En ce dimanche gris et brumeux de début de l’hiver, c’est à Purcell et sa merveilleuse Fairy Queen que je pense aussitôt : Now winter comes slowly
C’est une des nombreuses musiques que l’hiver a inspirées à des compositeurs de tous horizons. A peu près chaque année, j’ai consacré un billet à cette saison (Rêves d’hiver) qui n’est pas toujours synonyme de réjouissances et de fête.
J’ai piqué au hasard dans ma discothèque quelques tubes et quelques raretés.
L’inverno (L’hiver) de Vivaldi, et une version – la première que j’ai acquise – celle de Felix Ayo avec I Musici qui n’a pas pris une ride
De ce cycle de douze pièces pour piano (une par mois) de Tchaikovski, que j’aime jouer (uniquement pour moi !) et qui était longtemps resté l’apanage de quelques pianistes russes, comme Sviatoslav Richter, il y a depuis quelques mois une épidémie de parutions…
Je laisse aux critiques spécialisés le soin de les départager. Je livre ici une version qui m’est chère, celle de Brigitte Engerer
C’est à Paris qu’en 1929, le compositeur et chef d’orchestre originaire de Saint-Pétersbourg, réalise le premier enregistrement de son ballet Les Saisons, une des rares oeuvres qui émerge encore d’un corpus symphonique abondant, mais pas toujours inspiré. C’est à Neuilly qu’il décèdera le 21 mars 1936.
Les Russes n’ont pas le monopole de l’évocation de l’hiver. J’aime beaucoup la première symphonie de Roussel, qui reste dans une veine « impressionniste » qui disparaîtra dans les symphonies n°3 et 4.
Deux versions très réussies, qu’on n’a pas envie de départager :
Schubert, Der Winterabend
Quand on évoque Schubert, on pense évidemment à son cycle de mélodies Winterreise / Le Voyage d’hiver (1827). Le Lied Der Winterabend lui est postérieur d’un an.
Wagner,Die Walküre / La Walkyrie acte I, air de Siegmund « Winterstürme wichen den Wonnemond »
Dans le 1er acte de la Walkyrie, Siegmund chasse le souvenir des « tempêtes hivernales ».
Josef Strauss, Winterlust
Et puisqu’on y sera bientôt, anticipons les joies de l’hiver à Vienne avec le frère cadet de Johann Strauss
Richard Strauss, Winterweihe (1900)
Cette mélodie de Richard Strauss sur un poème de Carl Friedrich Henckell est une promesse autant qu’une invitation, et résonne presque comme un chant de Noël.
In diesen Wintertagen, Nun sich das Licht verhüllt, Laß uns im Herzen tragen, Einander traulich sagen, Was uns mit innerm Licht erfüllt.
Was milde Glut entzündet, Soll brennen fort und fort, Was Seelen zart verbündet Und Geisterbrücken gründet, Sei unser leises Losungswort.
Das Rad der Zeit mag rollen, Wir greifen kaum hinein, Dem Schein der Welt verschollen, Auf unserm Eiland wollen Wir Tag und Nacht der sel’gen Liebe weih’n.
En ces jours d’hiver, Maintenant que la lumière est voilée, Portons dans nos cœurs, Confions-nous intimement, Que ce qui nous emplit de lumière intérieure. ce qui allume une douce braise brûlera sans fin, ce qui unit tendrement les âmes et bâtit des ponts spirituels, soit notre mot d’ordre silencieux. La roue du temps peut tourner, Nous la touchons à peine, Perdus dans l’illusion du monde, Sur notre île, nous voulons consacrer jour et nuit à l’amour béni (Libre traduction JPR)
Et toujours humeurs et bonheurs à lire dans mes brèves de blog
J’ai écrit le premier article de cette série – La grande porte de Kiev – il y a presque trois ans, au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par les troupes de Poutine. J’écris aujourd’hui le douzième, qui ne sera sûrement pas le dernier, en raison d’une double actualité, de très inégale importance.
La fin de la guerre ?
Donald Trump a raison sur une seule chose : l’Ukraine comme la Russie sont épuisées par trois années de guerre qui n’a fait que des centaines de milliers de morts et de blessés. Comme le dit l’excellent ministre français des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot : « Si Trump peut attirer Poutine à une table de négociation, on ne pourrait que s’en réjouir ». Mais tout cela assorti de toutes les réserves et principes d’usage, rappelés d’abondance sur tous les plateaux télé par nos stratèges en chambre.
Une remarque puisée de l’histoire : les médias qui ne réfléchissent pas (une majorité ?) soulignent ou dénoncent un changement de cap des Etats-Unis (America first !). Mais, comme le font remarquer des observateurs qui ont, eux, bonne mémoire, cette doctrine n’est pas née avec Trump. Première guerre mondiale, les Etats-Unis ne s’engagent qu’en 1917, Seconde guerre, seulement en 1942 après le désastre de Pearl Harbour. Beaucoup plus récemment, quand les Européens et la France sous présidence Hollande avaient une opportunité – en 2013 – de chasser Assad de Syrie, Barack Obama a opposé une fin de non-recevoir (il est vrai peut-être échaudé par la guerre d’Irak déclenchée par Bush jr. en 2003).
