La série n’est pas terminée… et tant mieux ! Dans la ligne de mon précédent billet (Rita, Nadia, Cécile…) les femmes sont toujours à l’honneur.
Les reines d’un soir
On était mardi soir au théâtre des Champs-Elysées pour le double récital de Marina Rebeka et Karine Deshayes. Compte-rendu complet sur Bachtrack : Les reines d’un soir
(Les deux cantatrices enregistrées pour la télévision en 2018 dans le même Théâtre des Champs-Elysées)
Jessye inédite
Ce matin je recevais un coffret commandé il y a plusieurs semaines, qui faisait déjà beaucoup parler de lui avant même sa parution. Des enregistrements inédits de la grande Jessye Norman (Les Chemins de l’amour).
L’éditeur de ce coffret, Cyrus Meher-Homji, responsable de la formidable collection Eloquence Australie – qui réédite les trésors de l’immense fonds Philips, Decca, Deutsche Grammophon – écrit à propos de ces disques sous le titre « Le fruit défendu » : « Les multiples spéculations, articles, blogs, et groupes de discussions autour des inédits de Jessye Norman trouvent aujourd’hui une réponse avec ces enregistrements réalisés entre 1989 et 1998 »« .
On va donc parcourir les 3 CD de ce coffret, sans a priori, en particulier – le 1er CD – les extraits de Tristan et Isolde captés à Leipzig du 19 au 30 mars 1998, sous la direction de Kurt Masur (avec Thomas Moser en Tristan, Hanna Schwarz en Brangäne et Ian Bostridge en jeune marin), le 2ème comporte deux cycles déjà enregistrés « officiellement » par la chanteuse, les Vier letzte Lieder de Richard Strauss en mai 1989 et les Wesendonck-Lieder de Wagner en novembre 1992, les deux fois « live » à Berlin avec James Levine à la tête des Berliner Philharmoniker. Le troisième rassemble, sous la houlette de Seiji Ozawa avec le Boston Symphony, la cantate Berenice, che fai ? de Haydn, La mort de Cléopâtre de Berlioz, et Phèdre de Britten, soit au moins deux inédits (Haydn, Britten) de la discographie de Jessye Norman. Reste la question de savoir pourquoi la chanteuse n’avait pas autorisé la sortie de ces enregistrements, et pourquoi ses héritiers sont passés outre…
La cantatrice roumaine, morte à 97 ans, n’était qu’un nom sur un CD de compilation d’airs de Puccini, jusqu’à ce que Decca réédite ce disque-récital. Elle est pour moi à jamais la Musetta de la Bohème
Le site historique de la Bibliothèque Nationale de France, établi entre les rues Vivienne et de Richelieu dans le centre de Paris, a été fermé pendant des années – la dernière fois qu’on y était venu, Jean-PierreAngrémy (Pierre-Jean Rémy de son nom de plume) en était le président (entre 1997 et 2002). Il vient de rouvrir après une complète restauration, ou plutôt une métamorphose.
Redécouverte des lieux hier dimanche.
L’entrée se fait rue Vivienne (il est recommandé de réserver à l’avance, même si la file d’attente des visiteurs n’est pas dissuasive
La fameuse « salle ovale » surprend toujours par ses proportions… et par le silence qui y règne. Ce dimanche, la salle de lecture est comble. On entend à peine la rumeur des visiteurs qui en font le tour.
A l’étage, la galerie Mazarin, elle aussi restaurée dans sa splendeur originelle, expose quelques-uns des trésors de la BNF, et notamment quelques manuscrits de partitions célèbres, qu’on savait déposés ici mais qu’on n’avait jamais vus.
Au milieu le manuscrit du Sacre du Printemps d’Igor Strawinsky, à droite la Symphonie Fantastique de Berlioz !
De gauche à droite, la sonate Appassionata de Beethoven, le Te Deum de Marc-Antoine Charpentier, le Don Giovanni de Mozart.
Il faudra revenir, revenir souvent !
En relation avec le manuscrit de Stravinsky… et une récente visite de l’exposition consacrée à Pierre Boulez dans l’autre site de la BNF (lire Découvrir Boulez), la toute première version gravée par Pierre Boulez du Sacre du printemps.
Les amis de Karine
On ne pouvait imaginer terminer mieux ce dimanche pluvieux qu’avec ce concert célébrant les 25 ans de carrière de Karine Deshayes à l’Opéra Comique.
