Warner nous fait le cadeau de nous restituer, après une remastérisation spectaculaire, la seconde partie du legs discographique d’Otto Klemperer (1885-1973).
Je ne sais pourquoi je n’ai pas évoqué ici le premier coffret paru avant l’été, immédiatement acheté, et réécouté avec ravissement.
Relire tout ce que j’écrivais ici même en 2016 : Eloge de la lenteur, à propos déjà d’une somme de coffrets séparés qui nous avaient rendu (mais sans la « plus-value sonore » de la nouvelle remastérisation) l’héritage du grand chef allemand, disparu il y a 50 ans, le 6 juillet 1973, à Zurich.
Le second coffret comprend les quelques opéras et oeuvres sacrées que Klemperer a gravés sur le tard.
Je l’avais déjà constaté à l’écoute du corpus symphonique, Klemperer n’est jamais tout à fait où l’on attend. C’est plus vrai encore ici. J’essaie, depuis que j’ai reçu ce second coffret, de m’abstraire d’un certain nombre de clichés : que Bach, Haendel ou Mozart ne pourraient plus être écoutés qu’à l’aune des trépidations des Harnoncourt, Gardiner et autres « revisiteurs » des classiques.
Mon Dieu, qui nous élève aujourd’hui à des sommets de spiritualité, de joie profonde, dans La Passion selon Saint-Matthieu ou la Messe en si? Moi qui ai été nourri à la première révolution haendelienne de Colin Davis et de son Messie si élancé de 1966, je trouve dans celui de Klemperer une grandeur, une ferveur, qui m’émeuvent au plus haut point.
La Missa solemnis est depuis toujours ma version n°1, parce que personne n’a, comme Klemperer, jamais été plus loin dans l’inhumaine grandeur de ce monument.
La Flûte est absolument enchantée, enchanteresse même, la magie opère sans qu’il soit jamais besoin de hacher ou précipiter le discours. On peut rêver de plus de théâtre dans les trois Da Ponte, mais, à nouveau, si l’on fait abstraction de ce que l’on a engrangé dans sa mémoire, on redécouvre tant de beautés, et souvent ‘une énergie souterraine, moins immédiate.
Quant aux Wagner, avec un formidable Vaisseau fantôme et le premier acte de la Walkyrie – en plus des pages symphoniques déjà rééditées dans le premier coffret – ils sont d’autant plus précieux qu’ils sont parcimonieux.
Josef Krips, né à Vienne en 1902, mort à Genève en 1974, est sans doute l’incarnation du chef d’orchestre viennois. Reste à définir ce qui distingue Vienne du reste des capitales européennes.. et ce n’est pas ici qu’on va s’y risquer en quelques mots. Historiquement, c’est en tous cas le centre et le phare de l’Europe musicale aux XVIIIème, XIXème et (début du) XXème siècles.
J’ai failli ne pas apercevoir une édition/réédition qui me réjouit au plus haut point.
L’intérêt considérable de ce coffret c’est de regrouper des disques publiés jusqu’alors sous des labels disparates, voire de révéler des enregistrements que je ne connaissais pas. Voir le détail ci-dessous.
Premier souvenir personnel : pour l’option musique du bac, il y avait au programme la première symphonie de Beethoven. J’ai déjà raconté mes premiers pas dans la constitution d’une discothèque classique (Initiation), c’était à Poitiers. Priorité aux collections « économiques », vu la modestie de mes moyens. Et pour écouter cette première symphonie de Beethoven, c’est sur ce disque bon marché que je jetai mon dévolu :
Déjà à l’époque, sur ma petite chaîne stéréo Dual, et malgré un diamant de bonne qualité sur ma platine, je trouvais que la prise de son et/ou la gravure n’étaient pas satisfaisantes.
Plus tard, sous différents labels, je chercherais à acquérir l’intégrale de ces symphonies gravées à Londres par Josef Krips au début des années 60. On frisait souvent la catastrophe, comme le montre cet extrait :
Le coffret Scribendum nous restitue enfin cette intégrale de référence dans un son enfin lumineux.
Il y a bien sûr quelques enregistrements bien connus, déjà réédités par Decca, et récemment dans la merveilleuse collection Eloquence (les Strauss par exemple).
