Chez Maxim

Il est de ces jeunes chefs que les grandes phalanges symphoniques s’arrachent, mais il est loin d’être (encore) aussi médiatisé que ses trois collègues finlandais Klaus Mäkelä, Santtu-Matias Rouvali ou Tarmo Peltokoski. Il est russe, originaire de la région de Nijni-Novgorod, au confluent de la Volga et de l’Oka, et il est temps que je lui consacre tout un billet, après l’avoir ici et là mentionné et salué sur ce blog : Maxim Emelyanychev.

Comme on le chante dans La Veuve joyeuse de Lehar – Da geh ich zu Maxim – j’aurais pu dire jeudi dernier au théâtre des Champs-Elysées : Da hör ich zu Maxim ! Et ce que j’ai entendu, je l’ai écrit pour Bachtrack : L’exultation de Maxim Emelyanychev et Sabine Devieilhe au TCE.

Maxim Emelyanychev je le connais d’abord par la rumeur – qui se répand vite dans le milieu professionnel quand on a le sentiment d’être tombé sur l’oiseau rare. Je crois bien que c’est à Toulouse que j’en ai entendu parler pour la première fois.

J’ai d’abord acheté ses premiers disques.

Ce qui m’a immédiatement frappé, en écoutant ses disques, en le regardant diriger, c’est l’absence totale de dogmatisme dans la manière d’aborder les oeuvres et les répertoires, c’est aussi et surtout l’humilité, la modestie de l’approche – il ne bombe pas le torse, ne cherche pas à épater la galerie, à prendre la pose – à la différence de tant de ses jeunes confrères. J’ai eu la chance, plus tard, de mieux le connaitre, de dîner avec lui. Comme avec un autre chef que j’adore – Santtu-Matias Rouvali – on a l’impression qu’il est en permanence branché sur le courant alternatif, non pas qu’il soit agité, mais traversé par une énergie irrésistible.

Ce qui frappe tout autant, c’est ce qu’on a remarqué jeudi soir avec l’Orchestre national de France, c’est l’éventail de ses curiosités, de ses répertoires, et cette capacité, assez unique dans le paysage musical, d’être aussi convaincant dans le baroque – c’est un formidable claveciniste et pianofortiste ! – que dans le grand répertoire romantique. Parce qu’il semble redécouvrir les oeuvres, sans posture ni excès.

À l’automne 2019, je m’étais rendu en Ecosse notamment pour rencontrer les responsables du Scottish Chamber Orchestra en prévision d’une édition 2021 du Festival Radio France que je souhaitais vouer à la musique anglaise. Finalement pour cause de pandémie, l’édition sera retardée à 2022, mais le Scottish Chamber et Maxim Emelyanychev sont bien venus à Montpellier clore une fabuleuse édition avec deux concerts, avec un soliste exceptionnel, Benjamin Grosvenor, qui avait joué deux concertos de Beethoven ! Je râle encore de l’absence des micros de France Musique…

La même joie contagieuse se retrouve dans son clavecin :

Emelyanychev a entrepris une intégrale des symphonies de Mozart. A en juger par les deux premiers volumes, on pourrait tenir là la grande version moderne de ce corpus.

Deux opéras, deux orchestres

On peut difficilement imaginer soirées plus contrastées, et chez l’auteur de ce blog situations parfois schizophréniques. Celle où le critique musical est en activité, celle où l’auditeur jouit pleinement du moment sans l’angoisse du papier à écrire.

Un couple mal assorti

J’aime les soirs de première, non par snobisme (les mondanités, ça n’a jamais été mon truc !), mais parce que l’effervescence est partout perceptible, côté public comme côté interprètes et organisation. Lorsque je prends mes places vendredi soir au guichet du théâtre des Champs-Elysées, après en avoir salué l’actuel et le futur directeurs, J.Ph. me laisse deviner un spectacle qui décoiffe. Il faut dire que Le Rossignol de Stravinsky et Les Mamelles de Tiresias de Poulenc dans une même soirée, mis en scène par Olivier Py, ça promet.

Résultat mitigé ! A lire sur Bachtrack : Le Rossignol et Les Mamelles de Tiresias un couple mal assorti. Avis partagés par mes « collègues » de Forumopera, du Figaro ou du Monde

Un spectacle à voir… pour les Mamelles !

San Francisco à Paris

Samedi soir, programme généreux pour le troisième des concerts du San Francisco Symphony en résidence à la Philharmonie. Esa-Pekka Salonen sur le podium, Yuja Wang au piano !

