Enchanteurs

Reçu avant-hier deux coffrets commandés en Grande-Bretagne (parce que nettement moins chers qu’en France). C’est peu dire que j’attendais l’un d’eux avec impatience

Dmitri Hvorostovsky (1962-2017)

Il aurait dû fêter son soixantième anniversaire dans quelques jours. Le cancer l’a emporté il y a cinq ans en pleine gloire. Lire Le combat perdu de Dmitri H.

La collection Eloquence réédite tous les enregistrements réalisés par l’immense baryton russe Dmitri Hvorostovsky pour Philips dans ses jeunes années. Rien d’inédit, mais plusieurs de ces disques étaient devenus rares. 11 CD (voir détails ici)

Je ne vais pas répéter ici l’admiration sans borne que je portais à cette voix d’or et de bronze.

Comment ne pas être bouleversé par cette « dernière fois » sur la scène de l’opéra de Vienne, dans l’un de ses plus rôles, quelques mois avant sa mort. La canne sur laquelle il s’appuyait n’était pas dans la mise en scène… le chanteur au physique de colosse était atteint d’une tumeur au cerveau qui lui causait des vertiges et qui l’avait contraint à plusieurs interruptions (Dmitri Hvorostovsky, sans exhibitionnisme, tenait sur les réseaux sociaux une sorte de journal de bord les dernières années de sa vie)

Ecouter aussi Hvorostovsky dans le répertoire mélodique et lyrique russe, et même dans des chansons populaires ou sacrées, pour ne pas oublier que la Russie, les Russes, c’est une culture, une langue, une civilisation immémoriales qu’un sinistre dictateur est en train de détruire en prétendant le contraire (Poutine signe l’annexion de quatre régions d’Ukraine)

Bella Davidovitch, la pianiste soviétique devenue américaine

Elle n’est pas morte, même si elle a l’âge respectable de 94 ans. Née à Bakou en 1928, Bella Davidovitch épouse en 1950 le grand violoniste Julian Sitkovetsky qui meurt d’un cancer en 1958. Entre temps est né Dmitri, qui va suivre les traces de son père, en devenant l’un des plus brillants violonistes de notre temps. Le fils émigre aux Etats-Unis en 1977, la maman pianiste le suit en 1978, et devient citoyenne des Etats-Unis en 1984.

Etrangement, Bella Davidovitch n’a pas fait en Europe la carrière que d’autres de ses collègues y ont faite (on pense à Elisabeth Leonskaia par exemple). Ses disques n’ont pas connu un rayonnement important.

Le coffret qu’Eloquence publie aujourd’hui rattrape, de ce point de vue, une injustice, même si, à la réécoute, certains enregistrements que je connaissais, comme le 2ème concerto de Saint-Saëns, enregistré à Amsterdam sous la baguette de Neeme Järvi, se révèlent bien décevants. S’il fallait une démonstration que la perfection d’un jeu pianistique n’est pas toujours synonyme de perfection stylistique, qu’on écoute le presto de ce concerto. Toutes les notes, mais rien de l’esprit léger, aérien qu’y met Saint-Saëns.

On est beaucoup plus gâtés du côté de Chopin, où l’absolue maîtrise technique sert une fantaisie, une poésie, un art du chant remarquables (contenu du coffret ici)

En rédigeant cet article, je découvre ce « live » du second concerto de Chopin donné en 1990 aux Nations Unies à New York, l’orchestre philharmonique tchèque étant dirigé par Jiri Belohlavek. Malgré la précarité de l’image et de la restitution sonore, on voit et on entend une grande musicienne.

Le beau chant

Enfin je voudrais signaler cette nouveauté chez DGG, un chanteur qui n’est pas encore très connu, le ténor chilien Jonathan Tetelman, 34 ans.

Il y a trois ans, j’avais vu et entendu, à Montpellier, une Madame Butterfly qui m’avait beaucoup séduit. De celui qui incarnait Pinkerton, j’avais écrit : Le Pinkerton du jeune ténor chilien Jonathan Tetelman a toutes les séductions, la voix n’est pas très puissante, mais le timbre est solaire et la prestance admirable.

Ce disque le confirme.

