En dehors de la coquetterie d’une chevelure toujours d’un noir de jais, l’actrice disparue hier n’a jamais usé d’artifices pour masquer les flétrissures de son âge. Et pourtant et peut-être pour cela, nous l’avons toujours aimée, dès ses premiers rôles jusqu’à ses rares apparitions des dernières années. Dans le regard, dans le sourire, il y a toujours eu chez Claudia Cardinale, cette séduction bienfaisante, qui n’était jamais vulgaire ni racoleuse. Un peu comme d’Audrey Hepburn, il émanait de C.C. un charme irrésistible, une gentillesse innée. Elle n’est pas morte pour ceux qui aiment le cinéma et je vais, comme des milliers d’autres, m’empresser de revoir d’abord les films que j’ai chez moi, et ceux que des amis sûrs, comme Jean-Marc Luisada, ne manqueront pas de me conseiller :
Et puis cette musique d’une insondable tristesse – fabuleux Fellini et Nino Rota –
Otto Gerdes l’inconnu
C’est un nom que j’avais souvent vu à l’arrière des pochettes de disques Deutsche Grammophon, Otto Gerdes (1920-1989). Une fois ou deux je l’avais vu comme chef d’orchestre. Je redécouvre son legs discographique grâce à un récent coffret de la collection Eloquence.
Peut-être pas indispensable, mais avec quelques pépites qui ne sont pas négligeables, comme une très belle version de Tannhäuser et une « Nouveau Monde » de haute volée avec Berlin.
Parce que j’ai évoqué ici, au moins une fois, la figure de Robert Soëtens, créateur entre autres du 2e concerto pour violon de Prokofiev, mort centenaire en 1997, je suis régulièrement sollicité, encore tout récemment, par des lecteurs, journalistes, musicologues et autres qui s’intéressent à un personnage exceptionnel qui a traversé le XXe siècle, et connu de près l’élite musicale de la première moitié (Ravel, Milhaud, Prokofiev, etc.). Parce que Robert Soëtens m’avait confié un exemplaire du manuscrit de ses Mémoires (j’y fais référence dans cet article : Années 20).
Mais je n’arrive plus à remettre la main sur ce dossier (dans un carton vert, pourtant bien visible). Impossible que je l’aie jeté par mégarde.. J’ai dû le prêter (à quelqu’un de France Musique? de Radio France?). C »est pourquoi je fais appel ici à mes lecteurs, qui peuvent m’aider à retrouver ces précieux documents, en en parlant autour d’eux. Je vous en suis par avance infiniment reconnaissant.
Comme si sa boulimie d’enregistrements d’opéra et de mélodies ne suffisait pas à le satisfaire, Dietrich Fischer-Dieskau, dont on a célébré le centenaire le 28 mai dernier (lire absolument les dossiers de Forumopera sur le sujet), a aussi exercé comme chef d’orchestre. Cet aspect de son activité n’a pas, à ma connaissance, fait l’objet de beaucoup de commentaires, ni même de rééditions discographiques. Et pourtant ce legs est loin d’être négligeable.
J’ai ressorti de ma discothèque quelques-uns des enregistrements de DFD chef d’orchestre.
D’abord un introuvable, une des plus belles versions de la 8e (l’Inachevée) et de la 5e symphonies de Schubert, où DFD dirige le New Philharmonia
Et plus récents, pour Orfeo, les magnifiques récitals lyriques qui rassemblent les deux époux : Julia Varady et Dietrich Fischer-Dieskau (lire Julia Varady 80)
Je ne résiste pas au bonheur de revoir cette « répétition » du couple sur une mélodie de Schubert :
Ne pas louper non plus ces deux disques – il doit y avoir d’autres archives ? – qui réunissent un tout jeune pianiste à l’époque, l’Ukrainien Konstantin Lifschitz, et le vieux maître au pupitre
Au moment de boucler ce paragraphe, je tombe sur ceci, dont j’ignorais même l’existence : DFD dirigeant l’orchestre philharmonique tchèque en 1976 !
Je doute que ce disque ait été réédité en CD, mais si c’est le cas, je suis preneur d’information complémentaire
Le chanteur de l’Est
Dix ans plus jeune que Fischer-Dieskau, il a très souvent fait partie des mêmes équipes d’enregistrement d’opéra, Peter Schreier (1935-2019) revient dans ma discothèque avec un coffret très bon marché (acheté sur jpc.de) délicieusement vintage.
S’il y a bien un mot qui ne se dit qu’en allemand pour les germanophones, c’est bien celui de Schlager, qu’on peut essayer de traduire par « tube« . On n’imagine pas, quand on n’a pas vécu même pendant des vacances, dans la sphère germanique, le succès phénoménal de groupes et de chanteurs de variétés, dont les noms nous sont totalement inconnus, et qui encore aujourd’hui réjouissent le public allemand
On admirera la couverture « d’époque » de l’un des CD de ce coffret Schreier, où l’on retrouve la soprano d’origine hongroise Sylvia Geszty (1934-2018)
Pour ce tube de la chanson napolitaine, on aurait pu avoir quelque chose de moins chargé côté orchestration (!!), et une voix à la couleur plus italienne, mais il y a quand même du soleil dans la voix de Peter Schreier
Dans cette video, le chanteur explique finalement qu’il se prête à des émissions de variété pour toucher des publics qu’il n’atteindrait pas à l’opéra ou en récital. Et c’est bien aussi et surtout cela qu’il faut retenir de ce grand interprète.
