Les disparus de juillet

Pour mémoire, Carlos Kleiber disparaissait le 13 juillet 2004, Lorin Maazel le 13 juillet 2014. Personnalités plusieurs fois évoquées ici. Leur art est éternel.

Milan Kundera (1929-2023)

Je ne sais pas ce qui m’a retenu, au contraire de mes proches, de lire plus de Kundera. Je vais devoir me rattraper maintenant qu’il est mort. Surtout après avoir lu les hommages qui lui sont rendus par des amis comme Benoît Duteurtre dans le Figaro

Je me suis plongé ce matin dans La Fête de l’insignifiance (2014); j’en regrette d’autant plus vivement de ne pas m’être plus tôt régalé à un style, une approche, une distance ironique qui me plaisent.

André Watts (1945-2023)

La disparition, à 77 ans, des suites d’un cancer, du pianiste américain André Watts, n’aura à l’évidence pas le retentissement en Europe que son immense talent eût justifié.

Je renvoie à sa fiche Wikipedia particulièrement bien documentée. J’ai eu la chance, malheureusement pas de l’entendre, mais de le croiser et d’échanger quelques amabilités avec lui, grâce à Louis Langrée, durant le Mostly Mozart Festival de New York. André Watts, quand il ne jouait pas, avait toujours une intense curiosité pour ses jeunes collègues. Je me demande d’ailleurs si ce n’était pas à l’occasion des débuts à New York… de Lang Lang ! Louis Langrée l’avait dirigé dans le premier concerto de Mendelssohn !

André Watts avait lui-même été un jeune prodige, adoubé par Leonard Bernstein avec qui il fit ses grands débuts new yorkais, puis enregistra plusieurs disques, dans le cadre d’un contrat signé dès ses 21 ans avec CBS (devenu Sony). Dans le cadre des célèbres Young People concerts, André Watts connaît à 17 ans, une célébrité immédiate avec le 1er concerto de Liszt :

Le regretté Tom Deacon avait retenu le pianiste américain dans sa magnifique collection des « Great Pianists of the 20th Century »

Bâtons migrateurs

Je disais, dans mon dernier billet, à propos d’une Bohème de rêve, que j’avais eu la révélation d’un jeune chef, Lorenzo Passerini. Si j’étais encore en situation de le faire, je m’empresserais de le réengager dans un programme symphonique.

Je veux ici parler des chefs d’orchestre, de la vie musicale actuelle, et de certaines décisions que je ne comprends pas.

C’était mieux avant ?

Ici même j’ai évoqué, le plus souvent pour m’en réjouir, nombre de rééditions discographiques parfois considérables qui restituent des carrières fabuleuses : Ansermet, Klemperer, Gardiner, Muti, Böhm, Abbado, Haitink, pour ne citer que les plus récentes. Tous ces chefs ont laissé une trace indélébile dans l’histoire de l’interprétation et de la direction d’orchestre. On peut les caractériser, les identifier à un ou des répertoires. Pourra-t-on en dire autant d’un certain nombre de baguettes d’aujourd’hui ?

Maazel et Blomstedt

Ces jours-ci on réédite les enregistrements de deux chefs quasi contemporains, Lorin Maazel (1930-2014) et Herbert Blomstedt (né en 1927… et toujours en activité !).

Pour le chef américain né à Neuilly, c’est un ultime recyclage qui réussit même à être incomplet :

Quelques ajouts par rapport à un précédent coffret – dont une miraculeuse Symphonie lyrique de Zemlinsky avec un couple star Julia Varady et Dietrich Fischer-Dieskau -, les concerts de Nouvel an confiés de 1980 à 1983 à Lorin Maazel après le retrait de Willi Boskovsky… mais pas celui de 2005 !

Question qu’on se posait déjà lors de précédentes rééditions d’une discographie pléthorique éclatée entre de multiples éditeurs : quelle trace Maazel laisse-t-il dans l’histoire de la direction d’orchestre ? Qu’a-t-il laissé à Paris (Orchestre national), Cleveland, Pittsburgh, Munich, New York, où il a occupé des fonctions de direction musicale ? En dehors du fait d’avoir été un prodigieux technicien, qui impressionnait les formations qu’il dirigeait par la sûreté de sa baguette, qu’a-t-il laissé de musicalement marquant, décisif ? Tant d’intégrales Beethoven, Brahms, Mahler, Schubert, Bruckner… restées sous les radars.

Je n’oublie pas pour ma part que mes premiers coffrets Sibelius et Tchaikovski, c’était les siens : Maazel était dans sa trentaine, et pas encore blasé !

Il y a cinq ans, j’applaudissais Herbert Blomstedt – 90 ans à l’époque – à la Philharmonie de Paris (lire L’autre Herbert) devenu la star des philharmonies de Berlin et Vienne ! Decca réédite les enregistrements que le chef américain avait réalisés du temps de son mandat à San Francisco et quelques-uns de ceux gravés à Leipzig.

A la différence de Maazel, Blomstedt n’est pas un stakhanoviste du disque. Mais comme pour Maazel, on peine un peu à distinguer ce qui caractérise vraiment un chef qui est toujours intéressant sans jamais bouleverser, au disque tout du moins.

