Daniel Barenboim fête aujourd’hui son 75ème anniversaire ! On ne sait que lui souhaiter qu’il n’ait déjà eu ou vécu. Une carrière incroyable, à nulle autre comparable. Pianiste prodige, il embrasse dès ses jeunes années tout ce que la musique peut lui offrir, l’opéra, la musique de chambre, le répertoire symphonique, la pédagogie, de Bach à Boulez. Impossible de décrire en quelques lignes cette trajectoire unique, alliée à une intelligence exceptionnelle qui le conduit à prendre des positions courageuses dans les conflits qui agitent le siècle.
La boulimie, la prolixité ont leur revers. Dans une production considérable de concerts, de représentations et de disques, il est inévitable que l’exceptionnel côtoie le médiocre ou l’inachevé.
Comme on l’écrivait dans Barenboim 75 première salve, la discographie du pianiste-chef est trop abondante et inégale pour ne pas plonger le discophile dans l’embarras. Que choisir ? que retenir d’un aussi généreux parcours ?
Mon choix vaut ce qu’il vaut, guidé sans doute par mes découvertes de jeunesse, et par l’expérience d’un passé tout récent.
La meilleure des trois intégrales gravées par Barenboim des concertos de Mozart, dans les années 60 et 70.
A la même époque, c’est l’entente parfaite, juvénile, avec Jacqueline du Pré et Pinchas Zukerman, dans des sonates et trios de Beethoven qui sont une référence.
Le pianiste Barenboim a beaucoup enregistré, sans laisser de versions incontestées. Parfois à contre-emploi (lire Le difficile art de la critique). C’est peut-être là où on ne l’attend pas qu’il se révèle à son meilleur.
Dans le répertoire symphonique, outre les curiosités qui figurent dans le coffret Sony (voir Barenboim 75 première salve), on ne retiendra ni des Beethoven, ni des Brahms lorgnant du côté de Furtwängler sans y atteindre, mais des réussites répétées par exemple dans Schumann (deux intégrales avec Chicago et Berlin) et Bruckner (trois intégrales avec Chicago, le philharmonique de Berlin… et la Staatskapelle de la même ville!)
Munch n’aura guère eu le temps de laisser sa marque discographique avec son nouvel orchestre, la mort l’ayant fauché en pleine tournée aux Etats-Unis le 6 novembre 1968.
La succession de Munch ne ressemblera pas à un long fleuve tranquille, comme en témoigne ce passionnant documentaire, accessible désormais dans sa totalité :
Avec le recul, on continue de s’interroger sur les motivations des responsables de l’époque – Marcel Landowskiétait le tout-puissant directeur de la Musique nommé par Malraux – qui préfèrent inviter à grand prix comme « conseiller musical » le très occupé Herbert von Karajan, alors que l’immense Karel Ančerl, légendaire chef de l’Orchestre philharmonique tchèque, est disponible après avoir fui Prague après l’invasion soviétique du printemps 1968.
Karajan parti après deux courtes saisons, on refait la même erreur en conviant le patron de l’orchestre de Chicago, Georg Solti. Bilan discographique étique : quelques poèmes symphoniques de Liszt.
Puis vient l’ère Barenboim, une nomination plutôt audacieuse, un pari sur la jeunesse – Daniel Barenboim n’a que 33 ans quand il est nommé en 1975, et il est plus connu comme pianiste que comme chef symphonique. Son mandat de près de quinze ans laissera des souvenirs contrastés tant aux musiciens de l’orchestre qu’au public et aux critiques. La discographie Barenboim/Orchestre de Paris est relativement abondante, répartie sur trois labels (Sony, Erato, DGG) et très inégale. Lire Barenboim 75 première salve
L’Orchestre de Paris, après le règne mouvementé de Barenboim, lui choisit comme successeur un jeune chef russe, Semyon Bychkov, qu’une rumeur savamment… orchestrée (!) donne alors comme un potentiel postulant à l’orchestre philharmonique de Berlin.Suivront neuf ans d’un mandat en demi-teinte, et une discographie qui mérite d’être réévaluée.
