Remarque liminaire : pourquoi les formidables rééditions discographiques du label Eloquence sont-elles si chères en France, alors qu’il s’agit pour l’essentiel d’enregistrements anciens, depuis longtemps « amortis »? Je sais bien qu’il y a tout un travail de recherche dans les archives d’Universal (Westminster, Decca, Deutsche Grammophon, Philips et autres marques associées), de remasterisation, d’édition, et que cela mérite rétribution, mais quand chaque CD coûte près de 10 €…
Cette collection Eloquence est d’autant plus pertinente qu’elle remet au jour des documents dont, parfois, on ignorait même l’existence. Ainsi dans deux coffrets magnifiques sobrement intitulés Piano Library (Bibliothèque du piano), j’ai trouvé quantité d’inédits, d’artistes et de gravures oubliés.
Rien qu’à voir la couverture de ce premier coffret bleu, sur les 10 noms cités, deux ne me disaient rien.
Sur le premier dans l’ordre, Jörg Demus (1928-2019), j’avais déjà déploré (Le piano poète) que sa discographie fût des plus éparses. Le centenaire de la mort de Fauré nous donne l’occasion de retrouver le grand pianiste dans un bouquet ô combien inspiré :
On a bien oublié l’exceptionnelle personnalité de la pianiste hongroise Edith Farnadi (1921-1973) et c’est un bonheur de retrouver ces « viennoiseries » lisztiennes sous ses doigts.
Clara Haskil, Youra Guller, Raymond Lewenthal ne sont pas des inconnus, loin s’en faut, et on est heureux de voir regroupés des enregistrements qu’on avait pu saisir par ci par là. Nina Milkina (1919-2008) était en revanche une parfaite inconnue pour moi, absente de ma discothèque.
Mais mon bonheur le plus intense dans ce coffret est constitué par les trois CD – de complètes découvertes pour moi – du pianiste originaire d’Odessa Benno Moiseiwitsch (lire La Grande porte de Kiev) partagées entre Beethoven, Schumann et Moussorgski
Ce que j’écrivais pour Jörg Demus quant à la dispersion de son legs discographique, vaut plus encore pour la Brésilienne Guiomar Novaes (1895-1979), si chère à Alain Lompech.
Egon Petri (1881-1962) a été un peu mieux documenté (ou alors j’ai eu moins de mal à trouver ses enregistrements), mais les 5 CD qui lui sont consacrés sont de première importance, à commencer par les oeuvres de son maître Busoni
Suite dans un prochain épisode pour le second coffret de cette fabuleuse Bibliothèque, tout aussi passionnant, avec plus d’inédits récents.
Comme promis (lire Couronnement), et puisque c’est tout de même une spécialité typiquement britannique – nulle part ailleurs les cérémonies, mariages, obsèques, couronnements, ne revêtent un tel faste musical – je reviens sur les musiques jouées avant et pendant le couronnement de Charles III à Westminster ce 6 mai.
Je ne sais pas ce que les téléspectateurs français en ont vu et entendu, j’ai cru lire ici et là que les commentateurs faisaient bien peu de cas de la musique, quand ils ne se trompaient pas lourdement sur les interprètes (Bryn Terfel présenté comme le plus célèbre « ténor gallois’ !). Sur les chaînes britanniques, BBC ou ITV, rien de tel sauf à brièvement expliquer ce qui se passait, mais sans avoir besoin de faire du remplissage bavard.
En attendant le roi
En prélude à la cérémonie, c’est l’octogénaire John Eliot Gardiner qui officiait avec son Monteverdi Choir and Orchestra :
Bach: ‘Magnificat anima mea’ extrait du Magnificat BWV 243
Bach: ‘Ehre sei dir, Gott, gesungen’ extrait de l’ Oratorio de Noël
Bach: ‘Singet dem Herrn ein neues Lied » extrait de la Cantate BWV 190
Bruckner: ‘Ecce sacerdos magnus«
Puis l’un des organistes de Westminster, Matthew Joryses, joue l’Alla breve BWV 589 de Bach
Pour la cérémonie elle-même, c’est une formation de circonstance – le Coronation Orchestra – composée de musiciens de plusieurs orchestres londoniens, le Philharmonia, le Royal Philharmonic et Covent Garden notamment, sous la houlette d’Antonio Pappano, qui prend le relais. Avec, en ouverture, l’une des douze pièces commandées par le roi Charles à des compositeurs contemporains, ‘Brighter Visions Shine Afar » de la compositrice Judith Weir (1954), première femme à avoir été nommée Maître de Musique.. de la reine en 2016.