C’est ici que s’exprime le mieux l’art de Krips le Viennois, le sens parfait des proportions, la justesse des tempi, des articulations : rien n’est plus difficile à diriger qu’une valse de Strauss, on en a la démonstration chaque année le 1er janvier. Avec Krips tout semble si naturel. Comme dans ses Schubert.
Pour le reste, les collectionneurs avaient depuis longtemps repéré des Mozart et Haydn parus, entre autres, sous le label Chesky, les ouvertures de Beethoven (avec un « orchestre du festival de Vienne » qui n’est autre que le faux nez des Wiener Philharmoniker), des Brahms et Schubert chez Concert Hall, et – pour moi une découverte – des Brahms et Richard Strauss gravés avec le Philharmonia, réédités par Testament.
Encore un indispensable de toute discothèque.
Les détails du coffret
CD 1 Franz Joseph Haydn (1732-1809) Symphony No.94 in G major « Surprise » Symphony No.99 in E flat major Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) Symphony No.40 in G minor KV 550 *
Wiener Philharmoniker Orchestre National de France * Recording: Sept. 1957 [Haydn]; Nov. 2, 1965 [Mozart]
CD 2 J. Strauss II (1825-1899) An der schönen blauen Donau Op.314 J. Strauss II (1825-1899) & Josef Strauss (1827-1870) Pizzicato-Polka Op.447 J. Strauss II (1825-1899) Kaiser – Walzer Op.437 Rosen aus dem Süden – Walzer Op.338 Accelerationen – Walzer Op.234 Josef Strauss (1827-1870) Dorfschwalben aus Österreich – Walzer Op.164 * J. Strauss II (1825-1899) Frühlingsstimmen – Walzer Op.410 *
CD 3 Piotr Illich Tchaikovsky (1840-1893) Symphony No.5 in E minor Op.64 Franz Peter Schubert (1797-1828) Symphony No.8 in B minor D. 759 « Unfinished » *
Wiener Philharmoniker Wiener Symphoniker * Recording: Sept. 1958; June 3, 1962 [*]
CD 4 Johannes Brahms (1833-1897) Symphony No.1 in C minor Op.68 * Robert Schumann (1810-1856) Symphony No.1 in B flat major Op.38 « Spring »
Wiener Philharmoniker * London Symphony Orchestra Recording: Oct. 1956 [*]; May 1957
CD 5 Ludwig van Beethoven (1770-1827) Overtures: Fidelio, Op.72 Egmont, Op.84 Coriolan, Op.62 Leonore No.3, Op.72a Die Weihe des Hauses, Op.124
Wiener Festspielorchester Recording: 1962
CD 6 Ludwig van Beethoven (1770-1827) Symphony No.1 in C major Op.21 Symphony No.3 in E flat major Op.55 « Eroica »
London Symphony Orchestra Recording: Jan. 1960
CD 7 Ludwig van Beethoven (1770-1827) Symphony No.2 in D major Op.36 Symphony No.6 in F major Op.68 « Pastorale »
London Symphony Orchestra Recording: Jan. 1960
CD 8 Ludwig van Beethoven (1770-1827) Symphony No.5 in C minor Op.67 Symphony No.7 in A major Op.92
London Symphony Orchestra Recording: Jan. 1960
CD 9 Ludwig van Beethoven (1770-1827) Symphony No.4 in B flat major Op.60 Symphony No.8 in F major Op.93 Egmont; Overture Op.84
London Symphony Orchestra Recording: Jan. 1960
CD 10 Ludwig van Beethoven (1770-1827) Symphony No.9 in D minor Op.125 « Choral »
Jennifer Vyvyan soprano, Shirley Verrett mezzo-soprano Rudolf Petrak tenor, Donald Bell bass BBC Chorus, Leslie Woodgate Chorus Master London Symphony Orchestra Recording: Jan. 1960
CD 11 Robert Schumann (1810-1856) Symphony No.4 in D minor Op.120 * Franz Peter Schubert (1797-1828) Symphony No.9 in C major D. 944 « The Great »
London Symphony Orchestra Recording: Oct. 1956 [*]; May 1958
CD 12 Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) Symphony No.35 in D major KV 385 « Haffner » Franz Joseph Haydn (1732-1809) Symphony No.104 in D major « London » Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) Symphony No.41 in C major KV 551 « Jupiter » *
Royal Philharmonic Orchestra Israel Philharmonic Orchestra * Recording: Sept. 28-29, 1962; April 1957 [*]