(Yuja Wang, Esa-Pekka Salonen, le San Fransisco Symphony dans un extrait du finale du 3ème concerto de Rachmaninov)

La pièce d’ouverture est due à une jeune compositrice californienne, Gabriella Smith. Une musique vraiment descriptive, qu’elle situe à 40 kilomètres au nord de San Francisco sur le majestueux cap de Point Reyes. Adolescente, Gabriella Smith y a participé à un projet de recherche sur les chants d’oiseau. Et c’est là contemplant l’océan, bercée par les bruits environnants, que lui vient l’idée de Tumblebird Contrails. Tous les instruments de l’orchestre sont sollicités pour reproduire la houle, le ressac, le sable qui crisse sur la grève. C’est mieux qu’un exercice de style, l’affirmation d’une authentique maîtrise du grand orchestre.

Que dire, ensuite, qui n’ait déjà dit sur Yuja Wang, sa technique superlative, son approche aussi virtuose que poétique de l’immense 3ème concerto de Rachmaninov (cf. l’extrait ci-dessus) ! En bis, la sublime transcription par Liszt de « Marguerite au rouet » de Schubert presque murmurée, dans un souffle.

Puis devant l’insistance du public, un « encore » qui était si familier à Nelson Freire, les Ombres heureuses de l’Orphée et Eurydice de Gluck arrangées par Sgambati

En seconde partie, le Concerto pour orchestre de Bartok, où les Californiens et leur chef n’ont pas de mal à briller de tous leurs feux. Mais ce n’est décidément pas l’oeuvre qu’on préfère de Bartok.

Les beaux dimanches du National

Je me rappelle encore l’énergie qu’il avait fallu développer, après l’inauguration de l’auditorium de Radio France en novembre 2014, pour installer l’idée que la musique et les formations musicales de la Maison ronde devaient être proposées au public le week-end. J’avais lancé le principe de concerts symphoniques le dimanche après midi, me heurtant d’emblée à l’incrédulité voire à l’hostilité générale, à l’exception, je dois le dire, du PDG Mathieu Gallet qui souhaitait une Maison de la Radio en format VSD !

J’ai eu évidemment beaucoup de plaisir à constater ce dimanche après-midi qu’un public jeune et familial avait pris place dans l’Auditorium. Pour un concert en tous points admirable. Comme je l’ai écrit pour Bachtrack : Gianandrea Noseda, Joshua Bell et le National au meilleur de leur forme.`

Indémodables

J’avais un peu de temps mercredi dernier avant – non pas la demi-finale ! – la Lakmé proposée en version de concert au Théâtre des Champs-Elysées (compte-rendu à lire sur Bachtrack : Sabine Devieilhe à son acmé) et je me suis rappelé que l’ancien siège de la maison Saint Laurent devenu musée Yves Saint Laurent était situé tout près, au 5 avenue Marceau.

Saint Laurent en or

Emotion certaine quand on pénètre dans l’hôtel particulier, somme toute de taille plutôt modeste, où le couturier s’installa dès 1974.

L’exposition Gold – à voir jusqu’au 14 mai 2023 – explore « les touches d’or qui ont traversé la création du couturier ».

Musée Yves Saint Laurent Paris / Exposition « Gold »

Outre les nombreux modèles exposés, les photos, documents, lettres, dessins, on a la chance de pénétrer dans ce qui fut le mythique « studio » du couturier, reconstitué en l’état.


On n’apprend rien de neuf sur Yves Saint Laurent et Pierre Bergé avec le livre que vient de publier Christophe Girard, longtemps adjoint à la Culture à la Mairie de Paris, auprès de Bertrand Delanoé puis dAnne Hidalgo.

L’intérêt de l’ouvrage réside dans le témoignage de celui qui fut d’abord le secrétaire général puis le directeur général adjoint de la maison Saint-Laurent et les nombreux documents – photos, écrits, lettres – qui donnent une idée plus précise du génie créatif du couturier, du rôle de Pierre Bergé… et des relations chaotiques du « couple ». Pas indispensable mais recommandable !

Belle époque ?

La nostalgie est toujours ce qu’elle était : c’était il y a un siècle et on l’appelle la « belle époque ». Sans doute a-t-on idéalisé l’entre-deux-guerres et son foisonnement créatif.