La phalange parisienne entrera-t-elle dans le XXIème siècle avec une baguette française, plus de trente ans après la disparition de son fondateur ? Reviendra-t-elle à certains de ses répertoires génériques ? Ce n’est pas le choix qui est fait lorsqu’on demande à un contemporain de Barenboim, un autre pianiste devenu chef, Christoph Eschenbach, de présider aux destinées musicales de l’Orchestre de Paris (de 2000 à 2010). La prétendue « crise » du disque classique n’explique pas le bilan plutôt maigre d’une discographie marginale et chiche en références.
C’est l’époque – cette première décennie du siècle – où les phalanges parisiennes se livrent à une concurrence aussi absurde qu’incompréhensible dans un répertoire où elles n’ont rien à gagner. Combien d’intégrales des symphonies de Mahler ?
L’Estonien Paavo Järvi(2010-2016) recentre l’orchestre sur son coeur de répertoire, au risque d’être parfois taxé de froideur dans la musique française qu’il sert pourtant avec gourmandise.
Quant à Daniel Harding, on sait depuis longtemps qu’il n’aime pas l’eau tiède. Les programmes qu’il dirige depuis sa prise de fonctions en septembre 2016 attestent de l’audace d’une vision, de la pertinence d’une réflexion sur les missions d’un orchestre et de son chef au coeur de son époque.
Souvenir d’une étrange soirée, trois jours après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher de Vincennes, Daniel Harding n’avait pas encore confirmé son choix de l’Orchestre de Paris
Le discophile ne peut pas ignorer que l’un des artistes les plus prolifiques au disque va fêter le 15 novembre prochain ses 75 ans. Daniel Barenboimdétient sans doute le record de disques enregistrés en sa double qualité de pianiste et de chef d’orchestre.
Et comme il a été généreusement servi par à peu près tous les grands labels classiques (à l’exception de Philips), les pavés s’annoncent, imposants, parfois surprenants. Comme cette première salve proposée par Sony.
Un coffret particulièrement intéressant, parce qu’il contient des enregistrements qui avaient pratiquement disparu de la circulation, ou qui n’avaient, à ma connaissance, jamais été réédités en CD, comme la période Orchestre de Paris– dont Barenboim fut le chef de 1975 à 1989 –
Tout n’est pas d’égal intérêt, même si rien de ce que joue ou fait Daniel Barenboim ne peut laisser indifférent. Certaines prises de son, typiques de CBS/Sony des années 70, cotonneuses, mal définies, sonnent toujours aussi médiocrement, comme celles captées à Londres avec l’English Chamber Orchestra ou le London Philharmonic.
Quelques pépites dans ce coffret: un enregistrement tardif – que je ne connaissais pas – de deux cycles mahlériens avec un Dietrich Fischer-Dieskau vocalement fatigué mais diablement émouvant, les Escales de Jacques Ibert ou le Pelléas de Schoenberg avec l’Orchestre de Paris, un très beau 3ème concerto pour violon de Saint-Saëns avec Isaac Stern – j’ignorais qu’il l’eût enregistré – de sublimes Sea Pictures d’Elgar avec Yvonne Minton,
une première 4ème de Tchaikovski avec New York, une juvénile intégrale des concertos pour violon de Mozart avec Pinchas Zukerman, gâchée par la prise de son…
Moins indispensables, une intégrale souvent rééditée mais pas passionnante des symphonies de Schubert avec Berlin, les concertos de Brahms avec Mehta (on continue de préférer la version avec Barbirolli), l’intégrale tardive (trop ?) des concertos de Beethoven avec Rubinstein, et un concert de Nouvel an 2014 oubliable.
Deutsche Grammophon annonce un coffret de même importance dans quelques semaines – tout le piano enregistré par Barenboim pour la marque jaune – Warner a déjà commencé à regrouper une discographie considérable répartie entre les ex-labels EMI, Teldec et Erato. Ainsi ce coffret Beethoven qui vaut surtout pour la musique de chambre – légendaires trios avec la si regrettée Jacqueline Du Pré et Pinchas Zukerman.