(Ci-dessus, le 15 juillet 2017 à Montpellier, après une représentation en concert des Puritains de Bellini, avec le chef Jader Bignamini)
Je ne sais par où commencer si je dois égrener mes souvenirs d’une chanteuse, d’une musicienne sur qui l’âge semble n’avoir aucune prise – elle a fêté ses 50 ans en début d’année -. Peut-être, comme je le rappelais hier soir à l’actuel directeur de la chaîne Marc Voinchet, l’opération que nous avions menée avec France Musique, toute une semaine de directs à l’Opéra de Lyon en septembre 1998 : Karine Deshayes, Stéphane Degout et quelques autres de leurs camarades, aujourd’hui au faîte de leur carrière, y avaient fait leurs débuts radiophoniques ! Noter que la soirée d’hier sera diffusée le 26 décembre sur France Musique !
Il y avait donc foule hier, place Boieldieu, dans la salle et sur la scène. Pour un programme peut-être trop copieux, qui n’a pas laissé s’installer le côté bande de copains qu’on eût aimé, et que Karine sans aucun doute avait souhaité. Mais on ne boudera pas son plaisir, et si tout ne fut pas de la même eau, on retiendra des presque deux heures ininterrompues que dura cet « instant lyrique », des séquences émouvantes et surtout la confirmation d’un talent, d’une personnalité que l’expérience et la maturité embellissent.
Philippe Jaroussky s’étant fait porter pâle – il devait chanter le célèbre « duo des fleurs » de Lakmé – c’est l’une des plus glorieuses Lakmé de l’histoire – entendue et applaudie sur cette même scène de l’Opéra Comique en 1998 – Natalie Dessay.. qui remplaça Jaroussky !
A la fin de ce concert, tout le monde rejoint Karine Deshayes pour le nostalgique Youkali de Kurt Weill.
Mais la soirée n’était pas tout à fait terminée, puisque, à peine sorti de l’Opéra Bastille où il chantait Don José dans Carmen, Michael Spyres se transformait en Pollione pour la Norma incandescente de Karine Deshayes !
Et tout le monde cette fois de venir saluer la « Reine des bulles » comme l’a si justement surnommée Natalie Dessay, le goût pour le champagne et les bulles de Karine Deshayes n’étant pas une légende !
Générique de cette soirée :
Catégorie chanteurs : Karine Deshayes, Natalie Dessay, Delphine Haidan, Cyrille Dubois, Michael Spyres, Paul Gay
Catégorie pianistes : Antoine Palloc, Mathieu Pordoy, Bruno Fontaine, Johan Farjot
Catégorie instrumentistes : Geneviève Laurenceau (violon) , Christian-Pierre La Marca (violoncelle), Arnaud Thorette (alto), Pierre Génisson (clarinette), André Cazalet (cor)
Avant-dernier épisode de la série Vacances 2002, la Villa Médicis, où je n’ai pas mis les pieds cette année, mon séjour romain fut relativement bref – il m’en reste à raconter notamment sur les trésors du Vatican.
Ma première fois à Rome c’était en mars 1995 à l’occasion d’un week-end – qui a failli rater – de France Musique à la Villa Médicis. Week-end dont j’avais conservé un souvenir contrasté.
Rome, la fontaine de la Piazza di Spagna et le grand escalier menant à l’église de la Trinité des Monts et en haut à gauche à la Villa Médicis / Juillet 2022
Le futur ministre ?
Je n’ai compris que bien plus tard le véritable enjeu de ce moment où France Musique n’était qu’un prétexte. Je suis tombé par hasard sur les mémoires de Jean-Pierre Angremy (de son nom de plume Pierre-Jean Rémy) où l’on comprend que le déplacement en grand appareil du PDG de Radio France Jean Maheu, du directeur de la musique Claude Samuel, du directeur de France Musique l’auteur de ces lignes, de quelques autres personnes forcément importantes, tous accompagnés de leurs conjoints, au prétexte d’assister à des concerts de pensionnaires de la Villa Médicis, dont l’écrivain à succès était alors le directeur transmis sur France Musique bien évidemment, ce déplacement donc avait pour objectif non avoué pour l’état major de la radio publique de se mettre au mieux avec celui qu’une rumeur insistante et récurrente présentait comme le probable, possible futur ministre de la Culture de Jacques Chirac bientôt élu président de la République. On était à un mois du premier tour de l’élection présidentielle de 1995, tandis que s’achevait la cohabitation Mitterrand-Balladur.