On parle à son propos d’équilibre, de justesse stylistique – qualités infiniment appréciables, comme on l’a écrit par exemple au sujet de ses intégrales des symphonies de Beethoven : Blomstedt, Dresde et Leipzig.

Bâtons voyageurs

Tous les chefs cités plus haut ont marqué de leur personnalité les institutions, orchestres, opéras, qu’ils ont dirigés, parfois fondés (comme Ansermet avec l’Orchestre de la Suisse romande). Parce qu’ils y sont restés de longues, parfois très longues années.

De telles « carrières » ne sont plus possibles aujourd’hui. Les orchestres qui, par parenthèse, ont tous, sans exception, gagné considérablement en qualité technique ces cinquante dernières années, ne veulent plus, ne supportent plus d’avoir en face d’eux le même chef. D’ailleurs les mandats longs, y compris pour les plus illustres, se sont rarement bien terminés. La liste des fâcheries, voire des divorces, est éloquente : Karajan à Berlin, Haitink à Amsterdam, même Barenboim à la Staatskapelle de Berlin…

Est-ce que pour autant l’instabilité permanente qui a gagné la vie musicale depuis une vingtaine d’années est préférable aux situations figées d’antan ?

Pour des Dudamel et Nezet-Seguin, qui ont pris leurs marques à Los Angeles pour l’un, à Montréal et New York pour le second, le « turn over » chez les chefs donne le tournis.

Prenons au hasard deux chefs de même génération, Jaap van Zweeden et Marin Alsop. Cette dernière s’est récemment illustrée dans une polémique ridicule à propos du film Tar, où Cate Blanchett incarne une cheffe d’orchestre à la trajectoire compliquée…

Voilà des parcours, des carrières mêmes incompréhensibles, sauf si la seule motivation de ces chefs est la puissance et… l’argent. Rien de ce que j’ai entendu d’eux, rarement en concert, plus souvent à la radio ou au disque, ne m’a jamais ni convaincu ni même retenu l’attention. Je cherche en vain dans la liste de leurs enregistrements, d’abord de la cohérence, ensuite et surtout l’affirmation d’un propos, d’une personnalité artistique qui ferait d’eux une référence dans tel ou tel répertoire.

On vient d »annoncer la nomination de Marin Alsop… à l’orchestre de la radio polonaise ! Après avoir dirigé les orchestres du Colorado (USA), de Bournemouth (Grande-Bretagne), de Baltimore (USA), Sao Paolo (Brésil), de la radio de Vienne (Autriche).

Peut-on trouver enregistrement plus ennuyeux de la 1ère symphonie de Schumann ?

J’ai eu beau chercher dans une discographie relativement abondante chez Naxos, ou des « live » disponibles sur YouTube, je n’ai vraiment rien trouvé qui me donne envie de sauver le soldat Alsop.

Quant à celui qui fut longtemps le premier violon du Concertgebouw d’Amsterdam (de 1979 à 1995), il s’était distingué il y a quelques années comme étant le chef le mieux rémunéré des Etats-Unis, donc du monde, avec un revenu de plus de 5 millions de dollars pour l’année 2013 ! (source : New York Times). Comme Marin Alsop, rien n’explique la carrière du chef hollandais, et pourtant : successivement chef du symphonique des Pays-Bas (1996-2000), de la Résidence de La Haye (2000-2005), de la radio néerlandaise (2005-2013), entre temps de l’orchestre des Flandres en Belgique et de Dallas (2008-2011), du Hong Kong Philharmonic (2012), et last but non least, du New York Philharmonic (2018-2024)… On notera tout de même que JvZ ne reste jamais longtemps quelque part, peut-être parce que les musiciens (ou les sponsors) de ces orchestres finissent par s’apercevoir de ses limites. De nouveau quelles traces un chef peut-il laisser lorsqu’il passe d’un pays, d’une culture, d’une formation à l’autre tous les cinq à dix ans ?

Jaap van Zweden n’est pas un mauvais chef et, question stylistique, il a été à très bonne école à Amsterdam. Mais cela suffit-il à en faire un grand chef ?

Pour terminer ce billet sur une note plus positive – et en prévision d’une série de portraits que je voudrais égrener tout au long de l’été – il y a heureusement dans la jeune génération des moins de 50 ans, des contre-exemples de très grand talent, pour n’en citer que quelques-uns que j’ai eu la chance d’inviter, des Alain Altinoglu, Domingo Hindoyan, Santu-Mattias Rouvali, Philippe Jordan… je complèterai la liste !

PS. En anglais, « baguette » de chef d’orchestre se dit « baton »… par allusion à ce bâton qui servait à battre la mesure et qui a été fatal à Lully (qui se l’était planté dans le pied et est mort des suites de la gangrène occasionnée par cette blessure)

La musique pour rire (IX): Danny Kaye

Dans la galerie de portraits que j’ai dessinés dans cette série La musique pour rire, manque une personnalité capitale, l’un de ces personnages comme seul le XXème siècle pouvait en produire : Danny Kaye (1911-1987) né David Daniel Kaminski, issu d’une famille d’immigrés juifs originaire d’Ukraine.

Danseur, acteur, musicien, chef d’orchestre, il était aussi célèbre à New York que le Leonard Bernstein des Young People concerts. L’un et l’autre savaient d’ailleurs manier l’humour, l’autodérision avec le professionnalisme le plus extrême.