Vacances 2022 : Intrigue à la Villa Médicis

Rome, la Villa Médicis

Avant-dernier épisode de la série Vacances 2002, la Villa Médicis, où je n’ai pas mis les pieds cette année, mon séjour romain fut relativement bref – il m’en reste à raconter notamment sur les trésors du Vatican.

Ma première fois à Rome c’était en mars 1995 à l’occasion d’un week-end – qui a failli rater – de France Musique à la Villa Médicis. Week-end dont j’avais conservé un souvenir contrasté.

Le futur ministre ?

Je n’ai compris que bien plus tard le véritable enjeu de ce moment où France Musique n’était qu’un prétexte. Je suis tombé par hasard sur les mémoires de Jean-Pierre Angremy (de son nom de plume Pierre-Jean Rémy) où l’on comprend que le déplacement en grand appareil du PDG de Radio France Jean Maheu, du directeur de la musique Claude Samuel, du directeur de France Musique l’auteur de ces lignes, de quelques autres personnes forcément importantes, tous accompagnés de leurs conjoints, au prétexte d’assister à des concerts de pensionnaires de la Villa Médicis, dont l’écrivain à succès était alors le directeur transmis sur France Musique bien évidemment, ce déplacement donc avait pour objectif non avoué pour l’état major de la radio publique de se mettre au mieux avec celui qu’une rumeur insistante et récurrente présentait comme le probable, possible futur ministre de la Culture de Jacques Chirac bientôt élu président de la République. On était à un mois du premier tour de l’élection présidentielle de 1995, tandis que s’achevait la cohabitation Mitterrand-Balladur.

Extraits choisis de ce « Journal de Rome » :

« Noter l’arrivée de Jean Maheu et de sa femme, Isabelle. Nous nous embrassons, nous nous tutoyons. Il aurait souhaité lui-même venir à la Villa Médicis comme directeur. Un jour, brisant la glace, il m’a dit qu’il n’en était rien. Je n’en pense pas moins.
Ai-je dit que Stéphane Martin, qui fut longtemps son directeur adjoint de cabinet (1) et à qui je dois ma place ici, s’est fait l’écho, comme beaucoup d’autres, du bruit qui a couru selon lequel j’intriguerais, toujours dur et ferme, pour me retrouver à la Culture ? Claude Samuel me parlera également de l’affaire. Sophie Barrouyer de France Musique (2), aussi, comme Sophie Barruel (3), petite énarque au jeune mari aussi, comme également Jean-Pierre Rousseau.
Rumeur ou calomnie ? Je n’ai pas que des amis, c’est le moins que je puisse dire !
« 

(1) Stéphane Martin, qui a été un temps le bras droit de Claude Samuel à Radio France, est à l’époque directeur adjoint du cabinet de Jacques Toubon, ministre de la Culture. Il sera, de 1998 à 2020, le président du musée du Quai Branly

(2) J’ai l’impression que Pierre-Jean Rémy s’emmêle dans ses souvenirs, en évoquant la présence de Sophie Barrouyer…à qui j’avais succédé deux ans plus tôt (lire L’aventure France Musique)

(3) Erreur de PJR, il s’agissait de Sophie Barluet, prématurément emportée par une cruelle maladie en 2007, son « jeune mari » étant Alain Barluet, actuel correspondant du Figaro à Moscou. J’avais beaucoup apprécié Sophie Barluet comme directrice de cabinet de Jean Maheu et comme complice toujours bienveillante.

Liaison fatale ?

Suite du journal de Pierre-Jean Remy :

« SAMEDI 25 MARS. Toute la journée en direct, donc, de France Musique. En réalité, depuis vingt-quatre heures, les trois techniciens de France Musique se battent avec les Télécoms italiens, car on n’arrive pas
à obtenir les canaux pour transmettre vers la France via… eh bien via Rome, tout simplement ! En 1995. il est tout de même paradoxal de voir qu’il n’y ait pas moyen de lier la Villa Médicis, au-dessus de Rome, au
centre de la RAI, à Rome même. Les autres liaisons sont possibles, mais pas celle-là. Il est vrai que l’on ne travaille plus par liaison hertzienne, mais par liaison numérique câblée. Ceci expliquerait cela. Pendant vingt-quatre heures, on s’arrache progressivement les cheveux. Le 24 au soir, on est persuadé que rien ne pourra se résoudre. Samedi 25 au matin, rien ne fonctionne encore alors que la première émission en direct est prévue à 11 heures À 11 heures moins dix : miracle ! apothéose! Les canaux sont rétablis »

