Les raretés de l’été (V) : Béatrice Uria-Monzon et Montpellier

Un triste hasard a voulu qu’on apprenne le décès, à 61 ans, de la cantatrice Béatrice Uria-Monzon le jour de la clôture de la 40e édition du Festival Radio France Occitanie Montpellier. Et que le titre de cette rubrique porte particulièrement bien son nom, puisqu’il rend un double hommage à l’artiste disparue et à un festival qui l’accueillit jadis pour ce qui a longtemps fait son originalité absolue – la recréation d’un opéra oublié.

C’est en effet en 2006 que le Festival, alors animé par son fondateur René Koering (à qui j’eus l’honneur et le bonheur de succéder de 2014 à 2022), recréa, avec une distribution de grand luxe, l’opéra mal-aimé de LaloFiesque – qui fut en effet un fiasco. Béatrice Uria-Monzon y chantait aux côtés de Roberto Alagna.

Ils se retrouveront deux ans plus tard à Orange pour une Carmen restée dans toutes les mémoires, que France 4 rediffuse ce mardi 22 juillet.

Si, heureusement, l’inoubliable Carmen qu’a été Béatrice Uria-Monzon sur toutes les scènes du monde a été largement documentée, on ne peut que regretter la rareté de la présence discographique de la chanteuse. Heureusement que des chefs comme les fidèles Jean-Claude Casadesus et Michel Plasson l’ont invitée pour les raretés que sont les cantates de Berlioz ou Ravel, ou l’oratorio Rédemption de César Franck.

Les plus chanceux peuvent essayer de trouver la seule Carmen au disque de Béatrice Uria Monzon, dirigée par Alain Lombard.

Rendez-vous, en tout cas, ce mardi 22 juillet pour une soirée bienvenue d’hommage à une belle personnalité sur France 4

Montpellier

« Depuis 2023, le Festival de Radio France Occitanie Montpellier présente un visage différent. La programmation demeure de grande qualité, les concerts du soir au Corum en constituent toujours la colonne vertébrale, mais le choix des œuvres paraît moins aventureux. Le souvenir de soirées montpelliéraines durant lesquelles nous découvrîmes de véritables raretés, qui justifiaient le déplacement, même de loin, et contribuaient à sa réputation, reste bien présent, non sans nostalgie » (Sébastien Foucart, ConcertoNet, 17 juillet 2025).

Je ne me livrerai pas – je m’y suis toujours refusé dans toutes les fonctions que j’ai occupées – à des comparaisons oiseuses, à des regrets aigris (« c’était mieux avant »!). Le Festival Radio France n’est plus en 2025 ce qu’il était à sa création en 1985. Il a failli, plus d’une fois, perdre l’un de ses piliers fondateurs, Radio France. Aujourd’hui le service public est plus présent que jamais, avec les moyens dont il dispose et qui sont chaque année plus « contraints » – pour reprendre le terme consacré par l’administration de l’Etat. De cela on doit se réjouir.

Mais pour reprendre la dernière décennie, il est vrai, comme le note Sébastien Foucart, qu’on est venu au festival, parfois de très loin, pour des résurrections d’ouvrages rares (17 opéras de 2015 à 2022) parmi lesquels Fantasio d’Offenbach (2015) avec Marianne Crébassa, Iris de Mascagni (2016) et Siberia de Giordano (2017) avec Sonya Yoncheva, Kassya de Delibes (2018) avec Véronique Gens, l’immense Fervaal de d’Indy (2019) avec Michael Spyres et en 2022 la version originale d’Hamlet pour ténor avec John Osborn et l’inoubliable Ophélie de la si regrettée Jodie Devos.

Le projet d’édition discographique de Fervaal n’ayant pas abouti, on peut heureusement retrouver l’écho de sa diffusion sur France Musique sur YouTube

Heureusement en effet, France Musique conserve une mine de trésors captés au Festival depuis 1985 (il y a eu beaucoup de rediffusions cet été). Pourquoi pas une chaîne thématique numérique de plus avec ces formidables archives ? Suggestion à Laurent Frisch et Marc Voinchet !

