Quand je dis Nelson je pense spontanément à mes amis pianistes, le très regretté Nelson Freire, et le toujours bien vivant Nelson Goerner. Mais ce soir je repense avec émotion au chef américain John Nelson (1941-2025) qui vient de disparaître après une terrible maladie qui l’avait défiguré et pourtant pas empêché de poursuivre sa tâche jusqu’au bout de ses forces
Je veux d’abord citer Alain Lanceron, le patron de Warner et Erato :
« Nous n’oublierons pas le véritable amour qu’il éprouvait pour la musique et les musiciens, et pour ses deux compositeurs fétiches, Haendel et Berlioz. Nous n’oublierons pas non plus son enthousiasme, sa bonté, son humanité. John Nelson est mort lundi, un mois seulement avant les séances d’enregistrement que nous avions prévues à Strasbourg pour achever son cycle Berlioz. J’ai la chance de pouvoir me rappeler les 20 projets sur lesquels nous avons travaillé ensemble sur une période de trois décennies. La plupart d’entre eux étaient avec l’Ensemble Orchestral de Paris dont il a été directeur musical pendant 11 ans (de 1998 à 2009), et avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg pour un cycle Berlioz qui constitue un jalon dans l’histoire de l’enregistrement, en particulier Les Troyens avec Joyce DIDonato, Michael Spyres, Marie-Nicole Lemieux et une superbe équipe de chanteurs français. Juste y penser me fait venir les larmes aux yeux«
Série à laquelle il faut ajouter une de mes références de toujours des Nuits d’été de Berlioz
J’ai deux souvenirs personnels forts de John Nelson.
À Besançon en 1995, comme je l’ai raconté sur ce blog » je reçois une nouvelle invitation à siéger au Concours de jeunes chefs d’orchestre (j’y avais déjà siégé en 1992) Entre-temps je suis devenu directeur de France Musique (depuis l’été 1993), une absence d’une semaine de Paris n’est pas très bien vue par mes patrons de Radio France, mais le prestige du concours, etc… Cette année-là le jury est présidé par John Nelson. Personne parmi les candidats ne se détache vraiment, certains ne sont pas prêts – c’est le cas du fils d’un chef d’orchestre français, qui depuis a pris un bel envol, mais à qui John Nelson et d’autres membres du jury avaient dû expliquer amicalement qu’il devrait mûrir et s’aguerrir ). Un premier prix est attribué à un jeune Japonais, dont je n’ai plus jamais entendu parler depuis…
C’est finalement le lot de tous les concours, qui ne sont jamais une garantie de carrière pour les lauréats, mais qui, parfois, révèlent d’authentiques talents. Et pour qui a, comme moi, eu la chance de siéger dans plusieurs jurys, c’est sans doute l’expérience la plus enrichissante sur le plan artistique et humain. On ne voit plus jamais les artistes de la même manière, on mesure le courage, l’énergie, l’abnégation qu’il faut à un jeune musicien, au-delà de ses qualités musicales, d’abord pour affronter ces compétitions inhumaines, ensuite pour se lancer dans une carrière complètement aléatoire.«
L’attitude de John Nelson pendant toutes les épreuves du concours, sa bienveillance, même quand nous manifestions notre impatience ou notre mécontentement face à l’impréparation manifeste de. certains candidats, est restée pour moi une leçon d’humanité.
Le second souvenir c’est l’invitation que j’avais faite à John Nelson de venir diriger la 6e symphonie de Mahler à Liège en 2005 (lire la critique de ResMusica).
Et puis bien sûr d’autres concerts à Paris, avec l’Ensemble orchestral de Paris auquel il aura assuré une renommée internationale. Souhaitons que Warner/Erato réédite une belle collection d’enregistrements qui font honneur à ce grand chef.
Je n’ai pas eu, retrouvé, d’explication convaincante au pullulement de Neuvièmes de Beethoven en ce début d’année… Traditions nordique ? germanique ? japonaise ? Un anniversaire ? pas celui de l’oeuvre en tout cas, créée le 7 mai 1824 !
Le fait est que le Finnois Mikko Franck a introduit cette supposée tradition à Radio France en 2018, en faisant jouer chaque début janvier par l’Orchestre philharmonique de Radio France. Et c’est un autre Finlandais, le tout jeune Tarmo Peltokoski, à l’aube de son mandat à la tête de l’Orchestre du Capitole de Toulouse, qui vient de faire de même.
Les résultats cette année sont tout sauf probants. Qu’on en juge :
Pour me rassurer, j’ai relu le papier que j’avais écrit à la fin du marathon Beethoven qu’avait dirigé Dinis Sousa à la Philharmonie de Paris en mai dernier : Le triomphe de la fraternité.
Extr. finale 9e symphonie Beethoven / Dinis Sousa dir. Monteverdi Choir & Orchestra
Quelques Neuvièmes inattendues
Ces déceptions de début d’année m’ont donné envie de fouiller dans ma discothèque non pas en quête de versions dites « de référence » connues et reconnues, mais de raretés ou du moins de chefs qu’on ne cite pas souvent – à tort – comme « beethovéniens »
Arvid Jansons / Berlin 1973
Dans la famille Jansons, il y a d’abord eu le père Arvid (1914-1984) et ce disque est – comme par hasard ! – le « live » d’un concert du 31 décembre 1973 !