Danny Kaye savait vraiment tout faire…

On trouve sur YouTube nombre d’extraits de shows de variété où Danny Kaye côtoie à peu près toutes les célébrités de la chanson et du jazz. A regarder sans modération aucune !

Noces parisiennes

J’ai eu beau chercher dans ma mémoire, je n’ai pas trouvé trace de représentation des Noces de Figaro depuis vingt et un ans ! Depuis l’été 2001, à Glyndebourne. C’était Louis Langrée qui dirigeait le London Philharmonic. Entre 2000 et 2002 je l’y ai vu diriger les trois « Da Ponte » comme on le dit des opéras de Mozart – Cosi fan butte, Don Giovanni, Les Noces de Figaro – dont Lorenzo da Ponte (1749-1838) fut le librettiste inspiré.

Et c’est encore Louis Langrée que j’ai retrouvé dans la fosse de l’Opéra Garnier.

Sans revenir sur la polémique récurrente – les chefs français sont acclamés à l’étranger, ignorés dans leur pays – on a quand même honte d’apprendre, de la bouche de l’intéressé parce que cela ne figure évidemment pas dans la communication officielle, que ce sont les débuts – à 61 ans ! – du chef alsacien à l’opéra Garnier ! On sait gré à Alexander Neef, le patron de l’Opéra de Paris depuis deux ans, de s’être – enfin – aperçu que son désormais collègue – Louis Langrée est, nul ne peut l’ignorer, surtout sur ce blog, le directeur de l’Opéra Comique depuis novembre 2021 – est un chef mozartien connu et reconnu par toutes les grandes scènes d’Europe et d’Amerique, et les festivals comme Aix, Glyndebourne, New York.

Je sais maintenant pourquoi je n’ai pas revu les Noces depuis 2001 et Glyndebourne. Parce qu’il faut d’abord un chef capable de tenir d’un bout à l’autre une partition certes géniale, mais longue – le troisième acte -, qui fait vivre autant de personnages et de situations. Le souvenir ébloui de Glyndebourne me faisait sans doute redouter une baguette moins experte dans ce répertoire, et Dieu sait si, à l’opéra de Paris, à l’exception d’un Philippe Jordan et maintenant d’un Gustavo Duhamel, la routine l’a souvent emporté sur la personnalité.

Cette semaine, j’ai retrouvé la magie d’il y a plus de vingt ans, au milieu des moutons du Sussex. La critique a été à peu près unanime (Bachtrack, Forumopera) à louer l’ingéniosité de la mise en scène de Netia Jones (quel heureux contraste avec l’épouvantable Salomé de Bastille !), l’homogénéité et la qualité du plateau vocal (cf.ci-dessous). La direction de Louis Langrée est superlative : quel chef aujourd’hui a une telle connaissance intime de Mozart, une telle capacité à entraîner des musiciens dont ce n’est pas le pain quotidien à cette virtuosité d’ensemble, cette poésie de couleurs – les vents de l’Opéra de Paris ! – ?

Des morts vivants, Chéreau, Rorem etc.

Les Amandiers

Il y a un mois j’avais beaucoup aimé son film L’Innocent. Louis Garrel est de retour, et pas dans n’importe quel rôle, dans le film de Valeria Bruni-Tedeschi, Les Amandiers, il y incarne Patrice Chéreau, qui fut le directeur de ce théâtre, devenu mythique, de Nanterre.

J’ai beaucoup aimé, l’histoire, la réalisation, les acteurs et actrices. Comme le journaliste qui interroge ici Valeria Bruni-Tedeschi :

« Patrice Chéreau est le plus vivant de tous les morts« 

Ce film montre avec tant de justesse les élans, les espoirs, les douleurs de cette bande de jeunes apprentis acteurs, n’évite aucun des chocs de l’époque, la drogue, le SIDA. On a plus d’une fois été ému, sinon bouleversé. Les interprètes sont tous formidables, y compris les filles et fils de…Mention particulière pour celle qui est censée représenter VBT, Nadia Tereszkiewicz, et peut-être surtout Sofiane Bennacer, dans sa descente aux enfers. Je n’ai pas arrêté de penser à Patrick Dewaere… Evidemment Louis Garrel est plus Chéreau que nature jusque dans les attitudes, les tics, le langage ! Ne pas oublier celui qui fut son adjoint comme directeur de l’école de théâtre des Amandiers, Pierre Romans, ici incarné par Micha Lescot, emporté par le SIDA à 39 ans.

Allez voir ce film, vraiment !

Presque centenaire

Il y a fort à parier que, si Renaud Machart n’avait pas contribué à le faire connaître en France, notamment en traduisant l’un de ses Diaries, le nom de Ned Rorem (1923-2022) serait resté quasi inconnu.