C’était le premier concert de « ma » programmation, le 10 juillet 2015

Avec un chef que je suis très heureux d’avoir invité plusieurs fois à Montpellier, Domingo Hindoyan, qui fait aujourd’hui l’une des plus intéressantes carrières qui soient, à Liverpool d’abord, et bientôt à l’opéra de Los Angeles. Je découvre dans le tout dernier numéro de BBC Music Magazine, un article dont le ton et le titre sont sans équivoque : Tchaikovsky 6 with passion and power

Et toujours mes humeurs et réactions à l’actualité sur mes brèves de blog

2890 jours : ils ont fait Montpellier (V) Top chefs

Durant mon mandat à la direction du Festival Radio France Montpellier Occitanie (lire 2890 jours) de 2014 à 2022, comme pendant mes années à l’Orchestre philharmonique royal de Liège (Merci), j’ai eu l’obsession de faire découvrir, de susciter la curiosité du public. Après les pianistes, les clavecinistes, les instrumentistes et les formations à cordes, place aux orchestres, choeurs et à leurs chefs et cheffes. Qui nous ont offert des soirées mémorables, sans doute les plus marquantes du festival. Et si certains ensembles et chefs étaient déjà familiers de Montpellier, je suis heureux d’avoir pu inviter des femmes et des hommes de très grand talent, qui, pour certains, occupent aujourd’hui les positions les plus en vue.

Je rêve – peut-être pour les 40 ans du festival – d’une édition discographique qui regrouperait les grandes heures symphoniques et chorales du Festival. Et pourquoi pas ‘d’une chaîne thématique spécifique sur France Musique ?

Montpellier pilier du Festival

Nul n’aurait pu imaginer le festival, hier et maintenant, sans la présence essentielle de l’Orchestre national Montpellier Occitanie. La liste des productions auxquelles il a participé est impressionnante. Il faut en remercier ici tous les musiciens qui n’ont jamais ménagé leur engagement, et donc beaucoup me disaient qu’ils attendaient avec impatience le mois de juillet et l’aventure du Festival.

2015 : Fantasio, dirigé par le regretté Friedemann Layer (1941-2019), pour qui, cette année-là, ce furent des retrouvailles émues avec l’orchestre qu’il avait dirigé de 1993 à 2007.

Pour l’ouverture du festival, j’avais fait appel à Domingo Hindoyan (1980) devenu entre-temps directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Liverpool

et pour la clôture à mon cher Christian Arming, tout indiqué comme Viennois pur jus pour diriger la IXe symphonie de Beethoven !

2016 : Michael Schønwandt  comme chef principal de l’ONM a, bien entendu, été de toutes nos aventures, surtout lorsqu’il s’agissait de redécouvrir quelques fameux ouvrages lyriques (lire 17 opéras)

Mon très cher Paul Daniel, invité en 2015 avec l’Orchestre de Bordeaux, devait diriger l’ONM pour plusieurs concerts Beethoven dans la région Occitanie, lorsqu’est survenu l’effroyable attentat de Nice le soir du 14 juillet 2016. Spontanément, Paul Daniel, les musiciens de l’ONM, la Ville de Montpellier et moi avons décidé d’un hommage, diffusé en direct sur France Musique, le dimanche 16 juillet au soir : L’hommage de Montpellier aux victimes de l’attentat de Nice (Le Figaro)

Domingo Hindoyan revient, cette fois, avec la grande Sonya Yoncheva, son épouse à la ville, pour l’opéra Iris de Mascagni (17 opéras)

2017

Jader Bignamini (Bellini, les Puritains)

Domingo Hindoyan (Siberia Giordano)

Michael Schønwandt 

2018

Marzena Diakun

Michael Schønwandt  (Delibes / Kassya)

George Pehlivanian

2019

Kristjan Järvi

Au lendemain de l’ouverture du festival par son père, Neeme Järvi, son fils Kristjan dirigeait l’ONM dans un programme contemporain

Les violonistes Daniel Lozakovich et Mari Samuelsen encadrant Kristjan (debout) et Neeme Järvi (assis)

Michael Schønwandt  (D’Indy /Fervaal)

2021

Michael Schønwandt 

Domingo Hindoyan : très grand souvenir de la soirée de clôture du festival 2021 avec une carte blanche à Sonya Yoncheva et à son mari !

2022

Pierre Dumoussaud : heureux d’avoir pu compter sur le formidable talent du jeune chef français pour l’ouverture (le 14 juillet) de mon dernier festival, et le Concours Eurovision des jeunes musiciens

Le jury du Concours Eurovision 2022 : debout de gauche à droite le violoniste Tedi Papavrami, la hautboïste Nora Cismondi, le violoncelliste Christian-Pierre La Marca, assis JPR et la présidente du jury, la pianiste Mūza Rubackytė

Michael Schønwandt  (Thomas / Hamlet)

Christopher Warren-Green, une première à l’ONM pour le chef britannique, avec un soliste au patronyme illustre : Gabriel Prokofiev

Les formations de Radio France

Très logiquement, et suivant le pacte fondateur du Festival en 1985, j’ai invité chaque année les formations musicales de Radio France.

