2890 jours : ils ont fait Montpellier (V) Top chefs

Durant mon mandat à la direction du Festival Radio France Montpellier Occitanie (lire 2890 jours) de 2014 à 2022, comme pendant mes années à l’Orchestre philharmonique royal de Liège (Merci), j’ai eu l’obsession de faire découvrir, de susciter la curiosité du public. Après les pianistes, les clavecinistes, les instrumentistes et les formations à cordes, place aux orchestres, choeurs et à leurs chefs et cheffes. Qui nous ont offert des soirées mémorables, sans doute les plus marquantes du festival. Et si certains ensembles et chefs étaient déjà familiers de Montpellier, je suis heureux d’avoir pu inviter des femmes et des hommes de très grand talent, qui, pour certains, occupent aujourd’hui les positions les plus en vue.

Je rêve – peut-être pour les 40 ans du festival – d’une édition discographique qui regrouperait les grandes heures symphoniques et chorales du Festival. Et pourquoi pas ‘d’une chaîne thématique spécifique sur France Musique ?

Montpellier pilier du Festival

Nul n’aurait pu imaginer le festival, hier et maintenant, sans la présence essentielle de l’Orchestre national Montpellier Occitanie. La liste des productions auxquelles il a participé est impressionnante. Il faut en remercier ici tous les musiciens qui n’ont jamais ménagé leur engagement, et donc beaucoup me disaient qu’ils attendaient avec impatience le mois de juillet et l’aventure du Festival.

2015 : Fantasio, dirigé par le regretté Friedemann Layer (1941-2019), pour qui, cette année-là, ce furent des retrouvailles émues avec l’orchestre qu’il avait dirigé de 1993 à 2007.

Pour l’ouverture du festival, j’avais fait appel à Domingo Hindoyan (1980) devenu entre-temps directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Liverpool

et pour la clôture à mon cher Christian Arming, tout indiqué comme Viennois pur jus pour diriger la IXe symphonie de Beethoven !

2016 : Michael Schønwandt  comme chef principal de l’ONM a, bien entendu, été de toutes nos aventures, surtout lorsqu’il s’agissait de redécouvrir quelques fameux ouvrages lyriques (lire 17 opéras)

Mon très cher Paul Daniel, invité en 2015 avec l’Orchestre de Bordeaux, devait diriger l’ONM pour plusieurs concerts Beethoven dans la région Occitanie, lorsqu’est survenu l’effroyable attentat de Nice le soir du 14 juillet 2016. Spontanément, Paul Daniel, les musiciens de l’ONM, la Ville de Montpellier et moi avons décidé d’un hommage, diffusé en direct sur France Musique, le dimanche 16 juillet au soir : L’hommage de Montpellier aux victimes de l’attentat de Nice (Le Figaro)

Domingo Hindoyan revient, cette fois, avec la grande Sonya Yoncheva, son épouse à la ville, pour l’opéra Iris de Mascagni (17 opéras)

2017

Jader Bignamini (Bellini, les Puritains)

Domingo Hindoyan (Siberia Giordano)

Michael Schønwandt 

2018

Marzena Diakun

Michael Schønwandt  (Delibes / Kassya)

George Pehlivanian

2019

Kristjan Järvi

Au lendemain de l’ouverture du festival par son père, Neeme Järvi, son fils Kristjan dirigeait l’ONM dans un programme contemporain

Les violonistes Daniel Lozakovich et Mari Samuelsen encadrant Kristjan (debout) et Neeme Järvi (assis)

Michael Schønwandt  (D’Indy /Fervaal)

2021

Michael Schønwandt 

Domingo Hindoyan : très grand souvenir de la soirée de clôture du festival 2021 avec une carte blanche à Sonya Yoncheva et à son mari !

2022

Pierre Dumoussaud : heureux d’avoir pu compter sur le formidable talent du jeune chef français pour l’ouverture (le 14 juillet) de mon dernier festival, et le Concours Eurovision des jeunes musiciens

Le jury du Concours Eurovision 2022 : debout de gauche à droite le violoniste Tedi Papavrami, la hautboïste Nora Cismondi, le violoncelliste Christian-Pierre La Marca, assis JPR et la présidente du jury, la pianiste Mūza Rubackytė

Michael Schønwandt  (Thomas / Hamlet)

Christopher Warren-Green, une première à l’ONM pour le chef britannique, avec un soliste au patronyme illustre : Gabriel Prokofiev

Les formations de Radio France

Très logiquement, et suivant le pacte fondateur du Festival en 1985, j’ai invité chaque année les formations musicales de Radio France.