« Un matin de mai 1949, un jeune Américain à la beauté ravageuse débarque au Havre. Comme beaucoup de jeunes gens de sa génération venus d’outre-Atlantique, le compositeur et écrivain Ned Rorem ne compte passer en France que quelques mois. Il y restera jusqu’en 1955. Ce sont ces années que retracent ce Journal parisien, un texte fameux aux Etats-Unis, qui, depuis sa parution, en 1966, n’avait jamais été encore traduit en français. Le Journal parisien fit scandale par la liberté de ton de son auteur, son insolence et sa cruauté, et par des indiscrétions qui ne furent pas appréciées de tous. Ned Rorem fait très vite la connaissance de Marie Laure de Noailles, qui deviendra sa plus sure alliée et sa plus chère amie à Paris. Elle le prendra sous son aile et le présentera au Tout-Paris artistique. Eberlué et crâne, séduit mais méfiant, le jeune compositeur fréquente Francis Poulenc, Salvador Dali, Georges Auric, Henri Sauguet, Jean Cocteau, Julien Green, Pablo Picasso, Julius Katchen, Paul Eluard, Pierre Boulez, Alice Toklas et la colonie américaine de Paris. Des années partagées entre le travail, la boisson, la rencontre de jeunes hommes ; la France, le Maroc (mais aussi l’Angleterre et l’Allemagne d’après guerre) ; l’amour, le désespoir. Le tout noté au fil d’une plume d’une redoutable précision de trait » (Présentation de l’éditeur)

Le compositeur américain est mort à New York ce samedi à l’âge respectable de 99 ans.

Quelques repères discographiques pour se faire au moins une petite idée de ce que Ned Rorem a représenté dans la musique du XXème siècle.

Les larmes de Leila K.

Il serait sans doute resté inconnu du grand public, si l’excellente Leila Kaddour – qui présente le journal télévisé de France 2 le samedi et le dimanche midi – n’avait pu retenir son émotion en annonçant sa mort.

Je ne connaissais pas personnellement, je n’ai jamais eu l’occasion de travailler avec lui, mais la brutale disparition de Pascal Josèphe, à 68 ans, a rappelé l’importance de celles et ceux qui, dans l’ombre, font vivre la télévision, et c’est tout aussi vrai pour la radio, les médias en général, les structures culturelles. Il y a ceux qui sont dans la lumière – Pascal Josèphe l’avait tenté, en se présentant à la présidence de France Télévisions en 2015 – et ceux, il en était, qui créent, donnent leur chance, promeuvent, innovent. C’est pour cela que sa mort bouleverse autant de monde…

#RVW 150 (III) : Happy 150 Sir Ralph

Aucune chance que l’événement fasse les gros titres, sauf peut-être au Royaume-Uni. C’est aujourd’hui le sesquicentenaire (le mot chic pour dire 150ème anniversaire !) de Ralph Vaughan Williams, le grand compositeur britannique du XXème siècle, né le 12 octobre 1872 à Down Ampney, ravissant village des Cotswolds dans le Gloucestershire (prononcer : Glôôst-cheure).

EMI avait édité en 2008 (pour le cinquantenaire de la mort de RVW) un coffret généreux de 30 CD. Warner vient de le « rhabiller » et on le conseille tout autant. Tous les détails du coffret ici.

On ne va pas de nouveau se lamenter que, sur le continent, on ignore quasiment l’oeuvre du plus grand symphoniste anglais – neuf symphonies – l’équivalent au XXème siècle d’un Chostakovitch ou d’un Prokofiev (lire Royal Ralph)

Si seulement cet anniversaire pouvait aussi faire connaître un aspect essentiel de l’oeuvre de RVW, le vocal, le choral, qui plongent leurs racines dans la tradition populaire des nations qui forment le Royaume-Uni.

Lors de l’hommage à Lars Vogt, le 4 octobre dernier, Ian Bostridge, accompagné par le violon de Christian Tetzlaff, en avait donné une illustration éloquente – une découverte pour le public de la Philharmonie et les auditeurs de France Musique. Quatre extraits du cycle de mélodies Along the Field.

Il y a tant à aimer et découvrir dans l’œuvre d’un compositeur finalement assez inclassable, à qui les tenants de l’avant-garde autoproclamée ont reproché de se tenir à l’écart des dogmes de la musique contemporaine post-Seconde école de Vienne. On s’aperçoit vite, dans ses œuvres vocales, que les sources populaires ne sont jamais loin. Et c’est ce qu’on aime chez Ralph Vaughan Williams non ?

Dans l’imposante discographie de Leonard Bernstein à New York, il y a « live » cette version à très grand effectif – on croirait la 8ème symphonie de Mahler ! de Serenade to Music.

Et puis, chez Vaughan Williams, comme chez Mahler, il y a ces cycles de mélodies magnifiques, qui puisent dans les sources populaires, ou les imitent. Les Songs of Travel de RVW font évidemment penser aux Lieder eines fahrenden Gesellen

Impossible d’être exhaustif sur Ralph Vaughan Williams en un seul article. On poursuivra d’ailleurs la série.

Souvenir simplement d’une intense émotion à l’écoute de ce qui est peut-être l’un des chefs-d’oeuvre de Vaughan Williams, sa Fantaisie sur un thème de Thomas Tallis. Les seules fois où j’ai pu programmer un peu de RVW à l’Orchestre philharmonique royal de Liège, ce fut grâce à mon ami; l’excellent Paul Daniel, l’un des très grands chefs britanniques de notre temps.dont il faut chérir et rechercher les trop rares disques, notamment une intégrale des symphonies parues chez Naxos

Les airs du bonheur

Fin de saison plutôt agréable et légère. Où l’on s’aperçoit, une fois de plus, que le temps passe vite, trop vite, malgré une interruption involontaire (Une expérience singulière), et qu’on se retrouve fin juin comme si de rien n’était…

Une forme olympique

C’est toujours un bonheur de retrouver Julien Chauvin et son Concert de la Loge qui n’a toujours pas le droit de s’appeler olympique. C’était vendredi dernier dans l’église Notre-Dame d’Auvers-sur-Oise (à jamais immortalisée par Van Gogh quelques jours avant sa mort en juillet 1890) dans le cadre du Festival d’Auvers.