Orchestre national de France

2015 Alexander Vedernikov est tragiquement disparu le 26 octobre 2020 à 56 ans des suites du Covid-19.

2016 John Neschling, le grand chef brésilien dirigeait un programme particulièrement original : Epiphanie d’André Caplet (avec le violoncelliste Marc Coppey) et la Symphonie lyrique de Zemlinsky

De 2017 à 2019 c’est Emmanuel Krivine, directeur musical de l’ONF de 2017 à 2020, qui est naturellement venu à Montpellier pour des programmes toujours élaborés dans l’esprit du Festival.

2021 et 2022 C’est le successeur de Krivine, Cristian Măcelaru, qui viendra défendre des programmes particulièrement originaux

Orchestre philharmonique de Radio France

2015 Patrick Davin (lire : Un ami disparaît)

2016 Pablo Gonzalez

2017 Vladimir Fedosseiev : c’est à un vétéran de la direction russe que l’OPRF et le Festival avaient fait appel pour donner la cantate Octobre de Prokofiev, écrite en 1937 pour commémorer les vingt ans de la Révolution russe.

2018 Santtu-Matias Rouvali

2019 Andris Poga

2021 Santtu-Matias Rouvali

Orchestres de jeunes

J’ai tenu, chaque année de mon mandat, à inviter des orchestres de jeunes, puisque la raison d’être même du Festival a toujours été la découverte et la promotion des jeunes talents.

Australian Youth Orchestra (19) / Krzysztof Urbanski

I Culture Orchestra (18) / Kirill Karabits

Jove Orquestra Nacional de Catalunya / Manel Valdivieso (17)

National Youth Orchestra USA (16) / Valery Gergiev

Orchestre des Jeunes de la Méditerranée (21) (22) / Duncan Ward

Les formations invitées

La liste ci-desous indique assez l’éclectisme de nos choix, dans l’idée qu’un Festival doit toujours être une fête populaire, ouverte à tous les publics, à tous les genres.

Le Bagad de Lann-Bihoué (2015)

Le Concert de la Loge / Julien Chauvin (17)(19)

Le Concert Spirituel / Hervé Niquet (15) (17) (19) (21)

Ensemble Les Surprises / Louis-Noël Bestion de Camboulas (18)

Harmonie et Orchestre de la Garde républicaine (18) / Sébastien Billard / Hervé Niquet

Orchestre de chambre de Paris (16) / Douglas Boyd

Orchestre national Bordeaux-Aquitaine (15) / Paul Daniel

Orchestre national du Capitole de Toulouse (16) (17) : Andris Poga / (19) Tugan Sokhiev / Lio Kuokman / (21) Nil Venditi

Orchestre National de Lille (17) / Alexandre Bloch

Orchestre de Pau Pays de Béarn (18) / Fayçal Karoui

Orchestre philharmonique royal de Liège (18) / Christian Arming

Orchestre philharmonique de Tampere (19) / Santtu-Matias Rouvali

Orchestre symphonique national d’Estonie (19) / Neeme Järvi

Les Passions (16) / Jean Marc Andrieu

Il Pomo d’Oro (21)

Pygmalion (16) / Raphaël Pichon

Scottish Chamber Orchestra (22) / Maxim Emelyanychev

Les Siècles (21) / François-Xavier Roth

Sinfonia Varsovia (2015)

Choeurs

Pas de festival réussi, pas de découverte de répertoires inconnus sans la présence des choeurs, celui de Radio France bien sûr, mais aussi durant tant d’années de celui de la radio lettone.

Choeur de l’Armée française (18) / Aurore Tillac

Choeur de l’Armée rouge (17) / Victor Elisseiev

Choeur de Radio France (15) (16) (17)/Sofi Jeannin, (18) Marina Batic (22) Christophe Grapperon

Choeur de la radio lettone / Sigvards Klava (15, 16, 17, 18, 19)

Les Elements (16) Jean-Marc Andrieu, (17) (19) (22) Joël Suhubiette

The King’s Singers (22)

Maîtrise de Radio France (16) / Sofi Jeannin

Opera Junior (16) / Vincent Recoin

Orfeo Donostiarra (2015)

A tous ces formidables ensembles, orchestres, choeurs, et leurs chefs, une immense gratitude pour tant d’émotions partagées.

Le bicentenaire oublié : Lalo ou l’éternel second

Sur les réseaux sociaux, en ce 27 janvier, il n’y en a que pour Renaud C. qui fête ses 47 ans aujourd’hui. La belle affaire ! ce serait donc le seul musicien connu à être né un 27 janvier…

Un lointain Wolfgang Amadé Mozart? aussi un 27 janvier 1756, mais ça ne fait pas un compte rond.

