Chez Maxim

Il est de ces jeunes chefs que les grandes phalanges symphoniques s’arrachent, mais il est loin d’être (encore) aussi médiatisé que ses trois collègues finlandais Klaus Mäkelä, Santtu-Matias Rouvali ou Tarmo Peltokoski. Il est russe, originaire de la région de Nijni-Novgorod, au confluent de la Volga et de l’Oka, et il est temps que je lui consacre tout un billet, après l’avoir ici et là mentionné et salué sur ce blog : Maxim Emelyanychev.

Comme on le chante dans La Veuve joyeuse de Lehar – Da geh ich zu Maxim – j’aurais pu dire jeudi dernier au théâtre des Champs-Elysées : Da hör ich zu Maxim ! Et ce que j’ai entendu, je l’ai écrit pour Bachtrack : L’exultation de Maxim Emelyanychev et Sabine Devieilhe au TCE.

Maxim Emelyanychev je le connais d’abord par la rumeur – qui se répand vite dans le milieu professionnel quand on a le sentiment d’être tombé sur l’oiseau rare. Je crois bien que c’est à Toulouse que j’en ai entendu parler pour la première fois.

J’ai d’abord acheté ses premiers disques.

Ce qui m’a immédiatement frappé, en écoutant ses disques, en le regardant diriger, c’est l’absence totale de dogmatisme dans la manière d’aborder les oeuvres et les répertoires, c’est aussi et surtout l’humilité, la modestie de l’approche – il ne bombe pas le torse, ne cherche pas à épater la galerie, à prendre la pose – à la différence de tant de ses jeunes confrères. J’ai eu la chance, plus tard, de mieux le connaitre, de dîner avec lui. Comme avec un autre chef que j’adore – Santtu-Matias Rouvali – on a l’impression qu’il est en permanence branché sur le courant alternatif, non pas qu’il soit agité, mais traversé par une énergie irrésistible.

Ce qui frappe tout autant, c’est ce qu’on a remarqué jeudi soir avec l’Orchestre national de France, c’est l’éventail de ses curiosités, de ses répertoires, et cette capacité, assez unique dans le paysage musical, d’être aussi convaincant dans le baroque – c’est un formidable claveciniste et pianofortiste ! – que dans le grand répertoire romantique. Parce qu’il semble redécouvrir les oeuvres, sans posture ni excès.

À l’automne 2019, je m’étais rendu en Ecosse notamment pour rencontrer les responsables du Scottish Chamber Orchestra en prévision d’une édition 2021 du Festival Radio France que je souhaitais vouer à la musique anglaise. Finalement pour cause de pandémie, l’édition sera retardée à 2022, mais le Scottish Chamber et Maxim Emelyanychev sont bien venus à Montpellier clore une fabuleuse édition avec deux concerts, avec un soliste exceptionnel, Benjamin Grosvenor, qui avait joué deux concertos de Beethoven ! Je râle encore de l’absence des micros de France Musique…

La même joie contagieuse se retrouve dans son clavecin :

Emelyanychev a entrepris une intégrale des symphonies de Mozart. A en juger par les deux premiers volumes, on pourrait tenir là la grande version moderne de ce corpus.

Il y a dix ans (V) : l’inauguration

J’assistais jeudi dernier à un concert présenté par France Musique comme celui du 10e anniversaire de l’inauguration de l’Auditorium de la Maison de la Radio. J’ai écrit sur Bachtrack ce que j’en ai pensé : L’étrange anniversaire de l’auditorium de Radio France.

On peut réécouter sur France Musique la très belle version qu‘Edgar Moreau a donnée du 1er concerto pour violoncelle de Chostakovitch. Le reste est plus dispensable…

L’Auditorium de Radio France / 7 novembre 2024

Etrangement, Radio France semble n’avoir pas souhaité marquer l’inauguration de son Auditorium il y a juste dix ans, le 14 novembre 2014, alors que cette nouvelle salle de concerts constituait une date historique dans la vie musicale parisienne, deux mois avant une autre inauguration tout aussi marquante, celle de la Philharmonie de Paris. Il se trouve qu’à cette période j’avais la responsabilité de la direction de la Musique de Radio France sous la présidence de Mathieu Gallet, et que cette inauguration avait été accouchée certes avec enthousiasme mais non sans difficultés (lire La fête)

(France Inter, le Journal de 13h, 14 novembre 2014 / Interview JPR par Claire Servajean)

Un parcours d’obstacles

On a peine à imaginer aujourd’hui le parcours d’obstacles qu’a constitué l’organisation de cette inauguration, pour laquelle Mathieu Gallet et moi avions voulu que toutes les forces musicales, artistiques, techniques, et les antennes de Radio France soient impliquées. La Maison de la radio n’était alors clairement pas structurée comme un lieu d’accueil du public, encore moins comme des studios et salles de concert ouverts au public. Ce n’est que beaucoup plus tard, à partir de 2017 (!), que mon successeur Michel Orier serait investi de l’ensemble des responsabilités de la gestion de ces espaces et de l’accueil du public, et pourrait constituer et piloter des équipes dédiées. En novembre 2014, on essuyait les plâtres au sens propre du terme, et de l’Auditorium et du Studio 104 (ex-Olivier Messiaen). Chaque élément dépendait d’une direction différente: il nous faudrait beaucoup beaucoup de patience et de force de persuasion pour que tout finisse par fonctionner.