Extraits choisis de ce « Journal de Rome » :
« Noter l’arrivée de Jean Maheu et de sa femme, Isabelle. Nous nous embrassons, nous nous tutoyons. Il aurait souhaité lui-même venir à la Villa Médicis comme directeur. Un jour, brisant la glace, il m’a dit qu’il n’en était rien. Je n’en pense pas moins. Ai-je dit que Stéphane Martin, qui fut longtemps son directeur adjoint de cabinet (1) et à qui je dois ma place ici, s’est fait l’écho, comme beaucoup d’autres, du bruit qui a couru selon lequel j’intriguerais, toujours dur et ferme, pour me retrouver à la Culture ? Claude Samuel me parlera également de l’affaire. Sophie Barrouyer de France Musique (2), aussi, comme Sophie Barruel (3), petite énarque au jeune mari aussi, comme également Jean-Pierre Rousseau. Rumeur ou calomnie ? Je n’ai pas que des amis, c’est le moins que je puisse dire !«
(1) Stéphane Martin, qui a été un temps le bras droit de Claude Samuel à Radio France, est à l’époque directeur adjoint du cabinet de Jacques Toubon, ministre de la Culture. Il sera, de 1998 à 2020, le président du musée du Quai Branly
(2) J’ai l’impression que Pierre-Jean Rémy s’emmêle dans ses souvenirs, en évoquant la présence de Sophie Barrouyer…à qui j’avais succédé deux ans plus tôt (lire L’aventure France Musique)
(3) Erreur de PJR, il s’agissait de Sophie Barluet, prématurément emportée par une cruelle maladie en 2007, son « jeune mari » étant Alain Barluet, actuel correspondant du Figaro à Moscou. J’avais beaucoup apprécié Sophie Barluet comme directrice de cabinet de Jean Maheu et comme complice toujours bienveillante.
Liaison fatale ?
Suite du journal de Pierre-Jean Remy :
« SAMEDI 25 MARS. Toute la journée en direct, donc, de France Musique. En réalité, depuis vingt-quatre heures, les trois techniciens de France Musique se battent avec les Télécoms italiens, car on n’arrive pas à obtenir les canaux pour transmettre vers la France via… eh bien via Rome, tout simplement ! En 1995. il est tout de même paradoxal de voir qu’il n’y ait pas moyen de lier la Villa Médicis, au-dessus de Rome, au centre de la RAI, à Rome même. Les autres liaisons sont possibles, mais pas celle-là. Il est vrai que l’on ne travaille plus par liaison hertzienne, mais par liaison numérique câblée. Ceci expliquerait cela. Pendant vingt-quatre heures, on s’arrache progressivement les cheveux. Le 24 au soir, on est persuadé que rien ne pourra se résoudre. Samedi 25 au matin, rien ne fonctionne encore alors que la première émission en direct est prévue à 11 heures À 11 heures moins dix : miracle ! apothéose! Les canaux sont rétablis »
Pierre Jean Remy on the set of TV show « Vol de Nuit ». (Photo by Eric Fougere/VIP Images/Corbis via Getty Images)
Ce n’est faire injure à la mémoire de personne que de relater que cette situation a donné lieu à des énervements et des comportements proches du ridicule. Je savais, comme responsable de l’antenne, que les techniciens de Radio France faisaient tout leur possible pour trouver une solution (au pire on pouvait enregistrer les émissions et concerts prévus et les diffuser ultérieurement de Paris). Mais il fallait bien que le PDG de Radio France justifiât sa présence à Rome et manifestât son autorité. Il se mit en tête après avoir copieusement engueulé ses proches, dont moi évidemment, d’interpeller les plus hautes autorités du pays, en commençant tout de même par l’ambassadeur de France à Rome, son homologue de la RAI (je doute qu’il l’ait joint), voire le ministre italien des télécommunications, pour leur faire valoir l’imbroglio diplomatique qui résulterait de l’impossibilité pour France Musique de diffuser en direct de Rome… Pierre-Jean Rémy considérait tout cela avec un certain amusement, habitué qu’il était aux moeurs italiennes (il avait été en poste à Florence), surtout un week-end.
Finalement le direct
« C’est donc la première émission, le concert des Nouveaux interprètes, que je présente depuis le grand salon. Un froid polaire me caresse les côtes. Le concert,c’est le trio Schumann, trois jeunes gens de Turin. Tout à fait honorable. On joue, entre autres, du Kreisler et un trio de Brahms. Entre les morceaux, je parle de la Villa, je décris le paysage : beaucoup d’amis de France m’entendront, qui me le diront. Déjeuner, sieste rapide, puis, toujours en direct de la Villa, l’émission Les Imaginaires de Jean-Michel Damian. Damian erre comme un malheureux heureux, souriant, barbu et ventripotent, mais pas plus« .
S’ensuit un long développement sur les invités de Jean-Michel Damian, dont l’essentiel de l’émission est consacré à Ingres, le grand peintre originaire de Montauban, très lié à Rome et en particulier à l’Académie de France à Rome dont il est le directeur de 1835 à 1840. Damian laisse les spécialistes disserter en roue libre, le concert qui devait conclure l’émission sera réduit à portion congrue.