Erich Leinsdorf / Boston et Berlin
On a trop négligé Erich Leinsdorf (1912-1993), né Viennois, mort Américain. Il a fait une somptueuse intégrale à Boston
Et j’ai ce « live » du 18 septembre 1978 capté à Berlin.
Rafael Kubelik / Munich 1982
La grandeur, le souffle… Magnifique Rafael Kubelik avec son Orchestre de la radio bavaroise !
Yehudi Menuhin / Strasbourg juin 1994
J’ai consacré tout un article à Yehudi Menuhin (1916-1999) … chef d’orchestre. On a beaucoup célébré le violoniste, à l’occasion du centenaire de sa naissance, et complètement oublié l’excellent chef qu’il a été. Ses symphonies de Beethoven mériteraient amplement une réédition.
Leopold Stokowski / Londres 1967
Eh oui Stokowski était aussi un immense beethovénien…
Chacun des « live » de ce coffret est prodigieux.
Kurt Sanderling / Berlin 1987
J’ai eu la chance d’entendre Kurt Sanderling (1912-2011) diriger l’Orchestre de la Suisse Romande à la fin des années 80 à Genève dans deux Neuvièmes : celle de Mahler, puis celle de Beethoven.
J’ai toujours aussi gardé en mémoire la façon extraordinaire qu’il avait de doser les interventions des différents pupitres de l’orchestre pour que la ligne mélodique soit toujours nettement dessinée. C’est un des problèmes auxquels les chefs se trouvent confrontés notamment dans le 1er mouvement de la 9e symphonie (et c’est tout ce que n’a pas fait Jaap van Zweden samedi dernier à Radio France).
Michael Tilson Thomas / Londres 1987
L’intégrale « allégée » des symphonies de Beethoven qu’avait gravée Michael Tilson Thomas à Londres en 1986 avec l’English Chamber Orchestra avait été accueillie au mieux avec une certaine curiosité, le plus souvent avec une condescendance certaine par une critique prompte à ranger les gens dans des cases. MTT dans Beethoven quelle idée ! Encore un préjugé à bannir (MTT Le chef sans âge)
Je ne peux refermer cet article qui évoque l’Ode à la joie et à la fraternité de Beethoven/Schiller sans rappeler les tragiques événements d’il y a dix ans, que j’ai vécus de si près : Le silence des larmes
Elles ont quasiment disparu des concerts classiques, et sont devenues d’absolues raretés au disque. Je veux parler des ouvertures, ces pièces d’orchestre spectaculaires d’abord conçues par les compositeurs d’opéra comme des préludes exposant les principaux thèmes de l’ouvrage, mais de plus en plus souvent comme des morceaux autonomes dans la période romantique.
Tous les grands chefs, tous les grands orchestres se devaient d’enregistrer des disques d’ouvertures, et tout programme traditionnel de concert en comportait généralement une en guise d’apéritif, jusqu’à ce que la mode passe complètement. Depuis quand n’ai-je pas entendu une ouverture de Rossini, Beethoven ou Mozart à un concert parisien ? Trop ringard ?
Heureusement il reste quelques précieux trésors dans une discographie qui ne s’est guère renouvelée.
Au sommet de la pile, l’austère Fritz Reiner et son disque hallucinant (et halluciné) d’ouvertures de Rossini. Personne n’a jamais atteint ce degré de folie, et de perfection orchestrale : écoutez seulement l’accélération finale de cette ouverture de Cenerentola
Avec d’autres moyens, une évidente élégance peut-être plus « italienne » que Reiner, Giulini a lui aussi peu de concurrents.
Avec Weber, on est toujours dans le registre des ouvertures d’opéra. Celle du Freischütz est l’une des plus achevées qui soient, mais les chefs ne réussissent pas toujours à traduire les frémissements de ce premier romantisme. J’ai gardé une admiration intacte pour ce disque de Karajan acheté en 1973.
Plus difficiles encore à réussir, certaines ouvertures de Beethoven, comme celle de la musique de scène d’Egmont, qui sous nombre de baguettes même illustres restent bien placides. Ici, faisons abstraction de cette manière de filmer, et faisons comme le chef, fermons les yeux, en écoutant le torrent de passion qui emporte tout sur son passage
Du « poème dramatique » de Schumann, Manfred, on ne joue plus guère que l’ouverture. Nul, à mes oreilles, n’atteint la fougue, la passion d’un Charles Munch, dès les premiers accords jetés à la face de l’auditeur :
Johannes Brahms compose deux « ouvertures » qui ne sont plus des préludes à un opéra ou une musique de scène, mais des sortes de poèmes symphoniques. Elles datent toutes deux de 1880, et le titre de « tragique » de l’une ne se conçoit que par opposition d’humeur à l’autre (voir ci-après). De nouveau Charles Munch à Boston y est exceptionnel !