Le plus gros obstacle, et ce n’était pas le moindre, étant que nous voulions ouvrir grand la Maison de la radio pendant tout le week-end des 14, 15 et 16 novembre 2014… alors que même les antennes, a fortiori tous les services fonctionnaient au ralenti. Mathieu Gallet avait eu une formule heureuse… qui n’avait pas manqué de susciter des remous dans une organisation aussi figée : il souhaitait une Maison de la Radio en format VSD (en référence à l’hebdomadaire éponyme).

Et je dois bien dire que beaucoup doutaient en interne de la réussite d’une opération de « musique classique » avec autant de concerts et d’émissions dans un lieu excentré de Paris, qu’on a toujours décrit comme peu accessible. Les photos prises pendant le week-end en témoignent, les chiffres de fréquentation ont dépassé toutes nos espérances et fait taire les Cassandre.

Quel(s) programme(s) ?

Mais tout ce que je viens de décrire n’était rien par rapport à la programmation des concerts inauguraux. Je pense que Mathieu Gallet, nommé par le CSA PDG de Radio France le 27 février 2014, n’avait pas un seul instant imaginé que ce serait l’un des épisodes les plus compliqués de sa présidence, Nous en avons souri, et même ri après coup, mais les négociations qu’il a fallu conduire avec les chefs des deux orchestres, les représentants des musiciens – des centaines de mails en témoignent ! – ont été himalayesques. Il faut se rappeler que la concurrence entre les deux orchestres (le National et le Philhar’) était à son comble, attisée, il est vrai, par la mise en oeuvre, jugée à l’époque « trop brutale », du projet de réorganisation de la Direction de la Musique que Mathieu Gallet avait présenté devant le CSA et que j’avais entamé dès mon entrée en fonction (Ma part de vérité).

Je peux le dire maintenant, sans trahir de secret professionnel, mais des promesses avaient été faites par le prédécesseur de Mathieu Gallet à Daniele Gatti : ce serait lui et l’Orchestre national qui seraient les premiers et principaux utilisateurs de l’Auditorium et qui donc feraient le concert inaugural. Allez, après cela, expliquer à l’orchestre philharmonique de Radio France et à son chef qu’ils passeraient en second, alors qu’ils avaient la certitude, alimentée par la rumeur d’un certain microcosme parisien, d’être infiniment supérieurs à leurs collègues du National !

On passera toutes les étapes de cette négociation (qui ne s’acheva que la veille de l’inauguration !). Au départ chaque orchestre/chef voulait jouer tout un concert, le même soir, et si possible avec quasiment le même programme (le Boléro de Ravel of course), dans l’Auditorium bien sûr ! Je suggérai qu’on utilise à tour de rôle les deux salles, le Studio 104 et l’Auditorium. On regarda toutes les formules possibles, mais presque jusqu’à la fin, les deux chefs, Gatti et Chung (qui, il faut quand même le relever, ne se sont jamais adressé la parole, ni même serré la main, durant toute la durée de leurs mandats respectifs !) s’en tenaient à leur programme Ravel. Les choses en étaient à un point tel qu’il nous fut impossible de communiquer à la presse, aux invités et au public, le programme de l’inauguration ! Finalement, Mathieu Gallet siffla la fin de la récréation et valida ma proposition, arrachée de haute lutte : il y aurait le 14 novembre 2014 un seul concert dans le tout nouvel Auditorium, en deux parties de moins d’une heure chacune : ouvrant le bal, l’Orchestre national de France et Daniele Gatti avec « Slava’s Fanfare » de Dutilleux, l’ouverture de Tannhäuser de Wagner, la suite du Chevalier à la rose de Richard Strauss.. et le Boléro de Ravel, puis après l’entracte l’Orchestre philharmonique de Radio France et Myung-Whun Chung, une suite tirée du ballet Roméo et Juliette de Prokofiev, Ave verum corpus de Mozart et la 2e suite de Daphnis et Chloé de Ravel, avec la participation du Choeur de Radio France (qu’on retrouverait pour son propre concert durant le week-end).