CD 13 Johannes Brahms (1833-1897) Academic Festival Overture Op.80 * Variations on a theme by Joseph Haydn, Op.56a Tragic Overture Op.81 * Richard Strauss (1864-1949) Der Rosenkavalier Suite
Philharmonia Orchestra Recording: June 22, 1963 [*]; June 1, 1963
CD 14 Johannes Brahms (1833-1897) Symphony No.2 in B minor Op.73 * Richard Strauss (1864-1949) Till Eulenspiegels lustige Streiche Op.28
Tonhalle Orchester, Zürich * Wiener Symphoniker Recording: May-June 1960 [*]; August 1972
Et voilà la suite de Igor Markevitch la collection Philips (lire Sous les pavés la musique IX). A la différence du coffret EloquencePhilips, ce nouveau coffret Eloquence ne recèle pas d’inédit ou de rareté. Tous les disques réunis ici avaient déjà été réédités séparément ou en de petits coffrets, sauf peut-être les symphonies de Beethoven (il y en a une partie ici, l’autre partie dans le coffret Philips, et l’ensemble était disponible dans un coffret DG japonais, trouvable aussi en Allemagne)
Références et raretés
Quatre grandes périodes d’enregistrement pour la marque jaune :
de 1953 à 1955 avec l’Orchestre philharmonique de Berlin, des versions bien connues de Berlioz (une première Fantastique ainsi qu’Harold en Italie), de Tchaikovski (la Pathétique), mais surtout les 3ème et 4ème symphonies de Berwald (pour les Berliner un coup unique!), et les 3ème et 4ème de Schubert, qui étaient de vraies raretés au disque.
à New York à peu près à la même époque, un orchestre constitué pour la circonstance (en fait des musiciens du Philharmonique) enregistre avec Markevitch deux symphonies de Beethoven (3 et 6) ainsi que la Première de Brahms
de 1957 à 1960, malheureusement trop souvent en mono (alors que les Américains et Decca enregistraient en stéréo depuis 1954), une série légendaire de captations avec l’orchestre des Concerts Lamoureux. Joyau de cette série, une Symphonie fantastique qui fait d’abord entendre la splendeur des vents français (ce basson !) et un chef qui fait du 4ème mouvement une véritable Marche au supplice (écoutez le terrifiant grincement du trombone basse, qui viendrait rappeler aux insouciants qu’il ne s’agit ni d’une marche triomphale ni d’une cavalerie légère !)
en 1965, les équipes de DG se transportent à Prague, pour nous offrir deux versions jamais démodées du requiem en ré mineur de Cherubini, et une étonnante Messe de Sainte-Cécile de Gounod avec un trio de chanteurs inattendus dans ce répertoire.
Un mot d’une oeuvre – Les Choéphores – de Darius Milhaud (lire l’excellent papier de Jean-Charles Hoffelé : Le chef-d’oeuvre de Darius) que j’ai toujours trouvée très.. datée. Ecrite en 1915 – c’est la mode des oeuvres avec récitant (Honegger – Le Roi David – Debussy – Le Martyre de Saint-Sébastien – Stravinsky – Oedipus Rex), elle n’a connu que deux versions au disque : celle de Markevitch en 1957 (mono), suivie de celle de Bernstein à New York en 1961 (stéréo)
CD 1 Cherubini: Requiem in D minor for male chorus & orchestra
Czech Philharmonic Chorus
Czech Philharmonic Orchestra
Igor Markevitch
Mozart: Mass in C major, K317 ‘Coronation Mass’
Maria Stader (soprano), Oralia Dominguez (mezzo-soprano), Ernst Haefliger (tenor), Michel Roux,
Choeurs Elisabeth Brasseur
Orchestre des Concerts Lamoureux
Igor Markevitch
CD 2Mozart: Symphony No. 34 in C major, K338
Berliner Philharmoniker
Igor Markevitch
Mozart: Symphony No. 38 in D major, K504 ‘Prague’
Berliner Philharmoniker
Igor Markevitch
Mozart: Symphony No. 35 in D major, K385 ‘Haffner’
Orchestre des Concerts Lamoureux
Igor Markevitch