Suivent un extrait des célèbres Planètes – Jupiter – de Gustav Holst puis un intermède symphonique avec harpe (celtique) obligée : un chant populaire gallois arrangé par Karl Jenkins, Tros y Garreg’ (‘Crossing the Stone’), avec la harpiste Alis Huws et l’orchestre du Couronnement toujours dirigé par Antonio Pappano
C’est alors que la délicieuse Pretty Yende (Sud-Africaine de naissance) chante une nouvelle oeuvre de la compositrice anglaise Sarah Class : Sacred Fire. Comme on l’entend, rien de vraiment révolutionnaire dans ces « créations » de circonstance !
Vont suivre deux célèbres pièces d’orchestre typiquement « British », d’abord Crown Imperial de William Walton, écrite pour le couronnement de George VI en 1937, et le tube de Ralph Vaughan Williams, sa Fantasia on Greensleeves
L’orchestre entamera ensuite un triptyque ‘Be Thou my Vision » dû à trois compositeurs irlandais Nigel Hess, Roderick Williams, Shirley J Thompson.
La pièce d’orgue de Iain Farrington ‘Voices of the World » – l’une des douze commandes – reflète les rythmes, les couleurs de plusieurs pays du Commonwealth.
C’est à Patrick Doyle, compositeur plutôt spécialisé dans le cinéma, le théâtre ou la télévision, qu’on doit la King Charles III Coronation March
Avant que le couple royal ne fasse son entrée dans Westminster, le Coronation Orchestra et Antonio Pappano auront encore le temps de jouer :
Purcell: Trumpet Tune arr. John Rutter (solistes Jason Edward et Matthew Williams)
Haendel: Arrival of the Queen of Sheba, extrait deSolomon
Haendel: ‘Oh, had I Jubal’s lyre’ extrait deJoshua (soloist: Pretty Yende)
Vaughan Williams: Prelude on ‘Rhosymedre’ (inspiré d’un chant populaire gallois)
Pendant le couronnement
Durant la cérémonie du couronnement elle-même, c’est l’ensemble choral formé de plusieurs ensembles londoniens (Westminster, St James, Chapel Royal…) qui va intervenir, a capella, ou avec l’orchestre, en commençant par l’hymne d’Hubert Parry« I was glad »
En visitant le lendemain la crypte de la cathédrale St Paul (qui est un peu à Londres ce qu’est le Panthéon à Paris, à la grande différence près que les offices religieux s’y déroulent toujours), j’ai pu voir la tombe du compositeur, bien trop méconnu en France.
Le baryton (et non le « ténor » annoncé par les chaînes françaises) gallois Bryn Terfel entame ensuite le Kyrie du couronnement tout exprès composé, en langue galloise – une première pour un office à Westminster – par Paul Mealor.
Le choeur enchaînera avec deux pièces de William Byrd : ‘Prevent Us, O Lord’ et le Gloria de sa Messe à quatre voix
Après le Veni Creator Spiritus attribué à Maurus, c’est au moment de l’onction du nouveau roi, le très attendu Zadok the Priest, l’un des célèbres Coronation Anthems composés par Haendel pour le couronnement de George II en 1727.
Un ensemble grec chante ensuite un psaume byzantin, puis, très étrangement, retentit la fanfare… des Wiener Philharmoniker, arrangée par Paul Mealor !