Deux bons guides – et deux idées de cadeaux ! – pour mieux connaître cette période :

 » Ma passion pour le début du XXe siècle s’est éveillée très jeune en écoutant Debussy et Duke Ellington, en regardant Claude Monet et Raoul Dufy, en lisant Alphonse Allais et Maurice Leblanc, puis Apollinaire et les surréalistes… 
C’est donc tout naturellement que je me suis plongé dans ce dictionnaire où j’ai voulu souligner la continuité entre Belle Époque et Années folles, telles deux  » mi-temps  » séparées par le gouffre terrible de la grande guerre. Malgré tout ce qui les oppose, les années 1920 seront, par maints aspects, l’accomplissement de cet esprit moderne qui germait en 1900. On y retrouve souvent les mêmes protagonistes à deux âges de leur vie, tels Guitry, Colette, Ravel, Stravinski, Picasso… 
Face à un sujet immense, j’ai privilégié la France comme théâtre emblématique de ce temps où Paris fut le cœur battant du monde artistique. Sans négliger pour autant les riches échanges qui se développèrent avec New York, Vienne, Londres, où se produisaient des évolutions comparables, j’ai tenu à remettre à l’honneur une certaine légèreté française. Enfin, même si la civilisation toute entière est présente avec ses hommes politiques, ses scientifiques, ses expositions universelles ou ses villégiatures, ce sont d’abord les arts qui figurent au cœur de ce panorama : poésie, théâtre, peinture, une place privilégiée revenant par goût personnel à la musique. 
Portraits, bons mots, petite et grande histoire se mêlent dans ces pages consacrées à des personnages, mais aussi à des lieux comme le Moulin Rouge et le Chat Noir, à des genres oubliés comme le café-concert, sans oublier les décors des brasseries, gares et jardins publics… Tout ce qui fait que la Belle Époque et les Années Folles sont toujours parmi nous et continuent à faire rêver aux quatre coins du mond
e. » (Benoit Duteurtre)

Félicitons Benjamin Levy et sa belle équipe de jeunes – ou moins jeunes – chanteurs de réhabiliter un répertoire qui n’était plus guère fréquenté

Les Indes furieuses

J’avoue que ma curiosité était à vif ce mardi soir pour la dernière représentation des Indes galantes de Rameau à l’Opéra Bastille.  On avait à peu près lu tout et son contraire dans la critique : « déception » (Télérama), « l’ère du vide » (Forumopera), « la musique remporte la Battle » (ResMusica), « énorme succès public » (Le Monde)… signe qu’il se passait quelque chose.

IMG_6406Sabine Devieilhe dans le prologue.

J’ai rendu les armes dès le prologue. Et jusqu’au bout j’ai « marché » dans la proposition que j’avais sous les yeux et dans les oreilles. Je n’ai pas tout compris, je n’ai d’ailleurs pas cherché à tout comprendre de la mise en scène de Clément Cogitore. Je me suis laissé emporter par l’énergie furieuse, la beauté immobile, les images fortes, même un peu téléphonées, l’engagement des chanteurs, tous plus qu’admirables, les danseurs magnifiques…

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Toute la distribution est parfaite. Eût-on seulement rêvé, il y a vingt ans, de pouvoir confier tous les rôles de ces Indes galantes à des interprètes francophones?

Même si la présence du hip hop dans la chorégraphie réglée par Bintou Dembélé a fait le buzz, et peut-être attiré un public qui ne se serait pas forcément déplacé pour un opéra baroque, ce n’est qu’un élément de la réussite de cette production. L’élément essentiel demeure la formidable direction de Leonardo Garcia Alarcon à la tête de sa Capella Mediterranea (ils seront les invités du prochain Festival Radio France en juillet 2020 !) et de l’excellent Choeur de chambre de Namur.

S’il y a une scène, un moment unique, que je veux retenir entre tous, c’est cette image sublime, cet instant d’intense émotion, d’une Sabine Devieilhe, bientôt maman d’un deuxième enfant, et de son exceptionnel partenaire danseur. D’une beauté irréelle.

 

Berlin dernier jour

Refus du consumérisme ou respect des traditions, Berlin (comme Dresde l’an passé) ferme boutiques et musées en début d’après-midi le 31 décembre. La chocolaterie Rausch consent à ouvrir jusqu’à 18 h ! Mais les touristes, très nombreux à cette période, en sont réduits à fréquenter les marchés de Noël, voire quelques rares boutiques de souvenirs, en attendant les douze coups de minuit à la porte de Brandebourg !

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Fierté de la chocolaterie Rausch : ces monuments berlinois tout en chocolat !

Même le célèbre magasin Dussmann – où j’ai fait naguère provision de tant de disques et de partitions – n’ouvre plus le dimanche, et fermait ce 31 décembre à 14 h!

Côté musique, en revanche, on serait bien mal venu de se plaindre ! Quelle autre ville au monde est en mesure de proposer chaque soir de cette période de fêtes pas moins de 5 concerts ou représentations d’opéra ?

J’ai boudé, cette fois – privilège du visiteur professionnel ! – la Philharmonie où Daniel Barenboim dirigeait l’Orchestre philharmonique de Berlin dans un programme que je l’avais vu jouer et diriger avec les Wiener Philharmoniker en 2011 (un concerto de Mozart et Ravel en seconde partie), tout comme le Konzerthaus où se donnait – tradition oblige – la IXème symphonie de Beethoven sous une baguette pourtant pas inintéressante, Vladimir Jurowski.