Un mot de cette ouverture « académique » qui n’a rien d’académique, dans l’acception péjorative du terme, mais a tout à voir avec un événement universitaire, donc académique, puisque écrite par Brahms en 1880 à l’occasion de sa nomination comme Docteur honoris causa de l’université de Breslau (aujourd’hui Wroclaw en Pologne). Brahms y cite quelques chansons estudiantines et conclut l’ouverture par l’hymne des étudiants Gaudeamus igitur
J’ai fait jouer une fois à Liège, à l’occasion d’une présentation au public de la saison, une autre ouverture, beaucoup moins connue – le bibliothécaire de l’orchestre avait eu bien du mal à trouver la partition ! – d’une opérette de Franz von Suppé, Flotte Bursche (littéralement « Des jeunes gens bien« ) qui reprend le même thème (à 3’15)
Les seules exceptions à cette disparition des ouvertures en concert ou au disque sont peut-être les ouvertures de Berlioz (en général Le Carnaval romain ou Le Corsaire)
Avec Tchaikovski, le terme « ouverture » prend plus la forme d’un poème symphonique, qu’il l’assortisse ou non d’un complément comme pour l’ouverture-fantaisieRoméo et Juliette. Même si on l’entend peu au concert, elle reste assez présente au disque (comme dans la récente publication de l’orchestre philharmonique de Strasbourg et de son chef Aziz Shokhakimov)
Kirill Kondrachine mieux qu’aucun autre dit tout ce que cette musique révèle et recèle :
Prendre pour titre de ce billet l’une des chansons les plus ringardes du chanteur le plus ringard du siècle passé* m’expose à des critiques et des quolibets que le contenu de cet article, je l’espère, ne justifiera pas.
L’anniversaire de Françoise P.
75 ans de mariage, ce sont des noces d’albâtre. 75 ans de vie de musique et de talent, c’est l’anniversaire que vient de fêter, sans aucunement s’en cacher, la cantatrice française Françoise Pollet. Qu’attendent les éditeurs de disques qui l’ont enregistrée au sommet de sa gloire pour rééditer ces trésors et lui rendre l’hommage qui lui est dû?
Tiens, puisque j’évoque l’albâtre, écoutez ce Spectre de la rose, la deuxième des Nuits d’été de Berlioz,
Je n’oublie évidemment pas ce grand moment du Festival Radio France 2021 : la Masterclass impériale de Françoise Pollet, si riche d’humanité, d’humour et d’expérience.
Une déclaration à Marthe K.
Je crois que j’ai toujours été secrètement amoureux de Marthe Keller, j’ai aimé tous ses films
(avec une tendresse particulière pour Fedora de Billy Wilder)
Je ne me rappelle pas l’avoir vue sur scène, mais je l’ai très souvent aperçue au concert assise dans le public. Et je n’ai jamais osé lui avouer mon admiration (qu’en aurait-elle eu à faire ?).
Je l’aime plus encore maintenant que j’ai lu ce qui ressemble à des mémoires, mais qui sont plutôt une suite d’instantanés, très bien écrits – pas de « gras », pas de circonvolutions, à la pointe sèche -. Les souvenirs de stars sont rarement passionnants, la vie de Marthe Keller est, au contraire, fascinante. Et son amour, sa connaissance de la musique et des musiciens – son travail avec Ozawa par exemple, ses mises en scène d’opéra, ses créations – ne font renforcer mon admiration. Et puis ce délicieux accent suisse allemand qui me la rend si proche…
Version 1.0.0
Les sons d’Elsa
Jusqu’à jeudi dernier, je ne savais pas grand chose ni de la personnalité ni de la musique d’Elsa Barraine (1920-1999). Il a fallu que l’Orchestre national de France et son chef Cristian Măcelaru décident d’inscrire à leur programme de rentrée la 2e symphonie de la compositrice française pour que je découvre une auteure vraiment originale. Lire ma critique sur Bachtrack :L’ouverture de saison contrastée du National à Radio France
Comme me le confiait le chef à l’issue du concert, un disque d’oeuvres symphoniques d’Elsa Barraine vient d’être enregistré par l’Orchestre national, avec notamment Le fleuve rouge, un poème symphonique de 1945. Cristian Măcelaru s’amusait du caractère très « communiste » de ce nouvel enregistrement, qu’on attend avec d’autant plus d’impatience que la discographie de la compositrice est pour le moins étique.
En bis, jeudi soir, l’Orchestre national et son chef offraient un extrait du ballet Callirhoé de Cécile Chaminade.
Tout au long de la saison, le chef et l’orchestre proposeront ainsi des « bis » de compositrices, reprenant ainsi la formidable idée du Palazetto Bru Zane qui nous avait fait le cadeau d’un coffret de 8 CD d’inédits au printemps 2023.
Dans le bilan que je tirais de la dernière édition du Festival Radio France que j’ai organisée à Montpellier, en 2022, j’écrivais, pour commenter les bons résultats de ce cru, qui ne retrouvaient cependant pas l’étiage de 2019 de l’avant-COVID :
« On n’a pas fini de mesurer les changements profonds que la pandémie a engendrés pour les artistes comme pour le public. »
« Il y a bien un avant et un après et il ne faudra pas se contenter de généralités approximatives si l’on veut comprendre les nouvelles attentes d’un public qui s’est déjà largement renouvelé ».
J’ai appris depuis longtemps qu’il ne fait pas bon jouer les Cassandre. Je n’ai jamais, pour autant, restreint ma liberté de parole (cf. L’Absente), et ce n’est pas maintenant que je ne suis plus « en responsabilité » que je vais changer.