Puis du compositeur de la Renaissance Thomas Weelkes : ‘O Lord, grant the king a long life’ (Psalm 61), tandis qu’après que Camilla a été couronnée, c’est ‘Make a Joyful Noise’ du célèbre auteur de comédies musicales, Andrew Lloyd-Webber qui résonne dans la nef de Westminster
C’est ensuite un traditionnel des grands offices religieux qui est entonné : Purcell: Christ is made the sure Foundation
Le Sanctus est l »‘oeuvre de Roxana Panufnik, fille du compositeur d’origine polonaise Andrzej Panufnik (1914-1991) qui a longtemps vécu à Londres, où il est inhumé.
L’Agnus Dei est le fruit d’une commande à l’Anglo-Américain Tarik O’Regan..
Après l’hymne ‘Praise, my soul, the King of Heaven« , c’est de William Boyce, ‘The King shall rejoice’ » composé pour le couronnement de George III en 1761.
Autre couronnement plus récent, celui d’Elizabeth en 1953, et le Te Deum que William Walton composa pour l’occasion
Et bien sûr la cérémonie se conclut par un God Save the King repris par la famille royale et tous les invités
Pour accompagner la sortie du couple royal, on entendra successivement joués :
Puisque que, grâce à France 2, puis France 3, dans les journaux télévisés du 4 mai,
nul n’ignore plus que j’ai passé ce week-end à Londres avec mon petit-fils, je me sens comme une obligation de raconter comment nous avons vécu l’événement du couronnement de Sa Majesté le roi Charles III et de son épouse la reine consort Camilla.
La décision de Londres a été prise au dernier moment, je pensais que cela plairait à mon petit-fils en vacances de découvrir Londres à l’âge auquel je l’avais moi-même fait, et dans une circonstance ô combien exceptionnelle.
Outre la surprise de la télévision française nous cueillant à la sortie de l’Eurostar, nous eûmes le même soir celle de croiser sur le trottoir devant l’hôtel le Français le plus anonyme de Londres et le plus célèbre de France, l’invisible Jean-Jacques Goldman. Oui le vrai !
Décalage
On nous avait tellement annoncé l’effervescence qui s’emparait de la capitale britannique, des flots de touristes qui allaient s’y déverser, que j’ai été le premier surpris, d’abord de la facilité à trouver des places dans l’Eurostar, puis dans un hôtel de moyenne catégorie près de St.Pancras, et surtout du peu de cas qu’on semblait faire du couronnement de Charles III, en dehors de quelques artères très centrales de Londres (comme ci-dessous Regent Street)
Je me rappelle, tant pour les jubilés d’Elizabeth II que pour les mariages de William et Harry, la frénésie qui s’était emparée de tous les magasins de souvenirs. Rien de tel ici, j’ai même eu de la peine à trouver pour mon petit-fils un mug souvenir de cette journée.
Aucun d’entre nous, sauf peut-être ma mère qui a assisté, à Londres, au couronnement d’Elizabeth en 1953, n’a d’élément de comparaison quant à la cérémonie elle-même, censée être plus courte pour Charles que pour sa mère. N’eût été une partie musicale d’une exceptionnelle qualité, on se serait royalement ennuyé à ce cérémonial d’un âge vraiment révolu, même si les commentaires, brefs, concis et informés, des chaînes anglaises sur lesquelles on a regardé le couronnement, étaient de nature à informer le téléspectateur de 2023.
À mon petit-fils qui me demandait pourquoi Harry n’était pas avec son père, placé plusieurs rangs derrière son frère William, je fus bien incapable de donner une réponse convaincante. Au moins Charles aurait-il pu réunir ses deux fils sur le balcon de Buckingham, ça aurait eu de la gueule !
