L’autre Richter du piano

Cela fait longtemps que j’aurais dû évoquer cet illustre pianiste, par exemple l’année dernière dans la série Beethoven 250.

Hans Richter-Haaser est l’archétype du pianiste allemand, abreuvé aux sources les plus classiques, Beethoven, Brahms, Schumann. Il naît en 1912 à Dresde et meurt en 1980 à Brunswick. Sa carrière est relativement brève et tardive – la Seconde guerre mondiale l’interrompt de longues années. Il ne fait ses débuts à New York qu’en 1959 – il a 47 ans ! – et à Salzbourg en 1963.

Sur les traces de Brahms

En 1947 Hans Richter-Haaser s’installe à Detmold, une ravissante cité de l’actuel Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, jadis chef-lieu du comté de Lippe. Où 90 ans plus tôt, Brahms a occupé, de 1857 à 1859, le poste de professeur de musique et de directeur de la société de chant de la Cour du prince Leopold III de Lippe. Une ville visitée lors de mon premier séjour en Allemagne (lire La découverte de la musique : France-Allemagne).

Dans le château de Detmold est conservé cet étrange piano ovale qui fut celui de Brahms.

Brahms qui, pendant son séjour à Detmold, entreprend son 1er concerto pour piano, compose ses deux sérénades pour orchestre, des Lieder, dont Unter Blüten des Mai’s spielt’ich mit ihrer Hand. Ce lied évoque une rencontre, celle d’Agathe von Siebold. Un été, il s’adonnera à sa nouvelle passion avec tant de fougue que Clara Schumann sera vexée qu’il ait rencontré une autre femme aussi vite. Son deuxième sextuor à cordes opus 36 fait, dans la première phrase, allusion à Agathe von Siebold : il contient en effet la suite de notes : la-sol-la-si-mi (en allemand : A-G-A-H-E). Peu après leurs fiançailles, Brahms change d’avis : il se sent incapable d’avoir une liaison. Il restera célibataire le restant de ses jours…

Beethoven d’abord

Richter-Haaser se fait repérer, heureusement, par quelques grands chefs et directeurs artistiques. Ce qui nous vaut une discographie certes restreinte mais d’une exceptionnelle qualité, pour la majeure partie consacrée à Beethoven.

Première salve Beethoven chez Philips : en novembre 1955 il enregistre aux Pays-Bas les sonates 8, 14 et 23, en mars 1956 les 21 et 28, en mai 1958 la 24, et en juin 1957 à Vienne il se joint à un prestigieux plateau – Teresa Stich-Randall, Hilde Rössl-Majdan, Anton Dermota, Paul Schöffler – pour la seule version enregistrée par Karl Böhm de la Fantaisie chorale de Beethoven

Walter Legge, le célèbre producteur d’EMI, l’attire dans son écurie et, de 1959 à 1964, va lui faire enregistrer, dans les mythiques studios d’Abbey Road, les concertos 3, 4, 5 de Beethoven (avec le Philharmonia dirigé par Giulini et Kertesz), treize sonates et les variations Diabelli.

Un coffret très précieux, un indispensable de toute discothèque.

Karajan, Sanderling, Moralt

Hans Richter-Haaser laisse au disque deux magnifiques concertos de Brahms : le second avec Karajan, magnifiquement capté en stéréo à Berlin, en 1957.

Le premier concerto (celui que Brahms entama à Detmold !) est capté « live » à Copenhague avec Kurt Sanderling :

Les collectionneurs connaissent quelques rares autres disques du pianiste allemand :

Les concertos de Grieg et de Schumann, gravés pour Philips, en 1958 à Vienne : ce n’est pas faire injure à Richter-Haaser que de noter que son Grieg est bien sérieux, et que l’accompagnement de Rudolf Moralt – dont c’était le dernier enregistrement ! – est bien plan plan !

Des sonates de Schubert

Deux concertos de Mozart avec Istvan Kertesz, reparus en CD en 1991 (pour le bicentenaire de la mort du compositeur) mais devenus introuvables

Et puis à nouveau Beethoven captés en concert en 1971 et 1978 à Leipzig avec le grand chef est-allemand Herbert Kegel.

Le piano venu de l’Est (II) : Annerose Schmidt

J’avais ouvert avec Peter Rösel une série sur ces remarquables musiciens nés, éduqués en Allemagne de l’Est, dont la carrière a été, politique oblige, confinée dans la sphère orientale de l’Europe : Le piano venu de l’Est

Le concert et la présence à Paris de Peter Rösel (L’évidence de la simplicité), ses interventions sur les antennes de France Musique et de France Inter, à l’occasion du trentième anniversaire de la chute du Mur de Berlin, ont rappelé à nos oreilles occidentales ce qu’il en était de l’organisation de la vie musicale à l’est du Rideau de fer.

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(Peter Rösel et Jean-Baptiste Urbain à France Musique le 7 novembre / Photo Yves Riesel)

Autre exemple d’une carrière brillante qui n’a jamais rencontré les faveurs du public occidental, sauf par le disque et encore !, celle de la pianiste Annerose Schmidt, de son vrai nom Annerose Boeck.

Annerose Schmidt naît le 5 octobre 1936 à Wittenberg au nord de Leipzig. Son père est le directeur de l’école de musique et commence à lui enseigner le piano en 1941. Elle donne son premier concert en public en 1945 et reçoit en 1948 un diplôme de concert et un permis professionnel en tant que pianiste de concert officiellement reconnu dans ce qui était zone d’occupation soviétique. Elle donna le premier de ses concerts à la radio berlinoise en 1949. Après avoir passé son examen de fin d’études (« Abitur »), Annerose Schmidt part étudier à l’Académie de musique de Leipzig entre 1953 et 1957.