Qui se rappelle la conférence de Yalta en 1945 ? où Staline, Churchill et Roosevelt se partagèrent l’Europe en excluant la France et De Gaulle…
Je viens de finir un excellent bouquin – qui vient de sortir en édition de poche :
« Comment comprendre la tragique guerre menée actuellement en Ukraine ? Quel est cet empire russe après lequel court Vladimir Poutine ? Pour saisir ces enjeux brûlants, François Reynaert s’est plongé dans un millénaire de passions russes. D’Ivan le Terrible au maître actuel du Kremlin, en passant par Pierre Ier le Grand, Catherine II ou Staline, les tsars n’ont cessé d’étendre leur territoire au nom de Dieu, des soviets ou de la grande nation slave. Cette histoire faite de bruit et de fureur, de conquêtes et de chefs-d’œuvre, de splendeurs et de misères, s’étend bien au-delà des frontières actuelles de la Russie. Elle embrasse les alliés et les vassaux de cette puissance, tous ceux qui ont contribué à la renforcer ou, au contraire, l’ont fait vaciller : Suède, Pologne, Lituanie, mais aussi Ukraine, pays des Balkans ou d’Asie centrale. » (Présentation de l’éditeur).
François Reynaert dit lui-même que l’idée de ce livre lui est venue le 24 février 2022. Je n’ai rien découvert que je n’aie pas déjà appris durant mes études, mais je recommande vivement à ceux qui essaient de comprendre, au-delà des apparences et des postures, ce qui joue en Ukraine.
Les tableaux d’une exposition
La Grande Porte de Kiev c’est le dernier épisode de la pièce de Moussorgski – Les Tableaux d’une exposition*. On va beaucoup entendre ces Tableaux dans l’orchestration de Ravel (1922) puisque comme nul ne peut l’ignorer, on célèbre les 150 ans de la naissance de l’auteur du Boléro.
Manifestement la presse a apprécié sa vision des Tableaux :
« La situation se corse avec Les Tableaux d’une exposition où Bringuier met habilement en évidence les atouts complémentaires de Moussorgski et Ravel. Du premier, il investit pleinement la carrure peu farouche, du second il cisèle l’incroyable inventivité orchestrale. Avec pour effet que cet étincelant concerto pour orchestre magnifie le dramatisme expressionniste de Moussorgski. Pesanteur du char de Bydlo, pépiements amusés du ballet des poussins dans leur co quille ou ironiques du Marché de Limoges, sauvagerie cinglante de la cabane de Baba Yaga et grandeur hymnique de la Grande porte de Kiev : ces Tableaux intègrent les trouvailles d’orchestration de Ravel dans le flux narratif de l’écriture de Moussorgski. Le tout a un sacré panache, incontestablement prometteur. On en redemande. » (Serge Martin, Le Soir, 16 février 2025)
Mais comme on le sait, si l’orchestration est restée, à juste titre, la plus célèbre et la plus jouée, l’oeuvre a bénéficié de plusieurs orchestrations :
Le grand Leopold Stokowski dirige la version de Ravel pour le public de Philadelphie en novembre 1929 ; il réalise dix ans après sa version très personnelle de l’œuvre (réécrivant plusieurs passages). Stokowski fera plusieurs révisions et enregistrera trois fois son orchestration (1939, 1941 et 1965). La partition ne fut publiée qu’en 1971.
En 1982, c’est le pianiste et chef Vladimir Ashkenazy qui s’y essaie à son tour :
* Je suis toujours irrité de lire dans les programmes de concert « Tableaux d’une exposition » sans le déterminant « les ». La langue russe ne comporte pas d’article (ou de déterminant) et donc une traduction littérale conduit à omettre celui-ici. Le cas le plus célèbre est le roman de TolstoiВойна и мир, qui doit s’écrire en français LA guerre et LA paix et non Guerre et Paix.
Par rapport au premier coffret, cette boîte jaune comprend beaucoup d’inédits, de documents exceptionnels à propos de pianistes dont on a parfois même perdu la trace.
Pour les discophiles, le nom du pianiste russe Lev Oborine (1907-1974) est associé au violoniste David Oistrakh (mort la même année que lui !). Malgré ses prix de concours, sa carrière et sa notoriété sont restées limitées à la sphère soviétique. Compatriote plus tardif d’Oborine, le natif d’Odessa (1951) Boris Bloch a quitté l’URSS en 1974 et s’est installé depuis 1985 en Allemagne et il témoigne d’une discographie plutôt conséquente, mais je me demande où il fait carrière. Pas en France en tout cas.
Quant à Steven De Groote (1953-1989), il fait partie de ces étoiles filantes – vainqueur du concours Van Cliburn – que la maladie a fauchées dans l’éclat de leur jeunesse. Tout comme le merveilleux Youri Egorov (La nostalgie des météores) dont on a ici un Carnaval de Schumann capté « live » en 1975. Ou l’Italien Dino Ciani (1941-1974) disparu dans un accident de voiture à 32 ans !