On lit depuis quelques jours des articles alarmistes sur les restrictions imposées aux grands établissements culturels (voir l’article du Monde daté du 4 avril) le gouvernement, après sa période de prodigalité – qui a tout de même sauvé des pans entiers de notre économie, dont la culture – étant contraint de serrer la ceinture budgétaire à tout le monde. Et voici que, dans Le Monde de ce week-end, Michel Guerrin balance quelques vérités très bonnes à dire… et confirme deux ans après ce que je pressentais en 2022. :
« Les 3 milliards d’euros injectés pour sauver la culture lors de la crise liée au Covid-19 n’ont pas été l’occasion de réformer un secteur marqué notamment par une offre surabondante. Au point que le monde du spectacle, déjà mal en point avant la pandémie, se retrouve dans une situation pire depuis »
« L’Etat a sauvé la culture sans vraiment évaluer les besoins ni jauger les résultats. Il a piloté à vue, provoquant quelques beaux gâchis, et continue de naviguer dans le brouillard.
Je fais une incise pour rappeler que je ne suis pas un grand fan de la Cour des comptes en matière de culture. Je me rappelle quelques entretiens surréalistes, lorsque j’étais à Radio France, avec des inspecteurs de la rue Cambon (siège de la Cour des Comptes), qui démontraient de leur part une méconnaissance totale de la matière qu’ils étaient censés contrôler… J’invite à relire l’article que j’avais consacré à ce sujet il y a un an : Trop de musique ? où je rappelais que « si le général de Gaulle affirmait en 1966, à propos de la Bourse : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille », on renverrait bien la formule aux magistrats de la rue Cambon : « La politique culturelle de la France ne se fait pas à la Cour des Comptes«
Mais je suis – malheureusement – d’accord avec la Cour des comptes et surtout Michel Guerrin lorsque ce dernier écrit :
L’essentiel des griefs est à venir. L’argent ne devait pas servir seulement à sauver le secteur culturel, mais à le moderniser en profondeur : estimer ce qui marche ou pas, définir des priorités. Il ne s’est rien passé, ou presque, déplorent les magistrats. Pire, de l’argent a été investi dans des programmes en dépit du bon sens. L’Etat n’a pas fait la différence entre un théâtre qui allait mal à cause de la crise liée au Covid-19 et un autre, déjà malade auparavant en raison de dysfonctionnements profonds. Des lieux se sont retrouvés avec plus d’argent que le ministère ne leur en donnait en temps normal.
Le résultat ? L’argent du Covid-19 a fait grossir l’offre culturelle. C’est effarant, car aujourd’hui, alors que la pandémie semble loin, le monde du spectacle, déjà mal en point auparavant, se retrouve dans une situation pire. Des théâtres et des opéras n’ont plus l’argent nécessaire pour produire une saison pleine ; ils suppriment une pièce ou une chorégraphie, écartent de jeunes artistes au profit de noms qui font remplir la salle. » (Michel Guerrin, Le Monde 6/7 avril 2024)
Je ne connais pas le détail des arbitrages de la ministre de la Culture, et surtout de Bercy : Rachida Dati affirme qu’elle a tapé dans le porte-monnaie des gros pour préserver les petits, notamment en province (oups, pardon, « les territoires »).
Responsabilité collective
Mais ces réductions venant de l’Etat ne doivent pas masquer un phénomène beaucoup plus large et nettement plus préoccupant. Puisque la plupart des structures culturelles ne dépendent que marginalement du ministère de la Culture, tout ce qui est spectacle vivant, diffusion et production de l’activité culturelle, est directement touché par les décisions des collectivités territoriales. On en sait quelque chose dans les villes gérées depuis 2020 par les écologistes (Lyon, Strasbourg) ou certaines régions gérées par la droite (comme Auvergne-Rhône-Alpes). Mais, de manière moins visible, il n’est pas une région française, de gauche ou de droite, qui n’ait sensiblement réduit sa contribution aux structures culturelles, tout en proclamant le contraire.
J’ai, tout au long de ma carrière dans les médias comme à la tête d’entreprises culturelles, connu les budgets « contraints », les restrictions annoncées ou brutales. Et toujours pensé que cette contrainte devait produire un sursaut d’imagination, de créativité, et non le repli sur soi. J’aurai l’occasion d’en faire état dans une série que je consacrerai prochainement à mes années liégeoises… non pour donner des leçons à quiconque mais pour faire état d’expériences réussies !
On a eu la semaine dernière la confirmation d’une nouvelle que je tenais depuis plusieurs mois du directeur général de l’époque de l’Orchestre philharmonique royal de Liège : la nomination de Lionel Bringuier comme directeur musical de l’orchestre à la rentrée 2025. J’ai craint un moment que ce que m’avait annoncé, en secret, Daniel Weissmann, ne soit finalement pas accompli. Parce qu’entre les projets même les mieux conçus de recrutement d’un directeur musical et la réalité des nominations, il y a souvent un écart.
Le bon choix pour Liège
Je vais raconter comment se passent les nominations de chefs d’orchestre, au moins celles que j’ai eu à connaître. Mais d’emblée je veux dire ici combien le choix de Lionel Bringuier pour Liège vient à point nommé, pour l’orchestre et pour lui. L’ère qui s’ouvre sera féconde et extrêmement bénéfique pour l’orchestre, dont j’ai quitté la direction générale il y a bientôt 10 ans ! Voir RTC
Pour l’OPRL c’est le retour à un étiage qu’il n’aurait jamais dû quitter. Je n’ai jamais compris l’enthousiasme – très relatif – qu’a pu susciter l’actuel directeur musical :Gergely Madaras sait, à coup sûr, manier la baguette, diriger des partitions complexes, et sans doute s’attirer les sympathies du public.