Gluck: Sinfonia in G major
Orchestre des Concerts Lamoureux
Igor Markevitch
CD 3 Mozart: Bassoon Concerto in B flat major, K191
Maurice Allard (bassoon)
Orchestre des Concerts Lamoureux
Igor Markevitch
Haydn: Sinfonia Concertante in B flat major, Op. 84, Hob. I / 105
Georges Alès (violin), André Remond (cello), Émile Mayousse (oboe), Raymond Droulez (bassoon)
Orchestre des Concerts Lamoureux
Igor Markevitch
Cimarosa: Concerto in G major for two flutes
Aurèle Nicolet (flute), Fritz Demmler (flute)
Berliner Philharmoniker
Igor Markevitch
Schubert: Symphony No. 3 in D major, D200
Berliner Philharmoniker
Igor Markevitch
CD 4 Beethoven: Egmont Overture, Op. 84
Beethoven: Leonore Overture No. 3, Op. 72b
Beethoven: Fidelio Overture Op. 72c
Beethoven: Coriolan Overture, Op. 62
Beethoven: Zur Namensfeier overture, Op. 115
Beethoven: Consecration of the House Overture, Op. 124
Orchestre des Concerts Lamoureux
Igor Markevitch
CD 5 Beethoven: Symphony No. 3 in E flat major, Op. 55 ‘Eroica’
Symphony of the Air
Igor Markevitch
CD 6 Beethoven: Symphony No. 6 in F major, Op. 68 ‘Pastoral’
Orchestre des Concerts Lamoureux
Igor Markevitch
CD 7 Brahms: Symphony No. 1 in C minor, Op. 68
Symphony of the Air
Igor Markevitch
CD 8 Brahms: Symphony No. 4 in E minor, Op. 98
Orchestre des Concerts Lamoureux
Igor Markevitch
Berlioz: Harold en Italie, Op. 16
Heinz Kirchner (viola)
Berliner Philharmoniker
Igor Markevitch
CD 9 Berlioz: Symphonie fantastique, Op. 14
Cherubini: Anacréon Overture
Auber: La muette de Portici: Overture
Orchestre des Concerts Lamoureux
Igor Markevitch
CD 10-11Berlioz: La Damnation de Faust, Op. 24
Richard Verreau (Faust), Consuelo Rubio (Marguerite), Michel Roux (Méphistophélès), Pierre Mollet (Brander)
Chœurs Elisabeth Brasseur, Chœur d’Enfants de la RTF
Orchestre des Concerts Lamoureux
Igor Markevitch
CD 12 Gounod: Symphony No. 2 in E flat
Bizet: Jeux d’enfants (Petite Suite), Op. 22
Debussy: La Mer
Debussy: Danses sacrée et profane
Orchestre des Concerts Lamoureux
Igor Markevitch
CD 13 Rimski Korsakov: Russian Easter Festival Overture, Op. 3
Rimski Korsakov: May Night Overtur
Rimski Korsakov: Le Coq d’Or Suite
Borodin: In the Steppes of Central Asi
Liadov: From the Apocalypse, Op. 66
Glinka: Ruslan & Lyudmila Overture
Orchestre des Concerts Lamoureux
Igor Markevitch
CD 14 Tchaikovski: Symphony No. 6 in B minor, Op. 74 ‘Pathétique’
Encore un chef trop rarement cité comme beethovénien, et pourtant trois intégrales des symphonies à son actif : Eugen Jochum(1902-1987).
Dans un billet de janvier 2018 (Jochum suite et fin), je regrettais que Deutsche Grammophon, en rééditant le legs discographique du chef allemand en deux forts pavés, ait étrangement omis les enregistrements symphoniques réalisés pour Philips. Oubli réparé par ce coffret de la série Eloquence.
Beethoven à Amsterdam
On retrouve logiquement dans ce coffret l’intégrale des symphonies de Beethoven enregistrée par Philips à la fin des années 60 avec l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam par Eugen Jochum pour le 200ème anniversaire de la naissance de Beethoven (1970).
J’ai précieusement conservé ce coffret qui fut l’un des premiers de ma discothèque d’adolescent, un cadeau de mes parents. C’est avec Jochum, et les somptueuses sonorités de la phalange amstellodamoise, que j’ai appris mon Beethoven.
J’ai, depuis, arpenté bien d’autres chemins interprétatifs, découvert, aimé nombre de versions plus ceci ou plus cela, mais je suis toujours revenu à ces amours de jeunesse. La Neuvième de Jochum à Amsterdam – le finale ! – continue de me bouleverser à chaque écoute.