En revanche, je dois avouer que je n’avais entendu, jusqu’à ce coffret, la Brésilienne Diana Kacso (1963-2022), Mikhaïl Faerman, Belge d’origine moldave, lauréat 1975 du concours Reine Elisabeth et professeur au conservatoire de Bruxelles, la Polonaise Ewa Poblocka, l’Américaine Zola Mae Shaulis (1942-2021).
Content de retrouver le cher Claude Helffer (1922-2004) qui ne dédaignait pas passer de Berg ou Boulez à Milhaud !
Les détails du coffret :
CD 1 CHOPIN Piano Concerto No. 2; Ballade No. 2 Études; Mazurkas; Scherzo No. 4 VLADIMIR ASHKENAZY Warsaw National Philharmonic Orchestra / Zdzisław Górzyński RACHMANINOFF 6 Études-Tableaux, Op. 33* LEV OBORIN *FIRST RELEASE ON CD
CD 2 BEETHOVEN Piano Sonata No. 6 in F major, Op. 10 No. 2 RACHMANINOFF Vocalise, Op. 34 No. 14; Lilacs, Op. 21 No. 5; Études-Tableaux Op. 33 Nos. 1 & 2, Op. 39 No. 5 BUSONI Turandots Frauengemach LISZT Figaro Fantasy, S.697 BORIS BLOCH FIRST RELEASE ON CD
CD 3 CHOPIN Piano Sonata No. 2; Polonaise, Op. 53; Prelude, Op. 28 No. 17; 3 Mazurkas; Valse, Op. 34 No. 1 MICHEL BLOCK
CD 4 DEBUSSY Préludes – Livre I (1971 recording – previously unpublished)* Children’s Corner DINO CIANI *FIRST-EVER RELEASE
CD 5 WEBER Piano Sonatas Nos. 2 & 3 DINO CIANI
CD 6 PROKOFIEV Sonata No. 6 BRAHMS Paganini Variations MIKHAIL FAERMANN SCHUMANN Carnaval* YOURI EGOROV *FIRST CD RELEASE ON DG
CD 7 BEETHOVEN Eroica Variations SCHUMANN Études symphoniques STEVEN DE GROOTE FIRST RELEASE ON CD
CD 8 BOULEZ Piano Sonata No. 2* BERG Piano Sonata, Op. 1* MILHAUD Le Carnaval d’Aix CLAUDE HELFFER Orchestre National de l’Opéra de Monte-Carlo / Louis Frémaux *FIRST RELEASE ON CD
CD 9 SCHUMANN Piano Sonata No. 2*; Novelette, Op. 21 No. 8*; 3 Fantasiestücke, Op. 111*; Nachtstücke, Op. 23 (Previously unpublished recording)° VERONICA JOCHUM VON MOLTKE *FIRST RELEASE ON CD °FIRST-EVER RELEASE
CD 10 LISZT Piano Sonata in B minor CHOPIN Polonaise-Fantaisie; Étude, Op. 10 No. 10 DIANA KACSO FIRST RELEASE ON CD
CD 11 CHOPIN Ballade Nos. 1–4; Impromptus Nos. 1–4; Berceuse JULIAN VON KAROLYI FIRST INTERNATIONAL RELEASE ON CD
CD 12 CHOPIN Sonata No. 3; Boléro; Mazurka, Op. 17 No. 4; Valse No. 14; Andante spianato et Grande Polonaise brillante JULIAN VON KAROLYI
CD 13 RAVEL Le Tombeau de Couperin STRAVINSKY Tango; Piano-Rag-Music; Trois mouvements de Pétrouchka DAVID LIVELY FIRST RELEASE ON CD
CD 14 SCHOENBERG 3 Klavierstücke, Op. 11 SCHUBERT Sonata No. 16 ALEXANDER LONQUICH FIRST RELEASE ON CD
CD 15 BEETHOVEN Piano Sonatas Nos. 8 ‘Pathétique’ & 31 ELLY NEY
CD 16 BEETHOVEN Piano Sonatas Nos. 14 ‘Moonlight’ & 23 ‘Appassionata’ ELLY NEY
CD 17 J.S. BACH Aria variata alla maniera italiana CHOPIN Scherzo No. 1 DEBUSSY Images I & II EWA POBŁOCKA FIRST RELEASE ON CD
CD 18 BEETHOVEN Piano Sonata No. 28 SCHUMANN Toccata RAVEL Gaspard de la nuit JORGE LUIS PRATS FIRST RELEASE ON CD
CD 19 J.S. BACH Goldberg Variations PROKOFIEV Piano Sonata No. 7 ZOLA MAE SHAULIS FIRST RELEASE ON CD
CD 20 J.S. BACH Toccatas, BWV 911–915 ZOLA MAE SHAULIS FIRST RELEASE ON CD
CD 21 IVES Piano Sonata No. 2 ‘Concord, Mass., 1840–1860’; Three-page Sonata ROBERTO SZIDON
CD 22 REGER Telemann Variations ERIK THEN-BERGH BEETHOVEN Diabelli Variations PAUL BAUMGARTNER
Cet été j’ai pas mal voyagé et donc écouté beaucoup de musique. Une programmation aléatoire m’a fait entendre deux versions de la Première symphonie de Rachmaninov et m’a, du même coup, rappelé une promesse que je m’étais faite d’établir quelques discographies des oeuvres du compositeur russe, né il y a 150 ans et mort il y a 70 ans.