Pierre Jean Remy on the set of TV show « Vol de Nuit ». (Photo by Eric Fougere/VIP Images/Corbis via Getty Images)

Ce n’est faire injure à la mémoire de personne que de relater que cette situation a donné lieu à des énervements et des comportements proches du ridicule. Je savais, comme responsable de l’antenne, que les techniciens de Radio France faisaient tout leur possible pour trouver une solution (au pire on pouvait enregistrer les émissions et concerts prévus et les diffuser ultérieurement de Paris). Mais il fallait bien que le PDG de Radio France justifiât sa présence à Rome et manifestât son autorité. Il se mit en tête après avoir copieusement engueulé ses proches, dont moi évidemment, d’interpeller les plus hautes autorités du pays, en commençant tout de même par l’ambassadeur de France à Rome, son homologue de la RAI (je doute qu’il l’ait joint), voire le ministre italien des télécommunications, pour leur faire valoir l’imbroglio diplomatique qui résulterait de l’impossibilité pour France Musique de diffuser en direct de Rome… Pierre-Jean Rémy considérait tout cela avec un certain amusement, habitué qu’il était aux moeurs italiennes (il avait été en poste à Florence), surtout un week-end.

Finalement le direct

« C’est donc la première émission, le concert des Nouveaux interprètes, que je présente depuis le
grand salon. Un froid polaire me caresse les côtes. Le concert,c’est le trio Schumann, trois jeunes gens de Turin. Tout à fait honorable. On joue, entre autres, du Kreisler et un trio de Brahms. Entre les morceaux, je parle de la Villa, je décris le paysage : beaucoup d’amis de France m’entendront, qui me le diront.
Déjeuner, sieste rapide, puis, toujours en direct de la Villa, l’émission Les Imaginaires de
Jean-Michel Damian. Damian erre comme un malheureux heureux, souriant, barbu et ventripotent, mais pas plus
« .

S’ensuit un long développement sur les invités de Jean-Michel Damian, dont l’essentiel de l’émission est consacré à Ingres, le grand peintre originaire de Montauban, très lié à Rome et en particulier à l’Académie de France à Rome dont il est le directeur de 1835 à 1840. Damian laisse les spécialistes disserter en roue libre, le concert qui devait conclure l’émission sera réduit à portion congrue.

L’auteur à succès, Callas, Karajan

On a oublié aujourd’hui la place qui était celle de Pierre-Jean Rémy dans la vie intellectuelle, culturelle et mondaine française. Auteur à succès, il était de tous les cercles influents, recherchant les honneurs, mais sans être dupe de la comédie humaine, à laquelle il participait avec une manière de distance et d’auto-dérision. Dans ce Journal de Rome, il évoque, parlant de lui, une « culture superficielle, un vernis qui se craquèle comme les murs peints par Balthus dans la Villa Médicis », et on va le voir plus loin à propos de ses livres. Brillant, chaleureux, réservant ses flèches à ceux qui ne pourraient plus lui nuire, il veillait à entretenir ses réseaux. Après la Villa Médicis, j’ai eu quelques occasions de revoir PJR devenu en 1995 non pas ministre de la Culture, mais président de la Bibliothèque Nationale de France.

Suite de la journée France Musique à la Villa Médicis relatée par Pierre-Jean Rémy :

« La fin de la soirée sera encore plus chaotique dans la mesure où je donne simultanément un dîner pour vingt-cinq personnes et où je présente une soirée de France Musique de trois heures consacrée à Maria Callas. Pour me remettre dans le bain de Callas, j’ai été amené à relire mon livre : Dieu, qu’il était bon !