Un programme comme toujours savamment concocté qu’on aurait pu éviter de titrer pompeusement en anglais « Opera Gala Vienna Masters » ! Haydn, Gluck, Mozart (avec sa symphonie Jupiter comme fil rouge).
(De gauche à droite: assis de dos Julien Chauvin, Patricia Petibon, Gaëlle Arquez, Stanislas de Barbeyrac)

Trois solistes, Patricia Petibon, Gaelle Arquez, Stanislas de Barbeyrac. Des airs, des duos, des trios, des découvertes aussi.

Une pure splendeur à épingler : l’air de Don Ottavio – Il mio tesoro – dans Don Giovanni de Mozart. Stanislas de Barbeyrac impérial à Auvers, comme ici au Metropolitan Opera

Mélodies du bonheur

Avant-hier c’était au Théâtre des Champs-Elysées que s’achevaient en même temps la saison du théâtre et le festival annuel du Palazzetto Bru Zane, avec un programme qui ne pouvait que nous enchanter.

L’Orchestre de chambre de Paris dirigé par Hervé Niquet, Véronique Gens, Hélène Guilmette, Julien Dran, Tassis Christoyannis, le harpiste Emmanuel Ceysson, le violoncelliste Xavier Philips, le pianiste Cédric Tiberghien, pour servir la muse poétique, légère et capricieuse de Chausson, Fauré, Saint-Saëns et surtout Massenet, il y avait peu de risque qu’on soit déçu. Et on ne l’a pas été ! Peu de chefs-d’oeuvre dans cette enfilade d’airs, de duos, de quatuors, quelques jolis solos, mais de la musique sacrément bien troussée et réjouissante. En résumé, que du bonheur !

Un Bernstein peut en cacher un autre

C’est le génie et le problème de Bernstein, le pianiste, chef d’orchestre, compositeur né en 1918 mort en 1990, qu’on n’a cessé de louer ici (Un été Bernstein) en particulier pour le centenaire de sa naissance.

Paris, opéra Garnier

On est allé voir à l’Opéra de Paris l’une des dernières oeuvres de Leonard Bernstein, A Quiet Place, et on est ressorti perplexe.

A Quiet Place, créé en 1983 par Leonard Bernstein puis remanié en 1986, a été conçu comme la suite de Trouble in Tahiti. Nous retrouvons Sam, trois décennies plus tard, en père de famille déchu et repoussé par ses deux enfants. Dinah, sa femme, vient de mourir dans un accident de voiture et la famille se retrouve à ses funérailles. La douleur du deuil révèle des blessures inavouées. Cette oeuvre, profondément ancrée dans la société de l’époque et les tabous qui l’accompagnent, est le dernier opéra d’un compositeur qui n’a jamais cessé de vouloir renouveler la forme lyrique. Une nouvelle version, adaptée par Garth Edwin Sunderland, est créée en concert en 2013 sous la direction de Kent Nagano. Elle est, pour la première fois, mise en scène et l’Opéra national de Paris a confié cette tâche à Krzysztof Warlikowski qui resserre l’intrigue autour de la famille et de ses secrets (Source: Opéra de Paris) *

Pourquoi cette perplexité ? Parce que cet ouvrage est un condensé ce qu’on peut admirer et détester chez le compositeur Bernstein : comme si l’auteur de West Side Story voulait faire la démonstration qu’il peut écrire dans tous les styles, brasser toutes les influences musicales du XXème siècle, y compris les plus avant-gardistes. Ce qu’il a assez constamment fait dans ses oeuvres « sérieuses », comme ses trois symphonies. D’où l’impression de patchwork sans fil conducteur. Ou d’une séance pédagogique intitulée « comment composer un opéra au XXème siècle ? » – on voit d’ailleurs un bref extrait des formidables Young people concerts où Bernstein explique ce qu’est la musique !

Les thématiques développées dans ce lieu pas si tranquille fleurent bon leurs années 80, mais la mise en scène à l’esthétique justement très eighties de Warlikowski rehausse l’intérêt qu’on prend à la représentation de l’ouvrage. Il y a une « signature » Warlikowski dans les décors bien sûr, mais aussi dans un art consommé de juxtaposer des images, des scènes, de créer des collisions entre souvenirs et réalité, que j’ai trouvés particulièrement bienvenus pour équilibrer la faiblesse du contenu musical.

Belle distribution, bons acteurs/chanteurs, et Kent Nagano à son affaire avec l’orchestre de l’opéra de Paris qui brille de tous ses feux.

Etait-il pour autant nécessaire de faire entrer A Quiet Place au répertoire de l’Opéra de Paris ? alors qu’il y a tant d’ouvrages français qui restent ignorés de la Grande Boutique ?

Si on veut voir ce que Bernstein a produit de plus intéressant comme oeuvre lyrique, c’est Candide qui tient la route (lire Candide).

