Pierre Boulez : un centenaire (I)

J’ai souvent évoqué ici la figure et la personne de Pierre Boulez, dont on va célébrer le centenaire de la naissance ce 26 mars..

Je raconterai encore quelques souvenirs personnels, mais je me garderai de participer à la critique et à l’exégèse de son oeuvre et de son action : le colloque Pierre Boulez, l’orchestre et la politique culturelle , auquel j’assisterai mercredi et jeudi prochains à la Philharmonie de Paris devrait susciter d’utiles débats.

Parce que, comme le relevait Bruno Mantovani lors d’une récente soirée du Printemps des Arts de Monte-Carlo, l’admiration qu’on peut éprouver pour Boulez n’empêche pas, au contraire, de reconnaître ses erreurs, voire ses ratages.

La critique a souvent relevé que le chef d’orchestre Pierre Boulez excellait dans la musique du XXe siècle, et qu’à la différence de ses contemporains, son répertoire au disque était plutôt réduit, commençant à Mahler pour finir par lui-même et une liste parcimonieuse des autres grands noms de la composition (Ligeti, Birtwhistle, Carter, un peu de Messiaen).

L’une des plus belles versions de la Valse de Ravel est assurément celle de Pierre Boulez à Berlin.

La sensualité, la conduite des ralentis comme des emballements, la capture de la décadence de cette valse morbide, sont d’un maître absolu de l’orchestre.

Pourquoi donc le même chef était-il si peu à l’aise – c’est un euphémisme – avec le répertoire plus classique où ses quelques incursions au disque sont assez spectaculairement ratées.

Les ratages

Dans le coffret Sony qui récapitule ses années américaines et londoniennes, il y a quelques perles rares qui sont autant d’anti-modèles : Haendel et Beethoven par exemple.

Je découvre sur YouTube un enregistrement que j’ignorais, et qui n’est guère plus convaincant de Water Music, réalisé à La Haye

J’ai aussi acheté des « live » chez Yves St.Laurent (78experience.com), ce courageux amateur canadien qui a déjà restauré un impressionnant catalogue d’enregistrements de concert.

Il fallait bien que comme directeur musical à Cleveland comme à New York, Pierre Boulez dirige aussi le grand répertoire. Les témoignages qu’on en a ne sont pas ce que le chef nous a laissé de meilleur…

Schubert avec des pieds de plomb…

Schumann n’est pas mieux servi !

Mais en 1962 à Baden Baden, le Beethoven de la 3e symphonie « Héroïque » lui convient manifestement mieux :

Les « one shot »

Il y a aussi des oeuvres que Boulez n’a enregistrées qu’une seule fois et sans doute rarement abordées au concert. Sans doute pas sa tasse de thé, mais à plus d’un titre intéressant.

C’est par Pierre Boulez dirigeant l’Orchestre de Paris pour un concert de gala à la fin des années 70 que j’ai découvert le ballet de Paul Dukas, La Péri. Depuis j’ai appris à préférer la transparence et la sensualité d’un Martinon ou d’un Jordan.

Dans la 3e symphonie de Roussel, il manque tout de même la saveur, le pétillement qu’y mettait un Bernstein

Richard Strauss n’était pas non plus dans le coeur de répertoire du chef Boulez. Il a certes enregistré pour DG un Also sprach Zarathustra de belle facture mais pas primordial dans une discothèque. Et le Till Eulenspiegel que j’ai sur un double CD édité par la boutique du Chicago Symphony est loin d’être inoubliable.

Enfin il se niche dans un coffret hommage à Yvonne Loriod un authentique rareté : les quatre premiers concertos pour piano de Mozart, peut-être l’un des tout premiers disques de Pierre Boulez.

J’invite ceux qui voudraient explorer plus avant l’héritage discographique de Pierre Boulez à lire Les chefs de l’été..