L’auteur à succès, Callas, Karajan
On a oublié aujourd’hui la place qui était celle de Pierre-Jean Rémy dans la vie intellectuelle, culturelle et mondaine française. Auteur à succès, il était de tous les cercles influents, recherchant les honneurs, mais sans être dupe de la comédie humaine, à laquelle il participait avec une manière de distance et d’auto-dérision. Dans ce Journal de Rome, il évoque, parlant de lui, une « culture superficielle, un vernis qui se craquèle comme les murs peints par Balthus dans la Villa Médicis », et on va le voir plus loin à propos de ses livres. Brillant, chaleureux, réservant ses flèches à ceux qui ne pourraient plus lui nuire, il veillait à entretenir ses réseaux. Après la Villa Médicis, j’ai eu quelques occasions de revoir PJR devenu en 1995 non pas ministre de la Culture, mais président de la Bibliothèque Nationale de France.
Suite de la journée France Musique à la Villa Médicis relatée par Pierre-Jean Rémy :
« La fin de la soirée sera encore plus chaotique dans la mesure où je donne simultanément un dîner pour vingt-cinq personnes et où je présente une soirée de France Musique de trois heures consacrée à Maria Callas. Pour me remettre dans le bain de Callas, j’ai été amené à relire mon livre : Dieu, qu’il était bon !
Et combien j’ai tout oublié… Je m’émerveille encore d’avoir été capable d’écrire ce livre, finalement si foisonnant et assez bien écrit, malgré des tics qui m’apparaissent à présent insupportables, des attendrissements ridicules ou des exclamations superfétatoires/…/ Donc, émission sur Maria Callas au cours de laquelle je présente d’une part la grande Tosca de Serafin, puis une série de cinq ou six enregistrements, dont La Gioconda, l’Elvire des Puritains, la mort d’Isolde, Traviata et Norma. Quelques discours attendris, quelques références subtilement piquées dans mes propres œuvres.«
Et, dans le même temps, j’essaie de faire de timides apparitions à l’une des trois tables où je suis censé être assis. Présence de Massimo Bogianckino, terriblement fatigué. Présence du vieux compositeur Petrassi, quatre-vingt-onze ans à présent, l’une des dernières grandes figures vivantes de la musique européenne. Il est sourd et heureux d’être à la Villa Médicis. Sa femme, grande cavale de trente ou quarante ans de moins que lui, se dit heureuse aussi. Elle promet de nous inviter chez elle, de nous faire une pasta. La soirée se terminera tard. dans l’allégresse, on boira beaucoup.. »
Précisions : Bogianckino (1922-2019) a été, à l’instigation de Jack Lang, le directeur de l’opéra de Paris de 1983 à 1985, avant d’être maire socialiste de Florence. Quant au vieux Goffredo Petrassi (1904-2003), il ne m’avait pas semblé si sourd que cela….
En matière de musique, Pierre-Jean Rémy savait surfer sur les sujets grand public Après Callas, il a été le premier à publier une biographie en français du chef autrichien, Herbert von Karajan (1908-1989). Comme pour Callas, la critique aura beau jeu de repérer les inexactitudes, les approximations, le côté compilation brouillonne d’un ouvrage qui sort souvent de son sujet, pour déborder sur les goûts personnels de l’auteur en matière symphonique ou lyrique.
Dans Le Figaro du 22 avril, ceci : Beaucoup de directeurs de festival poussent au pass sanitaire ou au QR code sur l’application Anti-Covid: « «Je ne trouve pas ça plus attentatoire aux libertés que l’attitude irresponsable de quelques-uns, qui empêche tous les autres de travailler ou de vivre. Et je suis sûr que le public comprendrait», dit Jean-Pierre Rousseau (lire Les festivals de l’été).
Il arrive – parfois – qu’on soit entendu, et que l’optimisme raisonnable que je manifestais le 7 avril dernier en annonçant l’édition 2021 du Festival Radio France Occitanie Montpellier se traduise désormais en certitude.
Le président de la République, ce matin dans la presse régionale (voir Le Midi Libre), donne enfin des perspectives, un calendrier précis. Oui l’été sera festif !
Cette chronique est peut-être une des dernières !
19 avril : Veronica la cheffe russe
Du compositeur arménien Aram Khatchaturian (1903-1978) on connaît surtout ses ballets Gayaneh et Spartacus ou Mascarade, une musique de scène pour une pièce de Liermontov. J’ai redécouvert dans ma discothèque une oeuvre beaucoup plus rare… dirigée par une cheffe d’orchestre russe ! La Veuve de Valence est une musique de scène écrite par Khatchaturian, en 1939/40, pour la pièce éponyme de Lope de la Vega, qui devient une brillante suite d’orchestre en 1953. Espagnolades garanties, revues à la manière arménienne !
Quant à Veronica Dudarova (1916-2009) c’est la première femme cheffe d’orchestre au monde à diriger un orchestre permanent au XXème siècle. Elle prend la direction de l’orchestre symphonique d’Etat de Moscou en 1947 et dirigera jusqu’en 2007 !