Et combien j’ai tout oublié… Je m’émerveille encore d’avoir été capable d’écrire ce livre, finalement si foisonnant et assez bien écrit, malgré des tics qui m’apparaissent à présent insupportables, des attendrissements ridicules ou des exclamations superfétatoires/…/ Donc, émission sur Maria Callas au cours de laquelle je présente d’une part la grande Tosca de Serafin, puis une série de cinq ou six enregistrements, dont La Gioconda, l’Elvire des Puritains, la mort d’Isolde, Traviata et Norma. Quelques discours attendris, quelques références subtilement piquées dans mes propres œuvres.« 

Et, dans le même temps, j’essaie de faire de timides apparitions à l’une des trois tables où je suis censé être assis. Présence de Massimo Bogianckino, terriblement fatigué. Présence du vieux compositeur Petrassi, quatre-vingt-onze ans à présent, l’une des dernières grandes figures vivantes de la musique européenne. Il est sourd et heureux d’être à la Villa Médicis. Sa femme, grande cavale de trente ou quarante ans de moins que lui, se dit heureuse aussi. Elle promet de nous inviter chez elle, de nous faire une pasta. La soirée se terminera tard. dans l’allégresse, on boira beaucoup.. »

Précisions : Bogianckino (1922-2019) a été, à l’instigation de Jack Lang, le directeur de l’opéra de Paris de 1983 à 1985, avant d’être maire socialiste de Florence. Quant au vieux Goffredo Petrassi (1904-2003), il ne m’avait pas semblé si sourd que cela….

En matière de musique, Pierre-Jean Rémy savait surfer sur les sujets grand public Après Callas, il a été le premier à publier une biographie en français du chef autrichien, Herbert von Karajan (1908-1989). Comme pour Callas, la critique aura beau jeu de repérer les inexactitudes, les approximations, le côté compilation brouillonne d’un ouvrage qui sort souvent de son sujet, pour déborder sur les goûts personnels de l’auteur en matière symphonique ou lyrique.

Je vais sans doute le feuilleter à nouveau…

Brèves carrières

Jean-Louis Grinda, le directeur de l’Opéra de Monte-Carlo et des Chorégies d’Orange, écrit ce matin sur Facebook : « Une grande artiste et une femme aussi charmante que modeste. A 36 ans, elle fit le choix d’abandonner la carrière pour ne plus être séparée de ses enfants. Elle vivait en famille à Monaco et s’est éteinte ce dimanche à son domicile. Cette photo reflète parfaitement sa resplendissante personnalité. »

Il évoque la soprano italienne Rosanna Carteri née le 14 décembre 1930 et morte ce dimanche 25 octobre.

Lire l’excellent article de Jean-Michel Pennetier sur Forumopera, qui souligne la belle et brève carrière de la chanteuse disparue.

Cherchant dans ma discothèque, je trouve assez peu de témoignages de Rosanna Carteri, mais c’est un nom qui m’a marqué dès mon premier achat du Gloria de Poulenc. Dans la version… légendaire (!) – cf. mon article Légendaires – du créateur français de l’oeuvre, Georges Prêtre. La première audition mondiale a lieu à Boston le 20 janvier 1961 sous la baguette de Charles Munch (avec la soprano Adele Addison), la première française le 14 février de la même année à Paris avec Rosanna Carteri, Georges Prêtre (un patronyme tout indiqué pour une telle oeuvre !) dirigeant les choeurs et l’Orchestre National de la RTF.

Carrières abrégées

Rosanna Carteri n’est pas la seule parmi les chanteuses à avoir choisi de mettre fin prématurément à sa « carrière ». Deux cas me viennent à l’esprit : l’un que j’ai bien connu, la jeune soprano française Alexia Cousin, l’autre que je n’ai connu que par le disque, Anita Cerquetti.

J’ai bien connu Alexia Cousin, aujourd’hui jeune quadragénaire. Elle emporte, en 1998, à l’unanimité le Premier prix du concours Voix Nouvelles. En 2000, je la retrouve à Genève dans l’une des plus mémorables productions de Pelléas et Mélisande qu’il m’ait été donné de voir: Louis Langrée dirigeait l’Orchestre de la Suisse romande dans la fosse du Grand-Théâtre, Alexia Cousin (20 ans !) incarnant Mélisande, Simon Keenlyside Pelléas et José Van Dam Golaud, dans la mise en scène de Patrice Caurier et Moshé Leiser.