Le maître remasterisé
Carlo-Maria Giulini (1914-2005) a été dûment célébré par ses maisons de disques à l’occasion de son centenaire en 2014 (lire Giulini la classe et Vieux sages). Tout ce qu’il avait fait chez EMI avait déjà été rééédité en quelques coffrets, sauf les opéras. Vingt ans après sa mort, Warner publie cette fois un coffret qui comprend tous les enregistrements du chef italien pour les labels EMI/HMV/Columbia/Electrola. Et pour que nul ne l’ignore insiste en gros et gras sur le coffret : c’est Giulini remastered !
Je viens de recevoir ce coffret commandé il y a plusieurs semaines. Je n’ai pas encore remarqué de progrès spectaculaire par rapport aux précédentes éditions, mais j’aurai peut-être des surprises !
Excellent livret dû à la plume experte et toujours informée de Remy Louis, beaux documents photographiques.
L’éditeur présente comme un inédit le concerto pour piano n°3 de Beethoven avec le pianiste Hans Richter-Haaser, Il est vrai que celui-ci ne figurait pas dans le précédent coffret thématique Giulini Concertos mais EMI l’avait déjà publié dans un indispensable coffret consacré au grand pianiste allemand (lire L’autre Richter du piano). Et à l’inverse l’enregistrement légendaire du 1er concerto pour violon de Prokofiev avec Nathan Milstein qui s’y trouvait a disparu sans explication du nouveau coffret ! Dommage…
J’ai souvent cité la collection Eloquence – dont le critique français, installé au Québec, Christophe Huss a parfaitement raconté l’histoire (lire Vingt-cinq années d’Eloquence) – et l’excellence des choix éditoriaux de son responsable Cyrus Meher-Homji. Mais les prix de ces coffrets sont exorbitants, et il faut naviguer entre les différents sites et pays pour les trouver plus raisonnables.
Coup sur coup, ce sont trois chefs d’orchestre qui sont honorés, et c’est une bonne chose que de retrouver quelques enregistrements mémorables.
Walter le Viennois
J’ai déjà écrit un article sur Walter Weller (1939-2015) au moment de son décès, et rappelé les grands disques qu’il a laissés comme chef d’orchestre.(lire Wiener Walter). Ce coffret de 20 CD rassemble tous ses enregistrements pour Decca
CD 1 BARTÓK Rhapsody Sz.27; Piano Concerto No. 1 Pascal Rogé; London Symphony Orchestra
CD 2 BARTÓK Piano Concertos Nos. 2 & 3 Pascal Rogé; London Symphony Orchestra
CD 3 BRAHMS 21 Hungarian Dances Royal Philharmonic Orchestra
CD 4 DUKAS L’Apprenti sorcier; Symphony in C major London Philharmonic Orchestra
CD 5 GRIEG Peer Gynt Royal Philharmonic Orchestra SMETANA Haakon Jarl Israel Philharmonic Orchestra
CD 9 PROKOFIEV Symphonies Nos. 1 & 7 London Symphony Orchestra
CD 10 PROKOFIEV Symphony No. 2; The Love for Three Oranges Suite London Philharmonic Orchestra
CD 11 PROKOFIEV Symphony No. 3; Scythian Suite London Philharmonic Orchestra
CD 12 PROKOFIEV Symphony No. 4; Russian Overture London Philharmonic Orchestra
CD 13 PROKOFIEV Symphony No. 5 London Symphony Orchestra
CD 14 PROKOFIEV Symphony No. 6 London Philharmonic Orchestra
CD 15 RACHMANINOFF Symphony No. 1 Orchestre de la Suisse Romande
CD 16 RACHMANINOFF Symphony No. 2 London Philharmonic Orchestra
CD 17 RACHMANINOFF Symphony No. 3; The Rock London Philharmonic Orchestra
CD 18 SHOSTAKOVICH Symphonies Nos. 1 & 9 Orchestre de la Suisse Romande
CD 19 SMETANA Má vlast Israel Philharmonic Orchestra
CD 20 Prima Donna in Vienna Pilar Lorengar; Wiener Opernorchester
Ne pas oublier le formidable Quatuor Weller, interprète particulièrement inspiré des Viennois
Frühbeck l’Espagnol
Ses parents étaient allemands, mais comme il est né à Burgos, il a tôt fait d’hispaniser son patronyme : Rafael Frühbeck de Burgos (1933-2014) est l’un de ces chefs d’orchestre qu’on voit souvent comme accompagnateur sur les pochettes de disques, et de préférence pour la musique espagnole. Image évidemment réductrice, que n’a pas eu à subir Walter Weller !
Ce coffret de 11 CD permet d’élargir notre connaissance de l’art du chef espagnol, avec plusieurs inédits en CD.