Quand on la voit sur scène, à son piano, on a peine à imaginer qu’elle a tourné les trois quarts de siècle en juin dernier (Martha A.). En classant des photos l’autre jour, je suis tombé sur celles-ci, prises en novembre 2001 à Liège, lorsque Martha Argerichavait répondu à mon invitation pour deux concerts dirigés par Armin Jordan.
(Sur ces photos, prises au bord de la Meuse dans ce qui était le restaurant L’Héliport on aperçoit, outre Armin Jordan et Martha Argerich, le pianiste Mauricio Vallina et le chef d’orchestre Louis Langrée, alors directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Liège).
EuroArts sort un coffret de 7 DVD pour célébrer les 75 ans de la reine Martha.
La compilation est plutôt bien faite et le minutage généreux (et le prix très raisonnable !). On retrouve le singulier documentaire, Bloody Daughter réalisé par la benjamine des filles de Martha Argerich, Stéphanie, dont le père est le pianiste américain Stephen Kovacevich. Ainsi que le film de Georges Gachot Evening Talks, contemporain des concerts liégeois de la pianiste argentine (on y voit d’ailleurs le même jeune pianiste cubain Mauricio Vallina) qui vaut surtout pour les extraits de répétitions du concerto de Schumann.
Beaucoup d’échos de concerts récents, à Verbier, à Buenos Aires. Et deux archives tout simplement époustouflantes : le 1er concerto de Tchaikovski capté à Preston (une ville du Lancashire au nord de Liverpool) – ah la robe très seventies de Carnaby street !! – et le 3ème concerto de Prokofiev donné, la même année (1977), à Croydon. La performance de la pianiste dépasse l’entendement, l’extrême virtuosité des deux oeuvres est comme transcendée par un jeu qui semble ignorer toutes les difficultés techniques sans l’ombre d’un effort apparent. Proprement hallucinant !
En revanche, le texte de présentation aurait pu d’abord être mieux rédigé (un recopiage de la notice Wikipedia !), et surtout relu et corrigé dans ses traductions allemande et française. Le Concours international de Genève (Geneva Competition), devient ainsi soit Genua, soit Gênes.
Un généreux coffret pour tous les amoureux de la reine Martha !
Je n’ai toujours pas compris pourquoi Daniel Barenboimavait autorisé la parution de deux disques récents – des captations de concert – qui le montrent en fâcheuse posture et qui n’ajoutent rien à sa gloire (Le difficile art de la critique)…
Mais on peut tout pardonner à un artiste de son envergure, un musicien qui n’a jamais cessé, depuis ses années d’enfant prodige, de remettre son ouvrage sur le métier, de chercher, explorer, reprendre, approfondir. On en a encore eu un exceptionnel exemple ce jeudi soir à la Philharmonie de Paris.
La grande salle parisienne a programmé un début de saison en beauté : un cycle Mozart/Bruckner réparti en deux périodes, Daniel Barenboim à la manoeuvre comme pianiste et chef avec « sa » Staatskapelle de Berlin.
,Au programme de ce jeudi : le 26ème concerto pour piano de Mozart, et la 6ème symphonie de Bruckner (l’une de mes préférées).
Comment dire avec des mots, sans user d’hyperboles, l’intensité de ce qu’on a ressenti tout au long du concert ? Peut-être le mot osmose.
Dans Mozart, et cet avant-dernier concerto en particulier, Barenboim est la simplicité, la poésie incarnées. L’entente avec ses musiciens berlinois est fusionnelle, d’une évidence qui éclaire les mille aspects d’une partition qu’on croyait connaître par coeur. Exactement, plus fortement encore, ce que j’avais ressenti en 2005 à Vienne, lorsque, de son clavier Barenboim avait joué et dirigé les Wiener Philharmoniker dans le 22ème concerto. La musique comme on la rêve…
Warner vient de ressortir la première intégrale des concertos de Mozart gravée par le tout jeune Barenboim à Londres – cadeau d’anniversaire de ma mère pour mes 18 ans ! -. La seconde, réalisée avec les Berliner Philharmoniker, n’est pas moins passionnante. On veut imaginer que la série en cours avec la Staatskapelle Berlin sera elle aussi éditée. On l’attend !