Les heureux Parisiens auront la chance de pouvoir l’entendre fin octobre à la Philharmonie avec l’orchestre « rachmaninovien » par excellence, celui que dirigea le compositeur lui-même et avec lequel il enregistra plusieurs de ses oeuvres, l’orchestre de Philadelphie et son actuel chef Yannick Nezet-Seguin
En attendant, revue de quelques versions -de ma discothèque- pas toujours les plus connues :
Lorin Maazel, Orchestre philharmonique de Berlin (DG)
Une fois de plus, ce n’est pas spontanément qu’on associe Rachmaninov à un chef comme Lorin Maazel. Et pourtant sa gravure des trois symphonies avec Berlin est plus qu’intéressante, elle a été heureusement rééditée dans le coffret presque complet des enregistrements DGG du chef américain disparu en 2014.
2. Walter Weller, Orchestre de la Suisse Romande (Decca)
A l’occasion du décès du violoniste et chef viennois Walter Weller (1939-2015) en juin 2015, j’avais écrit ceci :
« Quelques années plus tôt, j’avais acheté au marché aux puces de St Ouen un coffret de 3 33 tours des Symphonies de Rachmaninov et j’avais été fasciné par la 1ere symphonie (plus, à l’époque, que par les 2e ou 3emes) et par la beauté de la version de….Walter Weller et de l’Orchestre de la Suisse Romande, une captation Decca réalisée en 1971 au Victoria Hall de Genève.
Je me dis que jamais plus je n’aurais l’opportunité d’entendre « en vrai » l’oeuvre et les interprètes de ce disque, si je ne demandais pas à Walter Weller de reprendre cette 1ere symphonie de Rachmaninov vingt ans après cet enregistrement. Il fut d’abord très surpris de ma demande – peut-être n’avait il jamais plus redonné l’oeuvre en concert depuis l’enregistrement ?!, moi-même j’ai dû attendre 2007 et l’enthousiasme de Patrick Davin pour la reprogrammer à Liège ! –
Inutile de dire que ce concert genevois de Walter Weller m’est resté en mémoire (d’autant plus que le Berg donné en première partie avait pour soliste un Pierre Amoyal au sommet de ses moyens).
3. Vladimir Ashkenazy, Concertgebouw Amsterdam (Decca)
Autant je suis loin d’être convaincu par le pianiste Ashkenazy – qui a beaucoup, trop, enregistré – autant je lui reconnais pas mal de belles réussites comme chef d’orchestre, en particulier dans l’oeuvre symphonique de Rachmaninov, où il bénéficie de surcroît du somptueux Concertgebouw d’Amsterdam
4. Charles Dutoit, orchestre de Philadelphie (Decca/Newton)
Ce n’est pas – et de loin – la part la plus connue de la discographie du chef suisse, et pourtant la quasi-intégrale symphonique Rachmaninov que Charles Dutoit a enregistrée l’a été à Philadelphie et compte pour moi parmi les plus inspirées.
5. Zoltan Kocsis, Orchestre national de Hongrie (Budapest Music Center)
Lorsque j’avais rendu hommage à Zoltan Kocsis, le grand pianiste hongrois disparu en novembre 2016, j’avais évoqué, trop brièvement, son activité de chef d’orchestre. La dernière fois que je m’étais rendu à Budapest (et que j’avais encore trouvé un magasin de disques !) j’avais pu acheter ce CD, comportant… la Première symphonie de Rachmaninov !
Je n’ai malheureusement pas trouvé de vidéo de cet enregistrement… mais je le recommande très chaudement. Comme on a toujours chaleureusement recommandé Kocsis dans les concertos de Rachmaninov…
6. Mikhail Pletnev, Orchestre national de Russie (DGG)
Le pianiste Mikhail Pletnev est, de mon point de vue, aussi génial au clavier que sur le podium du chef. Il ne laisse personne indifférent, et c’est pour cela qu’on l’admire.
Il a aussi gravé les trois symphonies de Rachmaninov, et ses partis-pris dans la 1ere peuvent déconcerter autant que passionner l’auditeur.
Pour ne pas encourir le reproche que d’aucuns de mes lecteurs ne manqueraient pas de me faire, je précise que les versions que j’ai retenues ici n’excluent pas évidemment les références que sont Ormandy, Jansons, Svetlanov, et qui demeurent chères à mes oreilles !
Trois raisons ce matin d’illustrer le proverbe médiéval Qui bene amat, bene castigat. À propos de trois pianistes.
Fazil Say l’intranquille
Ici même j’écrivais ce billet : Mes préférés : Fazil Say quelques semaines avant d’entendre, en juillet 2017, le récital du pianiste turc à Montpellier. Je lui avais demandé un programme tout Mozart, ce qui l’avait d’abord surpris (parce qu’on ne remplit pas une salle avec des sonates de Mozart ?), pour changer aussi les habitudes d’un public – celui du Festival Radio France – acquis d’avance depuis les débuts du pianiste vingt ans plus tôt.