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Mais la curiosité m’a poussé vers deux spectacles de la Komische Oper – dirigée par un talentueux trublion, Barrie Kosky -, jeudi soir Les perles de Cléopâtre une opérette déjantée d’Oscar Straus, et ce lundi Candide de BernsteinLes deux spectacles mis en scène par le maître des lieux, mais quelque chose ne prenait pas dans Candide : beaucoup trop long pour une « opérette » (3 heures et demie), un récitant de luxe en la personne de Franz Hawlatamais de nettes insuffisances du côté des femmes. Quand on a entendu Sabine Devieilhe et Sophie Koch irrésistibles au Théâtre des Champs-Elysées en  octobre dernier, on a un peu de mal à voir et entendre d’honnêtes chanteuses, certes peu aidées par une direction molle et sans fantaisie (malheureusement prévisible dès l’ouverture !)

C’est à la Deutsche Oper – l’opéra de Berlin Ouest – que j’ai vu, pour la première fois La petite renarde rusée de Janacek

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Pas très convaincu par le fait que l’ouvrage est censé s’adresser aux enfants…Mais belle version musicale tant sur scène que dans la fosse.

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Hier soir c’était le premier des deux concerts « de la Saint-Sylvestre » proposés à la Staatsoper Unter den Linden. Comme le maître des lieux – Daniel Barenboim – était occupé à la Philharmonie, il avait confié le programme et la baguette à celui dont j’écrivais il y a deux ans : Le microcosme musical ne parle que de lui depuis deux ou trois ans. Surtout depuis qu’il a remplacé, au pied levé, Philippe Jordan dans une tournée de l’Orchestre symphonique de Vienne il y a quelques mois, ou Franz Welser-Moest avec l’autre phalange viennoise, les Wiener Philharmoniker ! Un surdoué à l’évidence ! Il s’appelle Lahav Shaniil a 30 ans le 7 janvier prochain, et il a amplement confirmé ses dons de pianiste (dans Rhapsody in Blue) et de chef, avec un soliste star en Allemagne, le trompettiste de jazz Till BrönnerDes songs de Kurt Weill, arrangés pour trompette et orchestre. Et en seconde partie un mélange, intéressant, mais qui évacue la magie de la musique au profit d’une suite de numéros, la suite de Casse-Noisette de Tchaikovski et les arrangements qu’en ont fait pour brass band Duke Ellington et Billy Strayhorn :

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Speak low(K.Weill)

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Charme et élégance de Lahav Shani et la Staatskapelle Berlin, dans la Valse des fleurs de Casse-Noisette

Je ne voulais pas quitter Berlin sans visiter la maison Mendelssohndans la Jägerstrasse. Là où Joseph et Abraham, les fils aînés de Moses Mendelssohngrand-père du compositeur (Chez Felix) installent en 1815 la banque qu’ils ont fondée vingt ans plus tôt. IMG_0850

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Le temps de surprendre deux tout jeunes frères jumeaux, Hassan et Ibrahim Ignatov, (15 ans !) en train de répéter la Fantaisie en fa mineur de Schubert pour le concert qu’ils donnent sur place le 3 janvier…

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Il ne faut pas croire Chabrier

 

On avait laissé Louis Langrée triomphant, il y a tout juste un an, à l’Opéra Comique, dans le Comte Ory de Rossini (Monsieur le Comte est bien servi). On l’a retrouvé, hier soir, pour la première d’Hamlet d’Ambroise Thomas

C’est à Emmanuel Chabrier  qu’on doit cette flèche célèbre : « Il y a deux espèces de musique, la bonne et la mauvaise. Et puis il y a la musique d’Ambroise Thomas ». 

Christophe Rizoud écrit ce matin sur Forumopera:

Tous les compositeurs ne sont pas égaux au tribunal de la postérité. Ambroise Thomas tente de sortir du purgatoire où l’avait consigné un mot assassin de Chabrier. L’occasion à Paris n’est pas si fréquente. Pour ne pas laisser passer une nouvelle fois la chance, l’Opéra Comique a mis les bouchées doubles : un chef convaincu par ce répertoire qui au moment des saluts brandit la partition d’Hamlet en un geste justicier, certains de nos meilleurs chanteurs français et, comme si ce n’était pas assez, un metteur en scène cinéaste – Cyril Teste – invité avec ses techniciens et ses caméras. Qui osera ensuite dire Thomas ringard ?