Qui d’autre ? un Lillois au patronyme fleurant bon l’Ibérie de ses ancêtres ? Édouard Lalo est né, il y a 200 ans, le 27 janvier 1823. Mais tout le monde l’a oublié, à l’exception de Diapason dans son numéro de février. Pas un coffret annoncé chez Warner par exemple !

Je n’avais sans doute pas tort de commettre un texte intitulé : Lalo ou l’éternel second. Dans le livret du premier disque monographique que j’avais fait enregistrer à l’Orchestre philharmonique de Liège en 2002.

Je ne vais pas répéter ici ce que je rabâche depuis des années : pourquoi l’unique symphonie de Lalo n’est-elle jamais au programme d’aucun concert ?

J’ai repêché sur un site étranger de seconde main une version dont je connaissais l’existence mais que je n’avais trouvée en CD, celle d’Antonio de Almeida (1928-1997), ce chef français qui a tant fait, surtout en dehors de l’Hexagone d’ailleurs, pour la musique française. Decca aurait-il la judicieuse idée de la rééditer en numérique ?

Dommage que le dossier signé Gilles Saint-Arroman dans Diapason, ne consacre pas une seule ligne à cette symphonie contemporaine de la 3ème de Saint-Saëns, ni même une indication discographique (au moins la version Beecham !).

En revanche, parmi les « cinq joyaux » discographiques recommandés par le magazine, figure en première place un coffret que j’avais ardemment souhaité, puis organisé, avec le concours du Palazzetto Bru Zane: toute l’oeuvre concertante de Lalo, avec l’orchestre de Liège bien sûr, la direction lumineuse de Jean-Jacques Kantorow et une belle brochette de jeunes solistes belges et français.

On aura l’occasion de revenir sur ce bicentenaire, et si je dois être le seul à faire revivre la diversité de l’oeuvre de ce grand compositeur, je m’en acquitterai avec ardeur. Prochains épisodes consacrés aux ouvrages lyriques, aux ballets et pièces d’orchestre, avec quelques pépites discographiques pour les oeuvres les plus connues (Symphonie espagnole, concerto pour violoncelle…)

2890 jours : mes années Montpellier

A la différence d’une ex-ministre de la Culture qui raconte le « calvaire » qu’ont été les 682 jours qu’elle a passés au gouvernement, j’ai envie de raconter les bons souvenirs – et quelques joyeusetés aussi ! – des presque huit années que j’ai vécues à la direction d’un beau festival (lire Le coeur léger).

Nomination

J’ai été nommé directeur du festival Radio France le 18 juillet 2014, quelques semaines après avoir été nommé directeur de la musique de Radio France par le nouveau PDG de Radio France Mathieu Gallet. Deux souvenirs précis de ce moment, l’un cocasse, l’autre émouvant.

L’émotion ce 18 juillet au dernier étage de la tour du conseil régional à Montpellier, c’est celle qui étreint tous les participants au conseil d’administration du Festival, présidé par Christian Bourquin, président du conseil régional Languedoc-Roussillon, que tous savent gravement malade, mais qui n’en laisse rien paraître. A l’issue du CA, Christian Bourquin nous retient Mathieu Gallet et moi dans son vaste bureau. Plus d’une heure, pendant laquelle l’élu balaie l’horizon politique – il est farouchement opposé au redécoupage des régions opéré par François Hollande en 2013, qui donnera naissance en 2016 à un monstre, la région Occitanie -. Mathieu et moi avons le sentiment poignant de recevoir son testament politique. Christian Bourquin décèdera un mois plus tard des suites du cancer du rein qui le rongeait (lire Midi Libre)

Le cocasse de cette nomination c’est le contexte : lorsque Mathieu Gallet m’appelle à la direction de la musique de Radio France, il m’annonce clairement deux choses : je serai aussi le directeur du festival Radio France, mais il souhaite se dégager dès que possible de ce festival, il a d’autres projets à Paris, entre autres une idée, sur le papier séduisante, de Prom’s à la française. Comme toujours rien ne se passera comme prévu… puisque je resterai à la tête du festival jusqu’en juillet 2022 et que Radio France, certes plusieurs fois tenté de s’en retirer a, au contraire, conforté son emprise sur la manifestation, en en reprenant la gestion directe à ma suite.