La déception que j’ai éprouvée est à la mesure de l’admiration que je porte à l’artiste.
Remarque à l’attention des responsables du Théâtre des Champs-Elysées (mais cela vaut pour quasiment toutes les salles de concert que je fréquente !) : les minutages indiqués sont toujours faux pour le public. Si l’on en croit le panneau électronique dans le hall du théâtre mercredi dernier, la première partie se terminait au bout de 35 minutes. Or ces 35 minutes ne sont que l’addition – approximative d’ailleurs – des durées des trois oeuvres, et ne tiennent évidemment pas compte de ce qui se passe sur scène, des allers-retours du pianiste, des applaudissements, etc… Mieux encore, le minutage de la seconde partie fait l’impasse sur les bis. Résultat, un récital qui devait s’achever selon cette annonce à 21h35, s’est achevé à 21h55 !
J’avais coutume de demander, à Liège ou à Montpellier, où le public voulait surtout savoir vers quelle heure s’achèverait le concert, qu’on rajoute 20 minutes au minutage strict du programme. Et ça tombait toujours juste !
Les petits marteaux de Gavrilov
Je me réjouissais de retrouver la totalité des enregistrements réalisés par le pianiste suisse d’origine russe Andrei Gavrilov, mon quasi contemporain, pour Deutsche Grammophon, republiés dans la collection Eloquence (petit conseil en passant : le site anglais Prestomusic propose le coffret de 10 CD à 25 € de moins que la FNAC !)
CD 1
JOHANN SEBASTIAN BACH (1685–1750) Goldberg Variations, BWV 988
CDs 2–3 JOHANN SEBASTIAN BACH (1685–1750) French Suites Nos. 1–6
CD 4 FRANZSCHUBERT (1797–1828) Impromptus, D.899 & 935
CD 5 FRÉDÉRIC CHOPIN (1810–1849) Piano Sonata No. 2 in B flat minor, Op. 35 Four Ballades
CD 6 EDVARD GRIEG (1843–1907) Lyric Pieces (selection)
CD 7 SERGEI PROKOFIEV (1891–1953) Piano Sonata No. 3 in A minor, Op. 28 PianoSonata No. 7 in B flat major, Op. 83 Piano Sonata No. 8 in B flat major, Op. 84
CD 8 SERGEI PROKOFIEV (1891–1953) Ten Pieces for Piano fromRomeo and Juliet, Op. 75 Suggestion diabolique, Op. 4 No. 4 Prelude in C major, Op. 12 No. 7
MAURICE RAVEL (1875–1937) Gaspard de la nuit Pavane pour une infante défunte
CD 9 BENJAMIN BRITTEN (1913–1976) Friday Afternoons, Op. 7 Sailing, Op. 5 No. 2 (Holiday Diary) The Ballad of Little Musgrave and Lady Barnard Night, Op. 5 No. 4 (Holiday Diary) The Golden Vanity, Op. 78 Gernot Fuhrmann, Mark Bittermann, Michael Matzner, trebles Thomas Weinhappel, Wolfgang Wieringer, boy altos Wiener Sängerknaben · Jaume Miranda, chorus master Chorus Viennensis · Peter Marschik, chorus master
CD 10 IGOR STRAVINSKY (1882–1971) Scherzo à la Russe Concerto for Two Pianos Sonata for Two Pianos Le Sacre du printemps Vladimir Ashkenazy, piano (II)
La quasi totalité de ces gravures date du tournant des années 90, à une époque où le jeune virtuose flamboyait, impressionnait par sa technique d’acier.
C’est peu dire qu’on est surpris par des Bach qui semblent singer Glenn Gould, des petits marteaux sans âme. Mais le même phénomène se retrouve dans une oeuvre où, a priori, le pianiste moscovite devrait être plus à son aise, le Roméo et Juliette de Prokofiev. C’est mieux, beaucoup mieux même, dans Chopin, Grieg, les sonates de Prokofiev, le duo avec Ashkenazy dans Stravinsky et cette étrangeté Britten.
J’ai retrouvé sur YouTube un récital donné par Gavrilov à la même époque, dans une rue d’Amsterdam (!) : Chopin et Prokofiev au programme :
Je n’ai personnellement jamais entendu Gavrilov en concert, je pensais même qu’il avait renoncé à jouer en public. Et puis j’ai trouvé ce récital récent, il y a deux ans au Japon. Le jeune chien fou des débuts est devenu poète, malgré des moyens affaiblis mais encore impressionnants.
Le piano d’un dandy
Piano Classics ressort en 4 CD l’intégrale de l’oeuvre pour piano de Reynaldo Hahn (1874-1947) gravée il y a une dizaine d’années par un jeune pianiste italien, 35 ans, Alessandro Deljavan, demi-finaliste du concours Van Cliburn en 2013.
Je n’ai pas le souvenir d’avoir jamais vu son nom à l’affiche des salles de concert françaises.. malgré nombre de critiques favorables à propos de ses disques, notamment des Chopin très intéressants.