Mais la seule question qui vaille, s’agissant d’un directeur musical, et non pas juste d’un chef de passage, c’est : qu’a-t-il apporté à l’orchestre? quelle est sa valeur ajoutée ? quelle personnalité incarne-t-il face à une phalange qui s’est souvent hissée dans le passé au rang des meilleures ? Les seules fois où je l’ai vu diriger, j’ai trouvé sa direction bien peu singulière, souvent banale, et pas dans n’importe quel répertoire : un Sacre du printemps sans relief (il faut le faire !), une Quatrième symphoniede Mahler gentillette. On m’a reproché de ne pas avoir été tendre avec lui dans ses interprétations en concert ou au disque des oeuvres de César Franck (Hulda, Psyché), mais j’ai des oreilles pour entendre… et comparer.
Langrée, Rophé, Arming
Sur les trois chefs que j’ai eu à nommer durant mes fonctions à l’Orchestre philharmonique royal de Liège (1999-2014), je me suis souvent exprimé, mais sans toujours révéler le dessous des cartes. Les conditions de l’arrivée de Louis Langrée à Liège sont connues : (re)lire Portrait d’ami.
Lorsque Louis Langrée m’avait annoncé qu’il ne prolongerait pas son deuxième mandat (2004-2006) – il s’est alors longuement expliqué sur ses raisons – nous étions convenus qu’il poursuivrait des projets et des tournées auxquels lui comme moi tenions beaucoup, et ce fut le cas. Pour succéder à un musicien qui avait apporté un tel enthousiasme et conduit un tel renouveau à un orchestre en crise, mais qui avait dû affronter aussi un ensemble qui n’était pas habitué, ni même prêt, aux exigences interprétatives du chef français, je pensais qu’un excellent technicien, certes trop réduit à l’étiquette « musique contemporaine », mais dont l’orchestre avait pu apprécier la précision, la capacité d’aborder des partitions complexes, serait un bon relais.Au cours d’un dîner à Paris, je proposai le poste à Pascal Rophé, qui en fut le premier surpris ! Et il y eut de grands moments, de très belles réussites – grâce à Pascal Rophé, l’OPRL fut invité à plusieurs reprises au festival Musica de Strasbourg, enregistra de très grands disques (Mantovani, Dusapin), mais lorsqu’il me fallut envisager de prolonger ou non le premier mandat de Rophé (2006-2009), je partageai mes doutes, mes hésitations, avec des musiciens de et hors l’orchestre dont je connaissais la sûreté de jugement. A peu près tous rejoignaient mon point de vue, il manquait au chef une vision du coeur de répertoire d’un orchestre symphonique, ses prestations dans Mozart, Beethoven, Brahms et même Mahler n’ayant guère convaincu,.. Je laisse le lecteur imaginer la teneur du dîner au cours duquel je dus dire en tête à tête à P.R. la décision prise à son égard.
Des conversations que j’avais eues pour sa succession, un nom ressortait fréquemment. Un jeune chef qui avait fait des étincelles à Liège en 2007, un chef très présent sur les réseaux sociaux (Facebook en l’occurrence).Voyant qu’il était à Paris… et moi aussi, je lui proposai un déjeuner qu’il accepta immédiatement. Je lui dis le bien que les musiciens de l’orchestre et moi pensions de lui, et lui demandai, en toute confidentialité bien sûr, s’il accepterait la direction de Liège. Il ne mit pas 24 h à me donner son accord, et nous nous retrouvâmes quelques semaines plus tard, avec le délégué artistique de l’orchestre, à son domicile en région parisienne. François-Xavier Roth débordait d’idées, d’enthousiasme, de projets. Un contrat fut signé avec son agente parisienne. Quelques semaines avant sa prise de fonction, FX m’indiqua qu’il passait désormais chez un agent basé à Londres, qui lui ouvrait des perspectives internationales. C’est alors que tout se déglingua : ledit agent me somma de revoir le contrat de FXR. Je lui répondis que je ne négociais pas à distance, et qu’un contact direct entre nous me paraissait un préalable. Je rencontrai ce personnage le jour même du premier concert de FXR et de l’orchestre à Bruxelles, en septembre 2009. Ce fut une descente en règle non seulement des termes du contrat du chef mais aussi et surtout de la politique de l’orchestre, qu’il fallait revoir de fond en comble. Bien entendu, toutes les décisions devaient revenir au seul chef d’orchestre, le directeur général ne servant qu’à porter les valises et à faire les comptes. Je mis quelques semaines à comprendre que cette attaque frontale ne servait qu’à préparer la rupture qui aurait lieu au printemps suivant. Entre temps ledit agent s’était « vendu » à une grande agence de concerts à Londres, et mes interlocuteurs allaient changer, sans pour autant que le conflit se règle. Disons que les contacts devinrent plus urbains. Pendant ce temps, je refusais de prêter du crédit aux rumeurs, informations, qui me parvenaient sur une prochaine nomination de FXR dans un grand orchestre allemand. C’est pourtant ce qui fut annoncé, un mois à peine après le communiqué que nous publiâmes en mars 2010 indiquant la rupture anticipée du mandat de directeur musical du chef.