CD 1 MENDELSSOHN A Midsummer Night’s Dream: Overture, Op. 21 & Incidental Music, Op. 61 Hanneke van Bork; Alfreda Hodgson Ambrosian Singers; New Philharmonia Orchestra FIRST INTERNATIONAL RELEASE ON CD
CD 2 MENDELSSOHN A Midsummer Night’s Dream Overture, Op. 21 SCHUMANN Symphony No. 3 ‘Rhenish’ London Symphony Orchestra FIRST RELEASE ON CD
CD 3 MENDELSSOHN Violin Concerto in E minor BRUCH Violin Concerto No. 1 Ion Voicu; London Symphony Orchestra
CD 4 FALLA El amor brujo GRANADOS Intermezzo (Goyescas) RAVEL Pavane pour une infante défunte; Alborada del gracioso Nati Mistral; New Philharmonia Orchestra
CD 5 ALBÉNIZ (orch. Frühbeck de Burgos) Suite española No. 1; Cordoba New Philharmonia Orchestra
CD 6 KHACHATURIAN Piano Concerto FRANCK Variations symphoniques FAURÉ Fantaisie for Piano and Orchestra Alicia de Larrocha; London Philharmonic Orchestra
CD 7 MONTSALVATGE Concerto breve SURIÑACH Piano Concerto Alicia de Larrocha; Royal Philharmonic Orchestra
CD 8 FALLA Noches en los jardines de España ALBÉNIZ Rapsodia española TURINA Rapsodia sinfonica Alicia de Larrocha; London Philharmonic Orchestra
CD 9 RODRIGO Fantasía para un gentilhombre OHANA Tres gráficos Narciso Yepes; Orquesta Nacional de España FIRST RELEASE ON CD
CD 10 BACARISSE Guitar Concertino TORROBA Homenaje a la Seguidilla Narciso Yepes; Orquesta Nacional de España FIRST RELEASE ON CD
CD 11 OHANA Tres gráficos RUIZ-PIPO Tablas Narciso Yepes; Orquesta Nacional de España
J’avais acquis une intégrale des symphonies de Beethoven captée au Danemark, le chef étant déjà marqué par la maladie, mais délivrant une interprétation tout à fait remarquable
J’ai aussi une série de CD « live » captés avec l’orchestre philharmonique de Dresde, avec Bruckner, Richard Strauss… et rien d’espagnol !
Mais on écoute et réécoute souvent par exemple la suite d’orchestre qu’il a tirée d’Iberia d’Albeniz
et de précieux disques d’extraits de zarzuelas… qu’on ne trouve qu’en Espagne !
Atherton : Londres-Vienne
C’est un disque que j’ai de toute éternité dans ma discothèque
avec une oeuvre que je m’amusais toujours à diffuser pour piéger mes amis et/ou mes auditeurs
Cette pochade de Schoenberg – La brigade de fer -écrite au milieu de la Première guerre mondiale – révèle un aspect nettement moins sérieux et austère d’un compositeur qui continue à effrayer certains publics.
Mais jusqu’à la parution de ce nouveau coffret, je dois bien avouer que, en dehors des Schoenberg, j’ignorais la plupart des enregistrements réalisés par David Atherton et le London Sinfonietta
CD 1 MOZART Serenade K. 361 ‘Gran Partita’ FIRST RELEASE ON CD
CD 2 MOZART Serenades K. 375 & 388 Antony Pay FIRST RELEASE ON CD
CD 3 SPOHR Clarinet Concertos Nos. 1 & 2 Antony Pay FIRST RELEASE ON CD
CD 4 SCHUBERT Mass No. 4 Wind Octet D.72* Eine kleine Trauermusik Gesang der Geister über den Wassern Phyllis Bryn-Julson; Jan DeGaetani Anthony Rolfe Johnson; Malcolm King London Sinfonietta Chorus *FIRST RELEASE ON CD
CD 5 SCHOENBERG Verklärte Nacht* Serenade Op. 24 John Shirley-Quirk *FIRST INTERNATIONAL RELEASE ON CD
CD 6 SCHOENBERG Chamber Symphony No. 1* Pierrot Lunaire Ein Stelldichein* Herzgewächse* Three Pieces for Chamber Orchestra* Nachtwandler (Brettl-Lieder)* Mary Thomas; June Barton
CD 7 SCHOENBERG Wind Quintet Der Wunsch des Liebhabers* Der neue Klassizimus* Lied der Waldtaube (Gurrelieder)* Die eiserne Brigade Weihnachtsmusik* Anna Reynolds London Sinfonietta Chorus *FIRST INTERNATIONAL RELEASE ON CD
CD 8 SCHOENBERG Suite Op. 29 Ode to Napoleon Buonaparte Phantasy for Violin and Piano* Gerald English Nona Liddell; John Constable *FIRST INTERNATIONAL RELEASE ON CD
CD 9 STRAVINSKY Agon* BERG Chamber Concerto György Pauk; Paul Crossley *FIRST INTERNATIONAL RELEASE ON CD
CD 10 GERHARD Libra; Gemini; Leo FIRST RELEASE ON CD
CDs 11–12 WEILL Kleine Dreigroschenmusik Mahagonny Songspiel; Violin Concerto Happy End; Das Berliner Requiem Pantomime I; Vom Tod im Wald Mary Thomas; Meriel Dickinson Philip Langridge; Ian Partridge Benjamin Luxon; Michael Rippon Nona Liddell
CD 13 LIGETI Melodien for Orchestra Double Concerto Chamber Concerto Aurèle Nicolet; Heinz Holliger
C’est vraiment avec ce genre de publications que la collection Eloquence prouve son utilité. Grâce en soit rendue à Cyrus Meher-Homji !
C’est la triste loi des carrières fulgurantes et des jeunesses trop vite enfuies. On les adule, on les encense et on les oublie. Tout surpris de découvrir que ces artistes sont toujours vivants et en activité, même si les studios se sont depuis longtemps détournés d’eux.
Les années Béroff
J’ai d’abord été surpris de voir annoncé ce coffret, encore plus pour célébrer les 75 ans de Michel Béroff. Je l’ai commandé, reçu, et décortiqué avec un plaisir teinté de nostalgie.