En septembre 2001, c’est Alexia Cousin qui remplace Felicity Lott, initialement prévue, pour le concert inaugural de Louis Langrée comme directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Liège : elle y chante le Poème de l’amour et de la mer de Chausson. Alexia reviendra chaque année à Liège. Il y aura même un disque en grande partie enregistré (avec le Chausson, Shéhérazade de Ravel et quelques Duparc) et jamais achevé.

Alexia Cousin je la verrai sur scène (notamment dans Juliette de Martinu à l’opéra Garnier en 2002)… jusqu’à ce jour de 2005 où j’apprendrai comme tout le monde, à commencer par son agent, qu’elle arrête tout. Tout de suite et sans retour.

Quelques mois plus tard, je la surprendrai dans la foule qui se presse à la salle philharmonique de Liège pour un concert de Louis Langrée. Elle a acheté son billet à l’avance. Nous échangeons quelques mots, je lui dis combien je suis heureux de la revoir, mais rien évidemment sur sa décision. D’autres fois, en fait à chaque fois que Louis Langrée reviendra à Liège (après la fin de son mandat de directeur musical en juin 2006), Alexia sera là, chaque fois moins tendue, moins repliée sur ses secrets. L’an dernier, on a appris qu’après avoir exercé plusieurs « boulots » bien différents de sa vocation initiale, Alexia Cousin enseignait désormais… l’art de chanter (lire Alexia Cousin le retour). Un jour peut-être la reverrons-nous, l’entendrons-nous de nouveau sur une scène ?

Quant à Anita Cerquetti, de la même génération que Rosanna Carteri, née en 1931 morte en 2014, sa carrière dure dix ans. En 1961, au sommet d’une gloire qu’elle n’a jamais recherchée (en 1958, elle a remplacé Maria Callas dans une « Norma » à Rome, que la diva avait dû interrompre, aphone, incohérente, pour cause d’infection à la gorge devant le président de la République italienne, scandale garanti !), Anita Cerquetti renonce à la scène. Il y a des « pirates » de cette Norma. Il y a aussi un sublime récital heureusement publié par Decca à côté d’une fabuleuse Giocanda

Hommage soit rendu à ces magnifiques musiciennes, qui ont préféré nous léguer un art intact, inabouti mais incandescent, qui ont préféré la liberté, la vie, aux tourments, aux contraintes d’une carrière plus longue.

Obituaire

Derniers jours chargés en tristes nouvelles.

Peter Serkin

Le pianiste américain Peter Serkin est mort le 1er février, à l’âge de 72 ans. Fils de Rudolf Serkin, petit-fils d’Adolf Busch, c’est un artiste nourri aux meilleures sources classiques en même temps qu’un aventurier curieux des musiques de son temps qui disparaît.

Tom Deacon : « Ses concertos de Mozart sont parmi mes préférés de tous les enregistrements des concertos de Mozart. Le nec plus ultra. »

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Superbe bouquet de concertos de Mozart, où le piano vif-argent de Peter Serkin est en osmose avec la direction de feu d’Alexander Schneider.

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Un coffret reprenant tous les enregistrements de Peter Serkin pour RCA devrait être publié imminemment.

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Philippe Andriot

Il est parti, le 27 janvier, aussi discrètement qu’il l’avait toujours été dans la vie. Philippe Andriot, j’avais eu le bonheur de faire sa connaissance il y a plus de trente ans, et je l’avais quelque peu perdu de vue ces derniers mois, alors que je le voyais jadis régulièrement au concert ou à l’opéra avec sa compagne, la merveilleuse pianiste Teresa LlacunaInstallés près de Lyon, leur curiosité était insatiable. Nombre d’entre nous se rappellent les parfaites notices de bon nombre de disques EMI, les interventions au micro lyonnais des antennes de Radio France de Philippe Andriot. La chaleur de sa voix, son érudition, sa vraie gentillesse transparaissent dans ce sourire qu’on n’est pas près d’oublier…

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David Kessler

J’ai rarement lu pareille pluie d’hommages sur un homme de l’ombre. David Kessler  est mort ce 3 février à 60 ans. « Fin, cultivé, exquis, grand esprit, grand commis de l’Etat, David Kessler est parti trop tôt… On pleure un ami délicieux, amoureux du cinéma, un type bien », a notamment déclaré Gilles Jacob, ancien président du Festival de Cannes (Le Monde).