Le traumatisme ne fut pas mince, pour les musiciens de l’orchestre, sonnés par un tel abandon, dont évidemment quelques esprits bien intentionnés ne manquèrent pas de m’attribuer la responsabilité (pas de place pour deux crocodiles dans le même marigot !), pour mon équipe et pour moi aussi. Le président de l’agence londonienne eut le grand tort d’écrire une lettre au président de l’orchestre, dans laquelle il manifestait un tel mépris non seulement pour le directeur général mais aussi pour le conseil d’administration qui l’avait nommé – nous étions incapables de comprendre à quel musicien d’élite nous avions à faire en la personne d’un chef que le monde entier s’arrachait !! – qu’il provoqua de la part de tous les Liégeois, élus, musiciens, responsables, une réaction indignée et une manifestation de totale solidarité envers les dirigeants de l’orchestre. Le sentiment d’un gâchis, surtout à la veille de la saison anniversaire des 50 ans de l’orchestre (2010-2011) au cours de laquelle nous avions prévu un grand nombre de manifestations exceptionnelles, dont des concerts à Varsovie et Vienne ! Nous pûmes heureusement compter sur le concours de plusieurs chefs, dont Louis Langrée et Pascal Rophé, pour assurer le succès de cette saison, et en particulier le concert des 50 ans de l’OPRL, le 7 décembre 2010 qui réunit les trois anciens directeurs musicaux Pierre Bartholomée et ses deux successeurs.
Pour trouver le successeur de Roth, je décidai de changer complètement le processus de sélection et de recrutement, en impliquant directement l’orchestre. Je proposai aux musiciens de désigner en leur sein une commission de six à huit membres, qui travaillerait avec moi dans la plus totale confidentialité, et donc une totale liberté entre nous, pour d’abord dégager le profil du directeur musical qui conviendrait à un orchestre qui avait beaucoup évolué et progressé depuis dix ans, ensuite faire une « short list » de possibles prétendants. La règle était que rien ne devait sortir de nos discussions, que s’il y avait des fuites, cela ruinerait irrémédiablement le processus. J’eus dès le départ la certitude que le prochain directeur musical figurait parmi les chefs que nous avions déjà invités, et j’avais mes préférences. Cela reste une de mes fiertés que d’avoir pu conduire ce processus, dans un esprit d’ouverture, de dialogue, sans conflit, et dans la plus absolue discrétion. À un point tel que lorsque nous annonçâmes en mai 2011 la nomination du chef autrichien Christian Arming, ce fut une surprise totale pour tout le monde, et les musiciens l’approuvèrent d’autant plus chaleureusement qu’ils savaient qu’elle résultait des travaux du petit groupe qu’ils avaient désigné. Ce qui comptait le plus pour moi, c’est qu’aucune pression extérieure – et il y en eut évidemment, et de nombreuses, notamment de la part de chefs et/ou d’agents qui voulaient se placer – aucun argument autre qu’artistique, n’aient été pris en considération.
S’en suivit une période féconde pour l’orchestre, huit années de stabilité, puisque le premier contrat de Christian Arming (2011-2014) fut renouvelé le jour où j’annonçai mon départ de l’orchestre, et ma nomination à Radio France le 14 mai 2014. Je ne fus pas peu fier d’emmener « mon » orchestre pour la troisième fois en moins de dix ans, le 22 mai 2014, dans la grande salle dorée du Musikverein de Vienne !
(Christian Arming devant la statue de Johann Strauss à Vienne, mai 2014)
(Christian Arming dirigeant la Chevauchée des Walkyries / OPRL / JBR Productions)
PS. Je veux préciser ici que j’ai gardé avec chacun des chefs que j’avais choisis et nommés à Liège des relations cordiales, souvent amicales, quels qu’aient pu être nos différends. J’ai pour chacun d’eux une profonde admiration musicale et personnelle.
Beaucoup de place consacrée ici, ces dernières semaines, aux gloires du passé. Grâce à des rééditions bienvenues (Doráti, Klemperer, les chefs de Cincinnati, Jessye Norman, Victoria de Los Angeles). L’avalanche d’automne n’est pas terminée… et il ne faudrait pas succomber aux facilités de la nostalgie.
Mais il y a heureusement quelques – rares – nouveautés qui exaltent le talent de la génération montante.
Domingo Hindoyan à Liverpool
D’abord un disque comme on n’en fait plus – des intermezzi d’opéras véristes. J’ai tellement aimé celui de Karajan, et tellement pas le médiocre remake de Riccardo Chailly
Voici qu’aujourd’hui l’un des chefs dont j’ai aimé voir éclore le talent en l’invitant souvent à Liège – Domingo Hindoyan, chief conductor depuis 2021 du Royal Liverpool Philharmonic Orchestra, publie un disque très réussi de préludes et d’intermezzi d’opéras de Mascagni, Ponchielli, Puccini, Cilea, etc.
Rien n’est plus difficile à réussir ces pièces d’orchestre, avec le chic, l’élégance, le fini orchestral qui s’imposent, Domingo Hindoyan n’est pas loin d’égaler son illustre aîné berlinois.
Je n’en suis pas surpris de la part d’un chef qui avait fait très forte impression à Montpellier, en dirigeant en 2016 Iris de Mascagni et en 2017 Siberia de Giordano, avec à chaque fois dans les rôles-titres sa propre épouse, la grande Sonya Yoncheva.