J’ai chroniqué pour un site de vente en ligne cette réédition Reynaldo Hahn, une somme de petites pièces d’un goût toujours sûr, même si elles ne sont pas essentielles. Lire ici
C’est l’une des nouvelles productions de la saison de l’Opéra de Paris : Cendrillon, l’opéra de Massenet.
On est allé voir cette Cendrillon vendredi dernier, avec quelques réticences : les premières critiques n’étaient pas très flatteuses (Cendrillon rate le coche), on craignait d’être déçu par rapport au souvenir qu’on avait d’un spectacle très réussi il y a une dizaine d’années, à l’Opéra Comique, mis en scène par Laurent Pelly.
Crainte injustifiée : la mise en scène de Mariame Clément est astucieuse et poétique, les impressionnants décors de Julia Hansen composent un spectacle très plaisant (Forumopera : La machine féerique). Certes, la diction française des principaux rôles est encore perfectible, mais Tara Erraught en Lucette/Cendrillon, Anna Stephany (qu’on avait applaudie l’été dernier au Festival Radio France) en prince charmant, Daniella Barcelona en marâtre, tout comme la fée de Kathleen Kim, incarnent parfaitement leurs personnages, et tous leurs comparses sont dignes d’éloge. On se demande, en revanche, ce qui a motivé le choix de Carlo Rizzi, d’ordinaire abonné à l’opéra italien, pour diriger un Massenet méconnu.
D’autres Cendrillon
Il faut lire l’article remarquablement documenté de Wikipedia sur Cendrillon. J’avoue que je ne connaissais guère que les « versions » de Charles Perrault et des frères Grimm de ce conte très très ancien !
En musique, on connaît bien l’opéra-bouffe de Rossini, la Cenerentola, dont le livret repose sur le conte de Perrault.
Eblouissante Agnes Baltsa sous la direction d’un chef inattendu dans ce répertoire et qui a signé plusieurs réussites rossiniennes, Neville Marriner
Il faut évidemment connaître l’une des rares versions au disque de la Cendrillon de Massenet, malgré la diction marshmallow de Federica von Stade
On doit aussi citer le grand ballet de Prokofiev, que le théâtre Marinski de Saint-Pétersbourg presse d’écrire, après le succès de Roméo et Juliette. Prokofiev entreprend sa Cendrillon en 1941, mais ne l’achève qu’en 1944. La première a lieu le 21 novembre 1945 au Bolchoi à Moscou.
Une autre Cendrillon est, elle, beaucoup moins connue, et tout à fait contemporaine de celle de Massenet. Il s’agit d’un ballet dû au roi de la valse, compositeur de La Chauve-Souris, Johann Strauss fils, connu sous son titre allemand Aschenbrödel, la dernière oeuvre du maître, qui meurt en 1899.
Je m’étonnais, pour m’en réjouir, que Brahms soit devenu très à la mode chez les jeunes pianistes français (lire Ils aiment Brahms). Chopin est beaucoup plus rare. Peut-être à cause du poids considérable des références du passé ?
C’est pourquoi, d’abord dubitatif (encore un coffret de recyclage de versions connues et reconnues ?), on a vite changé d’avis en consultant le contenu, et surtout en écoutant les précieuses galettes du coffret édité par Deutsche Grammophon – une série « limitée » semble-t-il : The Chopin Masters
Il ne s’agit ni d’une anthologie, ni a fortiori d’une intégrale, mais les surprises abondent. Les discophiles connaissent depuis longtemps les précieux témoignages de Martha Argerich, Benedetti-Michelangeli, Gilels, Pogorelich, Zimerman, Pollini, Pletnev, les moins indispensables Barenboim, Vasary ou Eschenbach. Les plus jeunes talents, Yundi Li, Rafal Blechacz, Seong-Jin Cho y ont toute leur place. Mais les vraies surprises sont nombreuses, en tout cas pour moi.
J’avais oublié le Chopin de Géza Anda, j’ignorais les captations du tout jeune Vladimir Ashkenazy en 1955 (je n’ai jamais aimé son intégrale Decca, extraordinairement mal enregistrée), j’aime que Stefan Askenase (le Chopin de mon enfance) soit dans cette compagnie, qu’on retrouve le pianisme puissant de Lazar Berman et plus encore les Polonaises – que je ne connaissais pas – de l’immense Shura Cherkassky.
Qui connaît encore Michel Block (1937-2003), né à Anvers de parents français, puis devenu Américain de fait, étudiant à la Juilliard School puis enseignant à l’Université de l’Indiana à Bloomington. Son nom est resté lié à un scandale au concours Chopin de 1960 : furieux de son mauvais classement à l’épreuve finale (11ème), Artur Rubinstein, membre du jury, lui attribue un prix spécial à son nom ! Une vraie (re)découverte pour moi que ce disque !
Même question pour Julian von Karolyi (1914-1993), pianiste allemand d’origine hongroise, élève de Dohnanyi et Cortot, qui avait peu à peu disparu des radars (sauf sur les sites de téléchargement).
Les amateurs connaissent depuis longtemps les enregistrements d’ Halina Czerny-Stefanska (1922-2001) et Ruth Slenczynska (96 ans!), que je trouve personnellement irrémédiablement austères, ce qui n’est pas le cas du natif de Chodzie (Pologne), vainqueur du concours Chopin 1955, Adam Harasiewicz.