Orchestre national de France

2015 Alexander Vedernikov est tragiquement disparu le 26 octobre 2020 à 56 ans des suites du Covid-19.

2016 John Neschling, le grand chef brésilien dirigeait un programme particulièrement original : Epiphanie d’André Caplet (avec le violoncelliste Marc Coppey) et la Symphonie lyrique de Zemlinsky

De 2017 à 2019 c’est Emmanuel Krivine, directeur musical de l’ONF de 2017 à 2020, qui est naturellement venu à Montpellier pour des programmes toujours élaborés dans l’esprit du Festival.

2021 et 2022 C’est le successeur de Krivine, Cristian Măcelaru, qui viendra défendre des programmes particulièrement originaux

Orchestre philharmonique de Radio France

2015 Patrick Davin (lire : Un ami disparaît)

2016 Pablo Gonzalez

2017 Vladimir Fedosseiev : c’est à un vétéran de la direction russe que l’OPRF et le Festival avaient fait appel pour donner la cantate Octobre de Prokofiev, écrite en 1937 pour commémorer les vingt ans de la Révolution russe.

2018 Santtu-Matias Rouvali

2019 Andris Poga

2021 Santtu-Matias Rouvali

Orchestres de jeunes

J’ai tenu, chaque année de mon mandat, à inviter des orchestres de jeunes, puisque la raison d’être même du Festival a toujours été la découverte et la promotion des jeunes talents.

Australian Youth Orchestra (19) / Krzysztof Urbanski

I Culture Orchestra (18) / Kirill Karabits

Jove Orquestra Nacional de Catalunya / Manel Valdivieso (17)

National Youth Orchestra USA (16) / Valery Gergiev

Orchestre des Jeunes de la Méditerranée (21) (22) / Duncan Ward

Les formations invitées

La liste ci-desous indique assez l’éclectisme de nos choix, dans l’idée qu’un Festival doit toujours être une fête populaire, ouverte à tous les publics, à tous les genres.

Le Bagad de Lann-Bihoué (2015)

Le Concert de la Loge / Julien Chauvin (17)(19)

Le Concert Spirituel / Hervé Niquet (15) (17) (19) (21)

Ensemble Les Surprises / Louis-Noël Bestion de Camboulas (18)

Harmonie et Orchestre de la Garde républicaine (18) / Sébastien Billard / Hervé Niquet

Orchestre de chambre de Paris (16) / Douglas Boyd

Orchestre national Bordeaux-Aquitaine (15) / Paul Daniel

Orchestre national du Capitole de Toulouse (16) (17) : Andris Poga / (19) Tugan Sokhiev / Lio Kuokman / (21) Nil Venditi

Orchestre National de Lille (17) / Alexandre Bloch

Orchestre de Pau Pays de Béarn (18) / Fayçal Karoui

Orchestre philharmonique royal de Liège (18) / Christian Arming

Orchestre philharmonique de Tampere (19) / Santtu-Matias Rouvali

Orchestre symphonique national d’Estonie (19) / Neeme Järvi

Les Passions (16) / Jean Marc Andrieu

Il Pomo d’Oro (21)

Pygmalion (16) / Raphaël Pichon

Scottish Chamber Orchestra (22) / Maxim Emelyanychev

Les Siècles (21) / François-Xavier Roth

Sinfonia Varsovia (2015)

Choeurs

Pas de festival réussi, pas de découverte de répertoires inconnus sans la présence des choeurs, celui de Radio France bien sûr, mais aussi durant tant d’années de celui de la radio lettone.

Choeur de l’Armée française (18) / Aurore Tillac

Choeur de l’Armée rouge (17) / Victor Elisseiev

Choeur de Radio France (15) (16) (17)/Sofi Jeannin, (18) Marina Batic (22) Christophe Grapperon

Choeur de la radio lettone / Sigvards Klava (15, 16, 17, 18, 19)

Les Elements (16) Jean-Marc Andrieu, (17) (19) (22) Joël Suhubiette

The King’s Singers (22)

Maîtrise de Radio France (16) / Sofi Jeannin

Opera Junior (16) / Vincent Recoin

Orfeo Donostiarra (2015)

A tous ces formidables ensembles, orchestres, choeurs, et leurs chefs, une immense gratitude pour tant d’émotions partagées.