(L’émotion d’une première répétition dans le tout nouvel Auditorium !)

On peut réécouter ce concert sur France Musique !

Aujourd’hui plus personne ne doute de la pertinence et de la nécessité des deux salles de concert de la Maison de la Radio et de la Musique. Comme pour la Philharmonie – j’en reparlerai en janvier – ces nouveaux lieux ont attiré de nouveaux publics, profondément renouvelé les modes d’accès à la musique classique.

Disparues

Elles ont quasiment disparu des concerts classiques, et sont devenues d’absolues raretés au disque. Je veux parler des ouvertures, ces pièces d’orchestre spectaculaires d’abord conçues par les compositeurs d’opéra comme des préludes exposant les principaux thèmes de l’ouvrage, mais de plus en plus souvent comme des morceaux autonomes dans la période romantique.

Tous les grands chefs, tous les grands orchestres se devaient d’enregistrer des disques d’ouvertures, et tout programme traditionnel de concert en comportait généralement une en guise d’apéritif, jusqu’à ce que la mode passe complètement. Depuis quand n’ai-je pas entendu une ouverture de Rossini, Beethoven ou Mozart à un concert parisien ? Trop ringard ?

Heureusement il reste quelques précieux trésors dans une discographie qui ne s’est guère renouvelée.

Au sommet de la pile, l’austère Fritz Reiner et son disque hallucinant (et halluciné) d’ouvertures de Rossini. Personne n’a jamais atteint ce degré de folie, et de perfection orchestrale : écoutez seulement l’accélération finale de cette ouverture de Cenerentola

Avec d’autres moyens, une évidente élégance peut-être plus « italienne » que Reiner, Giulini a lui aussi peu de concurrents.

Avec Weber, on est toujours dans le registre des ouvertures d’opéra. Celle du Freischütz est l’une des plus achevées qui soient, mais les chefs ne réussissent pas toujours à traduire les frémissements de ce premier romantisme. J’ai gardé une admiration intacte pour ce disque de Karajan acheté en 1973.

Plus difficiles encore à réussir, certaines ouvertures de Beethoven, comme celle de la musique de scène d’Egmont, qui sous nombre de baguettes même illustres restent bien placides. Ici, faisons abstraction de cette manière de filmer, et faisons comme le chef, fermons les yeux, en écoutant le torrent de passion qui emporte tout sur son passage

Du « poème dramatique » de Schumann, Manfred, on ne joue plus guère que l’ouverture. Nul, à mes oreilles, n’atteint la fougue, la passion d’un Charles Munch, dès les premiers accords jetés à la face de l’auditeur :

Johannes Brahms compose deux « ouvertures » qui ne sont plus des préludes à un opéra ou une musique de scène, mais des sortes de poèmes symphoniques. Elles datent toutes deux de 1880, et le titre de « tragique » de l’une ne se conçoit que par opposition d’humeur à l’autre (voir ci-après). De nouveau Charles Munch à Boston y est exceptionnel !

Un mot de cette ouverture « académique » qui n’a rien d’académique, dans l’acception péjorative du terme, mais a tout à voir avec un événement universitaire, donc académique, puisque écrite par Brahms en 1880 à l’occasion de sa nomination comme Docteur honoris causa de l’université de Breslau (aujourd’hui Wroclaw en Pologne). Brahms y cite quelques chansons estudiantines et conclut l’ouverture par l’hymne des étudiants Gaudeamus igitur

J’ai fait jouer une fois à Liège, à l’occasion d’une présentation au public de la saison, une autre ouverture, beaucoup moins connue – le bibliothécaire de l’orchestre avait eu bien du mal à trouver la partition ! – d’une opérette de Franz von Suppé, Flotte Bursche (littéralement « Des jeunes gens bien« ) qui reprend le même thème (à 3’15)

Les plus attentifs remarqueront à 4’18 » une citation d’une pièce virtuose de Beethoven, le rondo a capriccio « pour un sou perdu »

Les seules exceptions à cette disparition des ouvertures en concert ou au disque sont peut-être les ouvertures de Berlioz (en général Le Carnaval romain ou Le Corsaire)

Avec Tchaikovski, le terme « ouverture » prend plus la forme d’un poème symphonique, qu’il l’assortisse ou non d’un complément comme pour l’ouverture-fantaisie Roméo et Juliette. Même si on l’entend peu au concert, elle reste assez présente au disque (comme dans la récente publication de l’orchestre philharmonique de Strasbourg et de son chef Aziz Shokhakimov)

Kirill Kondrachine mieux qu’aucun autre dit tout ce que cette musique révèle et recèle :

En scènes : Alagna, Sawallisch et le Domino noir

Roberto le sexygénaire

Comme souvent, les publications ont un métro/train/avion de retard. Roberto Alagna, notre ténor/trésor national a fêté ses 60 ans le 7 juin… 2023, mais ce n’est que maintenant que sortent disques et coffrets qui célèbrent son passage dans la catégorie des sexygénaires !