En 1955, elle reçoit une mention spéciale au Concours international de piano Chopin à Varsovie. L’année suivante elle remporte le tout premier concours international Robert Schumann pour pianistes et chanteurs, qui se tient à Berlin. Ces succès lancent efficace sa carrière internationale… en Pologne, Roumanie, Hongrie, Bulgarie et en Union soviétique.

Son répertoire comprend près de quatre-vingts concertos pour piano, dont ceux de Mozart, Beethoven, Bartók, Chopin et Ravel. Elle joue tout le répertoire pour piano de Schumann et Brahms, mais aussi de la musique contemporaine.

À partir de 1958, elle peut se rendre épisodiquement en Allemagne de l’Ouest et se produire avec des chefs et des orchestres renommés en Finlande, en Suède, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg et en Autriche.  Jamais en France !

En 1985, elle est nommée professeure au Conservatoire Hanns Eisler de Berlin, qu’elle dirige entre 1990 et 1995. Annerose Schmidt a mis fin à sa carrière d’interprète pour raisons de santé en 2006.

ums_photos_01735J’ai d’abord connu Annerose Schmidt par la formidable intégrale des concertos de Mozart qu’elle a gravée au mitan des années 70 avec Kurt Masur et l’orchestre philharmonique de Dresde (le concurrent de la Staatskapelle). J’aime ce jeu franc, direct, qui donne à entendre toutes les facettes de Mozart, un piano très bien enregistré avec des partenaires qui ne surchargent pas d’intentions les ombres et lumières de l’orchestre mozartien.

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Puis j’ai recherché les quelques autres rares disques disponibles en Occident, les concertos de Chopin, toujours avec Masur (et Leipzig) – nettement moins convaincants – les Schumann et Brahms pour le piano seul, qui réservent de belles surprises.

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Dresde, les indispensables

Leipzig, c’est promis, je reparlerai en détail de ses musiciens, orchestres, compositeurs ! Et de Dresde aussi, le sujet est inépuisable (La Florence du nord)

Mais Dresde déjà, quelques disques ou coffrets mythiques, indispensables ! Si vous cherchez encore à faire des cadeaux pour cette Saint-Sylvestre, ou juste à des personnes que vous aimez, tout ce qui suit est à écouter/acheter/offrir les yeux fermés.

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Günther Herbig m’avait raconté que cet enregistrement des douze symphonies dites « londoniennes » de Haydn tenait du miracle. Tout le monde avait oublié la date de l’enregistrement de ces douze symphonies. Le jour dit, en plein hiver, les micros de l’unique entreprise de disques de la RDA se posaient dans la salle de la Philharmonie de Dresde pour capter les 12 dernières symphonies de Haydn. Personne n’était prévenu, ni chef, ni orchestre. Triomphe de la bureaucratie ! Malgré tout, il fallait respecter les ordres. C’est ainsi, toujours selon le chef allemand, que certains de ces enregistrements résultent d’une seule prise… sans répétition ! Et dans une prise de son magnifique, comme l’étaient presque toujours celles de l’Allemagne de l’est.

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Evidemment, la Staatskapelle de Dresde est l’orchestre « straussien » par excellence. L’intégrale de l’oeuvre concertante et orchestrale de Richard Strauss que grava Rudolf Kempe dans les années 70 fait toujours figure de référence, tant la souplesse, la transparence et la sensualité de l’orchestre saxon s’y déploient.

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L’intégrale Schumann de Sawallisch réalisée à peu près à la même époque reste indétrônée. Tout comme les dernières messes de Schubert.

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Eugen Jochum a enregistré une deuxième intégrale des symphonies de Bruckner. Sans renier la première, on revient toujours avec bonheur à celle-ci.

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Pour qui aime Beethoven, deux visions assez singulières et contrastées des symphonies, l’une, méconnue, oubliée, d’un grand chef qui fit beaucoup pour la musique de son temps, le Dresdois Herbert Kegell’autre gravée par le vénérable Herbert Blomstedt (qui vient de récidiver avec Leipzig, on en reparlera !), avec les deux orchestres concurrents de la ville. Deux coffrets à tout petit prix !

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On aime bien aussi cette intégrale des symphonies de Schubert par Blomstedt (comme celle que réalisera ultérieurement avec la même Staatskapelle Colin Davis).

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Justement du passage de Colin Davis à la direction de la phalange saxonne nous sont restés beaucoup de beaux disques. Ce coffret de prises de concert en est une belle illustration.

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Il faudrait aussi citer tout ce qu’a laissé Giuseppe Sinopolichef de la Staatskapelle de 1992 à sa mort brutale en 2001.

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Pour qui aime les concertos de Mozart, une intégrale très bien captée autour d’une artiste demeurée complètement inconnue à l’Ouest, la pianiste Annerose Schmidtaccompagnée par Kurt Masurdu temps où il dirigeait la Philharmonie de Dresde (avant le Gewandhaus de Leipzig)

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Enfin pour ceux qui voudraient un « digest » de la monumentale édition de « live » de la Staatskapelle entreprise par Hänssler, un double CD qui voit défiler les plus grands chefs du moment.

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Et puisque nous sommes le 31 décembre, ce gala de la Saint-Sylvestre 2011 s’impose

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Enfin pour plaire aux fans de Jonas Kaufmann... et du prestigieux orchestre, cette soirée d’hommage à Wagner, dont le nom et l’oeuvre sont si intimement liés à Dresde :

https://www.youtube.com/watch?v=k0erPkvAN7Q