Le coffret contient une autre 5ème de Beethoven, que je ne connaissais pas, éditée, semble-t-il, pour la première fois en CD, captée en 1951 avec l’orchestre philharmonique de Berlin.
Ainsi que plusieurs ouvertures de Beethoven captées à Amsterdam.
Les pépites
Ce coffret Eloquence n’est pas avare de références, pour certaines devenues introuvables. Des Mozart plus allants, moins millimétrés que les Böhm contemporains – symphonies 35, 36, 38, 41 à Amsterdam.
Deux Quatrième, Schubert et Schumann, des Wagner et Richard Strauss qu’on avait connus par un double CD Tahra.
On retrouve le 1er concerto de Beethoven et le 14ème de Mozart à Bamberg avec au piano la fille du chef, Veronica Jochum von Moltke.
Mais surtout un concert légendaire – qui nous est restitué dans son intégralité – pour célébrer le 1200ème anniversaire de la fondation de l’abbaye bénédictine d’Ottobeuren, le 31 mai 1964, avec une Cinquième symphonie de Bruckner qui est ma référence jamais égalée.
Précisément, pour les premiers concerts Hoffnung, le compositeur britannique Malcolm Arnoldavait écrit une ouverture Leonore 4, qui fait évidemment allusion aux versions successives de l’unique opéra de Beethoven, Fidelio.Un ouvrage qui a donné du fil à retordre au compositeur !
Beethoven s’inspire d’une pièce du Révolutionnaire français Jean-Nicolas BouillyLeonore ou l’amour conjugal qui part d’un épisode de la Terreur: une femme travestie en homme s’était fait engager comme geôlier pour libérer son mari emprisonné à la prison de Tours. La première version de Leonore est créée le 20 novembre 1805 au Theater an der Wien, après un piètre accueil Beethoven remanie son opéra, une deuxième version en est donnée le 23 mars 1806, mais après la deuxième représentation, le compositeur se brouille avec le directeur du théâtre et retire son ouvrage de l’affiche ! Ce n’est qu’en 1814 que l’opéra revient dans sa version définitive sous son nouveau titre Fidelio, avec un livret remanié par Friedrich Treitschke.
Pour ces trois versions de son opéra, Beethoven aura écrit… quatre ouvertures. Le premier essai, Leonore I, ne sera publié qu’en 1807, le deuxième, Leonore II, est joué lors de la création en 1805, le troisième, Leonore III, lors de la reprise de 1806, et enfin en 1814 l’ouverture de Fidelio.
L’ouverture Leonore 4 de Malcolm Arnold caricature très habilement le grand Beethoven !
J’aimais beaucoup l’acteur et humoriste Bernard Haller(1933-2009). Il est resté dans beaucoup de mémoires par cet inénarrable sketch du pianiste qui joue le premier mouvement de la célèbre sonate n°14 dite « au clair de lune » de Beethoven.
Mais c’est de nouveau du côté des Anglo-Saxons qu’on trouve les parodistes les plus inspirés, comme le formidable Dudley Moore(1935-2002). On reviendra sur ce personnage surdoué..
Autre personnalité qui fit l’essentiel de sa carrière aux Etats-Unis, Børge Rosenbaumné à Copenhague en 1909, devenu Victor Borge après son émigration du Danemark en 1940. Comme Dudley Moore, il mérite un billet à lui seul.
Autre phénoménal touche-à-tout, le natif de New York Danny Kaye(1911-1987), qui est souvent apparu notamment dans les Young People Concerts de Leonard Bernstein, dirige ici, très sérieusement, le New York Philharmonicdans la 8ème symphonie de Beethoven.
Comment oublier cette délicieuse Pince à Linge – texte de Pierre Dac et Francis Blanche – musique de Beethoven (!) – chantée par les Quatre Barbus un quatuor vocal aujourd’hui oublié, mais qui a connu ses heures de gloire dans les années 50/60.
L’humour sur le dos de Beethoven n’est pas l’apanage des artistes du passé. On ne compte pas les arrangements auxquels se sont livrés tant de musiciens, d’ensembles d’aujourd’hui….
Conclusion (provisoire) sur Beethoven et l’humour, cette pièce de Beethoven lui-même, ce Rondo capriccio titré Colère pour un sou perdu, où le compositeur semble s’auto-caricaturer.
