S’il y a bien un lieu à Paris où l’on n’est jamais déçu, un gracieux écrin dans le quartier de l’Opéra, c’est bien le théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet. Jusqu’à ce dimanche 16 avril, on y donne la comédie musicale Ô mon bel inconnu de Sacha Guitry pour le livret et Reynaldo Hahn pour la musique, une production du Palazzetto Bru Zane qui avait déjà publié le disque il y a deux ans.
Je suis d’ordinaire très bon public pour ces « vieilleries » d’un répertoire si longtemps oublié ou négligé. Nombre de mes articles ici en témoignent (lire par exemple Le mois de l’opérette). Mercredi soir j’ai été plutôt déçu non pas par la mise en scène (bravo Emeline Bayart !) ou les interprètes, mais par la faiblesse du texte comme de la musique, comme je l’ai écrit dans Bachtrack : Le bel inconnu a pris un coup de vieux
Quand Luisada fait son cinéma
Comme tous ceux qui connaissent un peu le pianiste français, je savais de longue date la passion de Jean-Marc Luisada pour le cinéma, sa connaissance encyclopédique du 7ème art. On n’est donc pas surpris qu’enfin il ose en faire l’aveu par un disque magnifique (enregistré, de surcroît, dans un lieu qui m’est cher, la Salle philharmonique de Liège !).
J’imagine, même s’il ne m’en a rien dit, la difficulté pour Jean-Marc Luisada, de choisir ce programme, qui ressemble à tout sauf à un « best of ». Dans le beau livret qui nourrit ce disque, le pianiste cinéphile donne quelques clés. On appréciera le clin d’oeil de l’interprète au label qui le publie (Dolce Volta) puisqu’il ouvre son programme avec le thème de La dolce Vita !
Un bon conseil : précipitez-vous sur cet album, et si vous êtes à Paris mercredi prochain, allez écouter Luisada à la Salle Gaveau.
Méconnues mélodies
Ce n’est pas la première fois que je parle ici des bonnes affaires que propose le site allemand jpc.de (cf. mon dernier billet Inspirations).
Ne pas se fier à la photo de couverture de ce double album, mais constater la qualité de cette compilation : pour moi quelques découvertes (Bloch, Wellesz) et non des moindres.
Magnifique Sophie Koch dans les Poèmes d’automne d’Ernest Bloch :
Somptueux cycle des Symphonische Gesänge de Zemlinsky :
Et à peu près complètement occulté Menuhin le chef d’orchestre !
Mozart
Dans le numéro de juin de Diapason, c’est pourtant Yehudi Menuhin chef d’orchestre qu’Hugues Mousseau a retenu pour son papier très documenté sur l’interprétation et la discographie d’un tube du répertoire d’orchestre, la symphonie n°41 dite « Jupiter » de Mozart.
Hugues Mousseau écrit ceci : « Menuhin trouve dans le Sinfonia Varsovia (Virgin, 1989) un ensemble servant à merveille l’effervescence de son approche. À un Allegro vivace dont la virulence prend appui sur une imparable pureté de style, répond un Andante cantabile aux contours fuyants, exempt de cette componction dans laquelle l’engluent tant de chefs. Après un Menuetto qui captive par sa rumeur de plein air, le Molto allegro tient toutes les promesses du premier mouvement : il exulte, rayonne, Menuhin y exalte l’esprit des Lumières. »
On retrouve les mêmes qualités, le même esprit dans une série magnifique d’enregistrements (ouvertures, symphonies 35 à 41, concertos) réalisés par Yehudi Menuhin à la tête de l’Orchestre de chambre de Lausanne et du Sinfonia Varsovia. Dans un coffret heureusement disponible.
À 79 ans, Yehudi Menuhin n’avait rien perdu de cette vision lumineuse, juvénile, de Mozart comme en témoigne ce rare document de concert :
J’ai déjà évoqué les deux intégrales des symphonies de Schubert, gravées à vingt d’ans d’intervalle, qui, j’en suis sûr à peu près certain, tiendraient les premières places lors d’une écoute comparée à l’aveugle (lire Schubert à Santorin)
« …d’autres pépites de ce coffret ravivent le souvenir d’un musicien – Yehudi Menuhin – qui m’a toujours plus convaincu comme chef.. que comme violoniste (en tous cas dans les trente dernières années de sa carrière). Notamment dans une intégrale des symphonies de Schubert, gravée dans les années 60 avec la crème des musiciens londoniens (réunis sous l’appellation de Menuhin Festival !). Je possède et connais nombre d’intégrales de ces symphonies (presque toutes ?). Je me demande si celle-ci (à ne pas confondre avec celle que Menuhin a faite, vingt ans plus tard, avec le Sinfonia Varsovia) n’est pas tout simplement idéale : juvénile, tendre, vraiment romantique dans les premières symphonies, et que tout cela chante, dans des tempi parfaitement équilibrés. Qu’on en juge :
Là où tant de chefs plombent la 4ème symphonie – impressionnés par son surnom de Tragique ? Menuhin, des années avant Harnoncourt et ses audaces, fait virevolter le troisième mouvement, un authentique scherzo
Dans la 9ème symphonie, elle aussi trop souvent longue, et si peu divine, sous maintes baguettes illustres (cf. les « divines longueurs » dont l’aurait gratifiée Schumann), on entend ici un 1er mouvement qui chante et vit dès la première phrase du cor et s’anime prodigieusement pour ne jamais laisser retomber l’intérêt.