Mais si je m’attendais évidemment au meilleur dans Mozart, j’espérais un choc, de l’inouï, dans cette 6ème symphonie de Bruckner, que j’aime tant (peut-être à cause des « faiblesses » que certains critiques y voient ?), surtout que je n’avais jamais entendu Barenboim diriger Bruckner en concert. Je connaissais depuis longtemps sa passion pour Bruckner et ses deux intégrales symphoniques réalisées à Chicago puis à Berlin.
Son nouveau cycle avec la Staatskapelle de Berlin est disponible en téléchargement
Alors jeudi soir ? J’ai été comblé bien au-delà de mes attentes. Là encore, l’entente entre le chef et ses musiciens est d’une telle qualité qu’à aucun moment l’attention de l’auditeur ne se relâche, qu’on est captivé de bout en bout par un discours qui réussit le tour de force de ne jamais perdre la trajectoire de l’oeuvre et d’éclairer mille détails, alliages, modulations, par un savant étagement des plans et des masses instrumentales. Fascinant !
Demain, peut-être, je commenterai l’actualité politique de ce week-end. Mais en cette fin de dimanche après-midi pluvieuse, je veux plutôt faire partager mes enthousiasmes… pianistiques. J’ai acheté trois magnifiques coffrets, dont je reparlerai en détail, et en ai profité pour ressortir de ma discothèque des disques que je n’avais plus écoutés depuis longtemps. Et quelles (re)découvertes !!
Grâce à François Hudry, j’ai eu la chance de faire la connaissance, il y a maintenant un bon quart de siècle, d’une merveilleuse musicienne, la pianiste espagnole Teresa Llacuna, qui a enregistré quelques trop rares disques, dans les années 70, pour EMI. Je me rappelais ses Fallade référence, mais je n’avais prêté qu’une oreille distraite à ses Granados, qui m’ont littéralement scotché sur mon fauteuil cet après-midi. Warner serait très inspiré de republier ces enregistrements, surtout en cette année centenaire de la mort de Granados !
Honte à moi, je n’avais jamais écouté Elisabeth Leonskaiadans Schubert, alors que je l’admire depuis longtemps dans Brahms, Chopin ou Schumann. Mais, allez savoir pourquoi, je n’associais pas spontanément la grande pianiste russe à l’univers schubertien. Et j’avais grand tort. On ne peut que remercier Warner de publier ce magnifique coffret, sur lequel je reviendrai.
Qui se rappelle aujourd’hui les débuts, couvés par le grand Artur Rubinstein, d’un tout jeune pianiste français François-René Duchâble ? Et d’admirables disques Chopin, comme une intégrale des Etudes que je ne suis pas loin de considérer comme une référence.
Enfin une fabuleuse réédition, tout le legs discographique du pianiste américain, parisien d’adoptionJulius Katchen. On y reviendra avec gourmandise, tant il y a de trésors dans ce coffret.
Et puis, pour illuminer définitivement ce dimanche soir, cet écho d’un tout récent concert des Prom’s. Phénoménal en effet…
En ce jour de Fête nationale suisse, comment ne pas évoquer l’été fabuleux que j’ai passé à Lucerne en août et septembre 1974 ? Trois semaines comme ouvreur (on dirait personnel de salle aujourd’hui) du prestigieux Festival de Lucerne. Je devais ce privilège – très recherché – à un cousin bien introduit auprès de la direction du festival (il en serait plus tard le président du conseil d’administration). Jamais plus je ne verrais un tel défilé de stars de la baguette, du clavier ou du violon, jamais plus je n’entendrais d’aussi formidables concerts soir après soir. Je n’imaginais évidemment pas un instant, à l’époque, que, douze ans plus tard (en 1986) ma vie professionnelle se conjuguerait à ma passion de la musique.