Nous étions allés faire quelques repérages vendredi après-midi – il faisait encore beau temps ! – dans les alentours du Mall et de Buckingham Palace, nous avons été enfermés une heure durant dans le parc de St James, les milliers de piétons que nous étions étant empêchés de traverser aux rares points de passage, puisque la priorité semblait être de laisser passer les quelques voitures, officielles ou non, qui pouvaient circuler dans le secteur. Je préfère ne pas me demander ce qui se serait passé si la foule avait été plus pressante ou si un fou s’y était baladé avec un couteau (puisque personne n’était contrôlé). Bizarre conception de la gestion de foule…
Mais j’aime l’Angleterre, où je n’étais plus revenu depuis 2014. Et j’ai éprouvé beaucoup de plaisir à montrer à celui que France 2 a appelé Gabriel, des lieux qui me sont familiers
J’ai aussi constaté les ravages du Brexit, l’inflation galopante. Quelques discussions avec des vendeurs, des serveurs de restaurant, des employés de monuments historiques ou d’attractions, m’ont confirmé que le Royaume-Uni traverse une très mauvaise passe et que les temps sont très durs pour tout le monde. Tout est incroyablement cher, l’entrée d’un musée, un simple repas… Il est très loin le temps où on venait faire ses emplettes du côté de Jermyn Street ou de Covent Garden.
Je reviendrai une autre fois sur les musiques jouées pendant ce couronnement. Notons tout de même qu’il n’y a que les Britanniques qui soient capables d’aligner autant de talents, de parer leurs cérémonies d’autant de musique.
Stephen Hough
Je me réjouissais d’entendre Stephen Hough jouer, jeudi soir, au Royal Festival Hall, le 3ème concerto de Beethoven, aux côtés du Philharmonia, dirigé par un chef que je ne connaissais pas, Ryan Bancroft.
Disons pudiquement que je n’ai guère été convaincu par le chef, un peu surpris, sans aller jusqu’à la déception, par le jeu et les partis-pris du pianiste. Pas grave, mon petit-fils aura apprécié le grand son du Philharmonia et l’acoustique idéale du Royal Festival Hall.
Menahem Pressler (1923-2023)
Au moment de boucler cet article, j’apprends la disparition de Menahem Pressler, à quelques mois de son centenaire. J’y reviendrai bien sûr, mais j’ai déjà beaucoup écrit sur le fondateur du légendaire Beaux-Arts Trio. Dernier grand souvenir, partagé par le public du Festival Radio France à Montpellier, en juillet 2016, deux jours après l’épouvantable attentat de Nice : La réponse de la musique
Lundi j’ai fait comme tout le monde, même ceux qui s’en sont défendus, j’ai regardé cette cérémonie de funérailles comme on n’en avait jamais vu et comme on n’en reverra probablement plus. Les Britanniques savent faire le grand spectacle.
Les plus mélomanes des téléspectateurs auront remarqué la qualité des musiques jouées et chantées lors des obsèques d’Elizabeth II. Le chant choral est consubstantiel à la nation britannique. C’est ce qu’on expliquait en présentant la dernière édition So British du Festival Radio France. C’est ce que le monde entier a pu constater lundi, et depuis l’annonce du décès de la reine.
En revanche, rien, pas un mot, pas une mention des oeuvres jouées lors de la cérémonie à Westminster. Il y avait pourtant deux créations. Venant de deux des compositeurs les plus importants du Royaume-Uni.
Judith Weirmaîtresse de musique
Judith Weir, née en 1954, était depuis 2014 le « maître de musique » de la reine. Choix audacieux, à l’époque, de la part d’une souveraine décrite comme conservatrice que de choisir une femme pour succéder à Peter Maxwell-Davies (1934-2016). En l’occurrence, Judith Weir qui a beaucoup composé pour la voix et le choeur, a repris, sans grande audace, le psaume 42.
James McMillan, l’Ecossais catholique
James McMillan, 63 ans, est sans doute le compositeur vivant le plus joué du Royaume-Uni. Le Scottish Chamber Orchestra donnait la première française de sa pièce Eleven le 29 juillet dernier à Montpellier. il est régulièrement à l’affiche des grandes formations britanniques. C’est sans doute son patriotisme écossais qui lui a valu d’être commandité par la défunte reine pour ce chant qui était bien le seul de toute la cérémonie d’obsèques à revêtir une apparence de modernité.
Par charité, on passera sur tous les commentaires, reportages, dont on nous a gavés pendant la décade qui séparait le décès de la souveraine de ses obsèques. L’insistance sur le « visage marqué », les signes visibles de « l’émotion » de Charles III, confinaient au ridicule absolu : en effet le nouveau roi n’assistait pas à une surprise party !