Il y a donc si longtemps que j’ai passé mon diplôme de piano de mon petit Conservatoire (aujourd’hui « de région ») à Poitiers… 1973 je crois ? Le jury était présidé par… Michel Béroff (23 ans à l’époque !), avec comme acolytes Jean-Bernard Pommier et André Gorog. Au programme, il y avait, entre autres, la fantaisie en do mineur K. 475 de Mozart. J’attendais, comme les autres, le résultat des délibérations de ce prestigieux jury, lorsque le directeur du Conservatoire vint me chercher, parce que le jury voulait me voir…. Qu’avais-je donc fait ? Les trois pianistes me demandèrent de me remettre au piano, et de leur rejouer le début de la fantaisie de Mozart, parce que, me disaient-ils, ils voulaient savoir comment je faisais le début en liant les notes sans mettre de pédale. Or j’avais joué cela intuitivement, sans me poser de questions…Etrange inversion des rôles.
Je n’ai plus jamais revu Michel Béroff, même pas en concert, et ces dernières années quelquefois dans la foule d’un concert.
Mais Michel Béroff est depuis longtemps présent dans ma discothèque, pour ses concertos de Prokofiev et de Liszt avec Kurt Masur
Ce coffret (ici le détail des 42 CD) est une aubaine pour redécouvrir un talent singulier (il faut lire le portrait touchant que Jean-Charles Hoffelé dresse du pianiste français (Les années heureuses). Même si les prises de son réalisées à la salle Wagram dans les années 70 par EMI France sont loin d’être idéales.
Je ne connaissais pas plusieurs des enregistrements présents dans ce coffret, notamment un formidable disque Moussorgski qui outre Les Tableaux d’une exposition comporte nombre de pièces pour piano qui méritent d’être connues et écoutées
Le grand De Groote
J’ai profité d’une offre spéciale sur le site anglais Prestomusic.com pour acquérir un coffret de 10 CD :
Un pianiste belge, 85 ans, dont je dois avouer que je connaissais juste le nom, mais que je n’ai jamais entendu en concert ni a fortiori invité lorsque j’étais en poste à Liège. J’invite à lire le remarquable portrait qu’en faisait Jean Lacroix, dans le magazine Crescendo, à l’occasion de ses 80 ans et de la parution de deux coffrets dont celui que j’ai acheté.
Il n’est jamais trop tard pour découvrir un grand musicien. Surtout dans des répertoires où il a peu de concurrence, comme dans l’oeuvre de ses compatriotes Frédéric Van Rossum, disparu le 24 février dernier, ou Frédéric Devreese (1929-2020)
Il y a plus d’un trésor dans ce coffret. A découvrir absolument !
Et toujours le petit frère de ce blog : brevesdeblog
J’assistais jeudi dernier à un concert présenté par France Musique comme celui du 10e anniversaire de l’inauguration de l’Auditorium de la Maison de la Radio. J’ai écrit sur Bachtrack ce que j’en ai pensé : L’étrange anniversaire de l’auditorium de Radio France.
On peut réécouter sur France Musique la très belle version qu‘Edgar Moreau a donnée du 1er concerto pour violoncelle de Chostakovitch. Le reste est plus dispensable…
L’Auditorium de Radio France / 7 novembre 2024
Etrangement, Radio France semble n’avoir pas souhaité marquer l’inauguration de son Auditorium il y a juste dix ans, le 14 novembre 2014, alors que cette nouvelle salle de concerts constituait une date historique dans la vie musicale parisienne, deux mois avant une autre inauguration tout aussi marquante, celle de la Philharmonie de Paris. Il se trouve qu’à cette période j’avais la responsabilité de la direction de la Musique de Radio France sous la présidence de Mathieu Gallet, et que cette inauguration avait été accouchée certes avec enthousiasme mais non sans difficultés (lire La fête)
(France Inter, le Journal de 13h, 14 novembre 2014 / Interview JPR par Claire Servajean)
Un parcours d’obstacles
On a peine à imaginer aujourd’hui le parcours d’obstacles qu’a constitué l’organisation de cette inauguration, pour laquelle Mathieu Gallet et moi avions voulu que toutes les forces musicales, artistiques, techniques, et les antennes de Radio France soient impliquées. La Maison de la radio n’était alors clairement pas structurée comme un lieu d’accueil du public, encore moins comme des studios et salles de concert ouverts au public. Ce n’est que beaucoup plus tard, à partir de 2017 (!), que mon successeur Michel Orier serait investi de l’ensemble des responsabilités de la gestion de ces espaces et de l’accueil du public, et pourrait constituer et piloter des équipes dédiées. En novembre 2014, on essuyait les plâtres au sens propre du terme, et de l’Auditorium et du Studio 104 (ex-Olivier Messiaen). Chaque élément dépendait d’une direction différente: il nous faudrait beaucoup beaucoup de patience et de force de persuasion pour que tout finisse par fonctionner.
Le plus gros obstacle, et ce n’était pas le moindre, étant que nous voulions ouvrir grand la Maison de la radio pendant tout le week-end des 14, 15 et 16 novembre 2014… alors que même les antennes, a fortiori tous les services fonctionnaient au ralenti. Mathieu Gallet avait eu une formule heureuse… qui n’avait pas manqué de susciter des remous dans une organisation aussi figée : il souhaitait une Maison de la Radio en format VSD (en référence à l’hebdomadaire éponyme).
Et je dois bien dire que beaucoup doutaient en interne de la réussite d’une opération de « musique classique » avec autant de concerts et d’émissions dans un lieu excentré de Paris, qu’on a toujours décrit comme peu accessible. Les photos prises pendant le week-end en témoignent, les chiffres de fréquentation ont dépassé toutes nos espérances et fait taire les Cassandre.
Quel(s) programme(s)?