Et pour mesurer le génie de « Lenny », on ne cessera pas de revenir à ces fabuleuses séances d’initiation à la musique que Bernstein imagina pendant plusieurs saisons avec l’orchestre philharmonique de New York

L’une des plus célèbres « leçons » – dont on a vu un court extrait l’autre soir dans A Quiet Place –est celle-ci : Que signifie la musique ?

Le synopsis de A Quiet City (Source: Opéra de Paris)

*Prologue
Une voiture qui roule à grande vitesse fait une sortie de route et se retourne. Certains des témoins qui accourent croient reconnaître la femme derrière le volant. Dinah, une femme d’une cinquantaine d’années, mariée et mère de deux enfants adultes, meurt.

Acte I
Un petit groupe de parents et d’amis se rassemble pour la cérémonie funéraire de Dinah : le médecin de famille et son épouse, le dernier psychanalyste de la défunte, Susie, son amie de longue date, son frère Bill. Lors de conversations embarrassées, en apartés, les invités évoquent aussi le fait que la consommation d’alcool de Dinah pourrait avoir causé l’accident. Sam, le mari de Dinah, semble absent et pétrifié. Tout le monde attend les enfants de la morte, qui arrivent de loin. Son fils Junior vit depuis plus de dix ans au Canada. Sa fille Dede l’y avait suivi dès sa majorité. Tous les deux vivent avec François, amant de Junior, qui s’est marié avec Dede. Ils reviennent pour la première fois sur les lieux de leur enfance. Leur contact avec leur père avait été rompu pendant toutes ces années. Lorsque Dede et François arrivent enfin, on les dévisage avec curiosité. Sam garde une attitude réservée vis-à-vis de sa fille et de son gendre. Comme le temps presse, la cérémonie commence sans Junior. Celui‑ci fait irruption – dans un costume inapproprié pour l’évènement – au beau milieu de la lecture de psaumes et de poèmes par les invités. Après la cérémonie, l’amertume de Sam se retourne contre ses enfants. De rage, il leur reproche de réapparaître après tout ce temps et de déshonorer le souvenir de leur mère. Junior réagit par un strip-tease à côté du cercueil ouvert et déclare son père responsable de la mort de sa mère. La situation s’envenime. Tous se dispersent. Junior, perturbé, reste seul sur place.

Acte II
Tard le soir après l’enterrement. Incapable de dormir, Sam parcourt les affaires privées de Dinah. Dans ses journaux intimes, il lit à quel point elle a été peu heureuse à ses côtés pendant de nombreuses années. Il trouve une lettre cachetée, vaguement adressée à la postérité, mais il n’en prend pas connaissance et la cache également à Dede, qui cherche à avoir une conversation avec son père. Lorsque Dede essaie une robe de sa mère, Sam est déconcerté : il croit revoir devant lui la jeune Dinah des premières années de leur mariage. Le père et la fille retrouvent une proximité. Au même moment, François confronte Junior à son attitude provocatrice lors de la cérémonie funéraire. Par un mélange de désarroi et d’ironie, Junior cherche à gagner l’affection de François. François rejette violemment les tentatives de rapprochement de Junior. Lorsque Junior affirme avoir eu une relation intime avec sa soeur cadette dans son enfance et avoir failli être tué par son père pour le punir, François déclare qu’il s’agit là d’un des phantasmes névrotiques de Junior. Avec l’aide de François, Junior verbalise un souvenir d’enfance traumatique, une fête de Noël qui avait culminé en violences entre ses parents. François parvient à faire s’endormir Junior. Ensuite, il retrouve Dede et lui avoue avoir enfin compris combien elle compte pour lui. Sam ressent soudain de la sollicitude et de la tendresse pour Junior, mais il ne peut pas exprimer ses sentiments pour son fils. Il lit la lettre de Dinah.

Acte III
Le lendemain matin, Dede s’éveille confuse. Elle veut faire refleurir le jardin de sa mère, laissé à l’abandon depuis de nombreuses années. Au petit‑déjeuner, elle persuade Junior de rester quelques jours de plus pour ce faire. Frère et soeur reprennent quelques-uns de leurs jeux d’enfance. François et Sam les rejoignent pour jouer à chat. Quand François se retrouve dans les bras de Sam, celui-ci lui souhaite avec émotion la bienvenue dans le cercle familial. Puis Sam confie à François la lettre de Dinah en le priant de la lire à tout le monde. La lettre s’avère être une lettre d’adieu, l’accident, un suicide. Dans un bref message, Dinah prie ceux qui lui sont chers d’accepter sa décision et les encourage à accueillir la vie et à s’accepter les uns les autres de façon inconditionnelle. Lorsque Sam ajoute que la lettre était accompagnée de gâteaux de Noël, la tension générale se libère dans un grand éclat de rire. Sam prie ses enfants de rester quelques jours auprès de lui. Pendant un instant, l’idée d’une cohabitation renouvelée enthousiasme tout le monde. Mais lorsque se pose la question de savoir qui va loger avec qui dans quelle chambre, des jalousies et de vieilles blessures remontent à la surface. François reproche à Dede et Junior de ne jamais percevoir que leurs propres états d’âme et de ne pas avoir compris la signification du suicide de Dinah. Il déchire la lettre de Dinah. Chacun ramasse des bouts de son message. Avec précaution, Junior fait comprendre à Sam à quel point il se sent parfois petit et démuni face à lui et à quel point il a pourtant besoin de lui. Sam promet d’être là pour Junior. Dede laisse François faire un choix. Pour un moment, chacun retrouve un soutien en l’autre.