L’invention de nos vies
Après cette longue séquence britannique, qui ne m’a pas empêché de sortir, l’ouverture du Festival de Laon jeudi dernier (et l’exercice difficile de ma première critique de concert : Ainsi chantait Caligula), l’envie d’aller au théâtre voir une pièce donnée à Avignon l’été dernier : L’invention de nos vies, une adaptation du roman de Karine Tuil par Johanna Boyé, qui fait aussi la mise en scène, et Leslie Menahem.
« Quand Sam Tahar a emprunté l’identité de Samuel, son ex meilleur ami, pour partir à New-York, faire une brillante carrière dans un prestigieux cabinet d’avocats, épouser la fille du principal associé et intégrer ainsi une des familles juives les plus puissantes du pays, il n’imaginait pas que son passé d’enfant des cités, révolté, violent, sans repères ni avenir, franchirait l’océan pour le rattraper et révéler le fragile château de cartes de son existence, au sein duquel il se croyait pourtant à l’abri… »
Une pièce « chorale » comme on le dit d’un film qui brasse les situations, les personnages, six excellents acteurs – Mathieu ALEXANDRE, Yannis BARABAN, Nassima BENCHICOU, Brigitte GUEDJ, Kevin ROUXEL, Elisabeth VENTURA qui endossent plusieurs rôles selon les séquences conduites à un rythme haletant – et au milieu d’eux, le charismatique Valentin de Carbonnières, Molière de la révélation 2019, qui porte superbement le personnage central, ambigu à souhait, Sam (ou Samir) Tahar.
C’est au théâtre Rive Gauche, rue de la Gaîté à Paris. Et cela mérite d’être vu !
Les Anglais ne font rien comme tout le monde (cf. la situation politique actuelle !), c’est d’ailleurs pour cela qu’on les aime. Et pour cela qu’on leur consacre un Festival (lefestival.eu).
Mais contrairement à mes billets précédents (A Sea Symphony, La mer qu’on voit danser), je ne vais pas parler d’oeuvres ou d’artistes programmés à Montpellier ce mois de juillet, mais d’un label britannique, Alto, qui recycle, réédite des enregistrements parus sous d’autres étiquettes, souvent disparues, et dont le catalogue semble inépuisable et accessible à petit prix sur des sites britanniques (comme prestomusic.com).
Il y a peu, Jean-Charles Hoffelé signalait (Nuits de pleine lune) la réédition d’un disque Falla par Alicia de Larrocha naguère paru chez Hispavox, avec la première version enregistrée par la pianiste espagnole des Nuits dans les jardins d’Espagne
En prévision de l’été, j’ai bien sûr commandé ce disque et une palanquée d’autres, parmi lesquels je recommande aujourd’hui des « produits » typiquement britanniques, qu’on n’imagine simplement pas sous les labels français ou allemands.
Un programme parfait pour le Tea Time…
Plus original encore cette compilation qui donne à entendre les orgues des grandes cathédrales d’Angleterre et leurs titulaires. Suivez le guide !
Heureux d’entendre le Carillon de Westminster de Louis Vierne sur l’instrument de la célèbre cathédrale londonienne de… Westminster
Originalité encore avec le compositeur Samuel Coleridge-Taylor, né à Holborn en 1875 d’un père originaire de Sierra Leone et d’une mère anglaise, mort à Londres en 1912.
Personne, en France, ne sait qui était le Suisse Pierre Naftule, disparu à 61 ans le 19 mars après une longue souffrance (maladie de Charcot). J’ai connu cet auteur, humoriste, homme de théâtre et de télévision, pendant mes années à la Radio suisse romande. Mais je l’ai surtout suivi dans ses aventures avec Marie-Thérèse Porchet, alias Joseph Gorgoni, le comédien qui avait inventé avec Pierre Naftule ce personnage si savoureux, que le public parisien avait pu applaudir à plusieurs reprises.