Un « chef convaincu », et diablement convaincant, je peux l’attester ! J’avais déjà eu la chance de voir la production de Covent Garden en 2003, Louis Langrée y dirigeait un bouleversant Simon Keenlyside et une époustouflante Natalie Dessay.

Hier soir, le couple vedette était formé de Stéphane Degout (Hamlet) et Sabine Devieilhe (Ophélie).

Impossible de rêver mieux : Stéphane Degout que j’avais vraiment découvert lors d’une semaine que France Musique avait passée à l’Opéra de Lyon à l’automne 1998, parmi toute une ribambelle de chanteurs qui ont, depuis, tous fait un magnifique parcours (Stéphanie d’Oustrac, Karine Deshayes…) – semaine qui s’était achevée par la production inaugurale du – bref – mandat de Louis Langrée, Ariane et Barbe-Bleue de Dukas, avec Françoise Pollet dans le rôle-titre ! – Stéphane Degout donc, que j’avais invité pour un récital à Liège en 2003 ou 2004, dont j’ai suivi le fabuleux parcours grâce aux réseaux sociaux, mais que je n’avais pas vu ni entendu en scène depuis longtemps. Quel acteur, quel admirable chanteur – rondeur, chaleur du timbre, puissance et homogénéité sur toute la tessiture, diction absolument parfaite -, il est Hamlet ! 

Tout comme Sabine Devieilhe est Ophélie. Follement applaudie au IVème acte, elle se joue de toutes les difficultés de son grand air, où la seule virtuosité ne suffirait pas à rendre justice au personnage, elle émeut jusqu’aux larmes.

Toute la distribution est admirable : Sylvie Brunet-Grupposo en reine Gertrude fait plus d’une fois penser à Rita Gorr, les hommes – Laurent Alvaro, Julien Behr, Jérôme Varnier (formidable Spectre), Kevin Amiel, Yohann Dubruque, Nicolas Legoux – sont tous à saluer ! Il faut évidemment applaudir le choeur Les Eléments, habitués des lieux, toujours si bien préparés par Joël Suhubiette.

Dans la fosse, une formation qui, décidément, prend goût au répertoire lyrique et au travail avec Louis Langrée, puisque, sauf erreur de ma part, c’est leur troisième collaboration sur un opéra (après Pelléas et Mélisande et Le Comte Ory) : l’Orchestre des Champs-Elysées et ses solistes si sollicités (le trombone solo!) se couvrent de gloire. La balance fosse-scène est idéale, dans cette salle si sonore, Louis Langrée révèle toutes les richesses de la partition, en évitant surcharge et grandiloquence, pour se concentrer sur le drame, le théâtre, l’humanité des personnages.

A l’entracte, les sentiments étaient mélangés sur la mise en scène de Cyril Teste. Moi j’ai marché, le recours à la vidéo, qui peut vite tourner au procédé, m’a semblé ici parfaitement coller au propos, à l’intemporalité du drame shakespearien. Belle direction d’acteurs, pas de gadget superflu.

Longue, très longue ovation finale pour tous les protagonistes d’une production qui restera dans les annales de l’Opéra comique !

Le spectacle doit être capté par MediciTv et Mezzo, il sera diffusé sur France Musique le 6 janvier 2019. A ne pas manquer, pour ceux qui n’auraient pas la chance de le voir d’ici le 29 décembre.

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Côté people, c’était assez amusant de constater la présence de pas mal d’ex, un ex-directeur de l’Opéra comique, une ex-directrice de la Danse de l’Opéra, une ex-ministre de la Culture faisant la bise à un ex-PDG de Radio France, pas rancunier, que j’ai eu plaisir à revoir et à féliciter pour sa nouvelle activité (Majelan, la plate-forme de podcasts de Mathieu Gallet).

Candide

C’est sans doute l’une de mes lectures d’adolescence qui m’a le plus marqué et qui m’a durablement fait aimer son auteur. En dépit de mon patronyme, je suis, depuis lors, plus Voltaire que Rousseau. 

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Paru en 1759 à Genève, Candide ou l’Optimisme, l’un des contes philosophiques de Voltaire, est peut-être le premier bestseller de l’histoire. Il n’a rien perdu de son actualité, de son acuité. On comprend que Leonard Bernstein en ait tiré en 1956 ce qu’il a appelé lui-même une opérette et non pas une comédie musicale.

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La seule question que je me pose est : pourquoi Candide n’est-il pas monté plus souvent ?