Aram Khatchaturian : La Veuve de Valence, suite d’orchestre
Orchestre symphonique d’Etat de Moscou
dir. Veronica Dudarova
20 avril : La Veuve de Gardiner
John Eliot Gardiner fête aujourd’hui ses 78 ans.Dans son abondante discographie, où dominent Bach, Haendel, les baroques, les premiers romantiques, la Veuve joyeuse enregistrée il y a 25 ans à Vienne fait figure de glorieuse exception. On n’a pas refait mieux depuis…
21 avril : Elizabeth a 95 ans
Nul ne peut ignorer que la reine Elizabeth fête aujourd’hui ses 95 ans, cinq jours après les funérailles de celui qu’elle épousa en 1947. C’est pour le couronnement du roi George II en 1727 que George Friedrich Haendel écrit Zadok the Priest. Depuis lors, ce Coronation Anthem est joué à chaque couronnement.
Il le fut donc en 1953 lors de celui d’Elizabeth II.
J’ai depuis longtemps une admiration infinie pour la cantatrice d’origine roumaine, Julia Varady (lire mes souvenirs de ses débuts à Carnegie Hall : Julia Varady à Carnegie Hall)
Je me rappelle, entre bien d’autres prestations incomparables, sa formidable incarnation d’Abigaille dans le Nabucco de Verdi qui a ouvert l’ère Gall à l’Opéra Bastille en septembre 1995.
Julia Varady a gravé, pour Orfeo, plusieurs disques d’airs d’opéra, de Verdi notamment, avec le plus aimant et le plus aimé des chefs d’orchestre, son mari Dietrich Fischer-Dieskau (1925-2012)
23 avril : Thomas Pesquet, de la Terre aux étoiles
Au moment où Thomas Pesquet se confine pour six mois dans la station spatiale internationale, revue – non exhaustive – de quelques musiques des sphères (De la terre aux étoiles) et pour moi la plus ardente, et pourtant méconnue, des versions des Planètes de Holst. Et quelle prise de son !
Thomas Pesquet est le nouveau roi des étoiles. En 1911, Stravinsky écrit « Le roi des étoiles » une brève cantate (moins de 6′) sur un poème de Constantin Balmont, pour choeur d’hommes et grand orchestre.
Au début de sa carrière, Michael Tilson Thomas en donne une très belle version.
Stravinsky : Le roi des étoiles / The King of Stars (Zvezdoliki)
La disparition de Christa Ludwig ce 24 avril a occulté celle d’une autre chanteuse, la veille, Maria Ilva Biolcati, plus connue sous le pseudonyme de Milva.
Christa Ludwig est morte hier à 93 ans.
Carrière immense, personnalité rayonnante, voix admirable, tous les hommages seront rendus à la cantatrice disparue (Eternelle Christa Ludwig)
Elle n’était pas que l’inoubliable interprète de Beethoven, Schubert, Schumann, Mahler, Wagner, elle pouvait aussi être la facétieuse Old Lady du Candide d’un Leonard Bernstein qu’elle adorait :
Cette fois, dans un répertoire où elle n’a fait que de rares incursions, mais un duo inoubliable avec Maria Callas dans l’enregistrement de Norma de Bellini dirigé par Tullio Serafin en 1961;
Christa Ludwig était plutôt Richard que Johann Strauss. Elle a tout de même interprété – au disque en tout cas – le rôle travesti du prince Orlofsky dans La Chauve-souris / Die Fledermaus de Johann Strauss, dans une version injustement méconnue de 1959 – Elisabeth Schwarzkopf avait été remplacée au dernier moment par Gerda Schreyer – dirigée par le chef suisse, d’origine roumaine, Otto Ackermann, trop tôt disparu en 1960.
Christa Ludwig n’en rajoute pas dans l’exotisme de pacotille, ni dans la caricature.
Du très connu, et du très rare, comme l’unique valse de Johann Strauss que Previn ait jamais enregistrée.
D’abord intitulée Hand in Hand, cette valse composée lors de la visite de Guillaume II de Prusse à Vienne change de titre, lors de la visite retour de François Joseph à Berlin le 21 octobre 1889, et devient Kaiserwalzer – qu’il faudrait donc traduire par Valse des… empereurs.
Sans doute cette valse rappelait-elle à André Previn ses origines berlinoises…
29 avril : Svetlanov au piano
Le grand chef russe Evgueni Svetlanov (1928-2002) – lire Le génie de Genia – était aussi un excellent pianiste et un compositeur qui s’est soigneusement tenu à l’écart de la modernité.
Dans son unique concerto pour piano, il est le soliste, dirigé par Maxime Chostakovitch à la tête de l’Orchestre de la radio-télévision d’URSS.