J’invite surtout à réécouter tous ces enregistrements qui nous ont nourri, enchanté, souvent fait découvrir des oeuvres, comme les Sieben frühe Lieder de Berg, chantés ici par la grande Heather Harper

et plus encore dans cette version de concert au Japon, en 1995, avec l’insurpassée Jessye Norman

Et toujours le petit frère de ce blog : brevesdeblog

Découvrir Boulez

Mon titre surprend ? Y a-t-il encore des choses à découvrir sur le compositeur, chef d’orchestre disparu en janvier 2016 ?

Réponse : oui. En visitant la passionnante exposition proposée dans la Galerie des donateurs de la Bibliothèque Nationale de France, à partir du fonds déposé à la BNF par la succession de Pierre Boulez.

Nombre de documents – lettres, articles, partitions, photos, pochettes de disques – jusqu’alors inaccessibles au public, et qui révèlent, pour ceux qui auraient une image réductrice ou caricaturale de Boulez, l’envergure intellectuelle, mais aussi la bienveillance à l’égard de ses contemporains, dans ses années de maturité.

Pierre Boulez et Roger Désormière au cimetière d’Auvers-sur-Oise sur la tombe de Van Gogh ! Que faisaient-ils là ?

Photos d’enfance et cette carte de Marcelle Boulez, la mère du compositeur, qui se félicite du succès de la création du Visage Nuptial !
La couverture du disque enregistré chez Vega : les quatre premiers concertos de Mozart avec Yvonne Loriod en soliste. Etonnant pour le moins…
Olivier Messiaen, Yvonne Loriod et Pierre Boulez

Chant funèbre, poème extrait des rites des tribus du Haut-Abanga (1943)

Une photo émouvante, surtout après les récentes déclarations de Daniel Barenboim sur son état de santé. On reconnaît à droite le grand flûtiste Jean-Pierre Rampal.
Un manuscrit de György Kurtag (1985) : Kafka Fragmente op.24, Der wahre Weg (hommage-message à Pierre Boulez)
Au moment où se conçoit l’ensemble qui va naître au parc de la Villette – le Conservatoire, la Cité de la Musique, puis la Philharmonie – la réflexion de Pierre Boulez prend tout son sens.
Retour où tout a commencé pour le jeune homme de 21 ans, dans la fosse de la compagnie Renaud-Barrault.

Ce ne sont que quelques éléments d’une exposition qui n’est pas considérable, mais où chaque document captive, retient l’attention. Une exposition à voir absolument – entrée libre et gratuite – à la Bibliothèque nationale de France – François Mitterrand : J’ai horreur du souvenir

Les chefs de l’été (VIII) : Boulez, Haydn, Mozart, Beethoven et Schubert

Si l’association Haydn/Ansermet (voir Les chefs de l’été III) n’était pas la plus attendue, on imagine encore moins Pierre Boulez, l’un des interprètes majeurs de la modernité du XXème siècle, diriger Haydn ou Mozart. Ni même Beethoven et Schubert.

Et pourtant l’un des tout premiers disques du compositeur et chef français, disparu en 2016, est à tous égards une curiosité : les quatre premiers concertos pour piano de Mozart, enregistrés pour Vega en 1956, avec l’orchestre du Domaine musical, et surtout Yvonne Loriod

Une curiosité !

Pierre Boulez accompagnera, à plusieurs reprises, de grand(e)s solistes, dans des concertos de Mozart

J’avais assisté à un concert de l’Orchestre philharmonique de Vienne au Théâtre des Champs-Elysées, le 24 mars 1996. Pierre Boulez y dirigeait la Cinquième symphonie de Mahler, et en première partie, la Symphonie n°104 de Haydn.

L’Orchestre viennois a réédité un coffret de quelques-uns des concerts Haydn donnés par les Wiener Philharmoniker. La 104 « boulezienne » n’a pas marqué les mémoires…

Tout aussi « classique », une symphonie n°103 captée à Chicago en 2003 n’intéresserait pas beaucoup l’auditeur si le nom de Boulez n’y était associé.