A Paris, j’ai le souvenir, pas très bon, des représentations données au Châtelet, pour les 50 ans de l’ouvrage, en 2006, dans une mise en scène inutilement compliquée de Robert Carsen.  Renaud Machart, du temps – bien regretté – où il officiait encore comme critique musical, n’avait pas du tout aimé et l’avait écrit dans Le Monde :

« Après avoir enduré (contrairement à une partie de la salle, hilare) les quelque trois heures d’un spectacle sinistre à force de se vouloir drôle et intéressant, désert à force de vouloir « meubler », on se dit que Carsen aurait dû aller voir ce que d’autres ont fait de Candide….

Dans ce cadre-là, la distribution, pourtant excellente, ne parvient pas à capter l’intérêt, pas même le brillant Lambert Wilson, qui danse, parle et chante en anglais et en français, pas même l’explosive Kim Criswell en vieille cosmopolite « assimilée »… Les références faciles au cinéma, les gestes et attitudes attendus, les ballets non intégrés et « second degré », tout cela ruine les efforts des chanteurs, pour la plupart des chanteurs d’opéra et pourtant sonorisés. » (Le Monde, 13 décembre 2006).

Hier soir, devant une salle archi-comble au théâtre des Champs-Elysées, la troupe réunie dimanche dernier à l’Opéra de Marseille, a, sans peine, effacé le mauvais souvenir de 2006 et célébré le génie créateur de Bernstein à son apogée.

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Certes, ce n’était qu’une version de concert, mais tous les protagonistes sont à louer sans restriction. Excellents choeurs – très sollicités par une partition qui comme dans toutes les opérettes ou la musique dite « légère » peut être d’une redoutable difficulté – et orchestre de l’opéra de Marseille, dirigés à la perfection par un chef qu’on croirait né dans la musique de Bernstein, l’Américain Robert TuohyUne distribution de rêve :

Cunégonde Sabine DEVIEILHE
La Vieille Dame Sophie KOCH
Paquette Jennifer COURCIER

Candide Jack SWANSON
Voltaire / Pangloss / Martin / Cacambo Nicolas RIVENQ
Le Gouverneur / Ragotski / Vanderdendur / Señor 1 / Le Juge / Le Grand Inquisiteur Kévin AMIEL
Maximilien / Le Capitaine / Señor 2 / Le Croupier Jean-Gabriel SAINT MARTIN

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Si Renaud Machart avait dû endurer les trois heures du spectacle du Châtelet en 2006, la soirée d’hier est passée sans qu’à aucun moment l’intérêt ne s’émousse. On n’a vraiment pas vu le temps passer…

Sabine Devieilhe avait déjà eu l’occasion de donner un aperçu du rôle de Cunégonde et de son fameux air Glitter and be gay lors de la soirée des Victoires de la Musique classique en février 2015 à Lille :

Mozart à Versailles

La programmation musicale de Laurent Brunner au château de Versailles est tellement riche qu’on voudrait être chaque semaine  présent soit à l’Opéra royalsoit dans la Chapelle royale.

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IMG_4704Tout occupé à préparer mon rendez-vous avec le public de Montpellier vendredi soir (voir une partie de la programmation 2018 dévoilée), j’ai failli manquer le rendez-vous que nous donnait ce week-end Raphael Pichon avec Mozart à Versailles.

Un programme bateau ? Oui si l’on considère que le Requiem de Mozart est l’assurance d’une salle comble mais c’est sans compter sur le chef et animateur de l’ensemble Pygmalion : Raphael Pichon ne sait pas faire dans le banal. C’est déjà ce que j’écrivais il y a plus de deux ans en évoquant le disque qui rassemblait la soprano Sabine Devieilhe et celui dont elle partage la vie :

La jeune célébrité, l’envol prodigieux de la carrière de Sabine Devieilheauraient pu conduire le producteur du disque comme la soprano à graver un disque de grands airs de Mozart, un de plus. Succès de vente assuré…

La chanteuse et ses partenaires, les musiciens de l’ensemble Pygmalion et leur exceptionnel animateur (au premier sens du terme, celui qui en est l’âme), Raphaël Pichon, en ont décidé autrement, et l’expliquent avec une clarté, une simplicité d’évidence, dans le riche et remarquable livret de cet épais CD cartonné.Ils nous racontent une histoire, font de la musicologie enfin vivante : celle d’une relation amoureuse, de passions successives et inspiratrices de Mozart pour des soeurs nées musiciennes, les filles de Fridolin Weber de Mannheim (par ailleurs cousines du fondateur du romantisme musical allemand, le compositeur Carl Maria von Weber).