Mais les bonnes surprises de ce coffret sont ce Chopin somptueux de son et de chant du pianiste brésilien Roberto Szidon, exact contempoain de Martha Argerich, emporté par une crise cardiaque il y a dix ans, et plus encore peut-être un disque de 1960 du pianiste britannique d’origine chinoise, disparu en décembre dernier, Fou Ts’ong. Un dernier mot sur Stanislav Bunin, successivemen lauréat du Concours Long-Thibaud en 1983 (à 17 ans) et du Concours Chopin en 1985. Le petit-fils d’ Heinrich et fils de Stanislas Neuhaus s’est fait rare au concert comme au disque en Europe, il est installé au Japon il y a une dizaine d’années.
CD 1 Géza Anda
Préludes Op. 28 ∙ Polonaise Op. 53
CD 2 Martha Argerich (Chopin Competition Winner 1965)
Préludes Opp. 28, 45 & Op. Posth. In A Flat Major ∙ Piano Sonata No. 2 Op. 35
CD 3 Vladimir Ashkenazy (Second Prize Chopin Competition 1955)
Piano Concerto No. 2 Op. 21
Warsaw National Philharmonic Orchestra, Zdzislaw Gorzynski Conductor
Waltzes Opp. 18, 34, 42, 64, Opp. Posth. 69 & 70, Kk Iva/15, Kk Iva/12, Kk Iva/13, Kk Iva/14 ∙ Mazurkas Op. Posth. / Kk Iva/7, Opp. 67/3, 68/2 & 7/1 ∙ Polonaise Op. 53 ∙ Introduction And Variations On The Song “Der Schweizerbub” Op. Posth. / Kk Iva/4
CD 28 Krystian Zimerman (Chopin Competition Winner 1975)
En Belgique, le Concours Reine Elisabethest une institution que nul ne peut ignorer. Chaque année, des moyens publics et privés très importants sont mobilisés pour assurer à ce concours un rayonnement médiatique dont ne bénéfice aucune autre entreprise culturelle – orchestre, opéra, festival – du pays. Je me suis déjà exprimé sur le sujet : De l’utilité des concours.
Chaque année, le Concours organise (organisait ?) à Bruxelles un déjeuner pour ses généreux donateurs, pour les membres du jury de la discipline concernée et ses partenaires, sous la présidence d’un membre de la famille royale. J’ai eu le privilège (!), comme directeur de l’orchestre philharmonique de Liège, qui assume certains concerts des lauréats, d’être invité deux ou trois fois à ces déjeuners. Ils étaient alors présidés par la Reine Fabiola (prononcer : la Rhin-ne !), la veuve du Roi Baudoin, brutalement décédé au cours de l’été 1993 dans sa résidence d’été en Espagne.
Nous prenions place autour de tables rondes, au Palais d’Egmont, selon un plan de table soigneusement revu par le protocole de la Maison du roi. Les invités devisaient debout près de leur table, attendant que la Reine paraisse, vêtue de mauve, de pourpre ou de rose ancien, coiffure bouffante. Le rituel était immuable : Fabiola était accompagnée par le comte Jean-Pierre de Launoit,inamovible président du Concours jusqu’à sa mort en 2014 et intime de la famille royale de Belgique, elle saluait d’un discret signe de tête les personnes qu’elle reconnaissait et, plus rarement, elle tendait une main fine et molle à ceux que Jean-Pierre de Launoit lui indiquait. J’eus ainsi le privilège d’être distingué et de m’entendre dire de la royale bouche : « J’aime beaucoup votre orchestre » !
Inutile de dire que, ce jour-là, je bénéficiai soudain d’une attention soutenue de la part de mes voisines de table (nous n’y étions que deux représentants de l’espèce masculine) qui, jusque là, m’avaient soigneusement ignoré, ne faisant même pas semblant, comme on le fait d’ordinaire chez ces gens-là, de manifester un tant soit peu d’intérêt pour ma fonction ou ma personne. Je n’en avais cure – j’ai toujours fui les mondanités et les mondains ! – parce que l’occasion m’était donnée de parler avec l’un des plus grands chanteurs de l’époque, l’un de ceux que j’avais entendus et admirés si souvent au disque (Istvan Kertesz à Vienne), le grand baryton-basse finlandais Tom Krause(1934-2013)
Cette année-là, les épreuves du Concours étaient réservées au chant, et lors de ce déjeuner, j’apercevrais aussi Joan Sutherland et Grace Bumbry !
J’eusse aimé être placé à table à côté de Tom Krause, mais le protocole avait placé entre nous une dame sans doute très importante qui nous assomma durant tout le repas des soucis de son mari banquier. À ma droite était assise une autre dame qui avait dû être très belle dans sa jeunesse, qui débitait banalités et fadaises sur la musique et les musiciens avec une telle bonne humeur que je l’aurais presque remerciée d’égayer cette sinistre tablée.