Evgueni Svetlanov: concerto pour piano en do m
Evgueni Svetlanov, piano
Orchestre symphonique de la Radio-Télévision d’URSS dir. Maxime Chostakovitch
Jean-Louis Grinda, le directeur de l’Opéra de Monte-Carlo et des Chorégies d’Orange, écrit ce matin sur Facebook : « Une grande artiste et une femme aussi charmante que modeste. A 36 ans, elle fit le choix d’abandonner la carrière pour ne plus être séparée de ses enfants. Elle vivait en famille à Monaco et s’est éteinte ce dimanche à son domicile. Cette photo reflète parfaitement sa resplendissante personnalité. »
Il évoque la soprano italienne Rosanna Carteri née le 14 décembre 1930 et morte ce dimanche 25 octobre.
Cherchant dans ma discothèque, je trouve assez peu de témoignages de Rosanna Carteri, mais c’est un nom qui m’a marqué dès mon premier achat du Gloria de Poulenc. Dans la version… légendaire (!) – cf. mon article Légendaires – du créateur français de l’oeuvre, Georges Prêtre. La première audition mondiale a lieu à Boston le 20 janvier 1961 sous la baguette de Charles Munch (avec la soprano Adele Addison), la première française le 14 février de la même année à Paris avec Rosanna Carteri, Georges Prêtre (un patronyme tout indiqué pour une telle oeuvre !) dirigeant les choeurs et l’Orchestre National de la RTF.
Carrières abrégées
Rosanna Carteri n’est pas la seule parmi les chanteuses à avoir choisi de mettre fin prématurément à sa « carrière ». Deux cas me viennent à l’esprit : l’un que j’ai bien connu, la jeune soprano française Alexia Cousin, l’autre que je n’ai connu que par le disque, Anita Cerquetti.
J’ai bien connu Alexia Cousin, aujourd’hui jeune quadragénaire. Elle emporte, en 1998, à l’unanimité le Premier prix du concours Voix Nouvelles. En 2000, je la retrouve à Genève dans l’une des plus mémorables productions de Pelléas et Mélisande qu’il m’ait été donné de voir: Louis Langrée dirigeait l’Orchestre de la Suisse romande dans la fosse du Grand-Théâtre, Alexia Cousin (20 ans !) incarnant Mélisande, Simon Keenlyside Pelléas et José Van Dam Golaud, dans la mise en scène de Patrice Caurier et Moshé Leiser.
En septembre 2001, c’est Alexia Cousin qui remplace Felicity Lott, initialement prévue, pour le concert inaugural de Louis Langrée comme directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Liège : elle y chante le Poème de l’amour et de la mer de Chausson. Alexia reviendra chaque année à Liège. Il y aura même un disque en grande partie enregistré (avec le Chausson, Shéhérazade de Ravel et quelques Duparc) et jamais achevé.
Alexia Cousin je la verrai sur scène (notamment dans Juliettede Martinu à l’opéra Garnier en 2002)… jusqu’à ce jour de 2005 où j’apprendrai comme tout le monde, à commencer par son agent, qu’elle arrête tout. Tout de suite et sans retour.
Quelques mois plus tard, je la surprendrai dans la foule qui se presse à la salle philharmonique de Liège pour un concert de Louis Langrée. Elle a acheté son billet à l’avance. Nous échangeons quelques mots, je lui dis combien je suis heureux de la revoir, mais rien évidemment sur sa décision. D’autres fois, en fait à chaque fois que Louis Langrée reviendra à Liège (après la fin de son mandat de directeur musical en juin 2006), Alexia sera là, chaque fois moins tendue, moins repliée sur ses secrets. L’an dernier, on a appris qu’après avoir exercé plusieurs « boulots » bien différents de sa vocation initiale, Alexia Cousin enseignait désormais… l’art de chanter (lire Alexia Cousin le retour). Un jour peut-être la reverrons-nous, l’entendrons-nous de nouveau sur une scène ?
Quant à Anita Cerquetti, de la même génération que Rosanna Carteri, née en 1931 morte en 2014, sa carrière dure dix ans. En 1961, au sommet d’une gloire qu’elle n’a jamais recherchée (en 1958, elle a remplacé Maria Callas dans une « Norma » à Rome, que la diva avait dû interrompre, aphone, incohérente, pour cause d’infection à la gorge devant le président de la République italienne, scandale garanti !), Anita Cerquetti renonce à la scène. Il y a des « pirates » de cette Norma. Il y a aussi un sublime récital heureusement publié par Decca à côté d’une fabuleuse Giocanda
Hommage soit rendu à ces magnifiques musiciennes, qui ont préféré nous léguer un art intact, inabouti mais incandescent, qui ont préféré la liberté, la vie, aux tourments, aux contraintes d’une carrière plus longue.