Mais tout ce que je viens de décrire n’était rien par rapport à la programmation des concerts inauguraux. Je pense que Mathieu Gallet, nommé par le CSA PDG de Radio France le 27 février 2014, n’avait pas un seul instant imaginé que ce serait l’un des épisodes les plus compliqués de sa présidence, Nous en avons souri, et même ri après coup, mais les négociations qu’il a fallu conduire avec les chefs des deux orchestres, les représentants des musiciens – des centaines de mails en témoignent ! – ont été himalayesques. Il faut se rappeler que la concurrence entre les deux orchestres (le National et le Philhar’) était à son comble, attisée, il est vrai, par la mise en oeuvre, jugée à l’époque « trop brutale », du projet de réorganisation de la Direction de la Musique que Mathieu Gallet avait présenté devant le CSA et que j’avais entamé dès mon entrée en fonction (Ma part de vérité).
Je peux le dire maintenant, sans trahir de secret professionnel, mais des promesses avaient été faites par le prédécesseur de Mathieu Gallet à Daniele Gatti : ce serait lui et l’Orchestre national qui seraient les premiers et principaux utilisateurs de l’Auditorium et qui donc feraient le concert inaugural. Allez, après cela, expliquer à l’orchestre philharmonique de Radio France et à son chef qu’ils passeraient en second, alors qu’ils avaient la certitude, alimentée par la rumeur d’un certain microcosme parisien, d’être infiniment supérieurs à leurs collègues du National !
On passera toutes les étapes de cette négociation (qui ne s’acheva que la veille de l’inauguration !). Au départ chaque orchestre/chef voulait jouer tout un concert, le même soir, et si possible avec quasiment le même programme (le Boléro de Ravel of course), dans l’Auditorium bien sûr ! Je suggérai qu’on utilise à tour de rôle les deux salles, le Studio 104 et l’Auditorium. On regarda toutes les formules possibles, mais presque jusqu’à la fin, les deux chefs, Gatti et Chung (qui, il faut quand même le relever, ne se sont jamais adressé la parole, ni même serré la main, durant toute la durée de leurs mandats respectifs !) s’en tenaient à leur programme Ravel. Les choses en étaient à un point tel qu’il nous fut impossible de communiquer à la presse, aux invités et au public, le programme de l’inauguration ! Finalement, Mathieu Gallet siffla la fin de la récréation et valida ma proposition, arrachée de haute lutte : il y aurait le 14 novembre 2014 un seul concert dans le tout nouvel Auditorium, en deux parties de moins d’une heure chacune : ouvrant le bal, l’Orchestre national de France et Daniele Gatti avec « Slava’s Fanfare » de Dutilleux, l’ouverture de Tannhäuser de Wagner, la suite du Chevalier à la rose de Richard Strauss.. et le Boléro de Ravel, puis après l’entracte l’Orchestre philharmonique de Radio France et Myung-Whun Chung, une suite tirée du ballet Roméo et Juliette de Prokofiev, Ave verum corpus de Mozart et la 2e suite de Daphnis et Chloé de Ravel, avec la participation du Choeur de Radio France (qu’on retrouverait pour son propre concert durant le week-end).
(L’émotion d’une première répétition dans le tout nouvel Auditorium !)
Aujourd’hui plus personne ne doute de la pertinence et de la nécessité des deux salles de concert de la Maison de la Radio et de la Musique. Comme pour la Philharmonie – j’en reparlerai en janvier – ces nouveaux lieux ont attiré de nouveaux publics, profondément renouvelé les modes d’accès à la musique classique.
Par rapport au premier coffret, cette boîte jaune comprend beaucoup d’inédits, de documents exceptionnels à propos de pianistes dont on a parfois même perdu la trace.
Pour les discophiles, le nom du pianiste russe Lev Oborine (1907-1974) est associé au violoniste David Oistrakh (mort la même année que lui !). Malgré ses prix de concours, sa carrière et sa notoriété sont restées limitées à la sphère soviétique. Compatriote plus tardif d’Oborine, le natif d’Odessa (1951) Boris Bloch a quitté l’URSS en 1974 et s’est installé depuis 1985 en Allemagne et il témoigne d’une discographie plutôt conséquente, mais je me demande où il fait carrière. Pas en France en tout cas.
Quant à Steven De Groote (1953-1989), il fait partie de ces étoiles filantes – vainqueur du concours Van Cliburn – que la maladie a fauchées dans l’éclat de leur jeunesse. Tout comme le merveilleux Youri Egorov (La nostalgie des météores) dont on a ici un Carnaval de Schumann capté « live » en 1975. Ou l’Italien Dino Ciani (1941-1974) disparu dans un accident de voiture à 32 ans !
En revanche, je dois avouer que je n’avais entendu, jusqu’à ce coffret, la Brésilienne Diana Kacso (1963-2022), Mikhaïl Faerman, Belge d’origine moldave, lauréat 1975 du concours Reine Elisabeth et professeur au conservatoire de Bruxelles, la Polonaise Ewa Poblocka, l’Américaine Zola Mae Shaulis (1942-2021).
Content de retrouver le cher Claude Helffer (1922-2004) qui ne dédaignait pas passer de Berg ou Boulez à Milhaud !