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J’ai parfois croisé David Kessler, mais n’ai jamais eu à faire à lui dans le cadre professionnel. Un parcours impressionnant, des vies multiples, publiques, exposées et pourtant, sans doute, des fêlures intimes que la mort emporte.

Nello Santi

Le vieux chef italien est mort hier à Zurich, à 88 ans.

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Que dire de ce chef qu’un de ses proches collègues (côtoyé à Bâle et à Zurich), Armin Jordan, citait souvent comme « le » musicien par excellence, celui qui pouvait tout diriger d’expérience et d’instinct, en premier lieu le répertoire lyrique italien qui n’avait guère de secrets pour lui ?

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La collection Eloquence de Decca ressortait il y a quelques mois des extraits d’ouvrages d’Ermanno Wolf-Ferrari dirigés par Nello Santi.

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Montserrat avant Barcelona

 

Depuis qu’on a appris aux petites heures de ce samedi matin le décès de Montserrat Caballé, les médias ont semblé s’ingénier à aligner les pires poncifs : « la dernière diva », le « modèle d’Hergé pour sa Castafiore » (au mépris évident de toute vraisemblance historique) et surtout la « chanteuse devenue populaire depuis son duo avec Freddie Mercury « et la chanson Barcelona.

Sur les sites spécialisés, les éloges se mêlent aux dithyrambes, sans beaucoup de distance par rapport à la réalité d’une carrière qui s’est prolongée au-delà du raisonnable.

Mais on sait, une fois pour toutes, qu’il est malséant d’émettre la moindre critique, la moindre nuance sur un disparu célèbre.

Il est absurde de mettre en avant – comme je l’al lu – les « 50 ans de carrière » de la cantatrice catalane, quand chacun, pour peu qu’il soit doté de deux oreilles en bon état, peut entendre que, depuis la fin des années 80, la voix s’était irrémédiablement durcie, et que ce qui en avait fait la légende (les fameux aigus filés, un legato appuyé sur un souffle long, un timbre liquide) n’était plus que souvenir ou caricature.

Mais il reste tout ce qu’il y a avant le duo avec Freddie Mercury, les premiers enregistrements admirables. Contraste saisissant avec Maria Callas : dans les mêmes rôles, là où l’une incarnait, était le personnage au risque d’une mise en danger vocale, l’autre n’était que pure recherche du beau chant, sans souci excessif de caractérisation.

Quelques piliers de ma discothèque, où j’entends la seule Montserrat Caballé dont je veux garder le souvenir :

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« Un de ses plus beaux disques …
« Parigi o cara », elle y a pourtant si peu chanté, du moins à l’Opéra

La Caballé a 34 ans lorsqu’elle enregistre cette version mythique. Le moelleux de son timbre, son incarnation du rôle, ses sons filés sublimes (L' »Addio del passato », sans les coupures habituelles est beau à pleurer).

Avec la jeune Caballé l’émotion naît du souffle et de la simplicité de la ligne héritée de la tradition belcantiste. Carlo Bergonzi (avec son savoureux accent parmesan) est un Alfredo de rêve au style impeccable.

A la tête de l’Orchestre de la RCA Italienne (composé principalement des musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Rome), Georges Prêtre est un accompagnateur attentif et enthousiaste, constamment à l’écoute de ses chanteurs.
Un pur bonheur.

(François Hudry/QOBUZ)

Rien à rajouter à ces lignes de François Hudry, sauf pour rappeler que lors d’un Disques en Lice consacré à cette Traviata, c’est cette version qui était arrivée en tête.

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Quant à cette Lucrezia Borgia, on connaît l’histoire : en 1965, Montserrat Caballé y remplace Marilyn Horne à Carnegie Hall, où elle fait ses débuts. L’enregistrement suivra, inégalé, inégalable.