La musique de Salon
Les années passent, l’amitié demeure. C’est ce qu’on se disait l’autre jour avec Eric Le Sage, que je n’avais plus revu depuis son récital en 2016 au Festival Radio France. Nous déjeunions dans un petit établissement de Montmartre, au nom tout indiqué pour ces retrouvailles : le Chantoiseau
Eric Le Sage, Paul Meyer, Emmanuel Pahud, c’est la bande du festival de Salon-de-Provence, ce sont surtout trois amis véritables, indéfectibles, que je ne vois ni n’entends assez souvent à mon gré. C’est dire si ce déjeuner montmartrois avec le pianiste avait une saveur particulière.
Cadeau de mon hôte, les récents échos discographiques des dernières productions de Salon. La curiosité alliée au talent, c’est la recette de la réussite exceptionnelle de ce rendez-vous estival où l’élite de la musique européenne arpente, depuis 1993, les chemins de traverse du répertoire de chambre.
Eloquence de Knappertsbusch
Hans Knappertbusch (1888-1965) est un chef d’orchestre allemand qui fait l’objet d’un véritable culte, dont je n’ai pas toujours compris la raison. Il est vrai qu’il s’est largement illustré dans Wagner, et comme je l’écrivais dans mon précédent billet (Wagner et Goerne), c’est un univers qui m’a longtemps échappé.
Cyrus Meher-Homji, le responsable du label Eloquence Australie, a eu l’excellente idée de regrouper en deux coffrets une partie du legs discographique du chef allemand, tel qu’il était paru sous étiquette Philips, Decca ou Westminster.
Le travail de « remasterisation » est impressionnant, notamment pour les premières années stéréo avec Vienne chez Decca. On reviendra sur ces deux parutions, mais savourons déjà les voix printanières de ces Badner Mädl’n de Komzak.
C’est un nom souvent aperçu sur d’admirables disques, de qualité « audiophile », du début des années 60, parus sous des étiquettes variables (RCA, Reader’s Digest, Chesky…) comme une fabuleuse Quatrième symphonie de Brahms, enregistrée par Fritz Reiner à Londres avec le Royal Philharmonic.
Charles Gerhardt (1927-1999) est une figure emblématique de la vie musicale du XXème siècle : producteur, chef d’orchestre, arrangeur. Il grandit à Little Rock (Arkansas), étudie la musique, le piano. Entre 1951 et 1955, il travaille comme technicien pour RCA Victor. Dans un premier temps, son rôle consiste à transférer sur bande des 78 tours d’Enrico Caruso et Artur Schnabel, y compris la suppression du bruit de surface préparatoire à la réédition en 33 tours. Il participe à des séances d’enregistrement de Kirsten Flagstad, Vladimir Horowitz, William Kapell, Wanda Landowska et Zinka Milanov. En 1954, il collabore avec Leopold Stokowski et le NBC Symphony Orchestra pour des enregistrements stéréophoniques expérimentaux des suites du ballet Sebastian de Gian Carlo Menotti, ainsi que Roméo et Juliette de Prokofiev, qui ne sortiront qu’en 1978 !
Il devient également l’agent « traitant » de RCA avec Arturo Toscanini, dans les dernières années du chef d’orchestre. C’est Toscanini qui l’encourage à étudier la direction d’orchestre.
Puis Gerhardt travaille durant cinq ans pour Westminster Records à New York. Westminster étant en difficulté (la société dépose le bilan en décembre 1959), il se tourne vers l’enregistrement de chanteurs pop, dont Eddie Fisher. C’est alors que George R. Marek, le chef du département Red Sceal de RCA Victor, lui offre l’opportunité de produire des enregistrements pour Reader’s Digest en Angleterre.
A partir de 1960, il produit des disques pour RCA Victor et Reader’s Digest avec pour partenaire le légendaire ingénieur du son Kenneth Wilkinson de Decca Records (alors filiale de RCA en Europe). S’ensuivront 4 000 sessions d’enregistrement! Leur premier projet majeur est un ensemble de 12 disques pour Reader’s Digest : A Festival of Light Classical Music, publié en versions mono et stéréophoniques, se vendra à plus de deux millions d’exemplaires. En 1961, il produit pour Reader’s Digest l’intégrale des symphonies de Beethoven avec le Royal Philharmonic Orchestra dirigé par René Leibowitz.