Les détails du coffret :
CD 1 CHOPIN Piano Concerto No. 2; Ballade No. 2 Études; Mazurkas; Scherzo No. 4 VLADIMIR ASHKENAZY Warsaw National Philharmonic Orchestra / Zdzisław Górzyński RACHMANINOFF 6 Études-Tableaux, Op. 33* LEV OBORIN *FIRST RELEASE ON CD
CD 2 BEETHOVEN Piano Sonata No. 6 in F major, Op. 10 No. 2 RACHMANINOFF Vocalise, Op. 34 No. 14; Lilacs, Op. 21 No. 5; Études-Tableaux Op. 33 Nos. 1 & 2, Op. 39 No. 5 BUSONI Turandots Frauengemach LISZT Figaro Fantasy, S.697 BORIS BLOCH FIRST RELEASE ON CD
CD 3 CHOPIN Piano Sonata No. 2; Polonaise, Op. 53; Prelude, Op. 28 No. 17; 3 Mazurkas; Valse, Op. 34 No. 1 MICHEL BLOCK
CD 4 DEBUSSY Préludes – Livre I (1971 recording – previously unpublished)* Children’s Corner DINO CIANI *FIRST-EVER RELEASE
CD 5 WEBER Piano Sonatas Nos. 2 & 3 DINO CIANI
CD 6 PROKOFIEV Sonata No. 6 BRAHMS Paganini Variations MIKHAIL FAERMANN SCHUMANN Carnaval* YOURI EGOROV *FIRST CD RELEASE ON DG
CD 7 BEETHOVEN Eroica Variations SCHUMANN Études symphoniques STEVEN DE GROOTE FIRST RELEASE ON CD
CD 8 BOULEZ Piano Sonata No. 2* BERG Piano Sonata, Op. 1* MILHAUD Le Carnaval d’Aix CLAUDE HELFFER Orchestre National de l’Opéra de Monte-Carlo / Louis Frémaux *FIRST RELEASE ON CD
CD 9 SCHUMANN Piano Sonata No. 2*; Novelette, Op. 21 No. 8*; 3 Fantasiestücke, Op. 111*; Nachtstücke, Op. 23 (Previously unpublished recording)° VERONICA JOCHUM VON MOLTKE *FIRST RELEASE ON CD °FIRST-EVER RELEASE
CD 10 LISZT Piano Sonata in B minor CHOPIN Polonaise-Fantaisie; Étude, Op. 10 No. 10 DIANA KACSO FIRST RELEASE ON CD
CD 11 CHOPIN Ballade Nos. 1–4; Impromptus Nos. 1–4; Berceuse JULIAN VON KAROLYI FIRST INTERNATIONAL RELEASE ON CD
CD 12 CHOPIN Sonata No. 3; Boléro; Mazurka, Op. 17 No. 4; Valse No. 14; Andante spianato et Grande Polonaise brillante JULIAN VON KAROLYI
CD 13 RAVEL Le Tombeau de Couperin STRAVINSKY Tango; Piano-Rag-Music; Trois mouvements de Pétrouchka DAVID LIVELY FIRST RELEASE ON CD
CD 14 SCHOENBERG 3 Klavierstücke, Op. 11 SCHUBERT Sonata No. 16 ALEXANDER LONQUICH FIRST RELEASE ON CD
CD 15 BEETHOVEN Piano Sonatas Nos. 8 ‘Pathétique’ & 31 ELLY NEY
CD 16 BEETHOVEN Piano Sonatas Nos. 14 ‘Moonlight’ & 23 ‘Appassionata’ ELLY NEY
CD 17 J.S. BACH Aria variata alla maniera italiana CHOPIN Scherzo No. 1 DEBUSSY Images I & II EWA POBŁOCKA FIRST RELEASE ON CD
CD 18 BEETHOVEN Piano Sonata No. 28 SCHUMANN Toccata RAVEL Gaspard de la nuit JORGE LUIS PRATS FIRST RELEASE ON CD
CD 19 J.S. BACH Goldberg Variations PROKOFIEV Piano Sonata No. 7 ZOLA MAE SHAULIS FIRST RELEASE ON CD
CD 20 J.S. BACH Toccatas, BWV 911–915 ZOLA MAE SHAULIS FIRST RELEASE ON CD
CD 21 IVES Piano Sonata No. 2 ‘Concord, Mass., 1840–1860’; Three-page Sonata ROBERTO SZIDON
CD 22 REGER Telemann Variations ERIK THEN-BERGH BEETHOVEN Diabelli Variations PAUL BAUMGARTNER
Cet octobre commence dans des couleurs plutôt sombres. Le dernier week-end avait plutôt bien commencé sous le frais soleil de Paris.
J’avais pratiquement toujours connu la Fontaine des Innocents en travaux ou à l’arrêt. Enfin la voici restaurée et remise en eau. Quel contraste avec la si laide canopée des Halles toute proche !
Autre fontaine qui a fait l’objet de deux ans de travaux de rénovation et que je n’avais pas revue depuis son inauguration il y a quelques mois, celle qui est installée sur la place Stravinsky, devant l’IRCAM et à côté du Centre Pompidou, dont les sculptures sont dues à Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely :
Je n’avais pas non plus aperçu jusque là ce « mural » sur un immeuble tout proche.
C’est l’oeuvre d’un jeune artiste ukrainien, Nikita Kravtsov, qui rappelle éloquemment une guerre qui s’éternise à nos portes (lire La Grande porte de Kiev).
Déception
Au terme de ce samedi ensoleillé, j’avais rendez-vous dans une salle que j’affectionne particulièrement – le Théâtre des Champs-Élysées – pour un concert que j’attendais avec impatience : l’Orchestre philharmonique de Vienne c’est toujours une promesse.
D’autant plus que je découvrais la nouvelle conque acoustique.
Le programme était pourtant très alléchant : Apollon musagète de Stravinsky et la 10e symphonie de Chostakovitch.
Pour me remettre de ma déception, j’ai réécouté les versions de mon coeur des deux oeuvres :
Pour la 10e de Chostakovitch, on a l’embarras du choix, mais on revient toujours à la source, au créateur de l’oeuvre, l’immense Evgueni Mravinski
Peut-on écouter « allegro » plus terrifiant que celui-ci ?