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A l’apogée de ses moyens vocaux (1965-1975), RCA lui fait enregistrer, outre ces opéras, une série d’airs peu connus de Donizetti, Rossini, Bellini, regroupés dans un coffret très précieux :

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Je découvrirai plus tard avec elle Les Puritains de Bellini dans l’enregistrement, pour moi insurpassé, de Riccardo Muti

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Plusieurs compilations EMI/Warner donnent un bel aperçu de l’art belcantiste de Montserrat Caballé :

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En cherchant dans les archives du Festival Radio France – où je savais que Montserrat Caballé s’était produite au moins une fois – je suis tombé sur cette vidéo de l’INA : René Koering, surfant sur l’incroyable succès du film Amadeus de Milos Forman, sorti en 1984, avait programmé Les Danaïdes de Salieri, avec dans le rôle-titre… Montserrat Caballé et pour diriger l’orchestre de Montpellier, Emmanuel Krivine !

Voir : Les Danaïdes à Montpellier

Le combat perdu de Dmitri H.

C’est par ces quelques lignes sur sa page Facebook qu’on apprend ce matin son décès :

On behalf on the Hvorostovsky family, it is with heavy hearts that we announce the passing of Dmitri Hvorostovsky – beloved operatic baritone, husband, father, son and friend – at age 55. After a two-and-half year battle with brain cancer, he died peacefully this morning, November 22, surrounded by family near his home in London. May the warmth of his voice and his spirit always be with us.

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Il avait un nom imprononçable pour un non-russophone, mais une voix de bronze et de lumière qui illuminait toutes ses prestations à l’opéra, en récital ou au disque. J’avais entendu Dmitri Hvorostosky une seule fois en récital à Aix-en-ProvenceEt peut-être une fois sur scène, mais ma mémoire me fait défaut.

Mais dès qu’on avait entendu ce timbre unique, plus clair que nombre de ses confrères russes, on ne pouvait qu’être séduit par ce chanteur qui avait tout pour lui et qui a affronté, avec un courage et une lucidité remarquables, une maladie malheureusement très, trop, fréquente chez les chanteurs. Aujourd’hui, dans la force de l’âge, il vient tragiquement s’ajouter à la liste beaucoup trop longue de ses victimes récentes.

Ici dans sa dernière apparition publique – et surprise – lors d’un gala au Met au printemps dernier.

Ou encore dans ce « show » télévisé à Moscou en octobre 2015

Bouleversant dans les grands rôles verdiens, incomparable dans Eugène Onéguine

La discographie du baryton russe n’est pas considérable. Il faut évidemment le repérer dans les opéras auxquels il a participé. Ses premiers enregistrements pour Philips témoignent d’un art qui n’a rien perdu de son aura avec la maturité. Hvorostovsky avait réenregistré quasiment tout son répertoire ces dernières années pour Delos. Tout est à prendre et à entendre, sans réserve…

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Cпасибо Dmitri, reposez en paix…

Carlos le grand

Il est né un 3 juillet…1930, et mort un 13 juillet…2004. Il manque tellement à la Musique, à notre monde sans grâce. Heureusement, Carlos Kleiber vit toujours par des enregistrements, des documents, qui n’ont pas pris une ride et qui le restituent comme le génie de la direction d’orchestre qu’il fut au XXème siècle.

Quelle émotion de découvrir hier cette photo rarissime de vacances (publiée sur la page Facebook du groupe Conductors ORCHESTRA Historicaldes deux géants Carlos Kleiber et Leonard Bernstein !

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J’ai plusieurs fois évoqué Carlos Kleiber sur ce blog (fantastiques répétitions à voir ici : Vingt fois sur le métier ). Rien de ce que le grand chef a enregistré n’est négligeable, même si certains éditeurs ont parfois raclé les fonds de tiroirs . Deutsche Grammophon annonce pour cet été une réédition d’un précieux coffret regroupant tous enregistrements officiels de Kleiber pour le label jaune.

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ainsi que l’édition en Blu-Ray de sa version légendaire de La Traviata de Verdi.

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Le ténor magnifique

Il est mort il y a cinquante ans, le 17 septembre 1966, né trente-six ans plus tôt, le 26 septembre 1930. Une carrière abrégée par un accident domestique. Mais un éclat jamais oublié. Le ténor Fritz Wunderlich portait bien son nom.

Ses disques n’ont jamais quitté les bacs, tous – notamment le répertoire léger germanique – n’ont pas toujours été disponibles en France. EMI devenu Warner lui avait déjà consacré un beau coffret, avec pas mal de raretés.