Les concerts avaient lieu dans l’ancien Kunsthaus, remplacé en 2004 par le monumental KKL de Jean Nouvel (Palais de la culture et des congrès).
C’est Sergiu Celibidache qui ouvrait le bal avec l’orchestre suisse du Festival. Le personnel de salle est autorisé à assister à la première répétition. Le maître, lunettes noires sur le nez, arrive sur le podium, pose ses partitions sur le pupitre, il ne les ouvrira jamais. Un programme sportif : 6ème symphonie de Schubert, Variations op.31 de Schoenberg et 2ème symphonie de Brahms. Celibidache commence par un laïus qui m’a paru bien long sur les équilibres sonores qu’il veut atteindre dans Schubert, reprend à l’infini tel trait, tel passage, sans que je perçoive, moi le novice, de changement significatif dans le jeu de l’orchestre. Après la pause, il s’attaque à Schoenberg, toujours sans partition : les musiciens sont visiblement bluffés quand le chef les fait reprendre à telle mesure, tel chiffre (les partitions d’orchestre sont toujours chiffrées, de sorte que musiciens et chef puissent très vite s’y retrouver). Je ne comprends rien à cette musique, il me faudra encore quelques années. Le concert fait un triomphe, comme prévu.
Ma mémoire n’a pas retenu la chronologie des concerts, mais les moments les plus forts, les plus surprenants.
Un jour nous sommes conviés à une excursion en bateau sur le lac des Quatre-Cantons avec les musiciens du Los Angeles Philharmonic et leur chef d’alors Zubin Mehta. Ma timidité naturelle m’interdit d’oser leur parler, mais les voir de près, les entendre parler de leur métier, de leurs impressions de tournée, suffit à mon bonheur. Bonheur qui sera à son comble le soir lorsque Daniel Barenboim jouera le 3ème concerto de Beethoven. C’est la première fois que j’entends en concert ce concerto qui m’a marqué à tout jamais depuis que j’ai vu et revu le film de François Reichenbach consacré à Artur Rubinstein L’amour de la vie (1970) : lire Un amour de jeunesse. Je sors complètement bouleversé, sans voix, ému comme on peut l’être quand le coeur déborde…
Malgré les tempi du vieux Klemperer, je garderai toujours une affection particulière pour la version que le jeune Barenboim avait enregistrée à Londres.
C’est le célèbre chef et mécène suisse Paul Sacher qui dirige un programme de sérénades. Je découvre et suis immédiatement séduit par la grande sérénade K.320 dite « du cor de postillon »de Mozart.
Un vieux fond d’éducation m’empêcherait normalement de citer l’âge d’une dame, afortiori de lui souhaiter son anniversaire. Mais comme elle défie les années et qu’à 75 ans aujourd’hui, elle reste d’une éternelle jeunesse, j’y vais aussi de mon compliment à Martha Argerich.
Tout a été dit, écrit sur cette musicienne hors norme, cette pianiste phénoménale, cette personnalité singulière. J’ai eu la chance de la rencontrer à plusieurs reprises, de l’entendre plus souvent encore (La reine et le géant). Elle fait partie de ma vie. Je lui souhaite un bel anniversaire et lui exprime une infinie gratitude pour tout ce qu’elle nous apporte.
Ces jours-ci a lieu, à Lugano, la dernière édition d’un festival unique, conçu avec, pour et par Martha Argerich (La fin d’une belle aventure). On se consolera, un peu, en réécoutant les beaux échos de ce « projet », publiés année après année, et riches de formidables rencontres, moments inédits, découvertes musicales.