Je ne me suis jamais rangé dans la catégorie des admirateurs absolus de celle qu’on appelle « la » Callas J’ai même souvent été agacé par la surexploitation médiatique, discographique, d’une légende qui a fini par occulter la vraie personnalité et l’art singulier de la chanteuse.
….J’ai acheté le très bel ouvrage que le commissaire de cette exposition, Tom Volf, le très jeune homme qui est littéralement « tombé en amour », comme disent nos amis canadiens, de celle dont il ne savait rien il y a encore cinq ans.
C’est vraiment un ouvrage exceptionnel, je n’en connais pas d’équivalent sur un musicien ou même un interprète. On trouverait presque la présentation de l’éditeur trop modeste :
« A l’occasion des 40 ans de la disparition de la cantatrice, cet ouvrage nous invite à marcher dans les pas de la Callas, femme fragile et artiste acharnée de travail, en parcourant ses archives personnelles : photos inédites issus de ses albums privés, extraits de sa correspondance et de ses carnets, entretiens redécouverts où elle se livre sans fard sur sa vie, son art, les scandales qui ont jalonné son parcours. Une expérience bouleversante, au plus près de la femme que fut Maria Callas. »
On doit être reconnaissant à Tom Volf d’avoir réuni dans ce livre beau et lourd autant de témoignages, de documents – les quelques entretiens, peu nombreux, donnés à la presse par la cantatrice – de photos intimes, inédites, en évitant le piège du voyeurisme ou de l’idolâtrie. Comme un chant d’amour à une femme qui en a tant manqué derrière le masque de la légende. (30 octobre 2017)
On pensait que Tom Volf avait tout dit, fait le tour de la question Callas. Et on tombe, dans l’excellente librairie Les Mots à la bouche, à Paris, sur un nouvel ouvrage :
Peut-être plus passionnant encore que le précédent ouvrage de Tom Volf.
« Un jour, j’écrirai mon autobiographie, je voudrais l’écrire moi-même afin de mettre les choses au clair. Il y a eu tellement de mensonges dits sur moi…»
Sont ici réunies plus de 350 lettres inédites couvrant trois décennies (1946-1977) et les Mémoires inachevés de Maria Callas.
De son enfance modeste à New York aux années de guerre à Athènes, de ses discrets débuts à l’opéra aux sommets d’une carrière planétaire entachée par les scandales et les épreuves personnelles, de l’amour idéalisé pour son mari à sa passion enflammée pour Onassis, la légende Callas se dévoile, tantôt Maria, la femme vulnérable, déchirée entre la scène et sa vie privée, tantôt Callas, l’artiste victime de son exigence, en perpétuelle bataille avec sa voix, et qui, malgré la solitude parisienne des dernières années, continue de travailler sans relâche jusqu’à son dernier souffle, à l’âge de 53 ans.
Toutes les lettres ne sont pas d’un égal intérêt, mais elles expriment si bien, si justement, la réalité d’une vie d’artiste, l’isolement de la star parvenue au faîte de sa gloire, qui voit sa confiance trahie par ses plus proches, son besoin d’amour (magnifiques pages sur Aristote Onassis) bafoué, et son inquiétude fondamentale jamais apaisée. Un ouvrage nécessaire. Salutaire.
Suis-je en train de devenir fan sur le tard ? J’avais déjà avoué ma faiblesse pour les rééditions soignées du legs discographique studio et live de Maria Callas, et surtout pour le très beau livre que lui a consacré le jeune commissaire de l’exposition Maria by Callas : Callas intime
Je suis allé voir hier le film réalisé par Tom Volf, et sans y apprendre rien de neuf sur la vie et la légende de la chanteuse new-yorkaise (Maria Callas est née à Manhattan le 2 décembre 1923 et ne renoncera à sa nationalité américaine… qu’en 1966 !), on suit avec intérêt, et souvent émotion, le parcours chaotique d’une artiste qui a construit la légende dont la femme est restée prisonnière.
Beaucoup de documents privés, souvent précaires, mais tellement justes humainement, une belle compilation d’interviews, et les lettres de Callas lues par une Fanny Ardant d’une sobriété inaccoutumée.
Je vais me risquer à revoir le film-hommage de Franco Zeffirelli, dans lequel Fanny Ardant joue Callas…
Et pour ceux qui n’ont ni les moyens ni l’envie d’acquérir les gros coffrets Warner « remasterisés », ce beau coffret bien présenté de 3 CD constitue un résumé très réussi de la carrière de Maria Callas « live »sur scène.
La dernière fois que j’étais venu à New York, c’était à la toute fin de l’année 2012. J’ai raconté le hasard qui avait mis sur mon chemin Mireille Darc le 31 décembre (De mon battre son coeur s’est arrêté.)