Deutsche Grammophon avait aussi proposé un coffret patchwork.

La nouveauté de cet automne c’est la réédition dans un magnifique boîtier, et à tout petit prix, de tous les enregistrements de studio réalisés par le ténor allemand pour le célèbre label jaune (et ses sous-marques comme Polydor). 

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Aucun inédit, mais enfin rassemblés des enregistrements légendaires, où la voix solaire, virile et lumineuse de Wunderlich transcende des versions parfois un peu datées (les Bach avec Karl Richter) ou restées insurpassées (comme la première Création de Haydn due à Karajan, que Wunderlich n’eut pas le temps d’achever), les opéras de Mozart avec Karl Bôhm, les quelques cycles sublimes de Lieder de Schubert ou Schumann.

Détails de ce coffret de 32 CD :

Bach : Oratorio de Noël (K.Richter), Passion selon St Matthieu (Münchinger), Oratorio de Pâques (Couraud), Magnificat + cantate 41 (Couraud) /

Beethoven : Missa Solemnis (Karajan)

Haydn : La Création (Karajan)

Berg : Wozzeck (Böhm)

Monteverdi : Orfeo (Wenzinger)

Mozart : L’enlèvement au sérail (Jochum), La flûte enchantée (Böhm)

Lortzing : Zar und Zimmermann

Tchaikovski : Eugène Onéguine, extr. en allemand (Gerdes)

Verdi : La Traviata, extr. en allemand (Bartoletti)

Airs de Haendel, Gluck, Bellini, Rossini, Verdi, Puccini, Lortzing, Bizet, Maillart, Kreutzer, Mozart, Kalman, etc.

Schubert : La belle meunière

Schumann : Dichterliebe + Mélodies de Beethoven, Schubert

Chansons populaires allemandes et italiennes, chants de Noël, opérette viennoise.

PS Je me demande ce qui justifie une différence de 20 € sur le prix de ce coffret selon qu’on l’achète en Allemagne (Amazon.de) ou en France (Amazon, Fnac ou Gibert)

 

 

Les soirées de Vienne

Les chiffres donnent le tournis : plus de 800 concerts par saison ! C’est ce que me rappelait hier Thomas Angyan, l’intendant du Musikverein de Vienne… Tandis que nous parlions dans son bureau, il pouvait suivre sur un écran de contrôle les trois répétitions qui se déroulaient simultanément dans les lieux : Harnoncourt et son Concentus musicus Wien, les Wiener Symphoniker dirigés par Simone Young, et les Wiener Philharmoniker répétant avec Christoph Eschenbach et Lang Lang

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Je me rappelle, comme si c’était hier, l’émotion qui nous avait tous saisis, des plus chevronnés aux plus jeunes musiciens de l’Orchestre philharmonique – qui n’était pas encore Royal ! – de Liège, lorsqu’en octobre 2005 nous étions entrés dans les coulisses, puis sur la scène de la grande salle du Musikverein. Pour un concert dirigé par Louis Langrée – le concerto en sol de Ravel avec Claire-Marie Le Guay, et bien évidemment la Symphonie de Franck. Je n’imaginais pas alors que l’OPRL reviendrait en 2011 puis en 2014, trois fois en moins de dix ans !

Le concert de ce soir va revêtir un caractère doublement particulier : c’est Christian Arming, l’enfant de Vienne, qui connaît chaque visage, chaque recoin, chaque maison de sa ville natale, qui va diriger « son » orchestre liégeois, dans un programme tout franco-liégeois : Harmonie du soir d’Eugène Ysaye, les Nuits d’été de Berlioz et la Symphonie de Franck !

Image(Christian Arming et le plus illustre des Viennois, Johann Strauss – Photo JBR)

C’est aussi, pour moi, la dernière tournée avec l’OPRL, et le traditionnel dîner de tournée qu’on offre aux musiciens avait lieu hier soir, avec un invité surprise, qui dirige en ce moment La Traviata à l’opéra de Vienne, Louis Langrée !

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La soirée fut longue, belle, chargée de souvenirs et d’émotion. Comme une manière élégante de boucler la boucle…