Inextinguible

Quelques jours après ma nomination, j’écrivais ici même un billet : Inextinguible. Inextinguible comme la 4ème symphonie de Nielsen que dirigeait alors Jean-Claude Casadesus avec ses musiciens lillois, inextinguible aussi comme ma soif de découvertes que je ne parviendrais pas à étancher tout au long des huit années qui allaient suivre (lire l’interview à Forumopera). C’est aussi en ce mois de juillet 2014 que je découvris l’incroyable talent de Santtu-Matias Rouvali, l’actuel chef du Philharmonia.

Je reviendrai sur ces fabuleux souvenirs avec le chef finlandais.

(Santtu-Matias Rouvali, JPR, Jean-Luc Votano et Magnus Linberg / juillet 2019 / Montpellier)

On est heureux de suivre pas à pas l’une des plus passionnantes intégrales des symphonies de Sibelius, où le talent singulier du jeune chef s’épanouit dans un formidable geste recréateur.

La révélation Marie-Ange

La dictature du marketing

Il y a trois ans, je relatais une interview plutôt cash de celui qui allait quitter la direction du Conservatoire de Paris (le CNSMD !), Bruno Mantovani (Soft porn au Conservatoire), et je prenais comme exemple – qu’elle ne m’en veuille pas plus aujourd’hui qu’hier ! – une artiste magnifique qui se soucie bien peu de ressembler à des consoeurs qui bénéficient d’une exposition médiatique qui ne dépend pas uniquement de leur talent pianistique, euphémisme !

J’évoquais alors Marie-Ange Nguci, 24 ans aujourd’hui, que j’ai invitée en 2019 et en 2021 au Festival Radio France. La jeune pianiste née en Albanie m’avait raconté un souvenir très fort, que je m’autorise à reproduire ici. Ce 16 juillet 2019, pour son premier récital à Montpellier, elle paraissait très émue, bouleversée même, tandis qu’elle achevait de répéter sur la scène de la salle Pasteur du Corum. Elle finit par nous expliquer les raisons de son émotion : lorsque sa famille avait débarqué d’Albanie, elle s’était établie quelque part entre Nîmes et Montpellier, et le tout premier concert de la petite fille qui avait commencé l’étude du piano à 4 ans, fut un concert du Festival !

(Photo Caroline Dourthe)

La révélation

J’ai revu et entendu Marie-Ange jeudi dernier au Théâtre des Champs-Elysées, en soliste de l’Orchestre de chambre de Paris et dans le compte-rendu que j’ai fait pour Bachtrack (Deux solistes, une révélation), j’ai parlé à son propos de « révélation ». Révélation pour ceux qui comme moi ne l’avaient jamais entendue dans Mozart. Parce que, pour le grand répertoire romantique, et même plus contemporain – la jeune pianiste semble n’avoir aucune limite à sa curiosité – on savait déjà qu’elle joue dans la cour des grands.

On le sait d’autant plus qu’elle fut l’une des élèves emblématiques du très cher et regretté Nicholas Angelich. Elle fut de ceux et celles qui rendirent l’été dernier un bel hommage au pianiste disparu, dans le cadre du festival de La Roque d’Anthéron.

Mais, comme je l’écris dans mon papier pour Bachtrack, tous les vrais musiciens le savent, rien n’est plus difficile que Mozart. Même les plus grands s’y aventurent avec précaution.

En préparant ce billet, j’ai trouvé cette belle captation d’un autre concerto, le 20ème en ré mineur, réalisée à Lille, il y a quelques mois. Marie-Ange Nguci y démontre ses affinités avec Wolfgang.

On ne boudera pas son plaisir d’entendre ou réentendre la jeune pianiste dans Saint-Saëns ou Rachmaninov, tant elle y est éloquente, souveraine.

Un seul disque en forme de carte de visite pour le moment ! Les responsables de labels seraient bien inspirés de ne pas s’en tenir à ce premier opus…

Intéressant d’entendre ce qu’en disait Marie-Ange Nguci à l’époque, il y a quatre ans déjà !

Une famille formidable

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C’est un peu notre grand-mère à tous qui s’en est allée cette nuit. La doyenne des comédiens français (et des Comédiens-Français !), Gisèle Casadesus est morte à l’âge de 103 ans, nous l’aimions bien cette délicieuse vieille dame à l’élégance si naturelle.

Je ne l’ai pas connue directement, mais je connais bien plusieurs membres de cette immense famille, au patronyme renommé depuis des générations, les Casadesus.

Commençons par les descendants directs de la défunte :

nee-en-14_article_landscape_pm_v8(Photo de famille prise à l’occasion du centième anniversaire de Gisèle Casadesus)

Le plus célèbre des quatre enfants de Gisèle est – à droite sur la photo – Jean-Claude Casadesus, l’âme et le patron incontesté de l’Orchestre National de Lille durant quarante ans.

