Daniel Barenboim fête aujourd’hui son 75ème anniversaire ! On ne sait que lui souhaiter qu’il n’ait déjà eu ou vécu. Une carrière incroyable, à nulle autre comparable. Pianiste prodige, il embrasse dès ses jeunes années tout ce que la musique peut lui offrir, l’opéra, la musique de chambre, le répertoire symphonique, la pédagogie, de Bach à Boulez. Impossible de décrire en quelques lignes cette trajectoire unique, alliée à une intelligence exceptionnelle qui le conduit à prendre des positions courageuses dans les conflits qui agitent le siècle.
La boulimie, la prolixité ont leur revers. Dans une production considérable de concerts, de représentations et de disques, il est inévitable que l’exceptionnel côtoie le médiocre ou l’inachevé.
Comme on l’écrivait dans Barenboim 75 première salve, la discographie du pianiste-chef est trop abondante et inégale pour ne pas plonger le discophile dans l’embarras. Que choisir ? que retenir d’un aussi généreux parcours ?
Mon choix vaut ce qu’il vaut, guidé sans doute par mes découvertes de jeunesse, et par l’expérience d’un passé tout récent.
La meilleure des trois intégrales gravées par Barenboim des concertos de Mozart, dans les années 60 et 70.
A la même époque, c’est l’entente parfaite, juvénile, avec Jacqueline du Pré et Pinchas Zukerman, dans des sonates et trios de Beethoven qui sont une référence.
Le pianiste Barenboim a beaucoup enregistré, sans laisser de versions incontestées. Parfois à contre-emploi (lire Le difficile art de la critique). C’est peut-être là où on ne l’attend pas qu’il se révèle à son meilleur.
Dans le répertoire symphonique, outre les curiosités qui figurent dans le coffret Sony (voir Barenboim 75 première salve), on ne retiendra ni des Beethoven, ni des Brahms lorgnant du côté de Furtwängler sans y atteindre, mais des réussites répétées par exemple dans Schumann (deux intégrales avec Chicago et Berlin) et Bruckner (trois intégrales avec Chicago, le philharmonique de Berlin… et la Staatskapelle de la même ville!)
Vous auriez pu citer aussi bien d’autres enregistrements de Barenboïm, à commencer par (mais sans doute, comme tout le monde, ne le connaissez-vous pas) le sublime enregistrement du Carnaval de Schumann chez DG, pour moi un sommet insurpassable. Anecdote : je me demandais pourquoi personne ne citait jamais cet enregistrement, passé quasi inaperçu (sauf par la regrettée Tribune des critiques de disques de France-Musique de l’époque Panigel, qui l’avait sacré vainqueur de la compétition!), quand je lus un jour une interview du violoniste Augustin Dumay qui, à la question du disque à emporter sur une île déserte choisissait « le Carnaval de Schumann par Barenboïm ». Quel soulagement : ainsi nous étions au moins deux sur terre, dont un grand violoniste, à partager cet avis! Et je suis surpris que vous ne citiez aucune de ses intégrales des 32 de Beethoven (celle d’EMI bien sûr, mais aussi celle de DG, jamais citée, et qui lui est peut-être encore supérieure!), ni ses intégrales des concertos du même Beethoven (là aussi, plus encore que celle dirigée par Klemperer, toujours citée, celle où il dirige les Berliner Philharmoniker de son clavier, jamais mentionnée – pour moi un sommet évident de la discographie de ces oeuvres). Ce ne sont là bien sûr que des exemples (ses Impromptus de Schubert! ses Variations Haendel de Brahms! ses Préludes de Chopin : la beauté à l’état pur!). Je ne peux m’empêcher pour finir de vous dire mon effarement face à votre réaction d’une violence totalement hors de propos sur l’enregistrement Brahms avec Dudamel. Il est clair que Barenboïm, qui à près de 80 ans n’a plus ses doigts de jeunesse, peine un peu dans certains passages très virtuoses (notamment dans le 2ème concerto); mais comment un musicien tel que vous n’entend-il pas que cette faiblesse est compensée par un engagement expressif exceptionnel, une grandeur et une beauté sonore fantastiques, grâce notamment à des tempos lents mis à profit pour accroître encore la majesté et la solennité de ces oeuvres, tempos qui, par la science et l’intelligence d’un tel musicien, permettent en quelque sorte de faire d’une faiblesse technique une force expressive (un peu comme le faisait le grand Arrau sur ses vieux jours, Arrau auquel Barenboïm me fait réellement beaucoup penser ici)?
Tennez, à propos d’Arrau, pour faire un peu réfléchir ceux que vous appelez les critiques systématiques (mais le cas est de toute façon désespéré) : dans un livre d’entretiens, quand on lui demande quels pianistes il admire (nous sommes dans les années 70), il cite deux noms : Wilhelm Kempff et Daniel Barenboïm…Un avis qui vaut bien celui de dix critiques.
Mes billets sur Barenboim n’ont jamais visé à une impossible exhaustivité ! Je trouve le ton de votre commentaire inutilement agressif : si – pas « comme tout le monde » – je connais et j’aime le Carnaval… et le Carnaval de Vienne de Schumann de Barenboim, et j’ai un très grand nombre des disques que vous citez dans ma discothèque ! Mais quand on aime un artiste, on peut aussi, on doit aussi, dire quand il déçoit. Je maintiens que certains de ses derniers disques comme soliste (dans les concertos de Brahms et de Liszt) sont décevants, et inutiles. Il en a fait tellement de magnifiques (les Brahms avec Barbirolli par exemple !) qu’on peut choisir de ne retenir que le meilleur. Il en est de même pour ses disques comme chef d’orchestre.