Hier et aujourd’hui, à Cincinnati, Louis Langrée a réédité l’exploit qui l’avait conduit, en mars 2004, à reconstituer à Liège la soirée historique du 22 décembre 1808 à Vienne.
Que s’est-il passé ce soir de décembre 1808 à Vienne ? Un concert-fleuve, une « académie » voulue et dirigée par Beethoven, au Theater an der Wienoù le compositeur a ses habitudes : c’est dans cette salle, dirigée par Emanuel Schikaneder, le librettiste de la Flûte enchantée, qu’ont déjà été créées les Deuxième et Troisième symphonies, le 3ème concerto pour piano, le concerto pour violon, Fidelio..
Ce 22 décembre, le programme est à la démesure de son auteur. Qu’on en juge :
Le dimanche 14 mars 2004, à la Salle Philharmonique de Liège, prenait fin une semaine de festival que l’Orchestre philharmonique de Liège et Louis Langrée avaient dédié à Beethoven. Avec l’exacte reconstitution de l’académie du 22 décembre 1808. Claire-Marie Le Guay était au piano, Alexia Cousin chantait Ah! perfido, et le Choeur symphonique de Namur rejoignait l’orchestre dans les extraits de la Messe en do et la Fantaisie chorale.
Le concert avait commencé à 14h et pris fin vers 20 h. Le public ne voulait plus laisser partir les musiciens. Il y avait tellement de bonheur sur la scène, malgré la fatigue, et dans la salle…
« La direction de Louis Langrée des œuvres de Beethoven est vigoureuse et juste, délicate et franche à la fois. Aucun doute pour l’auditeur : le chef d’orchestre vit cette musique et il comprend Beethoven avec le cœur. De plus, sa capacité à échanger avec l’auditoire et sa manière de partager son plaisir, par ce sourire dont il n’est guère avare, nous ont conquis plus encore que nous nous apprêtions à l’être. C’est un très grand chef qui se confirme sous nos yeux. »
Avant les concerts de ce week-end à Cincinnati, Louis Langrée avait déjà dirigé plusieurs fois la Cinquième symphonie, notamment à l’occasion de la fête des Lumières – Lumenocity – qui avait enchanté la ville de l’Ohio en 2013.
Sacré caractère, sacrée voix, la chanteuse américaine Eileen Farrell (1920-2002) ne lâche plus celui qui l’a écoutée une fois.
C’est un disque, un cadeau, qui me l’a fait connaître non pas comme la grande cantatrice qui a fait les beaux soirs du Met, mais comme une chanteuse de jazz.
Depuis lors, je n’ai plus cessé de collectionner les disques d’Eileen Farrell.
Sony nous restitue – enfin – un inestimable capital, trop longtemps indisponible ou mal distribué, dans un coffret de 16 CD, dont chaque galette est une pépite. L’art unique de cette voix immense qui n’a cessé de se partager entre les grands rôles lyriques et le jazz ou la comédie musicale, jusque dans ses dernières années comme elle en témoigne ici :
Oiseau migrateur (de l’ordre des Passereaux) dont l’espèce commune est caractérisée par un plumage brun roux et gris brunâtre, par un fin bec brun, et par la pureté, la variété du chant aux sonorités éclatantes et harmonieuses
Personne qui se distingue par une voix bien modulée, qui chante admirablement.
Aujourd’hui, c’est tout le contraire du personnage outré et caricatural de la Castafiore qu’on célèbre, l’une des plus jolies voix de soprano du XXème siècle, une personnalité modeste mais rayonnante, qui n’a jamais cherché les lumières de la gloire : Edith Mathis, née le 11 février 1938 dans la ville suisse de Lucerne, berceau de ma famille maternelle.
Un joli coffret de 7 CD publié par Deutsche Grammophon propose une très belle compilation des enregistrements auxquels la soprano suisse a prêté une voix immédiatement reconnaissable : une pureté qui n’était pas celle, séraphique, de Gundula Janowitz, ou, senza vibrato, de Teresa Stich Randall, mais soyeuse, légère, fruitée.
Extraits de la légendaire version des Noces de Figaro dirigée par Karl Böhm)
Edith Mathis a beaucoup donné à Bach, notamment avec Karl Richter.
Elle est, mieux que quiconque, le personnage d’Annette (Ännchen) dans le Freischützdans la légendaire version de Carlos Kleiber, où elle retrouve Gundula Janowitz.