Le dernier mouvement dirigé par Kondrachine me met toujours au bord des larmes.
Deux Ozon pour un dimanche
Le soleil ayant déclaré forfait au-dessus de Paris ce dimanche, on s’est engouffré dans l’un des rares cinémas indépendants de la capitale pour voir le dernier Ozon… d’actualité : Quand vient l’automne
Ce n’est pas un grand cru, mais c’est un film bien ficelé qui se laisse regarder, surtout pour l’extraordinaire Hélène Vincent, qui en a le rôle principal. Josiane Balasko est remarquable, mais son personnage est secondaire par rapport à l’intrigue. Mention spéciale pour Pierre Lottin qui fait totalement oublier son rôle dans Les Tuche et l’inspectrice de police jouée par Sophie Guillemin. Pas indispensable, mais à voir un jour de pluie !
Ce même dimanche soir, France 2 programmait un autre film de François Ozon, sorti en 2021 : Tout s’est bien passé. André Dussollier y est magistral dans sa composition d’un vieux capitaine d’industrie après un AVC qui demande à mourir. Sophie Marceau endosse difficilement les aspects dramatiques de son rôle, mais elle y est crédible. L’apparition la plus surprenante et lumineuse est celle d’Hannah Schygulla, qui porte si bien son âge.
Bien sûr je ne suis jamais mécontent de voir réédités de glorieux enregistrements du passé, captés en studio avec tout le soin que savaient y mettre des directeurs artistiques et ingénieurs du son passés pour certains à la postérité.
Mais, comme maints articles de ce blog le montrent, j’éprouve une très nette préférence pour la musique « sur le vif », le concert, et toute la documentation – YouTube, DVD, CD – qui restitue aujourd’hui à foison des moments de musique inoubliables.
J’étais hier soir au concert de rentrée de l’Orchestre de Paris et de son chef Klaus Mäkelä. Je n’aurais pas voulu manquer ce moment, et la déception relative que j’ai éprouvée ne change rien à l’admiration que je porte au jeune chef et à un orchestre qu’il a profondément fait évoluer.
Lisa Batiashvili et Klaus Mäkelä saluent à l’issue du concerto de Tchaikovski – très réussi.
Même exercice ce soir pour l’Orchestre national de France et Cristian Macelaru. Cette fois compte-rendu à venir dans Bachtrack.
Bertini, Stokowski
Après Georges Prêtre et la réédition d’enregistrements de la SWR de ses années Stuttgart (lire L’été 24: Georges Prêtre #100), deux autres grands chefs du XXe siècle bénéficient de rééditions qui complètent utilement leur discographie.
Le chef israélien Gary Bertini (1927-2005) n’a pas eu, de son vivant, la renommée que son talent aurait dû lui valoir, sa postérité n’est guère plus fameuse. Ce que traduit une discographie plutôt réduite, mais d’une qualité exceptionnelle, comme cette intégrale des symphonies de Mahler à laquelle je reviens souvent.
On se réjouit donc de la publication de ce coffret de captations réalisées par la radio allemande SWR.
Le chef connaissait ses classiques, comme tous ceux de cette génération : admirables sont ses Mozart, Haydn, Schubert, Beethoven, étonnante est sa Symphonie fantastique de Berlioz. Mais la pépite de ce coffret est certainement cette Demoiselle élue de Debussy avec la merveilleuse Ileana Cotrubas
Quant à Leopold Stokowski (1882-1977), c’est plutôt la surabondance qui menace. Les rééditions sont multiples. Ici c’est un coffret qui regroupe des prises de concert de la BBC déjà publiées du grand chef anglais, mais qui bénéficient d’un travail spectaculaire de « remasterisation ».
On est à nouveau frappé par l’immensité du répertoire que Stokowski a abordé tout au long de sa carrière et jusqu’à un âge très avancé. Il a longtemps passé pour un chef excentrique, privilégiant le spectaculaire au respect de la partition. Stokowski vaut infiniment mieux que cette caricature : il n’est que de l’écouter dans Vaughan-Williams ou son bouleversant Alexandre Nevski de Prokofiev !
Mon voyage en Asie centrale m’a tenu éloigné quelque temps de la musique classique – c’est une saine récréation pour l’esprit et les oreilles, et il y avait tant de merveilles à découvrir ! – même si ces derniers jours m’y ont ramené (lire Sur la trace de Tamerlan).
A mon retour, j’ai eu le bonheur de trouver dans ma boîte aux lettres des coffrets, commandés pour certains il y a plusieurs semaines.
La comèteCatherine Collard
Morte à 46 ans des suites d’un cancer, Catherine Collard (1947-1993) est tôt entrée dans la légende.
J’ai un souvenir d’elle, romantique en diable. C’était à Thonon-les-Bains. La soeur de Patrick Poivre d’Arvor, un temps mariée au petit-fils de Rachmaninov, Alexandre (1933-2012) – que j’avais rencontré lors d’un dîner à Chamonix – organisait un petit festival au Château de Ripaille (elle était bien évidemment venue me demander l’aide de la Ville – j’étais alors Maire-Adjoint chargé de la Culture !). Une scène sommaire avait été installée devant la façade du château, un Steinway de concert apporté de Genève, le temps était à l’orage, mais le public clairsemé était bien décidé à écouter le récital de Catherine Collard. Une première partie classique (des sonates de Haydn je crois), et Schumann en deuxième partie. A peine la pianiste française avait-elle entamé la 2e sonate que le vent se levait, emportant la partition, suivi d’une pluie battante. L’artiste et le public eurent tout juste le temps de se réfugier dans les communs du château, je ne sais plus ce qu’il advint du piano de concert…
Quelque temps auparavant, dans le cadre de l’émission Disques en lice sur Espace 2, nous avions sélectionné une version inattendue du concerto pour piano de Schumann, parmi les centaines disponibles, au terme d’une écoute comparée toujours à l’aveugle, celle de Catherine Collard accompagnée par Michel Tabachnik (qui n’avait pas encore défrayé la chronique du funeste Ordre du temple solaire !) et l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo
Cette version reste pour moi une référence, qui conforte le statut de Catherine Collard comme une interprète particulièrement inspirée de Schumann.