Suite et fin (provisoire) d’une petite série royale (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/04/22/au-service-de-sa-majeste/). Retour sur l’étrange corporation des Masters of the Queens / Kings Music, les maîtres de musique de la Cour d’Angleterre. On s’était arrêté à Bax. En 1924, c’est un compositeur célèbre et déjà comblé d’honneurs qui accède à la royale fonction : Edward Elgar (1857-1934). Il a bien mérité cette distinction, c’est lui qui, pour le couronnement d’Edouard VII en 1902, a adapté la première de ses cinq marches intitulées Pomp and Circumstance : Land of Hope and Glory. Qui est quasiment devenue un second hymne national.
Land of Hope and Glory, Mother of the Free, How shall we extol thee, who are born of thee? Wider still and wider shall thy bounds be set; God, who made thee mighty, make thee mightier yet, God, who made thee mighty, make thee mightier yet.
Edward Elgar n’est bien sûr pas l’homme de ces seules marches. Ni celui de la modernité qui s’était emparée de l’Europe centrale dès le début du XXème siècle. On a peine à croire que son très romantique concerto pour violoncelle date de.. 1919 !
Document émouvant que celui-ci, Jacqueline du Pré et son mari de l’époque, Daniel Barenboim, enregistrés en 1967 :
Le XIXème siècle voit défiler une série de Masters of Musick qui n’ont guère laissé de traces, à l’époque où l’Allemagne et l’Europe centrale menaient la danse…
Je ne pensais pas qu’une ligne hier matin sur Facebook déclencherait un débat aussi nourri, argumenté et contre-argumenté sur un thème vieux comme le monde, en tout cas vieux comme le concert et le disque : la critique.
Point de départ : l’émission de nouveautés du disque animée par Rodolphe Bruneau-Boulmier et Emilie Munéra sur France Musique, que j’entends par hasard sur le chemin de l’aéroport. Rodolphe dit son embarras d’avoir à parler d’un double CD et son hésitation à en diffuser un extrait. Ce n’est pas n’importe quoi ni n’importe qui : les deux concertos pour piano de Brahms enregistrés en concert par Daniel Barenboim au clavier, Gustavo Duhamel dirigeant la Staatskapelle de Berlin, publiés par Deutsche Grammophon. Une belle affiche, un label prestigieux.
Je prêtai d’autant plus l’oreille à RBB que j’avais déjà écouté un extrait sur Itunes et que j’avais été effondré par ce que j’avais entendu. Comment DG et les artistes avaient-ils donné leur accord à cette publication ?.
Impossible de résumer ici le débat qui s’en est suivi sur Facebook : « Pourquoi perdre du temps et de l’antenne à diffuser un mauvais disque ? » « Attitude démago-populiste, on se paye à bon compte un grand artiste », etc…
Rien de nouveau depuis l’équation : critique musical = musicien raté !
Résumons, on peut distinguer trois types de critiques :
les critiques auto-proclamés
les critiques automatiques
les critiques autocritiques
Dans la première catégorie, presque tous les internautes, adeptes des réseaux sociaux, animateurs de sites, blogs et autres forums. Comme les supporters de football, ils refont le match à la place des joueurs et les équipes à la place des sélectionneurs. Le problème c’est qu’ils finissent par croire qu’ils ont la science – de la critique – infuse et le font croire aux malheureux organisateurs de concerts qui n’arrivent plus à convaincre les rares critiques professionnels qui restent de faire un papier, un articulet, même une brève.
Les musiciens qui, pour certains, supportent déjà mal la critique tout court, supportent encore moins cette nouvelle race de critiques auto-proclamés (sauf lorsque, par exception, ils écrivent des gentillesses).
Je force le trait ? Pas sûr.