Tant de souvenirs avec ces deux-là…
Santtu-Matias Rouvali à Göteborg
Voici bientôt dix ans que j’ai découvert ce phénomène, aujourd’hui à la tête de l’une des grandes phalanges européennes, le Philharmonia de Londres. Il y a un mois, je l’applaudissais encore, dirigeant l’Orchestre philharmonique de Radio France. Santtu-Matias Rouvali poursuit son intégrale des symphonies de Sibelius avec l’orchestre de Göteborg, et ce qui est très intéressant, s’agissant d’un chef qui fête ses 38 ans dans quelques jours, c’est qu’il suscite controverses et divergences à chaque nouveau disque, à chaque concert. On n’admire plus seulement la jeunesse d’un talent hors norme, on se met à discuter ses choix interprétatifs, alors qu’il ne fait qu’affirmer une vision, un regard originaux, surprenants parfois, sur des oeuvres rebattues. Moi j’aime ça ! C’est tellement mieux que l’eau tiède !
Aziz Shokhakimov à Strasbourg
Du jeune chef ouzbek qui dirige désormais l’orchestre philharmonique de Strasbourg, Aziz Shokhakimov, j’avais écrit pour Bachtrack (L’audacieux pari d’Aziz Shokhakimov) tout le bien qu’on pouvait en penser. Mais je n’avais pas évoqué le disque publié à l’occasion de cette rentrée. C’est assez culotté, dans une discographie saturée, d’oser sortir une Cinquième de Tchaikovski et Roméo et Juliette. Défi largement relevé, disque magnifique.
Si je devais décrire d’un mot ma semaine musicale, je dirais « plantureuse ». Ou comme si les menus s’étaient révélés trop copieux. Mais on ne va pas se plaindre que les mariées aient été trop belles, tant à Paris qu’à Strasbourg, pour l’ouverture de saison des deux phalanges éponymes.
La marque Mäkelä
Je l’écrivais déjà il y a un an (Ouverture de saison) exactement – nous venions d’apprendre le décès d’Elizabeth II – Klaus Mäkelä ne s’était privé d’aucune audace dans la confection de son programme de rentrée avec l’Orchestre de Paris. Ce 6 septembre (concert redonné le 7), notre chef finlandais préféré a récidivé avec un programme construit autour des années 1910. Il fallait y penser, mais on n’a pas le souvenir d’avoir jamais entendu dans la même soirée trois Russes, dans des oeuvres toutes contemporaines : Petrouchka de Stravinsky (1911), le 1er concerto pour piano de Prokofiev (1911/12) et Les Cloches de Rachmaninov (1912/13). On n’imagine pas esthétiques plus contrastées, et le seul fait d’unir ces trois oeuvres dans un même programme est à mettre au crédit de l’Orchestre de Paris et de son chef.
Je me demande si j’ai les mêmes oreilles que certains critiques. Pour tout dire autant le titre que le contenu du papier de Diapason – La Russie tonitruante de Klaus Mäkelä – me paraissent hors de propos, sauf à se méprendre sur le sens du mot « tonitruant » ni sur les oeuvres elles-mêmes (en effet, Petrouchka c’est un « univers résolument percutant d’où jaillissent quelques touches colorées » (sic)).
Certains auraient pu trouver la lecture du ballet de Stravinsky très classique, alors que Mäkelä ne fait que respecter une partition dont il est facile d’exagérer les aspects anecdotiques. Et on aime ce « classicisme » là. L’Orchestre de Paris a un pianiste de marque au milieu de lui : Bertrand Chamayou, qui va donner ensuite un époustouflant 1er concerto de Prokofiev. Je ne me rappelle pas avoir entendu pareille aisance souveraine dans ce condensé de virtuosité fanatique et d’audaces techniques – le pianiste toulousain m’avouera à l’issue du concert qu’il n’avait plus joué l’oeuvre depuis 25 ans et un concert à Kharkiv ! Bluffant… comme ses bis (un arrangement de Balakirev de l’Alouette de Glinka, et « A la manière de Borodine » de Ravel). Je cherche en vain la « tonitruance » de cette première partie…
Quant aux Cloches de Rachmaninov, le programme de salle rappelait que l’oeuvre était entrée au répertoire de l’Orchestre de Paris… en 2018 ! On y était – Le tonnerre et les cloches – et c’était alors Gianandrea Noseda qui dirigeait et Lionel Sow qui avait préparé le choeur. C’est une oeuvre que j’aime – lire Les cloches de Pâques -, dont Klaus Mäkelä a donné une vision peut-être trop univoque, en en gommant les aspects les plus sombres. Mais on saura toujours gré au jeune chef de nous avoir offert un programme aussi copieux et original. Preuve – on y reviendra bientôt – qu’il faut toujours privilégier l’audace pour plaire au grand public !
Wagner sans paroles à Strasbourg
Jeudi soir j’étais à Strasbourg pour un autre concert d’ouverture, celui de l’orchestre philharmonique de Strasbourg et de son chef ouzbek Aziz Shokhakimov. Lire ma critique sur Bachtrack: L’audacieux pari d’Aziz Shokhakimov..Un programme là encore très copieux (trop ?) avec en plat de résistance la compilation symphonique du Ring de Wagner réalisée par Lorin Maazel en 1987 et enregistrée avec l’Orchestre philharmonique de Berlin.
Vous ne savez pas qui est Georges Bosquet, né le 28 mai 1923 en Transylvanie alors hongroise ? Allons, un petit effort !
Bosquet en hongrois c’est Ligeti, Georges c’est György. On célèbre en effet aujourd’hui le centenaire de l’un des compositeurs les plus importants du XXème siècle.
