’oublie jamais ses contemporains suisses, Honegger bien sûr (c’est Ansermet qui crée le poème symphonique Pacific 2.3.1, Frank Martin

On l’a bien compris, ce coffret est une malle aux trésors, qu’on n’a pas fini de redécouvrir.

Inconnus à connaître

Un bel inconnu qui a vieilli

S’il y a bien un lieu à Paris où l’on n’est jamais déçu, un gracieux écrin dans le quartier de l’Opéra, c’est bien le théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet. Jusqu’à ce dimanche 16 avril, on y donne la comédie musicale Ô mon bel inconnu de Sacha Guitry pour le livret et Reynaldo Hahn pour la musique, une production du Palazzetto Bru Zane qui avait déjà publié le disque il y a deux ans.

Je suis d’ordinaire très bon public pour ces « vieilleries » d’un répertoire si longtemps oublié ou négligé. Nombre de mes articles ici en témoignent (lire par exemple Le mois de l’opérette). Mercredi soir j’ai été plutôt déçu non pas par la mise en scène (bravo Emeline Bayart !) ou les interprètes, mais par la faiblesse du texte comme de la musique, comme je l’ai écrit dans Bachtrack : Le bel inconnu a pris un coup de vieux

Quand Luisada fait son cinéma

Comme tous ceux qui connaissent un peu le pianiste français, je savais de longue date la passion de Jean-Marc Luisada pour le cinéma, sa connaissance encyclopédique du 7ème art. On n’est donc pas surpris qu’enfin il ose en faire l’aveu par un disque magnifique (enregistré, de surcroît, dans un lieu qui m’est cher, la Salle philharmonique de Liège !).

J’imagine, même s’il ne m’en a rien dit, la difficulté pour Jean-Marc Luisada, de choisir ce programme, qui ressemble à tout sauf à un « best of ». Dans le beau livret qui nourrit ce disque, le pianiste cinéphile donne quelques clés. On appréciera le clin d’oeil de l’interprète au label qui le publie (Dolce Volta) puisqu’il ouvre son programme avec le thème de La dolce Vita !

Un bon conseil : précipitez-vous sur cet album, et si vous êtes à Paris mercredi prochain, allez écouter Luisada à la Salle Gaveau.

Méconnues mélodies

Ce n’est pas la première fois que je parle ici des bonnes affaires que propose le site allemand jpc.de (cf. mon dernier billet Inspirations).

Ne pas se fier à la photo de couverture de ce double album, mais constater la qualité de cette compilation : pour moi quelques découvertes (Bloch, Wellesz) et non des moindres.

Magnifique Sophie Koch dans les Poèmes d’automne d’Ernest Bloch :

Somptueux cycle des Symphonische Gesänge de Zemlinsky :

Voix de reines

La série n’est pas terminée… et tant mieux ! Dans la ligne de mon précédent billet (Rita, Nadia, Cécile…) les femmes sont toujours à l’honneur.

Les reines d’un soir

On était mardi soir au théâtre des Champs-Elysées pour le double récital de Marina Rebeka et Karine Deshayes. Compte-rendu complet sur Bachtrack : Les reines d’un soir

(Les deux cantatrices enregistrées pour la télévision en 2018 dans le même Théâtre des Champs-Elysées)

Jessye inédite

Ce matin je recevais un coffret commandé il y a plusieurs semaines, qui faisait déjà beaucoup parler de lui avant même sa parution. Des enregistrements inédits de la grande Jessye Norman (Les Chemins de l’amour).

L’éditeur de ce coffret, Cyrus Meher-Homji, responsable de la formidable collection Eloquence Australie – qui réédite les trésors de l’immense fonds Philips, Decca, Deutsche Grammophon – écrit à propos de ces disques sous le titre « Le fruit défendu » : « Les multiples spéculations, articles, blogs, et groupes de discussions autour des inédits de Jessye Norman trouvent aujourd’hui une réponse avec ces enregistrements réalisés entre 1989 et 1998 »« .

On va donc parcourir les 3 CD de ce coffret, sans a priori, en particulier – le 1er CD – les extraits de Tristan et Isolde captés à Leipzig du 19 au 30 mars 1998, sous la direction de Kurt Masur (avec Thomas Moser en Tristan, Hanna Schwarz en Brangäne et Ian Bostridge en jeune marin), le 2ème comporte deux cycles déjà enregistrés « officiellement » par la chanteuse, les Vier letzte Lieder de Richard Strauss en mai 1989 et les Wesendonck-Lieder de Wagner en novembre 1992, les deux fois « live » à Berlin avec James Levine à la tête des Berliner Philharmoniker. Le troisième rassemble, sous la houlette de Seiji Ozawa avec le Boston Symphony, la cantate Berenice, che fai ? de Haydn, La mort de Cléopâtre de Berlioz, et Phèdre de Britten, soit au moins deux inédits (Haydn, Britten) de la discographie de Jessye Norman. Reste la question de savoir pourquoi la chanteuse n’avait pas autorisé la sortie de ces enregistrements, et pourquoi ses héritiers sont passés outre…

Virginia Zeani (1925-2023)

La cantatrice roumaine, morte à 97 ans, n’était qu’un nom sur un CD de compilation d’airs de Puccini, jusqu’à ce que Decca réédite ce disque-récital. Elle est pour moi à jamais la Musetta de la Bohème