La grande porte de Kiev (VIII) : nés à Odessa

A la fin de ma première chronique consacrée à la grande ville portuaire de la Mer Noire, Odessa, et aux musiciens qui y sont nés (La grande porte de Kiev : nés à Odessa), c’était le 14 mars dernier, j’écrivais :

D’autres pianistes nés à Odessa mériteraient d’être cités. Ce sera pour un prochain billet. Avec l’espoir que, d’ici là, la fière cité fondée par Catherine II ne soit pas, en tout ou partie, détruite par les bombes de Poutine.

A l’heure où j’écris ce nouveau billet, Odessa comme les grandes villes ukrainiennes résistent et bloquent l’envahisseur russe, même si elles vivent toujours sous la menace de bombardements et d’attaques surprises. Gardons l’espoir !

Les autres pianistes

Après Cherkassky, Barere, Feinberg, Maisenberg, Maria Grinberg, retour sur deux grandes figures du piano, l’une et l’autre nées à Odessa : Benno Moisievitch et Ania Dorfmann.

Ania Dorfmann (1899-1874)

Ania Dorfmann naît à Odessa en 1899, y fait ses premières études, et joue en public dès l’âge de 11 ans. Elle accompagne même le tout jeune Nathan Milstein, son cadet de trois ans, elle étudie avec Isidor Philipp au Conservatoire de Paris en 1916-1917, revient quelque temps au pays au plus fort de la Révolution bolchevique et quitte définitivement la Russie en 1920. Sa vie et sa carrière passeront ensuite par la Belgique, l’Angleterre et les Etats-Unis, où elle s’installe en 1938. La rencontre avec Toscanini est décisive: avec le chef italien exilé, elle joue, entre autres, les concertos de Beethoven, et enregistre le Premier.

Sony a réédité un coffret indispensable pour apprécier l’art si caractéristique de cette pianiste devenue américaine sans jamais avoir oublié ses racines.

En 1956, Ania Dorfmann rejoint le corps professoral du grand conservatoire de New York, la prestigieuse Juilliard School, où elle formera nombre de pianistes jusqu’à sa retraite en 1983.

Benno Moiseivitch (ou à l’allemande Benno Moiseiwitsch) : 1890-1963

Sans rien savoir de lui, j’avais acheté dans une éphémère collection très bon marché, qui portait bien son nom « Royal Classics » compte-tenu du nombre de pépites qu’elle contenait, un disque que j’ai immédiatement et profondément aimé comme un secret

Ce pianiste, capable de chanter éperdument sans aucune brutalité, sans démonstration de muscles, et pourtant d’une technique pianistique imparable, une source de jouvence à laquelle je ne cesserais plus de revenir, quand je voudrais retrouver le vrai Rachmaninov.

Le jeune Benno gagne, à neuf ans, à Odessa, le prix Anton Rubinstein. Il part étudier à Vienne auprès du légendaire Theodor Lechetitsky (1830-1915). Il joue une première fois à Londres en 1909 (Moiseivitch deviendra citoyen britannique en 1937), en 1919 il rencontre Rachmaninov aux Etats-Unis. Profonde admiration réciproque. Le pianiste compositeur désigne Moiseivitch comme son « héritier spirituel ».

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Moiseivitch donne de nombreux concerts et récitals pour soutenir les forces alliées. Témoin ce document très émouvant :

On aimerait une belle réédition du legs discographique de cet immense musicien, qui complète le double CD paru jadis dans la fabuleuse collection réalisée par Tom Deacon des Grands Pianistes du XXème siècle :

La grande porte de Kiev (VI) : nés à Odessa

Chaque jour apporte son lot d’informations tragiques sur l’Ukraine, au point de risquer de nous y « habituer »… Une ville, parmi d’autres (toutes les autres ?) visées par l’armée russe, est souvent citée, à raison de son histoire, de sa situation stratégique, de l’importance de sa population : Odessa, fondée sur la Mer Noire par Catherine II en 1794.

Nous avons tous vu cette séquence, où des musiciens et choristes de l’opéra d’Odessa chantent le choeur des esclaves de Nabucco de Verdi « Va pensiero » pour dire leur refus de la guerre :

Ce qu’on découvre en feuilletant dictionnaires et livres d’histoire culturelle, c’est l’incroyable nombre et la qualité des grands musiciens qui sont nés à Odessa. Plusieurs billets ne seront pas de trop pour évoquer ces hautes figures de la musique, et rappeler le rôle exceptionnel que la cité portuaire, si riche de son histoire, a joué dans l’éducation et le foisonnement de ces talents.

Des pianistes illustres

Commençons par les pianistes, et quels pianistes !

Shura Cherkassky (1909-1995)

Alexandre Isaacovitch Cherkassky naît en 1909 à Odessa, mais il ne restera pas russe très longtemps, puisque sa famille fuit la Révolution de 1917 pour s’établir aux Etats-Unis. Cherkassky étudie au Curtis Institute de Philadelphie auprès de Josef Hofmann, lui-même Polonais d’origine qui a fui l’Europe au début de la Première Guerre mondiale.