Je laisse aux spécialistes et musicologues le soin de rappeler et dérouler l’impressionnante carrière créatrice de Ligeti. Son nom n’a jamais déserté les programmes de concert, à la différence de bien de ses contemporains, même très célèbres (Stockhausen, Boulez) qui ont connu une certaine éclipse après leur disparition. On sait d’expérience que mettre le nom de Ligeti à l’affiche d’un concert n’a pas l’effet repoussoir que d’autres noms pouvaient susciter.
Mon premier vrai contact avec la musique de Ligeti, mon premier enthousiasme aussi, se situe à Zurich à l’automne 1986, à la Tonhalle précisément, où le pianiste Anthony di Bonaventura sous la direction de son frère le chef américain Mario di Bonaventura créent le Concerto pour piano, qui n’a alors que trois mouvements. Ligeti y rajoutera deux mouvements, et le concerto dans sa forme définitive sera créé par les mêmes chef et pianiste le 29 février 1988 au Konzerthaus de Vienne. J’ai, quant à moi, le souvenir d’une oeuvre incroyablement excitante, rythmiquement ensorcelante, au point que la première suisse, donnée devant le bon public bourgeois de Zurich, fut bissée et follement applaudie.
Et puis, dans le désordre, Atmosphères et Lontano, deux fascinantes pièces d’orchestre, que j’entendis assez souvent et que je programmai à l’Orchestre philharmonique de Liège.
Souvenir encore ébloui de son Requiem donné dans le cadre du festival Musica à Strasbourg, le 30 septembre 1994, avec le Choeur et l’Orchestre philharmonique de Radio France dirigés par Zoltan Pesko (dans un programme où figuraient également Atmosphères, le magnifique Lonely Child du très regretté Claude Vivier (1948-1983) assassiné dans de sordides conditions et Grabstein für Stephan de Kurtag.
Une version bouleversante dirigée ici par le jeune Esa-Pekka Salonen.
C’est le même Salonen qui dirigeait les représentations du Grand Macabre, dans l’une des multiples révisions opérées par le compositeur, en février 1998 au Châtelet, dans une mise en scène de Peter Sellars. Je me rappelle avoir admiré le Philharmonia, la direction du chef, et plusieurs idées du metteur en scène, mais avoir été moins touché ou convaincu par l’oeuvre elle-même.
Dernier souvenir plus récent ce « bis » donné à Radio France par Bertrand Chamayou, un extrait de Musica ricercata
Sur le plan discographique, les références ont été rassemblées par Deutsche Grammophon d’une part, Sony d’autre part.
Ce jeudi, à la Maison de la radio et de la musique, Jakub Hrusa, le choeur et l’orchestre philharmonique de Radio France ont programmé un autre des chefs-d’oeuvre de Ligeti, Lux aeterna. On y sera !
C’est une tradition avant Noël, on prévoit une sortie avec les petits-enfants. Ce dimanche on avait réservé un spectacle très couru de la Comédie-Française au théâtre du Vieux-Colombier, la Reine des Neiges. On ne pouvait pas savoir alors que la finale de la coupe du monde de football aurait lieu au même moment… Quel calme dans les rues de Paris !
Il y a trois ans, avant la longue parenthèse pandémique, nous étions allés, avec les mêmes, dans une grande salle des Champs-Elysées, voir La reine des neiges 2, qui ne m’avait pas laissé un grand souvenir (j’en suis resté aux premiers Disney !)
Mais trois ans après, G. et L. avouent avoir préféré le théâtre, la performance « en vrai » sur scène (le garçon fait partie d’un atelier-théâtre). Nous partageons l’avis du Monde : La Reine des neiges à la Comédie-Française délivrée de Disney : Pour leur adaptation du conte initiatique d’Andersen, Johanna Boyé et Elisabeth Ventura ont restitué toute l’ambivalence et le mystère du texte originel. Un retour aux sources très éloigné du blockbuster du studio américain.
La reine des neiges en musique
Le conte d’Andersen ne semble pas avoir beaucoup inspiré les compositeurs « classiques ».
En 1913 le Slovène Lucijan Marija Škerjanc écrit un opéra qui sera perdu et jamais joué ! En 1980 le Russe Sergei Banevitch raconte « l’histoire de Kay et Gerda », créée au Marinski le jour de Noël. En 1993 le Canadien John Greer compose une Snow Queen pour la Canadian Children’s Opera Company. En 2010 c’est une version italienne du conte, due à Pierangelo Valtinoni qui est créée à la Komische Oper de Berlin !. Le Suédois Benjamin Staern s’y met à son tour et sa Snödrottningen est donnée le 17 décembre 2016 à l’opéra de Malmö. La plus récente version est due au compositeur danois (le premier compatriote d’Andersen à s’en emparer !) Hans Abrahamsen (70 ans dans trois jours!), créée d’abord en octobre 2019 à l’Opéra de Copenhague, puis en décembre à Munich et en première française à l’Opéra national du Rhin à Strasbourg et à Mulhouse à l’automne 2021.
La figure de l’héroïne légendaire existe dans d’autres littératures nordiques, on pense évidemment à la Snegourotchka, La fille des neiges, la pièce du dramaturge russe Alexandre Ostrovski, pour laquelle Tchaikovski avait écrit une musique de scène, et qui a donné son nom à l’opéra de Rimski-Korsakov, qu’on avait tellement aimé à l’Opéra Bastille il y a cinq ans (lire La fille de neige)