Plus rare cet air de Haydn enregistré avec Armin Jordan et l’orchestre de chambre de Lausanne.
Détails de ce coffret-hommage :
Bach: Cantate BWV 51 « Jauchzet Gott in allen Landen« ; extr. cantates BWV 10, 21, 68, 180, 199; 3 extr. Passion selon St Matthieu BWV 244 (Karl Richter)
Haendel / Mozart: 3 airs du Messie (Charles Mackerras)
Haydn: airs extr. des Saisons & La Création (Karl Böhm)
Mozart: extr.Requiem KV 626 (Karl Böhm) Airs d’Ascanio in Alba, Lucio Silla, Zaide (Leopold Hager) Le Nozze di Figaro, Don Giovanni, La Clemenza di Tito (Karl Böhm) Airs de concert KV 505, 578, 583; Das Veilchen KV 476; Als Luise die Briefe ihresungetreuen Liebhabers verbrannte KV 520; An die Einsamkeit KV 391; Die kleine Spinnerin KV 531; Die Alte KV 517
Dvorak: extr. Stabat Mater op. 58 (Rafael Kubelik)
Brahms: extr. Ein Deutsches Requiem op. 45 (Daniel Barenboim) Volkslieder WoO 33 Nr. 15, 23, 34, 43; Jägerlied op. 66 Nr. 4; Hüt du dich op. 66 Nr. 5; 4 Duette op. 61; Liebeslieder-Walzer op. 52; Neue Liebeslieder-Walzer op. 65; Wechsellied zum Tanze op. 31 Nr. 1
Mahler: extr. symphonies 2 et 8 (Rafael Kubelik)
Beethoven: extr. Fidelio op. 72 (Karl Böhm)
Weber: extr. Der Freischütz (Carlos Kleiber)
Mendelssohn: Bunte Schlangen extr. Ein Sommernachtstraum op. 61 (Rafael Kubelik)
Berlioz: extr. La Damnation de Faust op. 24 (Seiji Ozawa)
Richard Strauss: extr. Der Rosenkavalier op. 59 (Karl Böhm)
Henze : Diese Benommenheit extr. Der junge Lord
Schumann: Myrthen op. 25 Nr. 4, 9-12, 14, 20, 23; Die Kartenlegerin op. 31 Nr. 2; O ihr Herren op. 37 Nr. 3; Frauenliebe und Leben op. 42; Die Nonne op. 49 Nr. 3; Volksliedchen op. 51 Nr. 2; Liebeslied op. 51 Nr. 5; Die Soldatenbraut op. 64 Nr. 1; Das verlassne Mägdelein op. 64 Nr. 2; Mein Garten op. 77 Nr. 2; Stiller Vorwurf op. 77 Nr. 4; Liederalbum für die Jugend op. 79 Nr. 1-6, 8, 10-14; 19, 21; Die Blume der Ergebung op. 83 Nr. 2; Röselein, Röselein op. 89 Nr. 6; An den Mond op. 95 Nr. 2; Himmel und Erde op. 96 Nr. 5; Lieder und Gesänge aus Wilhelm Meister op. 98a Nr. 1, 3, 5, 7, 9; Liebster, deine Worte stehlen op. 101 Nr .2; Lieder op. 104 Nr. 1-6; Die Fensterscheibe op. 107 Nr. 2; Die Spinnerin op. 107 Nr. 4; Frühlingslied op. 125 Nr. 4; Frühlingslust op. 125 Nr. 5; Tief im Herzen trag ich Pein op. 138 Nr. 2; Mädchen-Schwermut op. 142 Nr. 3
Je relevais dans un précédent billet (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/10/21/frontieres/) les étranges frontières qui subsistent dans un univers musical et culturel qu’on pourrait croire mondialisé. Des carrières florissantes dans un pays, piteuses dans un autre. Des célébrités à Londres ou Bruxelles, des inconnus à Berlin ou Paris.
J’observe depuis longtemps – et c’est sans doute plus légitime – le phénomène d’une sorte de préférence nationale, d’autres diraient chauvinisme, dans la presse et la critique musicales. C’était flagrant dans les gros guides discographiques que publiaient naguère Penguin, Gramophone, Diapason, Fayard ou Laffont.
Même si j’ai aujourd’hui une raison supplémentaire d’avoir une préférence pour un mensuel français – Diapason pour ne pas le nommer – je lis toujours plusieurs magazines, anglais, français, allemands. Pour le plaisir de comparer, de découvrir des approches, des points de vue différents.