J’invite à relire ce précédent article : Un miracle qui dure et le long portrait que Sylvain Fort avait consacré à Roberto Alagna dans Forumopera, comme le texte qu’il avait signé pour ce premier coffret paru en 2018

Aujourd’hui Warner réédite l’intégrale des opéras auxquels Alagna a prêté sa voix et son talent, souvent en compagnie de son ex-épouse Angela Gheorghiu.

Que du connu et du reconnu ! Mais quel bonheur de retrouver intact ce timbre de lumière, cette fougue juvénile, et cette diction si parfaite !

Aparté publie, de son côté, un disque au titre explicite : Roberto Alagna y révèle le secret de son éternelle jeunesse.

Sawallisch suite et fin

En mai dernier, comme pour les 60 ans d’Alagna, je regrettais le retard mis à célébrer le centenaire de l’un des grands chefs du XXe siècle, Wolfgang Sawallisch (1923-2013). Lire : Les retards d’un centenaire.

Heureusement, Decca et Warner se sont bien rattrapés et on n’attendait plus que le complément annoncé : l’intégrale – ou presque – des opéras enregistrés par Sawallisch, pour l’essentiel à Munich dont il fut le Generalmusikdirektor incontesté de 1971 à 1992. Mais Warner précise – et c’est bien de le faire – que, même parus jadis sous étiquette EMI, Arabella et Friedenstag, ne sont pas inclus dans ce coffret pour des questions de droits.

Wagner et Richard Strauss s’y taillent la part du lion, mais ce coffret contient de vraies raretés comme Weber, Schubert ou les deux brefs opéras de Carl Orff.

Mozart: La flûte enchantée
Weber: Abu Hassan
Schubert: Die Zwillingsbrüder
Wagner: Der Ring des Nibelungen, Les Maîtres-Chanteurs de Nuremberg
Richard Strauss: Capriccio, Intermezzo, Die Frau ohne Schatten, Elektra
Carl Orff: Die Kluge, Der Mond

Mais je conserve une affection toute particulière pour ma toute première version de La flûte enchantée, le premier coffret d’opéra que j’ai acheté à sa sortie en 1973, avec celle qui est à jamais la plus extraordinaire Reine de la nuit, l’immense Edda Moser.

Je recommande très vivement ce coffret :

Auber à l’Opéra-Comique

On avait adoré Le Domino noir donné au printemps 2018 à l’Opéra-Comique (voir L’esprit Auber). Ce fut pour moi la dernière occasion d’applaudir Patrick Davin, si brutalement arraché à notre affection il y a un peu plus de quatre ans déjà. Pour le compte de Bachtrack, j’ai eu la chance d’assister à la première de la reprise de cette formidable production, dirigée cette fois par le maître des lieux, Louis Langrée. Mon compte-rendu vient de paraître : La reprise triomphale du Domino noir à l’Opéra Comique.

Ses amis furent heureux, à l’issue de cette première, d’assister à la remise de la Croix de Commandeur des Arts et Lettres à celui qui a bien mérité de la culture et de la musique française.

Paris 2024 : les classiques de l’ouverture

Retour sur la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris : tous, même les grincheux et coincés que je brocardais dans mon dernier billet (Hymnes à l’amour), ont noté que Thomas Jolly n’avait pas oublié de faire une place à la musique et aux musiciens classiques. Comment aurait-il pu négliger ce qui fait une part essentielle de son activité de metteur en scène (Macbeth Underworld de Pascal Dusapin, Fantasio d’Offenbach – les deux donnés à l’Opéra-ComiqueRoméo et Juliette de Gounod à l’Opéra de Paris, pour ne citer que les plus récentes productions, et bien sûr Starmania à la Seine musicale) !

Mais le plus remarquable, et c’est une vraie différence avec les quelques très rares émissions de télévision dévolues à la musique classique, Thomas Jolly a respecté les artistes, les compositeurs et les oeuvres, même dans la contrainte d’un spectacle d’une telle ampleur qui n’avait certes pas prévu le déluge qui a arrosé la cérémonie ! Il a aussi évité d’inviter les stars habituelles des plateaux télé, on ne citera pas de noms (l’un d’eux, sans doute vexé de ne pas être de la fête, a ostensiblement posté vendredi une photo de lui avec ses deux filles à la plage !). Il a ainsi fait découvrir à des millions de téléspectateurs, en France et dans le monde, des talents qui n’étaient souvent connus que d’un cercle restreint de mélomanes.