Comme le rappelle Raphaël Pichon, « il y avait Aloysia Weber. Mozart en fut amoureux et composa pour elle plusieurs pages bouleversantes. Il y avait aussi Konstanze, la petite sœur d’Aloysia, que Mozart épousa en 1782. Il y avait enfin Josepha, l’aînée de la famille, pour qui le compositeur écrivit le rôle de la Reine de la nuit dans La Flûte enchantée. Ce programme reconstitue l’ambiance dans laquelle évoluait Mozart entre ses passions amoureuses et ses passions musicales. Il nous rappelle qu’un concert, au XVIIIe siècle, n’avait rien à voir avec un concert d’aujourd’hui. Les soirées étaient longues, faites d’œuvres diverses rarement données intégralement, et on ponctuait les improvisations de collations et autres libations. Des concerts vécus comme des fêtes ! »

71n6m21qcvl-_sl1437_Malheureusement, Sabine Devieilhe annoncée hier soir a dû déclarer forfait pour cause de cordes vocales grippées. Mais Raphael Pichon, ses choristes et ses musiciens n’ont pas failli à leur réputation. Avec eux, c’est toujours comme si on redécouvrait, d’une oreille débarrassée de ses confortables habitudes, des partitions pourtant si familières, mais rien n’est jamais fait pour l’épate, l’esbroufe.

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Un programme mêlant le Miserere d’Allegri, des musiques maçonniques de Haydn et Mozart avant le Requiem.

Réussite longuement applaudie. Et l’espoir d’une captation bientôt disponible ?

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Inde galante

Camille de Rijck m’avait convié à participer à son émission dominicale de critique de disques Table d’écoute sur la chaîne culturelle de la RTBF, Musiq3 , ce dimanche consacrée aux Quatre poèmes hindous de Maurice Delage.

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L’émission est à réécouter ici : Table d’écoute 25 février 2018

Une oeuvre atypique, qui ne recourt pas à une sorte d’exotisme de pacotille, d’une extrême concision (moins de dix minutes pour le cycle !), un authentique petit chef-d’oeuvre.

Quatre poèmes, qui pourraient presque ressortir au genre du haiku japonais :

Madras (Bhartrihari)

Une belle à la taille svelte
se promène sous les arbres de la forêt,
en se reposant de temps en temps.
Ayant relevé de la main
les trois voiles d’or
qui lui couvre les seins,
elle renvoie à la lune
les rayons dont elle était baignée.

Lahore, (Heinrich Heine,trad. Gérard de Nerval)

Un sapin isolé se dresse sur une montagne
Aride du Nord. Il sommeille.
La glace et la neige l’environne
D’un manteau blanc.

Il rêve d’un palmier qui là-bas
Dans l’Orient lointain se désole,
Solitaire et taciturne,
Sur la pente de son rocher brûlant.

Bénarès : Naissance de Bouddha

En ce temps-là fut annoncé
la venue de Bouddha sur la terre.
Il se fit dans le ciel un grand bruit de nuages.
Les Dieux, agitant leurs éventails et leurs vêtements,
répandirent d’innombrables fleurs merveilleuses.
Des parfums mystérieux et doux se croisèrent
comme des lianes dans le souffle tiède de cette nuit de printemps.
La perle divine de la pleine lune
s’arrêta sur le palais de marbre,
gardé par vingt mille éléphants,
pareils à des collines grises de la couleur de nuages.

Jaipur  (Bhartrihari)

Si vous pensez à elle,
vous éprouvez un douloureux tourment.
Si vous la voyez,
votre esprit se trouble.
Si vous la touchez,
Vous perdez la raison.
Comment peut-on l’appeler bien-aimée?

Six versions étaient en lice, dont l’une – la plus récente – a eu les honneurs des dernières Victoires de la Musique classique (lire Victoires jubilaires).

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Au fil de l’écoute, et pour des raisons explicitées dans notre débat, nous avons éliminé

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Marcel Quillévéré , qui l’avait d’emblée reconnue, a manifesté jusqu’au bout son enthousiasme pour Martha Angelici captée dans les années 50 – diction et ligne de chant évidemment impeccables ! –  une version qu’on retrouve dans le gros coffret d’hommage à André Cluytens

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Enfin émerveillement partagé à l’écoute de deux grandes chanteuses, non francophones, mais tellement amoureuses du français, si « bien diseuses », une version que je ne connaissais pas, celle d’Anne Sofie von Otter (tellement admirée récemment dans les Dialogues des Carmélites donnés au Théâtre des Champs-Elysées)

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Et puis un disque qui m’accompagne depuis sa sortie, une vraie rareté à l’époque, heureusement rééditée doublement en CD isolé et dans le coffret-hommage au chef suisse : Felicity Lott et Armin Jordan

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Victoires jubilaires

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Alors que j’avais émis quelques réserves l’an dernier (lire Quelles victoires ?) je dois saluer la réussite des 25èmes Victoires de la musique classique qui ont eu lieu hier soir dans le cadre magique de la Grange au Lac d’Evian.