Dans la deuxième catégorie, les critiques automatiques, je range les fans, les fans de lyrique en premier. Leurs admirations, et leurs détestations, sont inconditionnelles, exclusives, pavloviennes. J’ai en mémoire deux discussions, lors de dîners entre amis qui faillirent se terminer en pugilats : l’une sur Callas – je n’avais fait qu’exprimer un ras-le-bol à propos d’une Xème réédition, d’un best of -, l’autre sur Joan Sutherland, dont le timbre caverneux et le français pâteux ne m’ont jamais séduit. Comme je ne suis pas un spécialiste de la chose lyrique, j’avais dit tout cela en passant, légèrement, et après tout si Callas et Sutherland ont leurs affidés, tant mieux pour eux. Mais on n’allait pas me laisser proférer pareils outrages, je devais rendre gorge…Et pour alimenter leur « argumentation » (?) mes contempteurs s’en prenaient violemment aux concurrentes supposées de leurs idoles, Tebaldi, Caballé, dont j’étais forcément le suppôt. Je me suis bien gardé depuis de glisser quelque nom de chanteuse dans une conversation…Tout au plus fait le test des écouteurs, que vous placez délicatement dans les oreilles de vos contradicteurs : faites entendre « Merce, dilette amiche« , le boléro d’Elena au 5e acte des Vêpres siciliennes de Verdi, d’abord par Callas – en général le torturé demande grâce dès les premières notes – puis, comme un baume, par Anita Cerquetti. Concluant non ?
Mais ce type de critiques automatiques vaut pour le piano, le violon, les chefs d’orchestre. Pour en revenir au point de départ de ce billet, Daniel Barenboim est le type même de musicien qui les suscite. On en connaît qui, par principe, lui dénient toute qualité de chef d’orchestre ou l’exècrent comme pianiste.
Heureusement, il y a une troisième catégorie, les critiques autocritiques. Ceux qui n’ont pas d’avis définitif, qui font confiance à leur expérience et à leurs oreilles, plutôt qu’à l’air du temps, à la pression de la « com », qui aiment et respectent suffisamment les artistes pour ne tomber ni dans la complaisance ni dans la condescendance.
La critique est une école de l’humilité. J’en ai fait l’expérience grâce à la première émission de critiques de disques qui a reposé sur le principe de l’écoute à l’aveugle, Disques en lice, lancée fin 1987 sur Espace 2, la chaîne culturelle de la Radio suisse romande, par François Hudry. Pendant six ans, jusqu’à mon départ pour France Musique, semaine après semaine, nous avons exploré tous les répertoires, entendu, comparé des centaines de versions et appris la modestie. Tel(le) pianiste présenté(e) comme une référence absolue ne passait jamais l’épreuve de la première écoute, tel orchestre au son typiquement américain s’avérait être plus français que français, tel(le) chanteur/euse si reconnaissable était un(e) illustre inconnu(e).
La critique est nécessaire, n’en déplaise aux artistes. Elle est exigeante. Elle demande une juste distance, une grande culture, et l’amour de l’art de ceux que l’on critique.
Pourquoi sommes-nous si déçus par un nouvel enregistrement de Barenboim ? Parce que nous l’avons tant aimé dans des Mozart, des Beethoven d’exception, même des Chopin, récemment dans Schubert, et aussi dans les mêmes concertos de Brahms avec John Barbirolli dans ses jeunes années.
Je sais aussi d’expérience, et la critique n’est pas mon métier, qu’on ne sert pas les musiciens, a fortiori quand on les aime, par l’hypocrisie ou le silence, on n’est pas obligé pour autant de les blesser inutilement. Le musicien, l’artiste sait mieux que quiconque si son récital, son concert, a été réussi ou… moins réussi. Il n’a que faire des compliments de complaisance.
Pour finir sur une note d’humour : j’assistais hier soir à l’ouverture de la 36ème édition de Piano Jacobins à Toulouse. Nicholas Angelich avait choisi de donner deux sonates de Beethoven (la 5ème et la 21ème « Waldstein ») et la Sonate de Liszt. Mon voisin, la cinquantaine bien mise, une allure de mélomane averti, se penche vers moi, tandis que résonnait encore la dernière note de la sonate de Liszt : « Vous savez ce qu’il a joué ? »…
P.S. Comme je ne veux pas me ranger dans la catégorie des critiques automatiques, je n’écrirai rien sur ce récital, parce que je serais forcément très subjectif. Ceux qui me connaissent savent la longue amitié, le profond respect, et la constante admiration que je nourris depuis bientôt vingt ans pour Nicholas.