Reprenons le fil de la cérémonie

Félicien Brut

Félicien a été un abonné du Festival Radio France, où je n’oublie pas qu’il avait accepté de relever le défi d’un « Festival autrement » à l’été 2020 après que nous avions dû annuler l’édition prévue pour cause de pandémie (voir Demandez le programme) :

Il avait remis cela en 2021 – La fête continue – avec une belle bande de copains, Jordan Victoria, Thomas Enhco, Thibaut Garcia, Édouard Macarez pour un hommage survolté à Piazzolla !

Mais l’image de Félicien Brut (on ne prononce pas le « t » final) juché sur le pont d’Austerlitz, apparaissant après l’écran de fumée tricolore, au tout début de la cérémonie, restera, pour lui, pour les Auvergnats (lire dans La Montagne : Félicien Brut a illuminé la cérémonie d’ouverture), pour nous tous, un moment de grâce poétique.

Marina Viotti

La grande soeur de Lorenzo Viotti, la fille chérie du chef Marcello Viotti (1954-2005) a fait le bonheur des mélomanes parisiens ces deux dernières saisons, après sa nomination aux Victoires de la musique classique en 2023. Dans la cérémonie d’ouverture, elle a fait partie de l’un des tableaux les plus puissants, en interprétant la chanson révolutionnaire Ah ça ira avec le groupe de heavy metal Gojira, et surtout un extrait de Carmen

Jakub Jozef Orlinski

L’apparition de Jakub Józef Orliński, en breakdancer puis chanteur, fut un peu décousue et mal filmée.

Mais cela m’a rappelé combien l’artiste est aussi doué que très sympathique. Souvenir d’une belle soirée au Festival Radio France en juillet 2021.

Alexandre Kantorow ou le piano englouti

On se rappellera longtemps cette image d’Alexandre Kantorow (maintes fois célébré sur ce blog) jouant les Jeux d’eau de Ravel sous le déluge…

La nouvelle Marseillaise

Quelle idée géniale d’avoir confié à l’une des jeunes chanteuses françaises les plus prometteuses, lauréate du concours Voix d’Outre Mer 2023, Axelle Saint-Cirel, le soin de chanter La Marseillaise !

On se souviendra d’elle comme d’une autre de ses illustres aînées, Jessye Norman, sur la place de la Concorde pour le bicentenaire de la Révolution, en 1989.

Il faut évidemment aussi mentionner la Maîtrise, le Choeur de Radio France et l’Orchestre national de France, leur chef Cristian Macelaru… qui n’ont pas non plus échappé à la pluie et qu’on a à peine aperçus…

La victoire de la musique

Je me suis souvent exprimé ici sur les Victoires de la musique classique, avec d’autant plus de liberté que c’est moi qui avais jadis décidé d’associer France Musique à cette manifestation. Je note d’ailleurs qu’aujourd’hui le président de ces Victoires n’est autre que le directeur de France Musique, Marc Voinchet . CQFD !

Victoires 2024

Je n’ai pu suivre que la fin de la cérémonie d’hier – j’avais une bonne excuse, un concert à la Maison de la radio (critique à suivre sur Bachtrack) – mais ce que j’en ai vu et les récompenses attribuées m’ont fait bonne impression. Juste une remarque quant à la présentation : quand Frédéric Lodéon tenait la barre de ces soirées (il l’a fait jusqu’en 2018), peu importait le ou la comparse qu’on lui adjoignait, il dominait le sujet sans conteste possible. Depuis lors, comme pour toutes les manifestations musicales, on nous impose un Stéphane Bern plus guindé que jamais dans un style qui n’est plus supportable pour parler de musique et de musiciens classiques. Quel contraste hier soir avec Clément Rochefort, l’un des meilleurs producteurs que France Musique ait recrutés et formés depuis longtemps ! Que n’a-t-on laissé ce dernier piloter seul la soirée !

(Avec Clément Rochefort dans les studios de France Bleu Hérault à Montpellier en 2019)

Joie de revoir ma chère Karine Deshayes, plus éblouissante que jamais en ce 29 février – jour anniversaire de Rossini ! – avec son complice Florian Sempey. Dommage qu’il y ait eu quelques soucis de micro dans cet extrait, mais cela ne gâche pas notre plaisir… et notre admiration pour ces chanteurs.

Pas beaucoup de surprise à l’annonce des lauréats comme soliste instrumental – Alexandre Kantorow ne quitte guère les sommets qu’il a atteints depuis sa m&daille d’or au Concours Tchaikovski 2019 – ou soliste vocal – le ténor Benjamin Bernheim qui doit chanter Roméo et Juliette au Metropolitan Opera de New York dans quelques jours. Heureux que Marie Jacquot soit distinguée comme « révélation chef d’orchestre », quoique cet intitulé me paraisse à la limite du ridicule s’agissant d’une musicienne à qui sont déjà confiées d’importantes responsabilités.