Des souvenirs et des hommes

Je viens de mettre la dernière main au communiqué de presse qui relate le bilan de la 35ème édition du Festival Radio France Occitanie Montpellier : 101.400 spectateurs pour 153 événements, soit une augmentation de près de 9% par rapport à 2018.

Des chiffres, il faut des chiffres, on donne des chiffres !

Mais aucun chiffre ne restituera jamais la densité des souvenirs, des émotions, des rencontres, des découvertes qu’a permis le festival. Ni le bonheur d’auditeurs/spectateurs qui, cette année plus que lors d’éditions précédentes, m’ont dit leur surprise, leur enthousiasme, d’avoir pu entendre des oeuvres, des artistes qui leur étaient complètement inconnus, de pénétrer des univers musicaux qui leur étaient étrangers.

Le 19 juillet, j’avais une excellente raison de demander à Emmanuel Krivine de diriger Die Seejungfrau (La petite sirène) de Zemlinsky : c’est très exactement dix-neuf ans plus tôt (en juillet 2000) que j’avais découvert le capiteux triptyque symphonique du beau-frère de Schoenberg, à Montpellier… sous la baguette d’Emmanuel Krivine qui prenait alors congé de l’Orchestre National de Lyon qu’il avait victorieusement conduit depuis 1987. J’avais scellé les prémices de la relation à venir entre le chef français et l’Orchestre national de France avec cette même oeuvre en octobre 2015 (Capiteux)Je voulais raviver ces deux souvenirs. Le résultat fut au-delà de mes espérances.

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Emmanuel Krivine passe pour être d’un abord difficile, compliqué dans  ses relations de  travail.  Je n’ai jamais directement travaillé avec lui, bien qu’il m’eût proposé de le faire dès 1987 (j’avais refusé sa proposition, j’étais arrivé depuis peu à la Radio Suisse romande et ne m’en voyais pas partir aussi vite), mais je n’ai jamais éprouvé de difficulté avec lui, au contraire !

IMG_4475Santtu-Matias Rouvali, Jean-Luc Votano et Magnus Lindberg après un fabuleux concert le 25 juillet

IMG_4436Magnus Lindberg attentif et bienveillant

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Les spectateurs de l’Opéra Berlioz, les auditeurs de France Musique, et la presse internationale venue en nombre, ne s’y sont pas trompés : Fervaal de Vincent d’Indy constituait, ce 24 juillet, l’événement lyrique de l’été : Le Figaro : Fervaal ressuscité à Montpellier et le héros de la soirée était l’époustouflant Michael Spyres.  Un concert à réécouter sur France Musique !

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Extraordinaire ambiance mardi 23 juillet avec l’Australian Youth Orchestra (AYO), dont c’était l’unique étape en France d’une belle tournée européenne : le pianiste Jan Liesecki (qui était déjà venu, quasiment en culottes courtes, jouer au Festival en récital !)   jouait le 2ème concerto de Rachmaninov et Krzysztof Urbanski donnait l’une des plus belles 10ème symphonie de Chostakovitch qu’il m’ait été donné d’entendre.

En présence du très médiatique ambassadeur d’Australie en France, Brenden Berne (à qui je trouve une étonnante ressemblance avec Philippe Jordan !)

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Le festival ce sont aussi des dizaines de concerts dans des dizaines de lieux magnifiques de la région, et des publics toujours plus nombreux et curieux.

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Comme je l’ai déjà raconté souvent ici (L’air du Nord : Magnus Lindbergtout est affaire d’amitié, d’enthousiasme, d’envie, de désir, de curiosité. J’ajoute un élément, pour moi, déterminant : la simplicité, qui est la marque des plus grands. Rien d’affecté, d’artificiel, dans le comportement de ces fantastiques artistes. Presque timides sous les félicitations, mais intensément chaleureux lors des retrouvailles (L’arrivée de l’orchestre de Tampere)

Lorsque viendra le temps de se rappeler les moments-clé de cette aventure, les rencontres humaines seront au moins aussi fortes que les émotions musicales.