J’aime beaucoup nos amis anglais, il est rare que leur compétence, leur expertise souvent encyclopédique de tel ou tel domaine, puissent être prises en défaut. Mais assez systématiquement ils privilégient les interprètes britanniques, toujours mieux notés à critères comparables que des musiciens continentaux. Le flagrant délit de mauvaise foi est parfois caractérisé, comme pour cette parution récente d’une phalange londonienne, qui bénéficie de la note maximum de la part de ce critique de BBC Music Magazine, alors que rien, vraiment rien, ne justifie une telle cotation.
Je me doute qu’on pourrait trouver à redire à certaines critiques d’interprètes français, dans des journaux français, certains musiciens étant systématiquement encensés, d’autres tout aussi systématiquement ignorés ou négligés. Le phénomène s’est largement estompé ces dernières années.
Une belle occasion nous est fournie, en ce mois de novembre, de confronter les visions, les options, de deux grands magazines, de part et d’autre du Channel, sur un même sujet : Beethoven. BBC Music Magazine consacre un dossier très complet, didactique et argumenté, aux symphonies, à leurs interprètes (les choix sont plutôt inattendus, et ne se limitent pas aux traditionnelles « références ») ainsi qu’à l’unique opéra du grand sourd, Fidelio – là le résultat des courses est très nettement différent de celui du mensuel français. En supplément du magazine, un CD Beethoven avec un pianiste, John Lill, un septuagénaire célèbre au Royaume-Uni, inconnu en France…
Diapason publie un nouveau coffret « idéal » de l’oeuvre de Beethoven (après les Symphonies), confrontation des versions, des interprètes, regard critique des musiciens d’aujourd’hui sur leurs collègues d’hier.
Le numéro de novembre comporte une discographie très complète de Fidelio, qui ne ressemble que de très loin à ce que préconise le magazine britannique, sauf sur un point qui fait l’unanimité des deux côtés de la Manche : le raté Rattle (EMI)
Il y a quelques mois SONY éditait un beau coffret (format 33 tours) de 60 CD comprenant l’intégrale des Symphonies gravées pour CBS, pour l’essentiel à New York, par Leonard BERNSTEIN. Indispensable et passionnant évidemment.
DEUTSCHE GRAMMOPHONqui a pris le relais à partir des années 70, vient de publier un premier coffret de 59 CD + 1 DVD (un second suivra) comprenant, cette fois, une vraie intégrale des enregistrements réalisés, en grande partie à Vienne pour le label jaune. Pas seulement les symphonies, mais aussi les opéras (Fidelio de Beethoven, Carmende Bizet), tout de Beethoven à Liszt pour ce volume 1. À ce prix (entre 110 et 130 € selon les fournisseurs) on prend et on (ré)écoute tout. Parce que rien de ce que touche Leonard Bernstein ne nous a jamais laissé et ne nous laisse indifférent. Un génie !
Quelques remarques sur ce beau coffret : d’abord un livret richement illustré, en quatre langues, avec un témoignage de première main de Humphrey Burton, le producteur fidèle, partenaire incontournable de ces vingt années d’aventures discographiques du chef compositeur. mais surtout Leonard Bernstein dans sa (ses) vérité(s) par le prisme de sa correspondance, tout le monde y passe, collègues, amis, musiciens, politiciens, avec des formules parfois cinglantes, jamais méchantes. Du pur Lenny !
L’ordre alphabétique choisi sert bien sûr le Bernstein compositeur, pas moins de 16 CD ! Et toute son oeuvre symphonique, concertante, scénique, religieuse. Pour le grand public, Leonard Bernstein c’est définitivement et souvent exclusivement West Side Story – la version multi stars, Kanawa, Carreras, Ludwig, incluse dans le coffret avec le DVD du making of, est plutôt ratée ! -, un peu l’opéra Candide et son air le plus célèbre, celui de Cunégonde « Glitter and be gay » !
Mais si tout Bernstein compositeur n’est pas du même niveau ni du même intérêt, on a ici l’occasion de redécouvrir la générosité, la science créatrice d’un génial touche-à-tout. C’est le même Bernstein qui livre l’une des versions les plus bouleversantes et inspirées de La Création (de la Missa in tempore belli) de Haydn.