Comme le public, je découvre les talents de la compositrice Florentine Mulsant, de la gambiste Salomé Gasselin ou encore de la jeune mezzo-soprano Juliette Mey.

Plus étrange est la nomination dans la catégorie « Enregistrement » du coffret d’hommage à Nicholas Angelich. On se demande d’ailleurs si cette récompense attribuée à un seul disque classique est pertinente : il y a une telle production qui n’est plus et de loin l’apanage du seul CD qu’il est illusoire de prétendre distinguer « le meilleur enregistrement . Ici, il eût été ô combien plus pertinent que ce coffret soit placé hors catégorie.

Le génie de Moussorgski

Mercredi soir, j’assistais à la première de la série de représentations de Boris Godounov proposées jusqu’au 7 mars par le théâtre des Champs-Elysées. J’ai rendu compte pour Bachtrack de cette production créée à Toulouse en décembre dernier : Les grosses ficelles d’Olivier Py dans Boris Godounov au théâtre des Champs-Elysées.

Mais si l’on fait abstraction de ces trucs de mise en scène, et de la relative déception d’une direction assez banale, il faut louer sans réserve tous les chanteurs de cette production (ce sont les mêmes à Toulouse et à Paris), dont la star aurait dû être Mathias Goerne dans une prise de rôle pour lui. Le baryton allemand ayant déclaré forfait, il a été, très avantageusement, remplacé par Alexander Roslavets dans le rôle-titre

Au cas où on n’aurait pas compris la fine allusion au tsar Boris (Poutine) recevant au Kremlin le prince Chouiski (Macron)

Comme je l’écris dans Bachtrack, je songeais en écoutant Roslavets à ce qui s’était passé, il y a 111 ans, sur cette même scène : pour la saison inaugurale du théâtre construit par Auguste Perret, c’est le grand Fiodor Chaliapine qui reprenait le rôle-titre du chef-d’oeuvre de Moussorgski, qu’il avait chanté cinq ans plus tôt au Châtelet.

Making of

Qu’on ne se méprenne pas sur le titre de ce billet ! Je n’ai rien à révéler des coulisses de la formation du nouveau gouvernement de Gabriel Attal. Juste un mot ici pour dire : bien joué !

Je suis allé dès cet après-midi, ce qui m’arrive très rarement, voir le nouveau film de Cédric Kahn « Making of » ou Le monde merveilleux du cinéma !

Je n’avais lu aucune critique auparavant. Ce n’est qu’après coup que je lis Télérama (Un réalisateur commence à peine à tourner son film, et l’affaire prend l’eau. Servie par un casting hors compétition, la comédie de l’auteur du “Procès Goldman” réussit aussi à émouvoir) ou L’Obs (A force de courir mille lièvres à la fois, « Making of » perd parfois de son mordant mais dresse un portrait assez juste des « professionnels de la profession » et, par extension, d’un pays, le nôtre, au bord de la crise de nerfs, où, quand tout fout le camp, seul le refuge du sentiment amoureux, peut – comme pour Simon –, allumer des contrefeux). Je ne partage pas l’avis du Monde qui trouve que Cédric Kahn a chargé son film de trop d’intentions.

Cédric Kahn évite deux écueils : le manichéisme et le démonstratif. C’est une comédie, pas un documentaire, portée par des acteurs assez étonnants. Jonathan Cohen joue dans un registre que je ne lui connaissais pas, se mouvant avec une aisance confondante entre les deux personnages que Kahn lui fait interpréter, le leader gréviste du film qu’est en train de tourner Simon (fabuleux Denis Podalydès) et l’acteur star qui la ramène en permanence au point de fatiguer tout le monde. Deux découvertes pour moi : Souhella Yacoub, un profil à la Exarkopoulos, mais tellement plus sympathique, et le tout jeune Stefan Crépon qui joue le figurant qui parvient à convaincre Simon de réaliser le… making of du tournage. Il paraît que le garçon (26 ans) joue dans deux épisodes du Bureau des légendes, il faudra que je les revoie.

Berlioz et Mitropoulos

L’autre atout de ce film est sa bande-son qui n’a pas manqué de me frapper. Je ne sais s’il faut en féliciter directement Cédric Kahn ou son « illustrateur musical » comme on dit dans le métier, mais c’est une fameuse idée que d’avoir choisi plusieurs extraits symphoniques de Roméo et Juliette de Berlioz, dans une version qui manifestement n’était pas récente et que j’ai essayé, tout au long du film, de reconnaître. Ce n’était ni Giulini, ni Muti, ni Munch, mais souvent plus heurté, plus dramatique : c’était Dmitri Mitropoulos comme je l’ai vu à la toute fin du générique final. J’avoue que si je connais bien la formidable version du chef américain de la Symphonie fantastique, j’ignorais même qu’il eût enregistré ces passages symphoniques de Roméo et Juliette. Merci à Cédric Kahn pour cette découverte !