Sans doute parce que tant de souvenirs m’attachent à ce lieu, à l’inauguration duquel j’avais assisté. J’ai déjà évoqué ici l’âme et l’instigateur de cette Grange au Lac (lire Anniversaires 90 + 175 :

« Evian d’abord où le grand patron d’industrie Antoine Riboud s’était entiché de Slava, dont il avait fait, en 1987, le président et l’âme des Rencontres Musicales d’Evian (fondées en 1976 par Serge Zehnacker) et à qui il avait offert une salle de concert hors norme dans le parc de l’hôtel Royal, la Grange aux Lacs.

Beaucoup de souvenirs pas seulement musicaux de ces retrouvailles annuelles, auxquelles j’assistais en voisin. J’y reviendrai, tant il y en eut d’émouvants, d’agaçants ou de cocasses. L’un me revient à propos de Pierre Bouteiller : celui-ci n’était jamais le dernier à courir les cocktails d’après-concert, surtout lorsqu’ils avaient lieu au Royal. A l’heure où la plupart des convives rassasiés partaient se coucher, Pierre se mettait au piano près du bar et jouait des standards de jazz…

Autre souvenir lié à l’inauguration devant un parterre très people de la Grange aux Lacs. La soirée avait été particulièrement pluvieuse, les abords immédiats de la salle n’étaient pas achevés, et c’est sur des chemins de terre détrempés que les invités devaient rejoindre le dîner au Royal en contrebas. Sortant par hasard de la salle à côté de Raymond Barre, j’entendis l’ancien Premier ministre s’exclamer : « Ce n’est pas la Grange aux lacs ce soir, c’est la grange aux flaques » !

La soirée d’hier était aussi mieux rythmée, plus courte (relativement, puisque terminée à 23h30). Leila Kaddour-Boudadi a de loin surclassé ses consoeurs stars de la télé qui s’étaient naguère essayées avec nettement moins de bonheur à l’exercice délicat de la présentation de cette soirée et bien entendu Frédéric Lodéon nous a encore servi des anecdotes dont il a le secret, après avoir avoué que ce serait la « der des der » et qu’il était temps pour lui de transmettre le flambeau après 17 ans de présentation des Victoires de la musique classique.

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Sur le nombre de récompenses, la sélection des « nommés », les votes de la profession, les critiques n’ont jamais manqué et n’épargneront pas ces 25èmes Victoires. Je constate simplement que le tableau d’honneur de cette soirée était à nouveau très impressionnant, qu’aucun des nommés, a fortiori aucun des récipiendaires de cette année n’était indigne d’y figurer, bien au contraire. Le plus surprenant – qui atteste d’ailleurs de l’incroyable foisonnement de talents français dans cette discipline – est peut-être que les prix de la Révélation du soliste instrumental et du meilleur Soliste instrumental soient allés à deux violoncellistes, quasiment du même âge, les excellents Bruno Philippe et Victor Julien-Laferrière.

IMG_4503(Bruno Philippe en pleine discussion avec le pianiste Jérôme Ducros)

IMG_4512Que Sabine Devieilhe ait raflé deux Victoires n’aura étonné personne !

On est moins convaincu par l’utilité d’un vote pour le « meilleur compositeur » de l’année, comme si on pouvait juger de l’oeuvre et du travail d’un compositeur dans ce genre de compétition, mais on est heureux qu’après Thierry Escaich l’an passé, ce soit Karol Beffa qui ait été honoré hier soir.

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Et puis il faudrait remercier Paul Meyer, Nelson Goerner, Anna Vinnistakaia, Lucas Debargue, et tous les autres, des moments rares de musique qu’ils nous offerts, exercice particulièrement périlleux dans ce genre de soirée télévisée. On me pardonnera d’avoir à mon tour succombé – après plus de 2 millions de personnes qui l’ont vu sur les réseaux sociaux – à la voix, au talent, au charme du contre-ténor polonaos Jakub Józef Orlinski

Toute la soirée est à revoir/réentendre sur francemusique.fr25èmes Victoires de la musique classique (mais contrairement à ce qu’indique le site de France Musique, ce n’est pas l’Orchestre national mais celui de l’Opéra de Lyon qui officiait hier soir)

28276254_1477216289072764_142791242358761763_n(Nelson Goerner après un Clair de lune de Debussy gorgé de poésie)

IMG_4511(Paul Meyer jouant un extrait du concerto de Thierry Escaich).

Enfin nul n’oubliera la prestation survoltée de Barbara Hannigan, chef et soliste d’un arrangement de Girl crazy de Gershwin

Tous les détails du palmarès de ces 25èmes Victoires ici : Le palmarès des 25èmes Victoires de la musique classique