On peut mesurer au nombre de citations du pianiste dans ce blog l’admiration éperdue que je porte à ce pianiste … américain, dont j’attends désespérément qu’un jour un éditeur (mais lequel ?) s’avise de rassembler en un coffret un héritage discographique hors normes. Je découvre presque tous les jours un enregistrement, une perle, que je ne connaissais pas, comme par exemple dans ce coffret un peu fourre-tout, une splendide version du concerto de Grieg, dirigé par un autre grand que j’admire, le chef britannique Adrian Boult

Emile Guilels (1916-1985)

Faut-il faire l’éloge du plus grand pianiste russe du XXème siècle (avec son collègue et ami, né lui aussi en Ukraine, à Jytomir*, Sviatoslav Richter), Emile Guilels ? A la différence de son aîné Cherkassky, Guilels étudie d’abord dans sa ville natale, Odessa, auprès d’un célèbre pédagogue, Yakov Tkach, puis à partir de 1935 au Conservatoire Tchaikovski de Moscou, avant d’entamer une fabuleuse carrière de soliste, concertiste, et d’enseigner à son tour dans le même conservatoire.

Sur la discographie d’Emile Guilels voir Un centenaire

Comme je l’évoquais dans un précédent billet – Beethoven 250 : Gilels/Masur – si l’on veut percevoir ce que Guilels pouvait donner en concert, il faut écouter cette intégrale « live » des concertos de Beethoven donnée à Moscou au mitan des années 70 :

Les noms qui suivent sont peut-être moins connus du public des mélomanes, mais les amateurs de grand piano et de personnalités singulières chérissent depuis longtemps leurs enregistrements… lorsqu’ils sont disponibles.

Simon Barere (1896-1951)

Simon Barere naît le 20 août 1896 dans le ghetto d’Odessa, onzième d’une famille de treize enfants. Il perd son père à 12 ans, joue dans des cinémas ou des restaurants, puis, à la mort de sa mère quatre ans plus tard, il auditionne devant Glazounov et entre au conservatoire de Saint-Pétersbourg. En 1919 il achève ses études, obtient le prix Rubinstein (du nom du célèbre pianiste et compositeur Anton Rubinstein) et s’attire ce compliment de la part de Glazounov : « Barere est Franz Liszt dans une main, Anton Rubinstein dans l’autre ». Barere va ensuite enseigner à Kiev, puis à Riga. Il quitte l’URSS en 1932 pour Berlin, mais fuit rapidement devant la montée du nazisme, d’abord vers la Suède, puis fait ses débuts à Londres, enfin aux Etats-Unis où il se fixe en 1936. Le 2 avril 1951, il joue le concerto de Grieg avec Eugene Ormandy au Carnegie Hall de New York et s’effondre, victime d’une hémorragie cérébrale fatale.

C’est dans ce même Carnegie Hall qu’est enregistrée, en concert, le 11 novembre 1947, une version justement légendaire de la Sonate de Liszt

Samuil Feinberg (1890-1962)

Contemporain de Simon Barere, Samuil Feinberg naît lui aussi à Odessa en 1890, mais va demeurer toute sa vie en Russie puis en Union soviétique, où il va occuper une position singulière. Comme compositeur, il est invité dans les festivals occidentaux, où il fait forte impression, jusqu’à ce que la terreur stalinienne lui interdise ces sorties à l’étranger. Feinberg va se consacrer essentiellement à l’enseignement : durant quarante ans, de 1922 à sa mort il sera l’un des professeurs les plus admirés du Conservatoire de Moscou. Très jeune pianiste, il aura marqué le public en interprétant en concert, pour la première fois en Russie, le Clavier bien tempéré de Bach, les 32 sonates de Beethoven et les 10 sonates de Scriabine. Il laisse un grand nombre de transcriptions, notamment de Bach.

Maria Grinberg (1908-1978)

J’ai déjà consacré à la fabuleuse Maria Grinberg, native elle aussi d’Odessa, tout un article que j’invite à relire : Du piano de toutes les couleurs

Oleg Maisenberg (1945-)

D’une génération plus récente, Oleg Maisenberg, Odessien lui aussi, s’est fait connaître comme un interprète d’élection de Schubert, comme un partenaire régulier du violoniste Gidon Kremer, et, ce qui me touche particulièrement, de la pianiste Brigitte Engerer, disparue il y a bientôt dix ans.

D’autres pianistes nés à Odessa mériteraient d’être cités. Ce sera pour un prochain billet.

Avec l’espoir que, d’ici là, la fière cité fondée par Catherine II ne soit pas, en tout ou partie, détruite par les bombes de Poutine

*Si on pouvait éviter d’écorcher les noms ukrainiens, ce serait le moindre des respects à l’égard de ce peuple. Malheureusement tous les journalistes français ne connaissent pas l’orthographe internationale (anglaise donc !) qui fait qu’on écrit Zhitomir pour la ville ukrainienne de Jytomyr : donc Ji-to-mir (comme jeu) et pas Zi-to-mir. Lire un article déjà ancien de ce blog : Comment prononcer les noms de musiciens ?. Mais on n’en voudra à personne de ne pas prononcer « à la russe » le nom de la ville martyre de Kharkiv (le « kh » étant une lettre – X dans l’alphabet cyrillique – que seuls les germanophones pratiquent comme dans Bach).