Prokofiev, Ozon, Paris années 20/30

Le nouveau « Crime » d’Ozon

Avant-première hier, dans une salle que j’affectionne – Le Conti à L’Isle-Adam, confortable, accueillant, soucieux de son public – du nouveau film de François Ozon « Mon Crime« .

Rien à retirer ou ajouter à ce que j’écrivais déjà ici du cinéaste de Huit femmes ou Franz : « On est rarement déçu par un film de François OzonMême si, comme avec Woody Allen, les réussites sont inégales. »

En l’occurrence, Mon Crime est une totale réussite. J’ai adoré du début à la fin : casting d’enfer – savoureux petits rôles – lumineuse Nadia Tereszkiewicz (il faudra que Jamel Debbouze apprenne à prononcer son nom la prochaine fois qu’elle aura un César !) découverte, pour ma part, dans Les Amandiers, affriolante Isabelle Huppert…Une histoire, des décors, quantité de sous-entendus, de clins d’oeil, une réalisation au cordeau.

Prokofiev à Paris

Le scénario du film d’Ozon est inspiré d’une pièce de théâtre de Georges Berr et Louis Verneuil (1934). Serge Prokofiev n’aura pas eu l’occasion de la voir, il est alors de retour en URSS.

Prokofiev est mort le 5 mars 1953, officiellement le même jour que Staline, sauf qu’on sait maintenant que le « petit père des peuples » avait passé l’arme à gauche quelques jours auparavant (voir ou revoir à ce sujet le film de 2009 de Marc Dugain « Une exécution ordinaire » où – lien avec le film d’Ozon – André Dussollier compose un Joseph Staline absolument étonnant).

Comme Classica en février (lire Les deux Serge) qui dressait un parallèle entre Rachmaninov et Prokofiev, Diapason de mars consacre sa une au seul Prokofiev.

On ne va pas se livrer au jeu, bien inutile, de la comparaison entre les deux magazines des dossiers consacrés à Prokofiev, plus traditionnel chez Diapason avec André Lischke, sous un angle plus historique et littéraire chez Classica avec Laetitia Le Guay.

Attardons-nous sur le Prokofiev parisien qui va livrer deux musiques de ballet aux Ballets Russes :

Le bouffon (Chout/шут), créé le 17 mai 1921 au théâtre de la Gaité. La suite que Prokofiev en tire en 1922 est une sorte de manifeste de la modernité, même si huit ans plus tôt Stravinsky a déjà tout dit avec son Sacre du printemps

Le fils prodigue, créé le 21 mai 1929 – dernière création des Ballets Russes, trois mois avant la disparition de Diaghilev.

La discographie des ballets de Prokofiev, en dehors des deux monuments que sont Cendrillon et Roméo et Juliette, reste assez limitée. Pas sûr que le coffret annoncé par Warner pompeusement intitulé Prokofiev : The Collector’s Edition, comble ces lacunes.

Rojdestvenski reste une référence insurpassée.

A suivre !

Feu sacré

#FestivalRF22 #SoBritish

Barry l’Irlandais

Je l’ai voulu so British, le Festival Radio France est entré samedi de plain pied dans sa thématique, après le succès de la version ténor d’Hamlet… d’Ambroise Thomas (lire l’excellent papier de Clément Mariage sur Forumopera : Être Hamlet), c’était la présence remarquable et remarquée de mon cher Barry Douglas, natif de Belfast, qui inaugurait les diffusions en direct du Festival sur France Musique.

Sur francemusique.fr on peut en effet réécouter un récital dont le programme avait été spécialement composé pour le festival : deux nocturnes de John Field, inventeur d’un genre que Chopin a porté à la perfection, la première française de Clandeboye Overture (2021) du jeune compositeur irlandais Sean Doherty présent au concert, les quatre impromptus D 935 de Schubert, et en seconde partie les dix pièces pour piano reprises par Prokofiev lui-même de son ballet Roméo et Juliette.

de gauche à droite Sean Doherty, JPR, Barry Douglas.

Royaux chanteurs

Les King’s Singers, c’est un mythe. Les spectateurs de Montpellier ne s’y sont pas trompés, on n’était pas loin de la salle comble à l’Opéra Berlioz du Corum lundi soir. Et quelle ambiance !

C’est une chose d’avoir souvent entendu au disque l’ensemble vocal britannique le plus célèbre au monde

c’en est évidemment une toute autre de les entendre – enfin – en vrai (et de pouvoir les réécouter intégralement sur francemusique.fr ! merci France Musique !).