Ciel clair, vent frais (mais températures plus clémentes qu’en France en ce moment), idéal pour revoir les quartiers qu’on connaît, en découvrir d’autres, constater beaucoup de nouvelles constructions (voir mes premières photos : Back in New York), et puis juste flâner, s’émerveiller des couleurs de l’automne finissant sur les gratte-ciels miroirs ou sur Washington Square.
Dans le quartier de Meatpackers, visite du nouveau musée Withney, conçu par Renzo Piano, ouvert en 2015.
Un peu de musique évidemment, hier une Norma au Metropolitan Opera, qu’il me semble préférable de ne pas commenter. Même au Met ce n’est pas fête tous les soirs…Mais il y a tant de glorieuses productions dans cet immense vaisseau….
C’est Sonya Yoncheva qui fait la couverture du programme de la saison…et qu’on retrouvera dans quelques jours dans La Bohème à l’Opera de Paris !
John Eliot Gardiner a grandi sous le regard d’un des deux portraits authentiques de Bach, conservé dans la maison de ses parents où il avait été caché pendant la Seconde Guerre mondiale (c’est ce portrait qui figure en couverture de l’édition originale en anglais du livre de Gardiner)
Cet ouvrage est le fruit d’une vie passée à parfaire sa science et sa pratique de la musique de Bach. Nourri d’archives et d’analyses, il nous fait rencontrer « l’homme en sa création » : nous ressentons ce que pouvait être l’acte de faire de la musique, nous habitons les mêmes expériences, les mêmes sensations que lui. John Eliot Gardiner mêle avec un talent rare érudition, passion et enthousiasme. (Présentation de l’éditeur)
Gardiner avait déjà laissé une discographie exceptionnelle de Bach chez Archiv, il a récidivé sous son propre label pour l’intégrale des cantates, un projet qu’il a conduit depuis une quinzaine d’années.
Autre ouvrage, que je n’attendais pas sous cette plume : Chopin ou la fureur de soi, de Dominique Jameux :
J’ai bien connu Dominique Jameux, d’abord et surtout comme auditeur, puis comme directeur de France Musique : producteur exigeant, parfois ombrageux, concentré sur des périodes, des compositeurs, qu’il revisitait, et nous aidait à redécouvrir sans cesse. Et je n’ai pas le souvenir à l’époque qu’il ait manifesté à l’antenne cet amour de Chopin qui nous vaut aujourd’hui ces 350 pages passionnantes et très personnelles. Jameux, ce sont des ouvrages de référence sur Berg, Boulez, Richard Strauss mais pourquoi Chopin ?
« Première (raison) : le caractère résolument individuel, voire intime, tant de ce que Chopin nous glisse à l’oreille que de l’écho que nous lui donnons en nous. Chopin c’est comme la radio : une parole (musicale) qui s’adresse à un auditeur; Moi, vous.Chopin n’a pas de public. Chaque auditeur est seul à l’écouter. L’expérience Chopin le touche au plus secret… »
Dominique Jameux livre aussi une discographie très personnelle de « son » Chopin : je n’ai pas été surpris d’y retrouver l’incomparable Nelson Goerner.
Beau document qui nous permet de retrouver Frans Brüggen dans une pièce peu connue de Chopin.
Enfin – provisoirement – un nouveau pavé dû à l’inépuisable André Tubeuf :
Quinze ans de chroniques mensuelles dans Classica sont rassemblées ici : pour l’essentiel de grandes figures du passé, le panthéon personnel de l’octogénaire philosophe, mais aussi quelques beaux portraits d’artistes d’aujourd’hui, comme Leif OveAndsnes ou Philippe Jordan. Et toujours l’inimitable style Tubeuf…
Intruse, oui. Projetée sous les pleins feux de la façon la plus spectaculaire, sans qu’elle l’ait en rien recherché, sans que ce fût en rien dans son caractère… Il y eut l’incident Norma, à Rome, début janvier 1958 – la dérobade (*). L’autre Norma appelée en hâte serait forcément, aux yeux du monde, une remplaçante. Pourtant en Italie, depuis six ou sept ans, Anita Cerquetti se multipliait dans les plus grands théâtres, chantant Verdi, chanteuse essentiellement noble, comme aucune autre alors ni en Italie ni ailleurs…
(*) Le 2 janvier 1958, à la fin du premier acte de Norma, Maria Callas quitte définitivement la scène de l’Opéra de Rome. Prétextant une indisposition elle n’achèvera pas sa représentation. Le public est stupéfait. Le scandale éclate le lendemain dans toute la presse.
Brève carrière, mais inoubliable. Un CD culte – surtout pour sa couverture castafioresque – dont chaque air touche au coeur, une Norma, une Gioconda prodigieuses :
C’est dans la maison de retraite des artistes de Milan qu’avait été filmé ce documentaire :