Retour à la première symphonie, et à son 2ème mouvement, un authentique andante schubertien, qui avance d’un bon pas, danse et musarde dans l’insouciance
La seconde intégrale avec le Sinfonia Varsovia est du même niveau… elle est devenue introuvable !
Beethoven
Menuhin dirigeant Beethoven, c’est l’un de mes grands souvenirs du Festival Radio France à Montpellier en 1996. Pour les 80 ans du violoniste/chef, invitation lui avait été faite de diriger l’intégrale des 9 symphonies avec le Sinfonia Varsovia.
Intégrale splendide parue d’abord sous étiquette IMG, puis reprise dans la collection Apex. Devenue elle aussi introuvable !
Même pour le 250ème anniversaire de la naissance de Beethoven (lire Beethoven 250) personne n’a songé à les rééditer
Nielsen, Vaughan-Williams, Wagner…
Mais Lord Menuhin ne s’est pas arrêté aux grands classiques.
Menuhin a laissé des versions – bien entendu jamais citées nulle part ! – éloquentes, creusées, chaleureuses, de deux monuments si difficiles à bien réussir, la Siegfried Idyll de Wagner et la Nuit transfigurée de Schoenberg.
Quand Yehudi Menuhin se met à Dvořák, il donne l’une des versions les plus inspirées – et Dieu sait si les références abondent ! – de la 8ème symphonie (la Sérénade pour cordes n’est pas mal non plus)
Pour celui qui peut se targuer d’avoir enregistré son concerto sous la baguette du compositeur,
Elgar n’a pas de secret. Il donne des deux symphonies des versions puissamment lyriques, mais évitant tout empois victorien.
Alors ? Menuhin chef négligeable, médiocre ?
Peut-on demander à Warner de nous redonner, dans un coffret complet, ces trésors qui, à quelques exceptions près, dorment dans les archives ou ne se trouvent qu’au compte-gouttes chez des vendeurs de seconde main ?
Le beau portrait discographique qui a été réalisé en 2016 pour le centenaire du violoniste serait enfin complété.. et justifié !
« He shunned the flamboyant and jetset lifestyle enjoyed by the likes of Karajan, and to watch he could be somewhat uncharismatic. » On peut difficilement faire plus juste et piquant que The Telegraphdans la nécrologie que le journal britannique publia à la mort du chef d’orchestre allemand Horst Stein(1928-2008)
Une tête, un physique qu’on croirait échappés d’un tableau médiéval, et une notoriété en effet très loin de celle des stars de la baguette, réduite au cercle restreint des mélomanes avertis.
Et pourtant Horst Stein a fait une carrière plus qu’honorable, malheureusement interrompue par la maladie à la fin des années 90 et a surtout laissé une discographie de très grande qualité.
J’avais salué le beau coffret consacré à Max Reger pour l’essentiel constitué d’enregistrements réalisés par Horst Stein avec l’orchestre symphonique de Bamberg, une phalange qui a fêté ses 70 ans l’an dernier et dont il a été le directeur musical de 1985 à 2000.
Avant Bamberg, Stein avait dirigé l’Orchestre de la Suisse Romande, de 1980 à 1985, où il avait succédé à Wolfgang Sawallisch. Et enregistré pour Decca quelques disques qui font référence, comme un exceptionnel ensemble Sibelius
Dans la même collection Eloquence, à signaler toute une série d’enregistrements, passés inaperçus, mais hautement recommandables, avec l’Orchestre philharmonique de Vienne, comme une fantastique intégrale des concertos pour piano de Beethoven avec Friedrich Gulda,,les 2ème et 6ème symphonies de Bruckner (Decca avait entrepris une intégrale avec Vienne et plusieurs chefs, Abbado, Maazel notamment), Weber, Wagner.