L’une des productions préférées de Gerhardt est la série parue en 1964 Treasury of Great Music un autre jeu de 12 disques pour Reader’s Digest. À la tête du Royal Philharmonic de Londres, il convie John Barbirolli, Malcolm Sargent, Antal Doráti, Jascha Horenstein, Rudolf Kempe, Josef Krips, Charles Munch, Georges Prêtre et Fritz Reiner, à graver les chefs-d’oeuvre du répertoire symphonique. Tous ces disques (la plupart republiés par Chesky Records) sont restés des références.
Dès 1966, Charles Gerhardt manifeste son goût pour les répertoires non classiques : en témoigne une série d’albums All-Time Broadway Hit Parade, qui comprend 120 chansons de diverses productions musicales telles que Carousel, The Music Man, Guysand Dolls, My Fair Lady, Pal Joey, South Pacific et bien d’autres.
Les projets Reader’s Digest créent une telle activité d’enregistrement qu’il devient nécessaire d’avoir un orchestre et chef d’orchestre dédiés à cette entreprise. Avec le violoniste et entrepreneur Sidney Sax, Gerhardt forme en 1964 un orchestre à partir des meilleurs orchestres londoniens et de musiciens indépendants. L’orchestre prend le nom de National Philharmonic Orchestra en 1970 et Gerhardt lui-même le dirige. Leopold Stokowski réalise certains de ses derniers enregistrements avec orchestre.
Charles Gerhardt réalise de 1972 à 1978 avec le National Philharmonic 14 disques vinyles pour la série Classic Film Scores pour RCA, publiée de 1972 à 1978. Première publication en 1972 The Sea Hawk: The Classic Film Scores of Erich Wolfgang Korngold (lire Les Musiques de l’exil). Toute la série se distingue surtout par une préparation extrêmement soignée des partitions par Gerhardt lui-même.. Les enregistrements sont réalisés au Kingsway Hall à l’acoustique exceptionnelle et conçus par Kenneth Wilkinson. Le producteur de ce premier disque est George Korngold, le fils du compositeur.
La série se poursuit avec des albums consacrés à Max Steiner, Miklós Rózsa, Franz Waxman, Alfred Newman, Dimitri Tiomkin, Bernard Herrmann et John Williams ainsi que des albums consacrés à la musique dans les films de Bette Davis, Humphrey Bogart et Errol Flynn. C’est cet ensemble miraculeux que Sony a réédité il y a quelques semaines dans un coffret indispensable.
On peut suivre le conseil de Tom Deacon, un autre producteur « légendaire », collègue de Charles Gerhardt :
Le regretté Charles Gerhardt était un passionné de musique de film. Pour RCA Victor, il a enregistré des musiques de films extraordinaires des années 1930, 1940 et 1950 par Korngold, Steiner, Waxman, Newman, Rozsa, Herrmann, Tiomkin et d’autres. Ceux-ci ont d’abord été publiés sur Lp puis sur CD sur RCA Victor. Désormais, les 12 CD sont tous contenus dans un coffret Sony. C’est à ne pas manquer. Gerhardt n’était pas seulement un chef d’orchestre doué, mais aussi un fabuleux producteur de disques. Ce sont des classiques audiophiles. Comme de tels coffrets risquent de disparaître sans préavis, ce n’est pas le moment d’hésiter. Achetez-le!
