Coup de gueule
Le coup de gueule est à la hauteur de l’attente… déçue. On était très heureux de voir que Decca avait rassemblé dans un coffret tout ce que le chef américain d’origine hongroise, Antal Doráti (1906-1988), avait enregistré du temps où il était le directeur musical de l’orchestre symphonique de Detroit, de 1977 à 1981. (*)

L’objet en impose, un gros boîtier pour seulement 18 CD – vendu au prix très fort de 75 à 98 € selon les fournisseurs !. La mauvaise surprise, c’est qu’à peu près tout avait déjà été réédité souvent dans des collections économiques, et qu’on nous ressert les pochettes d’origine (qui cela intéresse-t-il encore ?) et surtout les minutages d’origine ! Autrement dit 1 CD pour Le Sacre du printemps (36 minutes !), idem pour les autres ballets de Stravinsky… En bon français, ça s’appelle du foutage de gueule.
S’il s’agissait de republier les enregistrements de la dernière époque de Doráti, pourquoi ne pas y avoir inclus la petite dizaine de disques réalisés à Washington, quand il était à la tête du National Symphony Orchestra, voire ceux qu’il a faits avec le Royal Philharmonic de Londres pour Decca ?
On eût aimé retrouver les Nocturnes de Debussy (l’un des très rares disques de Dorati consacrés à ce compositeur) captés à Washington
En l’état ce coffret n’a aucun sens.
Une discographie pléthorique
Cela dit, Antal Doráti est un cas. C’est probablement le détenteur du record de disques enregistrés. Personne, à ma connaissance, ne s’est risqué à dresser une discographie exhaustive du chef hongrois, à l’exception du site Discogs qui a relevé 745 occurrences (ce qui ne veut pas dire autant de disques !).
Notons d’abord, qu’à la différence de nombre de ses contemporains – pour ne prendre que des Hongrois d’origine comme lui, Ormandy, Solti – Doráti n’a jamais occupé longtemps de fonctions de directeur musical. Après guerre, 4 ans à Dallas, 11 ans à Minneapolis, 4 ans à la BBC, 8 ans à Stockholm, 6 ans à Washington, 3 ans au Royal Philharmonic, 4 ans à Detroit, puis une dizaine d’années sans poste fixe. Cette relative « instabilité » peut signifier que chef et musiciens se lassaient vite les uns des autres, ou que le tempérament de Dorati, sa boulimie d’enregistrements, ne favorisaient pas l’établissement de relations de longue durée.
Ce n’est d’ailleurs avec aucun de « ses » orchestres qu’il a réalisé ses enregistrements les plus fameux, on pense bien sûr à ce qui, sans même tout le reste, aurait assuré sa postérité : les Symphonies de Haydn (avec le Philharmonia Hungarica) et les opéras de Haydn (avec l’Orchestre de chambre de Lausanne).


Bien sûr, il y a l’immense collection réalisée pour Mercury Living Presence, là encore quelques-uns, les premiers, avec Minneapolis, mais l’essentiel avec le London Symphony, ou le Concertgebouw d’Amsterdam (peut-être le plus beau Casse Noisette de toute la discographie)
Quant au répertoire, seul un Neeme Järvi dépasse Dorati en curiosité tous azimuts. Tous les grands symphonistes, à l’exception notable de Rachmaninov (sauf pour accompagner – et comment ! – le légendaire Byron Janis dans les concertos n° 2 et 3)

Difficile pour moi de faire un choix dans ma propre discothèque, où je pense avoir à peu près tous les enregistrements Mercury et Decca d’Antal Dorati.
Si l’on cherche un modèle de prise de son « réaliste », les rhapsodies hongroises captées à Londres sont spectaculaires :

J’ai longtemps eu une seule version du ballet La boutique fantasque de Respighi :

(*) Contenu du coffret Doráti/Detroit
CD 1 (41′)
Tchaikovski : Ouverture 1812, Capriccio italien, Marche slave
CD 2 (50’07)
Liszt : Rhapsodie hongroise n°2, Dvořák: Rhapsodie slave n°3, Enesco: Rhapsodie roumaine n°1, Ravel: Rapsodie espagnole
CD 3 (53’04)
Bartók: Suite n°1, Deux portraits
CD 4-5 Richard Strauss: Die aegyptische Helena
Gwyneth Jones, Martti Kartu, Dinah Bryant, Barbara Hendricks, Willard White, Betty Lane, Birgit Finnilä
CD 6 (54’14)
Richard Strauss: Don Juan, Till Eulenspiegel, Tod und Verklärung
CD 7 (37’07)
Stravinsky ; Petrouchka
CD 8 (52’48)
Szymanowski : Symphonies n°2 et 3
CD 9 (47’36)
Dvořák: Suite tchèque, Valses de Prague, Polonaise, Polka des étudiants, Nocturne
CD 10 (50’56)
Copland : El salon Mexico, Dance Symphony, Fanfare for a common man, Rodeo
CD 11 (33’31)
Stravinsky : Le Sacre du printemps
CD 12 (53’31)
Richard Strauss : Also sprach Zarathustra, Macbeth
CD 13 (43’34)
Stravinsky : L’Oiseau de feu
CD 14 (55’42)
Gershwin : Porgy and Bess, suite symphonique, Grofé: Grand Canyon suite
CD 15 (45’35)
Richard Strauss : Der Rosenkavalier suite, Die Frau ohne Schatten fantaisie symphonique
CD 16 (60’19)
Bartók: Le Mandarin merveilleux, Musique pour cordes percussion et célesta
CD 17 (55’37)
Stravinsky : Symphonie en mi b M, Scherzo fantastique
CD 18 (53’14)
Copland: Appalachian Spring, Stravinsky: Apollon musagète