Tout apprenti germaniste a un jour appris par coeur La chanson de Mignon / Mignon’s Lied, l’un des plus célèbres poèmes de Goethe
Kennst du das Land, wo die Zitronen blühn / Connais tu le pays des citronniers en fleurs Im dunklen Laub die Goldorangen glühn / Et des oranges d’or dans le sombre feuillage Ein sanfter Wind vom blauen Himmel weht / De la brise soufflant doucement du ciel bleu Die Myrte still und hoch der Lorbeer steht? / Du myrte silencieux et des hauts lauriers droits Kennst du es wohl? / Le connais-tu bien ? Dahin, dahin / Là-bas, là-bas Möcht ich mit dir, o mein Geliebter, ziehn! / Je voudrais ô mon amour m’en aller avec toi
Kennst du das Haus? Auf Säulen ruht sein Dach / Connais-tu la maison ? Son toit posé sur des colonnes Es glänzt der Saal, es schimmert das Gemach / La chambre aux doux reflets, la salle lumineuse Und Marmorbilder stehn und sehn mich an / Et les statues de marbre qui me regardent Was hat man dir, du armes Kind, getan / Que t’a-t-on fait, mon pauvre enfant ? Kennst du es wohl? / Le connais-tu bien ? Dahin, dahin / Là-bas, là-bas Möcht ich mit dir, o mein Beschützer, ziehn! / Je voudrais, ô mon protecteur, m’en aller avec toi
Kennst du den Berg und seinen Wolkensteg? / Connais-tu la montagne et le sentier dans les nuées ? Das Maultier sucht im Nebel seinen Weg / Le muletier cherche son chemin dans la brume In Höhlen wohnt der Drachen alte Brut / Dans les grottes se cache l’engeance des dragons Es stürzt der Fels und über ihn die Flut / Le rocher s’y écrase submergé par les eaux Kennst du ihn wohl? / Le connais-tu bien ? Dahin, dahin / Là-bas, Geht unser Weg / C’est là-bas que va notre chemin O Vater, lass uns ziehn! Ô père, partons-y*
Depuis quelques jours, je suis dans « ce pays où fleurissent les citronniers« , la péninsule de Sorrente, où l’on fabrique le fameux limoncello
Mais, arrivant dans le jardin du petit hôtel où j’ai trouvé refuge à l’écart de la foule – ce qui est un exploit dans la région au mois d’août ! -, planté de citronniers et d’orangers, j’ai aussitôt pensé à Strauss, Schubert, Wolf, Duparc et même Ambroise Thomas !
Johann Straussfils et sa valse Wo die Zitronen blühenop.364 initialement appelée « Bella Italia », créée en 1874 pendant une tournée italienne du célèbre violoniste/chef d’orchestre/compositeur.
Henri Duparc confie une Romance de Mignon (1869)de pure beauté sur un poème de Victor Wilder, beaucoup plus proche du poème de Goethe que les traductions françaises les plus connues (* voir ci-dessous)
On n’est pas obligé d’écouter ni même d’aimer l’opéra d’Ambroise Thomas, Mignon, pour apprécier cet air ravissant, dans la voix fruitée, à la prononciation française délicieusement artificielle, de Frederica von Stade
Et pourquoi pas se replonger dans ce bouquin, qui m’était, à vrai dire, tombé des mains lorsque j’avais dû le lire pendant mes études d’allemand – mais n’en est-il pas un peu toujours ainsi lorsqu’une lecture est obligée plus que choisie ? –
* Traduction personnelle du poème de Goethe, au plus près du texte allemand et de sa poétique particulière. Assez éloignée de la traduction/trahison très fantaisiste qui est couramment utilisée depuis le XIXème siècle :
Connais-tu le pays où fleurit l’oranger? Le pays des fruits d’or et des roses vermeilles, Où la brise est plus douce et l’oiseau plus léger, Où dans toute saison butinent les abeilles, Où rayonne et sourit, comme un bienfait de Dieu, Un éternel printemps sous un ciel toujours bleu! Hélas! Que ne puis-je te suivre Vers ce rivage heureux d’où le sort m’exila! C’est là! c’est là que je voudrais vivre, Aimer, aimer et mourir!
Connais-tu la maison où l’on m’attend là-bas? La salle aux lambris d’or, où des hommes de marbre M’appellent dans la nuit en me tendant les bras? Et la cour où l’on danse à l’ombre d’un grand arbre? Et le lac transparent où glissent sur les eaux Mille bateaux légers pariels à des oiseaux! Hélas! Que ne puis-je te suivre Vers ce pays lointain d’où le sort m’exila! C’est là! c’est là que je voudrais vivre, Aimer, aimer et mourir!
Oiseau migrateur (de l’ordre des Passereaux) dont l’espèce commune est caractérisée par un plumage brun roux et gris brunâtre, par un fin bec brun, et par la pureté, la variété du chant aux sonorités éclatantes et harmonieuses
Personne qui se distingue par une voix bien modulée, qui chante admirablement.