Quelques souvenirs récents avec cet éternel jeune homme, un beau concert à Montpellier en juillet 2014 (Inextinguible); quelques mois plus tard à mon invitation il dirigeait l’Orchestre National de France pour le Grand Echiquier spécial d’hommage à Jacques Chancel en janvier 2015. Et encore à des concerts d’autres orchestres et d’autres chefs, où je le vois parfois accompagné par son jeune frère compositeur Dominique Probst (à gauche sur la photo de famille)

Je n’oublie pas l’inauguration en janvier 2013 de la toute nouvelle salle du Nouveau Siècle à Lille, un projet porté à bout de bras par J.C. Casadesus, et un programme qui donnait à entendre La Voix humaine de Poulenc, interprétée – on restait en famille – par la fille du chef, Caroline Casadesus ! Qui, elle-même, a été mariée avec le violoniste de jazz Didier Lockwood.

Comme par hasard, les deux fils de Caroline sont aussi musiciens, tombés dès leur plus jeune âge dans le bain du jazz (influence du beau-père Didier Lockwood ?) et du classique. Je me rappelle très bien le choc éprouvé un dimanche matin dans Thé ou caféil y a une petite dizaine d’années, à découvrir Thomas et David Enhco, l’un au piano, l’autre à la trompette. Depuis, nos chemins n’ont cessé de se croiser, et ils font honneur à la dynastie familiale (lire Musique sans protection).

D’une autre branche des Casadesus, on connaît bien sûr les pianistes Robert, Gaby (sa femme), et Jean (leur fils). J’ai raconté comment j’avais eu l’honneur de connaître Gaby Casadesus (Tout sur Robert). Le legs discographique de ces pianistes magnifiques est heureusement réédité (même si ce coffret n’est pas exhaustif)

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Autres figures musicales illustres de la famille : Marius, fils du patriarche Luis, et oncle de Gisèle et Robert, génial faussaire, qui a fini par avouer, en 1977, être le véritable auteur d’un concerto pour violon attribué à …Mozart, qu’il disait avoir redécouvert en 1931.

Marius a eu un fils, Gréco Casadesus, avec qui j’ai été en contact dans une circonstance bien particulière.

Pour célébrer les 50 ans de la fondation officielle en 1960 de l’Orchestre de Liège – devenu Orchestre philharmonique royal de Liège – j’avais imaginé, avec la complicité de l’éditeur Cypresde rééditer en 2010 la totalité des enregistrements commerciaux réalisés par l’orchestre des années 60 à 2009. Un coffret de 50 CD (vendu 50 €). Il fallait évidemment l’accord des interprètes eux-mêmes, des différents labels, et de leurs directeurs artistiques. Il se trouve que les premiers disques commerciaux de l’Orchestre furent enregistrés sous la baguette de Paul Straussen 1972/73, pour EMI/Pathé-Marconi qui cherchait à se développer en dehors de l’Hexagone : le directeur artistique qui réalisait là ses tout premiers enregistrements était un jeune homme de 22 ans, Gréco Casadesus, avec qui j’ai correspondu et qui, pour le livret du coffret-anniversaire, avait bien voulu livrer quelques souvenirs émouvants.

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On n’a pas fini de fréquenter cette grande famille d’artistes, qu’on salue affectueusement au moment où leur doyenne les quitte…

Fontaines centenaires

Les heureux festivaliers présents à Montpellier le 21 juillet dernier ont eu la chance d’entendre la lumineuse version de l’Orchestre National de Lille et de son chef Alexandre Bloch d’une oeuvre centenaire, Les Fontaines de RomePremier volet de ce qui deviendra la « trilogie romaine » de Respighicréé le 11 mars 1917 au Teatro Augusteo de Rome.

Une récente visite à l’une de mes adresses favorites à Paris – Melomania – m’a fait découvrir – et acheter – un disque qui m’a doublement intrigué : Respighi au piano à 4 mains – alors qu’on n’imagine pas la richesse, le raffinement de l’orchestre du compositeur italien réduits à un clavier en noir et blanc- et le patronyme de l’un des interprètes :

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La ressemblance avec le compositeur est frappante :

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Norberto Cordisco Respighi est bien un descendant du compositeur, et si l’on en croit son profil professionnel, aussi bon musicien que… banquier ! Je connaissais déjà son partenaire, Giulio Biddau, par un beau disque Fauréparu il y a quelques années.