Le coffret que publie Erato nous restitue, enfin, une grande part du legs schumannien de la pianiste, et c’est un bonheur sans mélange :
Dans ce coffret, de vraies raretés, plus disponibles depuis leur parution en 33 tours, les sonates pour violon et piano de Franck, Lekeu, Prokofiev et Schumann avec la violoniste française Catherine Courtois, née en 1939, lauréate de plusieurs concours (Genève, Long-Thibaud) dans les années 60, bien oubliée aujourd’hui.
On eût aimé, rêvé, que cet hommage à Catherine Collard regroupe tous les enregistrements de cette grande poétesse du piano. Ceux où elle accompagne Nathalie Stutzmann dans des disques de mélodies qui sont autant de trésors d’une discothèque…
Et bien sûr, tout ce que René Gambini lui a fait enregistrer pour Lyrinx, à un moment où la carrière de Catherine Collard connaissait le creux de la vague : encore des Schumann, de fantastiques sonates de Haydn, quasi-introuvables, des Mozart, etc…
Mais saluons le travail d’Erato/Warner ! Et remercions Anne Queffélec, Nathalie Stutzmann, Antoine Palloc et Marc Trautmann pour leurs beaux témoignages.
J’ai été surpris par l’annonce de sa disparition le 14 mars dernier, je le pensais déjà mort et enterré… un peu comme son compatriote Abbey Simon (lire Le pianiste oublié), mort quelques semaines avant son centième anniversaire. Et je m’aperçois que je n’ai jamais consacré une seule chronique sur ce blog à l’un des plus admirables pianistes du XXe siècle: Byron Janis (1928-2024). Il est plus que temps de me rattraper !
Un génie empêché
L’histoire de Byron Janis est celle d’un pianiste qui n’aurait jamais dû l’être, comme il le déclarait à Alain Lompech (Le Monde) à La Roque d’Anthéron en 1997 : « Tout jeune, j’ai eu nerfs et tendons du petit doigt sectionnés. Tout le monde pensait que je ne deviendrais jamais pianiste« . A part un disque Chopin en 1990, sa carrière, fulgurante à ses débuts, a connu une longue, très longue éclipse, comme il le racontait dans le même article : « Il y avait trente-quatre ans que je n’avais pas enregistré de disque, car je ne pouvais réaliser ce que je voulais à cause d’une arthrite. J’ai donné encore des concerts, puis plus du tout. Cette période de ma vie a été très douloureuse ; j’ai été opéré d’un pouce et je me suis remis petit à petit, alternant des phases euphoriques et d’autres de découragement«
Mais l’ami Lompech commence malicieusement son papier en rappelant que Byron Janis « est le pianiste qui aura été le plus souvent entendu en France et par le public le plus nombreux« . En effet, » de la première à la dernière d’« Apostrophes », l’Américain aura été à l’affiche du générique : c’est son enregistrement du Premier concerto de Serge Rachmaninov qui ouvrait et fermait l’émission de Bernard Pivot. Rééditée par Philips/Mercury, cette interprétation est légendaire pour d’autres raisons : c’est l’une des plus accomplies et survoltées d’une oeuvre qui vaut mieux que ce qu’en disent les détracteurs du compositeur russe. C’est aussi l’une des mieux enregistrées » (Le Monde, 1er août 1997).
L’art unique de Byron Janis ne se décrit pas, il s’écoute. Et on comprend immédiatement pourquoi le pianiste est devenu une légende : la virtuosité est phénoménale, mais jamais démonstrative, jamais cognée ni brutale. Janis a un son, un discours qui se reconnaissent tout de suite.
On a la chance de disposer depuis longtemps de la totalité de ses enregistrements, réalisés à l’ère pionnière de la première stéréo pour des labels eux aussi légendaires, Mercury et RCA.
Le label « super éco » Brilliant Classics avait réédité une grande partie de ce legs :
J’ai un mètre-étalon à l’aune duquel j’ai coutume de « mesurer » les interprètes de Chopin – la Première Ballade op.23 – J’ai longtemps été fasciné – et je le suis toujours – par Arturo Benedetti-Michelangeli dans cette oeuvre, j’ai découvert plus tard la version de Byron Janis. Je ne connais pas plus parfaite interprétation : il n’y a pas une phrase qui ne soit chantée éperdument, pas un passage bousculé ou précipité (comme on l’entend trop souvent), rien qui mette les doigts avant la musique. Bouleversant !
Pour se remémorer l’art unique de ce grand seigneur du piano, les disques bien sûr, mais aussi – heureusement – tous les témoignages qu’on peut trouver sur YouTube, comme cette Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov, captée en 1968 à Paris :
Et cette fabuleuse captation d’un concert du 30 janvier 1960 au Carnegie Hall de New York, où Byron Janis joue – magnifiquement – un répertoire où on ne l’attend pas – Mozart et son 23e concerto. Il n’est que d’écouter la suprême simplicité de sa diction dans le mouvement lent.