Aujourd’hui, c’est tout le contraire du personnage outré et caricatural de la Castafiore qu’on célèbre, l’une des plus jolies voix de soprano du XXème siècle, une personnalité modeste mais rayonnante, qui n’a jamais cherché les lumières de la gloire : Edith Mathis, née le 11 février 1938 dans la ville suisse de Lucerne, berceau de ma famille maternelle.
Un joli coffret de 7 CD publié par Deutsche Grammophon propose une très belle compilation des enregistrements auxquels la soprano suisse a prêté une voix immédiatement reconnaissable : une pureté qui n’était pas celle, séraphique, de Gundula Janowitz, ou, senza vibrato, de Teresa Stich Randall, mais soyeuse, légère, fruitée.
Extraits de la légendaire version des Noces de Figaro dirigée par Karl Böhm)
Edith Mathis a beaucoup donné à Bach, notamment avec Karl Richter.
Elle est, mieux que quiconque, le personnage d’Annette (Ännchen) dans le Freischützdans la légendaire version de Carlos Kleiber, où elle retrouve Gundula Janowitz.
Plus rare cet air de Haydn enregistré avec Armin Jordan et l’orchestre de chambre de Lausanne.
Détails de ce coffret-hommage :
Bach: Cantate BWV 51 « Jauchzet Gott in allen Landen« ; extr. cantates BWV 10, 21, 68, 180, 199; 3 extr. Passion selon St Matthieu BWV 244 (Karl Richter)
Haendel / Mozart: 3 airs du Messie (Charles Mackerras)
Haydn: airs extr. des Saisons & La Création (Karl Böhm)
Mozart: extr.Requiem KV 626 (Karl Böhm) Airs d’Ascanio in Alba, Lucio Silla, Zaide (Leopold Hager) Le Nozze di Figaro, Don Giovanni, La Clemenza di Tito (Karl Böhm) Airs de concert KV 505, 578, 583; Das Veilchen KV 476; Als Luise die Briefe ihresungetreuen Liebhabers verbrannte KV 520; An die Einsamkeit KV 391; Die kleine Spinnerin KV 531; Die Alte KV 517
Dvorak: extr. Stabat Mater op. 58 (Rafael Kubelik)
Brahms: extr. Ein Deutsches Requiem op. 45 (Daniel Barenboim) Volkslieder WoO 33 Nr. 15, 23, 34, 43; Jägerlied op. 66 Nr. 4; Hüt du dich op. 66 Nr. 5; 4 Duette op. 61; Liebeslieder-Walzer op. 52; Neue Liebeslieder-Walzer op. 65; Wechsellied zum Tanze op. 31 Nr. 1
Mahler: extr. symphonies 2 et 8 (Rafael Kubelik)
Beethoven: extr. Fidelio op. 72 (Karl Böhm)
Weber: extr. Der Freischütz (Carlos Kleiber)
Mendelssohn: Bunte Schlangen extr. Ein Sommernachtstraum op. 61 (Rafael Kubelik)
Berlioz: extr. La Damnation de Faust op. 24 (Seiji Ozawa)
Richard Strauss: extr. Der Rosenkavalier op. 59 (Karl Böhm)
Henze : Diese Benommenheit extr. Der junge Lord
Schumann: Myrthen op. 25 Nr. 4, 9-12, 14, 20, 23; Die Kartenlegerin op. 31 Nr. 2; O ihr Herren op. 37 Nr. 3; Frauenliebe und Leben op. 42; Die Nonne op. 49 Nr. 3; Volksliedchen op. 51 Nr. 2; Liebeslied op. 51 Nr. 5; Die Soldatenbraut op. 64 Nr. 1; Das verlassne Mägdelein op. 64 Nr. 2; Mein Garten op. 77 Nr. 2; Stiller Vorwurf op. 77 Nr. 4; Liederalbum für die Jugend op. 79 Nr. 1-6, 8, 10-14; 19, 21; Die Blume der Ergebung op. 83 Nr. 2; Röselein, Röselein op. 89 Nr. 6; An den Mond op. 95 Nr. 2; Himmel und Erde op. 96 Nr. 5; Lieder und Gesänge aus Wilhelm Meister op. 98a Nr. 1, 3, 5, 7, 9; Liebster, deine Worte stehlen op. 101 Nr .2; Lieder op. 104 Nr. 1-6; Die Fensterscheibe op. 107 Nr. 2; Die Spinnerin op. 107 Nr. 4; Frühlingslied op. 125 Nr. 4; Frühlingslust op. 125 Nr. 5; Tief im Herzen trag ich Pein op. 138 Nr. 2; Mädchen-Schwermut op. 142 Nr. 3