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La très bonne surprise de ce disque, c’est que la crainte de la « réduction » des somptuosités orchestrales de Respighi au piano était vaine. On écoute ces oeuvres – Les Fontaines et Les Pins de Rome – d’une oreille neuve, les couleurs que mettent les deux pianistes à leur clavier parant ces tableaux de nuances qui ne cherchent pas à reproduire l’orchestre.

Il se trouve que les deux pianistes proposent ce programme en concert le lundi 2 octobre à l’Institut Italien à Paris (détails ici). Disque et concert vivement conseillés !

Et, comme un clin d’oeil à mon billet d’avant-hier (C’était mieux avant ?), ma petite « discothèque idéale » de ces Fontaines de Rome.

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J’ai eu la chance de pouvoir chroniquer cette réédition inespérée – Diapason d’Or – d’un des rares élèves de Respighi, un chef complètement oublié, Antonio Pedrotti (cf. Diapason n°650).

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A peu près au même moment (Les Fontaines de Pedrotti datent de 1961, prise de son exceptionnelle !), Fritz Reiner fait ruisseler ces Fontaines dans une Living Stereo éblouissante avec « son » orchestre de Chicago

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Karajan et ses Berlinois délivrent une palette exceptionnelle de couleurs.

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Moins souvent citée, mais passionnante, parce qu’accentuant la modernité de la partition, la version du chef/compositeur Giuseppe Sinopoli avec l’orchestre philharmonique de New York.

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https://www.youtube.com/watch?v=obXDZuPCkaw

Salut les artistes !

D’abord salut respectueux à un artiste parfait, admirable et admiré dans tout ce qu’il a joué, Claude Rich

Retour sur une première partie de Festival qui, depuis son ouverture polyphonique à Pibrac (Révolutionsemble séduire des publics de plus en plus nombreux. Et salut à tous ces amis musiciens qui, de concert en concert, enchantent nos oreilles et…frustrent le directeur que je suis et qui n’a pas le temps de suivre tous ces concerts, surtout lorsqu’ils se déroulent simultanément en plusieurs lieux du grand territoire de l’Occitanie.

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Première revue de détail non exhaustive.

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(Jean Paul Gasparian sur une place noire de monde de Saint Jean de Védas le 12 juillet)

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IMG_0251(Frederik Steenbrink et Isabelle Georges le 17 juillet après un bouleversant Happy End)

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Retrouvailles avec Renaud Capuçon et Emmanuel Krivine après un magnifique concert de l’Orchestre National le 19 juillet.

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Un trio de choc et de grâce avec Marc Bouchkov, Christian-Pierre La Marca et Philippe Cassard (ici un extrait du mouvement lent du 1er trio de Mendelssohn)

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(Répétition du poème symphonique (1912) Aux Heures de la nouvelle lune de Nikolai Roslavets) Alexandre Bloch  aux commandes de l’Orchestre National de Lille en grande forme dans un programme idéal pour le Festival : De Moscou à Rome

Tous les concerts du festival à écouter ou réécouter sur Francemusique.fr et toutes les vidéos du Festival à retrouver sur la chaîne Youtube #FestivalRF17

Est-ce ainsi qu’on aime la musique ?

J’ai essayé, mais je n’ai pas tenu plus d’une demi-heure. Et depuis vendredi soir, je lis, sur Facebook, à peu près autant de commentaires passionnés, violents, assassins même sur l’émission que sur Mélenchon, c’est dire ! C’était Prodiges sur France 2…

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Mon ami Marc Coppey écrit : Quelle foutaise! Et qu’on ne vienne pas dire que c’est cet abaissement qui amène le public à la musique et les jeunes à la pratique ! En contrepoint d’un extrait vidéo de l’émission de vendredi soir qui proclame : Quelle merveille !
Camille Berthollet en duo avec Gautier Capuçon jouent « Palladio » de Jenkins. A revoir sans modération…! S’en suivent, à l’heure où j’écris ces lignes, une bonne centaine de « commentaires » très contrastés.

Je ne vais pas reprendre ici ce que j’ai maintes fois exposé, ici même, et dans le cadre de mes responsabilités professionnelles : la musique classique est à tout le monde et pour tout le monde, et une grande émission de télévision – comme jadis Le Grand Echiquier – peut puissamment contribuer à « amener le public à la musique et les jeunes à la pratique », comme le dit Marc Coppey.

Ce qui est en cause ici, c’est le formatage – aucune séquence ne doit dépasser le temps d’une chanson, 3 minutes ! – et, sous prétexte de bienveillance envers tous ces jeunes si gentils musiciens, la présentation caricaturale de l’expression d’un talent, du travail d’un artiste.