L’éditeur québécois Yves St.Laurent – le parfait homonyme du couturier français – s’est spécialisé dans l’édition de bandes radio, avec un soin tout particulier, et c’est avec autant de surprise que de curiosité qu’on découvre dans son catalogue (www.78experience.com) plusieurs « live » du chef français du temps qu’il était directeur musical de l’orchestre de Cleveland, et même avant à New York, où il devait se forcer à diriger du répertoire classique pour complaire au public (et aux sponsors!). Des Beethoven, même du Schubert, souvent neutres, voire raides (le menuet de la Troisième symphonie !)

On trouve sur YouTube une 9ème de Schubert captée à New York en 1976. Là encore une curiosité à défaut d’une référence !

Quant à Beethoven, je n’avais vraiment pas aimé une Cinquième symphonie gravée à New York (et rééditée dans le coffret Sony/Boulez – voir détails ici). Le premier mouvement est rédhibitoire !

Depuis lors, plusieurs bandes de concerts sont disponibles sur YouTube. Lectures souvent « neutres », mais pouvant réserver quelques surprises. En tout cas, elles nous découvrent une part de l’art de Boulez chef d’orchestre, que l’intéressé lui-même a très rarement mise en valeur pour le public européen.

Paradis perdu et retrouvé

Les responsables de Forumopera – le « magazine du monde lyrique » – ont eu l’imprudente (!) idée de me proposer de participer à leur aventure. Mon premier papier sur un tout récent disque vient d’y paraître. J’ai failli renoncer à l’écrire, je m’en suis ouvert à CdR qui est finalement passé outre mes réticences. Je préfère, sur ce blog, comme sur les réseaux sociaux, évoquer mes enthousiasmes que mes déceptions, mais dans le cas de ce disque, je ne pouvais décemment pas écrire le contraire de ce que j’avais entendu.

Oui la diction est plus que problématique, quelle que soit la langue. Et l’absence de caractérisation des mélodies choisies.

Lecteur je t’en fais juge ici – ce que je ne pouvais pas faire dans mon article (Un Paradis jamais atteint).

Trois extraits, l’un en allemand – un air normalement confié au baryton – du Paradis et la Péri de Schumann, les deux autres en français – la Chanson d’Ève de Fauré, et Bonjour toi, colombe verte de Messiaen.

La comparaison avec son compatriote Christian Gerhaher est terrible pour la chanteuse allemande…

 

Elly Ameling (1937) est néerlandaise, le français n’est pas sa langue maternelle, et pourtant… on partage avec bonheur ce « matin du monde » (ces diphtongues – in -on -an si difficiles à attraper quand on n’est pas francophone!)

 

Contraste saisissant avec Rachel Yakar, accompagnée par Madame Messiaen, Yvonne Loriod !

Inutile d’en rajouter. Anna Prohaska a d’autres talents, sur scène notamment, son projet était ambitieux et intelligent, le résultat n’est pas à la hauteur de nos attentes.

Pour qui voudrait retrouver ces grandes interprètes, françaises ou étrangères, qui ont su nous mener vers les paradis de la mélodie française, ces quelques piliers impérissables de ma discothèque.

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Suggestion/supplique à Warner : rééditer au plus vite ce double album de la merveilleuse Rachel Yakar

A propos de Susan Grahamlire Le français chanté

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Doit-on redire ici l’admiration, l’affection qu’on éprouve pour la plus française des chanteuses britanniques, notre chère Felicity Lott ?

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Regret que ce beau disque gravé par Françoise Pollet et Armin Jordan n’ait pas été réédité dans le coffret consacré au chef suisse disparu en 2006 !

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Irma Kolassi (1918-2012) a pour longtemps fixé une sorte d’idéal dans nos mémoires.

Superbe réédition, en 4 CD, il y a quelques mois de quelques indispensables de toute discothèque

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Et puis comment oublierais-je Jessye Norman (lire Les chemins de l’amourdisparue en septembre dernier ? Même, surtout quand elle est un peu too much…  

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Le Paradis avec elle, je prends !