Dehors les vieux !

Non, rien à voir avec la campagne présidentielle française… quoique, si l’on se fie aux sondages, ce pourrait être le mot d’ordre de pas mal d’électeurs !

Il s’agit, plus modestement, de l’un de ces débats que le microcosme culturel et musical affectionne, qu’un site spécialisé a relancé de manière spectaculaire hier (Un jeune chef d’orchestre est accusé de discrimination anti-âge)

Résumons pour ceux qui auraient du mal à suivre toute l’histoire en anglais : le jeune chef polonais Krzysztof Urbanskidirecteur musical – entre autres – de l’orchestre symphonique d’Indianapolisdécide de se séparer de son basson solo, 62 ans. La raison invoquée ? Trop vieux pour tenir une position de soliste exposé ? Apparemment pas. Une logique budgétaire, les musiciens de moins de 40 ans coûtent moins cher que les plus âgés, c’est tout bénéfice pour un orchestre qui vit de fonds privés (comme tous les orchestres américains).

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C’est évidemment caricatural, mais la discussion relatée dans l’article déjà cité prend une tournure intéressante avec d’autres contributions de musiciens et de chefs plus chenus que notre jeune baguette. Il est beaucoup question de respect, d’arrogance, de comportement – je vous invite à lire tous ces échanges -. Le point de vue de Fabio Luisi58 ans, ne manque pas de sel, venant d’un chef d’orchestre jamais en retard d’une ambition ou d’un poste.

Orchestras NEED older musicians, they bring experience, wisdom, knowledge and – yes! – they can also help young music directors to find their real way if they (the music directors) trust them (the older musicians) and learn from their experience. Of course, they know so much, they have played such a huge repertoire with a lot of different conductors – many among them were excellent conductors. Young conductors fear this kind of experience, because it forces them to compare themselves with important musicians – conductors – of the past. Older musicians carry this tradition and they are able to tell if the young conductor has valuable ideas or …. he is just musically arrogant.

Eternel problème dans un orchestre, encore plus complexe aux Etats-Unis où les règles syndicales sont très protectrices des musiciens (juste contrepartie à la toute-puissance de l’argent qui a droit de vie et de mort sur les orchestres).

J’y ai évidemment été confronté pendant mes années à l’Orchestre philharmonique royal de Liège, avec les directeurs musicaux successifs de l’orchestre. Comment faire lorsqu’un musicien, pour une raison ou une autre, qui n’est pas nécessairement l’âge, n’est plus au niveau qu’on attend de lui ? Comment gérer une situation très délicate d’abord sur le plan humain ?

D’abord dire ceci :  un musicien sait quand il n’est plus à son meilleur ou quand il est diminué physiquement (on ne le sait pas, mais beaucoup de musiciens d’orchestre souffrent de pertes ou de troubles de l’audition). Mais à qui le confier ? au chef d’orchestre ? à la direction ? qui risquent d’en tirer prétexte pour le remercier. Et l’amour-propre qui en prend un sérieux coup. D’autant qu’il n’y a pas de règle. Je me rappelle le légendaire cor solo de l’orchestre symphonique de Chicago, Dale Clevengeren 2006 (il avait 66 ans), absolument éblouissant dans un programme Mahler/Chostakovitch. Un trombone solo de l’orchestre de Liège, resté au sommet de son art jusqu’à sa retraite. Et puis bien d’autres qui accusaient les années, la fatigue, et qu’il fallait traiter dignement.

Dignité, c’est le seul mot qui vaille, le seul comportement acceptable, lorsqu’il s’agit de résoudre les difficultés qui surviennent dans un orchestre. Je pense que nous y sommes arrivés à Liège, que pas un des grands anciens de l’orchestre n’a eu à subir une dégradation  , que la transmission entre aînés et nouveaux arrivés s’est toujours faite en belle intelligence. Je peux attester que jamais rien n’a été imposé, a fortiori brutalement, qu’à chaque fois, et en chaque circonstance particulière, une solution respectueuse, humaine a été trouvée.

Et je confirme, comme Fabio Luisi, et bien d’autres, qu’un bon orchestre est celui qui réunit différentes générations, rassemble dans un même état d’esprit des talents multiples et complémentaires.