J’avoue, j’ai zappé après ces deux séquences de début de soirée.

Qui a eu l’idée folle de laisser cette jeune fille sombrer, en direct, dans ce qui était présenté comme « Le concerto de Tchaikovski » ?

Et cette autre – jolie voix certes – se ridiculiser dans Nessum (sic) dorma ?

Je ne parlerai pas de la suite, puisque je ne l’ai pas vue, et j’ai sans doute eu tort, puisque plusieurs de mes proches m’ont dit avoir regardé la soirée avec plaisir.
J’aurais aimé dire bravo à l’excellente initiative (la seule ?) qui a consisté à faire chanter des milliers d’enfants, à rassembler toutes ces voix pour le bonheur de faire choeur. Depuis longtemps je crois (et j’écris : L’absente) que tous les enfants, à l’école primaire, devraient bénéficier d’une heure de chant choral par semaine. La mesure simple et égalitaire par excellence, une formation à l’écoute mutuelle, au respect, à la discipline, une école du bonheur.
Pour en revenir à Prodiges, je reste convaincu (indécrottable optimiste que je suis !), qu’on peut servir, présenter, la musique classique à une heure de grande écoute, sans la dénaturer ni la caricaturer, en respectant les compositeurs comme les interprètes, surtout s’ils sont jeunes et encore maladroits. Même sous forme de compétition amicale. Et puis les programmateurs pensent-ils que le « grand public » auquel ils pensent s’adresser est à ce point obtus, ignare, qu’on doive lui servir toujours les mêmes « tubes », plus ou moins massacrés et/ou arrangés ? Comme si la musique classique se résumait à une playlist d’une trentaine de titres…
Pendant que les téléspectateurs français regardaient France 2, les Belges se passionnaient pour la finale du Concours Reine ElisabethUn concours qui s’ouvrait pour la première fois au violoncelle, et qui a couronné l’un des plus brillants représentants d’une exceptionnelle génération de jeunes talents français : Victor Julien-Laferrière

https://www.youtube.com/watch?v=TydSsi-8JoI

Mais, toujours sur Facebook, chacun y est allé de son avis sur le palmarès, beaucoup ont regretté que Bruno Philippe n’ait pas même été classé dans les six premiers.

Je ne retire pas un mot de l’article que j’avais écrit il y a trois ans : De l’utilité des concoursMais je pourrais comprendre… qu’on ne partage pas mon avis !

Le danseur et la philosophe

Comme souvent des lectures parallèles, poursuivies au gré des circonstances, et qui n’ont aucun rapport entre elles.

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Je n’appartiens pas au club des fidèles de Philippe Grimbert, j’ai plus été attiré par le sujet que par l’auteur. Mais l’exercice est réussi. Ce n’est pas exactement un livre de plus sur le danseur star du XXème siècle. Quand le romancier emprunte les traits d’un psychanalyste, la fiction devient troublante réalité.

De retour de sa première visite en Russie depuis son célèbre saut vers la liberté, le danseur étoile Rudolf Noureiev, mal dans sa peau, consulte Tristan Feller, psychanalyste du Tout-Paris. Le thérapeute est rapidement déstabilisé par la personnalité hors du commun de « Rudik », qui impose un cours peu orthodoxe à la cure : plongée dans l’histoire d’une légende vivante mais aussi affrontement entre les deux hommes durant lequel se déploient jeux de pouvoir et de fascination.

L’essai de Mazarine Pingeot, pour n’avoir pas la palme de l’originalité, présente le double avantage de l’expertise et de l’expérience. Expertise parce que l’auteur opère une synthèse réussie des idées brassées partout et par tous depuis l’apparition des systèmes d’information instantanée, expérience parce que le fille longtemps cachée de François Mitterrand sait de quoi il retourne en matière de secret et de transparence !

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De la presse à scandale à la téléréalité, de la vie de nos dirigeants politiques au traitement de l’information, des nouvelles technologies aux réseaux sociaux, l’exigence de transparence s’est imposée dans tous les domaines, gommant subrepticement la frontière entre espace privé et espace public. Entre injonction morale et fantasme de contrôle absolu, le règne de l’image et du tout-visible ne risque-t-il pas de nous conduire à la lisière du totalitarisme ?

P.S. Après avoir écrit sur ce blog Non merci, je dois reconnaître la performance artistique de certains joueurs de foot comme le but marqué par Dimitri Payet le soir de France-Roumanie. Pour le reste, la banalisation des images, match après match, des bagarres rangées de supporters dans les rues de Marseille ou de Lille ou d’ailleurs, n’est pas près de me faire changer d’avis…