De gauche à droite, Patrick Dunachie, Edward Button, Julian Gregory, Christopher Bruerton, Nick Ashby, Jonathan Howard

Admirables, adorables, ces super professionnels sont d’exquises personnes, généreuses de leur talent, de leur temps consacré au public, et de leur répertoire qui semble sans limite. Ils sont encore ce soir à l’Abbatiale de Saint-Gilles (Gard)…

Le Sacre méditerranéen

Hier soir, toujours en direct et en réécoute sur France Musique, un autre événement du #FestivalRF22, le jeune chef anglais Duncan Ward et surtout l’Orchestre des jeunes de la Méditerranée (OJM), formidable rassemblement de musiciens de 16 à 26 ans de 22 nationalités différentes du pourtour de la Méditerranée.

Avant ce concert, un Tea Time auquel on avait convié Lionel Esparza, l’auteur d’un très remarqué Stravinsky. Prélude à la seconde partie du concert qui devait nous offrir un Sacre du printemps plus sauvage que jamais !

L’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée et Duncan Ward avaient choisi, en première partie, l’élégant D’un matin de printemps (1917) de Lili Boulanger (1893-1918), puis une surprise, une création collective à laquelle participaient Adriana Bignagni Lesca, mezzo-soprano Jawa Manla, chant, oud, Fabiana Manfredi, chant, Islem Jemaï, chant, oud, Omar Ababji, chant, luth, Panagiotis Lazaridis, clarinette, Matteo Nicolin, guitare.

Adriana Bignani Lesca, l’OJM et Duncan Ward terminaient la première partie par les Cinco Canciónes negras du Catalan Xavier Montsalvatge.

Et puis un Sacre du printemps qui restera longtemps dans la mémoire de cette centaine de jeunes musiciens et d’un public qui les a longuement applaudis.

Parlez moi d’amour

Je voulais à mon tour dire deux ou trois choses sur la campagne présidentielle. J’y renonce… provisoirement. À quoi bon se lamenter ?

Je préfère me réjouir – et partager cela – de ce que j’ai écouté et lu ces jours-ci.

Louis le grand

Dans un magazine municipal distribué dans les boîtes aux lettres du centre de Paris, l’heureuse surprise : la couverture avec la photo de Louis Langrée et deux pleines pages d’interview du nouveau directeur général de l’Opéra Comique.

À mille lieues de la novlangue techno et du sabir cultureux qui imprègnent tant de discours et d’écrits, Louis Langrée dit des choses simples, belles, fortes, évidentes : En parlant de l’Opéra Comique « son histoire, la beauté de ce lieu et sa vocation même – un opéra pour le peuple – tout ici me parle. Les opéras comiques ne racontent pas des histoires d’empereurs romains, de déesses grecques, ils parlent de nous. D’ailleurs ma perception du terme « théâtre national » a changé : avant je l’envisageais comme une institution importante voire gigantesque. Maintenant je le vois comme une partie de notre patrimoine commun, c’est à chacun d’entre nous d’en prendre soin. Ce lieu doit accueillir tout le monde et aller vers tout le monde ». Le reste de l’interview fourmille d’idées, tellement lumineuses (l’aménagement de la place Boieldieu devant l’Opéra Comique « comme une oasis, une ruche, un lieu de ressourcement ») qu’on se demande pourquoi elles n’ont jamais été formulées auparavant.

Louis L. futur ministre ?

Le Roméo de Pierre B.

Six ans après sa mort, Deutsche Grammophon a réédité, dans un très beau coffret richement documenté (livret en anglais, allemand et français), l’ensemble des enregistrements réalisés par Pierre Boulez pour le label jaune.

Rien de neuf, toute la partie XXème siècle avait déjà été rééditée, ainsi que les Mahler. Mais une Huitième de Bruckner avec les Wiener Philharmoniker, le fameux Ring de Bayreuth en 1976 en 4 Blu-Ray, ainsi que le Parsifal de 1970, ont été ajoutés, ainsi que des Berlioz que j’avais jusqu’à présent négligés, voire ignorés.
Notamment un Roméo et Juliette et des Nuits d’été, à plusieurs voix, que je n’attendais pas sous la baguette de Pierre Boulez, et qui sont, en réalité, passionnants, parce que le chef ne se croit pas obligé d’en rajouter dans des partitions où le foisonnement créatif du compositeur se suffit à lui-même.

Boulez romantique ? Oui et ô combien !

Quant à la version proposée ici des Nuits d’été – cet absolu chef-d’oeuvre – je ne me lasse pas de l’écouter depuis que je l’ai… découverte dans ce coffret ! Honte à moi de l’avoir ignorée si longtemps.