D’aucuns n’ont pas manqué de faire le rapprochement entre le 22 mars 1968… et le 22 mars 2018, certains souhaitant sans doute que l’histoire se répète. Il y a cinquante ans, naissait, en effet, ce qu’on a appelé le Mouvement du 22 mars, lancé à Nanterre par un petit groupe d’étudiants mené par Daniel Cohn-Bendit,et réputé avoir été le déclencheur des événements de mai-juin 1968. Il est pour le moins risqué de faire un parallèle avec ce qui s’est passé aujourd’hui, et les grèves annoncées dans le chemin de fer ces prochaines semaines…
Travaillant en ce moment sur Leonard Bernsteinen prévision du prochain Festival Radio France– qui fera une large place avec des documents vidéo, films et concerts au génial chef, compositeur, pédagogue né il y a un siècle – j’ai eu la curiosité de regarder ce qui se passait à New York il y a cinquante ans…
Pour son 125ème anniversaire, l’Orchestre philharmonique de New Yorkavait commandé à Luciano Berio ce qui restera sans doute son oeuvre la plus célèbre, sa Sinfonia.Dédiée à Leonard Bernstein, elle est créée à New York le 10 octobre 1968, avec le concours des Swingle Singers, sous la direction du compositeur. Je me souviens avoir acheté le 33 tours enregistré après cette création… mais je n’ai jamais éprouvé la fascination que cette oeuvre exerce sur certains. Pour tout dire, je la trouve très… datée !
Le 4 mars (ou le 29 février !- les sources ne sont pas claires) 1968, c’est Leonard Bernstein qui créait la 6ème symphonie du compositeur américain Howard Hanson, dont la renommée n’a jamais franchi l’Atlantique, en dépit de nombreux enregistrements réalisés notamment pour le label Mercury.
Début mai 1968, c’est une autre grande figure de la musique américaine, Roger Sessions, dont l’orchestre philharmonique de New York – toujours dans le cadre de son 125ème anniversaire – créait la 8ème symphonie, sous la direction de William Steinberg.
Leonard Bernstein n’a jamais enregistré, à ma connaissance, ni Hanson ni Sessions. En revanche il a plutôt bien servi ses contemporains, Copland, Schuman, Roy Harris, etc.. On y reviendra pour évoquer le très beau coffret que vient d’éditer Deutsche Grammophon…
Il y a des artistes, des chefs d’orchestre qui, l’âge venant, ralentissent l’allure, donnent du temps au temps, et d’autres, plus rares, qui semblent défier les ans. Il n’est que d’écouter les derniers enregistrements d’un Paul Paray (1886-1979), d’un Leopold Stokowski (1882-1977) pour se convaincre que la jeunesse n’a pas d’âge.
Chroniquant pour Diapasondes rééditions (dans la collection Eloquence) du grand chef franco-américain, je regrettais que Decca ne lui ait pas encore consacré un coffret récapitulatif de la série d’enregistrements stéréo réalisés à Londres, Vienne et Amsterdam entre 1956 et 1963 pour Westminster, Philips et Decca. Comme souvent, c’est la branche italienne d’Universal qui a pris les devants et exaucé mon souhait (Pierre Monteux Decca Recordings):
On était prêt à se réjouir sans réserve de ce beau coffret de 20 CD, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’il y manque une Symphonie fantastique (Berlioz) et quelques extraits du Songe d’une nuit d’été (Mendelssohn), qui, certes, ne sont pas essentiels, une prise de son acide (1956) n’aidant pas des Wiener Philharmoniker curieusement mal à l’aise…
Plus grave, l’une des plus chatoyantes et juvéniles Shéhérazade (Rimski-Korsakov) manque aussi à l’appel… Mystère !
Mais pour tout le reste, bien sûr dans Debussy et Ravel, mais de manière moins attendue, dans Sibelius, Dvorak, Elgar, et pour Beethoven et Brahms, fringants, allègres, irrésistibles, ce coffret est indispensable.
Tout aussi vivement conseillées, ces prises de concert (en stéréo !) à Boston en 1958 et 1959, qui sont autant de prises de risques, Monteux cravachant l’orchestre, parfois au risque de la rupture. Mais quel souffle ! Les solistes sont logés à la même enseigne, Leonid Kogan – juste avant l’enregistrement officiel pour RCA – solaire dans Brahms, et dans le 1er concerto du même Brahms, le prodigieux Leon Fleisher soudain largué, muet, pendant quelques longues secondes du premier mouvement, mais livrant avec Monteux le rondo final le plus halluciné de toute la discographie.