Heureusement les déjeuners « royaux » ne durent jamais longtemps. Sitôt le café servi, les convives se levaient de table et se saluaient avant de prendre congé. Je pris encore un peu de temps pour converser avec Tom Krause, nous fûmes évidemment interrompus par ces dames qui ne voulaient pas être impolies avec celui qui avait été distingué par la Reine Fabiola (« Vous devez être quelqu’un d’important ! » me dit l’une d’elles) et accessoirement avec l’autre homme de la table, qu’aucune n’avait reconnu ni identifié (« Et vous Monsieur vous êtes musicien? », « Vous êtes professeur ? vous enseignez quoi? »).
La honte m’étreignait, j’eus beau essayer de rattraper les bêtises entendues (« Vous aurez bien sûr reconnu l’un des plus grands chanteurs de notre temps, Tom Krause »), c’était peine perdue, et le premier à s’en amuser était Tom Krause lui-même.
J’ai fait allusion à un autre de ces déjeuners dans un récent billet : Demandez le programme !
Difficile de faire une sélection dans la discographie considérable de Tom Krause. Quelques-uns de mes disques préférés :
D’abord ce beau coffret commandé avant les vacances, arrivé le jour de mon retour, et depuis dégusté à petites doses, comme des retrouvailles avec quelqu’un qu’on avait un peu perdu de vue ou d’oreille.
Faut-il rappeler qui est Rudolf Serkin ? Peut-être pas le plus grand pianiste, si l’on s’en tient à des critères techniques, mais l’un des musiciens les plus emblématiques du XXème siècle. Sa vie, ses origines, sa destinée épousent tous les cahots, les horreurs comme les lumières d’un siècle qui ne fut pas avare de fortes personnalités.
On redécouvre, dans ce coffret, dans un son largement amélioré, d’immortelles gravures de Mozart, Beethoven, Schubert, Brahms, et, plus rares, Bartok (1er concerto), Prokofiev (4ème concerto), Reger, Chopin (Préludes), et ces trésors de musique partagés à Marlboro avec les Busch, Casals, Schneider, Fleisher et tant d’autres.
Decca honore, pour son 80ème anniversaire, l’un de ses artistes maison, stakhanoviste de l’enregistrement tant comme pianiste que comme chef : Vladimir Ashkenazy
Dans le dernier numéro de Gramophone le pianiste est évoqué, par euphémisme, comme « peu soucieux de couleurs ». Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites.. Virtuose certes, chez lui dans Rachmaninov ou Prokofiev, avare de poésie et de fantaisie dans le répertoire romantique (Beethoven, Brahms, Schumann, Chopin), je n’ai jamais accroché à Ashkenazy pianiste, surtout lorsqu’il est enregistré dans des acoustiques de salle de bain ou sur des pianos ferraillants qui durcissent un jeu qui n’est déjà pas très varié. J’ai toujours trouvé mieux, plus intéressant, plus idiomatique ailleurs.
Ashkenazy chef d’orchestre est souvent beaucoup plus pertinent que le pianiste. Decca serait bien inspiré (c’est peut-être prévu ?) de regrouper ses gravures comme chef, dans son répertoire natif (somptueux Rachmaninov avec le Concertgebouw) mais aussi dans des registres plus surprenants (Sibelius, Richard Strauss, Mahler…)
Il a soixante-dix ans aujourd’hui et on a l’impression d’avoir toujours vécu avec lui. Comme l’écrit Renaud Capuçon dans les notes de présentation de l’un des deux considérables coffrets qui lui sont consacrés.
Happy birthday Mister Perlman !
Comme son contemporain Daniel Barenboim, Itzhak Perlman a beaucoup, énormément enregistré pour tous les grands labels, surtout EMI (devenu Warner) et Deutsche Grammophon.
Je laisserai aux critiques patentés le soin de caractériser par les mots idoines l’art et le jeu de Perlman.
Mes oreilles se sont habituées depuis l’adolescence à un son pur et chaleureux, à un très beau violon toujours sensuel, jamais vulgaire. Et dans les partitions très techniques (Paganini, Wieniawski) une virtuosité qui ne vise pas l’épate.
Se livrer au jeu des comparaisons serait aussi ridicule que fastidieux.
Cela étant, on n’est pas obligé de souscrire à la totalité de ces propositions, tout n’est pas de la même eau, en partie à cause des accompagnateurs. Quand Giulini sert Beethoven et Brahms aux mêmes hauteurs que son soliste, cela donne des versions de référence. Quand Previn, Foster ou Barenboim sont à la manoeuvre, on n’est pas toujours dans l’élan, la souplesse et la légèreté, parfois même on entend la rapidité de la mise en boîte.
Dans le coffret DG, peu de doublons avec la somme EMI – sauf les concertos de Mozart – plutôt des compléments, Berg, Stravinsky, Lalo, et un couplage inattendu du concerto de Tchaikovski et du 1er concerto de Chostakovitch où Perlman dirige le jeune Ilia Gringolts. Mais surtout deux intégrales que j’ai toujours beaucoup aimées des Sonates pour violon et piano de Beethoven avec Vladimir Ashkenazy, naguère parues chez Decca, et des Sonates pour violon et piano de Mozart avec Barenboim.